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08/03/2024 | FRANCE | N°22MA01463

France | France, Cour administrative d'appel, 5ème chambre, 08 mars 2024, 22MA01463


Vu la procédure suivante :



Procédure contentieuse antérieure :



La SARL Ibera a demandé au tribunal administratif de Nice de prononcer la décharge, en droits et pénalités, des cotisations supplémentaires d'impôt sur les sociétés auxquelles elle a été assujettie au titre des années 2013 et 2014, ainsi que des rappels de taxe sur la valeur ajoutée qui lui ont été réclamés au titre de la période du 1er janvier 2012 au 31 décembre 2014.



Par un jugement n° 2003300, 2003301 du 17 mars 2022, le tribunal administrat

if de Nice a rejeté ses demandes.



Procédure devant la Cour :



Par une requête, enregis...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

La SARL Ibera a demandé au tribunal administratif de Nice de prononcer la décharge, en droits et pénalités, des cotisations supplémentaires d'impôt sur les sociétés auxquelles elle a été assujettie au titre des années 2013 et 2014, ainsi que des rappels de taxe sur la valeur ajoutée qui lui ont été réclamés au titre de la période du 1er janvier 2012 au 31 décembre 2014.

Par un jugement n° 2003300, 2003301 du 17 mars 2022, le tribunal administratif de Nice a rejeté ses demandes.

Procédure devant la Cour :

Par une requête, enregistrée le 18 mai 2022, la SARL Ibera, représentée par Me Herrou, demande à la Cour :

1°) d'annuler ce jugement du 17 mars 2022 ;

2°) de la décharger des impositions en litige ;

3°) de mettre à la charge de l'Etat ses frais liés à l'instance en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que :

- le tribunal a omis de statuer sur ses moyens relatifs à la dévolution de la charge de la preuve et à la méconnaissance du principe de sécurité juridique ;

- elle a été privée de débat oral et contradictoire ;

- les principes de sécurité juridique et de confiance ou d'attente légitime ont été méconnus dès lors que les rectifications opérées auprès des deux sociétés sœurs sont contradictoires ;

- la commission départementale des impôts directs et des taxes sur le chiffre d'affaires aurait dû être consultée sur les rappels de taxe sur la valeur ajoutée mis à sa charge ;

- l'administration échoue à apporter la preuve, qui lui incombe, de l'existence d'un acte anormal de gestion ; elle avait un intérêt à venir en aide à sa société sœur ;

- le taux réduit de taxe sur la valeur ajoutée n'a été appliqué qu'aux opérations y ouvrant droit ; les équipements retenus font partie intégrante de l'immeuble ;

- un rappel de taxe sur la valeur ajoutée ne peut pas être appliqué sur un encaissement précisément destiné à recouvrer ladite taxe auprès d'un client ;

- les pénalités et intérêts de retard ne sont pas justifiés.

Par mémoire en défense, enregistrés le 12 janvier 2023, le ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique conclut au rejet de la requête.

Il soutient que :

- en application de l'article L. 612-5-2 du code de justice administrative, la requérante est réputée s'être désistée si elle n'a pas confirmé le maintien de sa requête à la suite du rejet par le juge des référés de sa demande de suspension du recouvrement ;

- la requête est non fondée dans les moyens qu'elle soulève.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- le code général des impôts et le livre des procédures fiscales ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de Mme Poullain,

- et les conclusions de M. Guillaumont, rapporteur public.

Considérant ce qui suit :

1. La SARL Ibera, qui exerce l'activité de maçonnerie générale, relève appel du jugement du tribunal administratif de Nice ayant rejeté ses demandes tendant à obtenir la décharge, en droits et pénalités, des cotisations supplémentaires d'impôt sur les sociétés auxquelles elle a été assujettie au titre des années 2013 et 2014, ainsi que des rappels de taxe sur la valeur ajoutée qui lui ont été réclamés au titre de la période du 1er janvier 2012 au 31 décembre 2014.

2. Après le rejet de sa requête en référé suspension, la SARL Ibera a dûment confirmé le maintien de sa requête conformément aux dispositions de l'article R. 612-5-2 du code de justice administrative, par courrier enregistré au greffe de la Cour le 29 juin 2022.

Sur la régularité du jugement attaqué :

3. Il ressort des points 5, 6 et 8 du jugement attaqué, que le tribunal administratif, qui n'était pas tenu de répondre à l'ensemble des arguments de la requérante, a répondu aux moyens tenant à la méconnaissance du principe général de sécurité juridique et à la dévolution de la charge de la preuve de l'acte anormal de gestion. Si la SARL Ibera soutient en outre que le tribunal se serait mépris à ce dernier égard, cette charge incombant à l'administration, une telle erreur est en tout état de cause sans incidence sur la régularité du jugement.

Sur la régularité de la procédure d'imposition :

4. En premier lieu, dans le cas où la vérification de la comptabilité d'une entreprise a été effectuée, soit, comme il est de règle, dans ses propres locaux, soit, si son dirigeant ou représentant l'a expressément demandé, dans les locaux du comptable auprès duquel sont déposés les documents comptables, c'est au contribuable qui allègue que les opérations de vérification ont été conduites sans qu'il ait eu la possibilité d'avoir un débat oral et contradictoire avec le vérificateur de justifier que ce dernier se serait refusé à un tel débat.

5. En l'espèce, il résulte de la proposition de rectification du 27 novembre 2015 que le vérificateur a rencontré au sein de l'entreprise le gérant et unique associé de la société requérante, assisté de son expert-comptable, notamment les 18 septembre, 2 octobre, 6 novembre et 26 novembre 2015. La requérante, en se bornant à remettre en cause la réalité de ces rencontres sans apporter le moindre justificatif, tout en admettant des entretiens sur place avec le vérificateur les 22 septembre et 8 octobre 2015, ainsi que des échanges avec lui les 23 octobre, et 2 et 6 novembre 2015, n'établit pas qu'elle aurait été privée de débat oral et contradictoire.

6. En deuxième lieu, la SARL Ibera ne saurait utilement se prévaloir, au demeurant sans donner les précisions nécessaires à l'appréciation de son moyen, de la méconnaissance des principes de sécurité juridique et de confiance ou d'attente légitime en évoquant de prétendues contradictions entre la procédure d'imposition en cause et celle conduite à l'égard d'une autre entreprise, la SARL Pigranel, quand bien même cette dernière partage avec la requérante le même siège, le même gérant et le même unique actionnaire.

7. En troisième lieu, aux termes de l'article L. 59 A du livre des procédures fiscales : " I.- La commission des impôts directs et des taxes sur le chiffre d'affaires intervient lorsque le désaccord porte : / 1° Sur le montant du (...) du chiffre d'affaires, déterminé selon un mode réel d'imposition ; / (...) / II.- Dans les domaines mentionnés au I, la commission des impôts directs et des taxes sur le chiffre d'affaires peut, sans trancher une question de droit, se prononcer sur les faits susceptibles d'être pris en compte pour l'examen de cette question de droit. / (...) ".

8. En l'espèce, les rappels de taxe sur la valeur ajoutée réclamés à la société requérante résultent de la remise en cause d'un taux de taxe réduit appliqué sur certaines opérations ainsi que du non-assujettissement de certaines factures adressées à l'un de ses clients. Dès lors, le litige ne portant pas sur la détermination du chiffre d'affaires lui-même, il n'était pas au nombre des différents dont il appartient à la commission départementale des impôts directs et des taxes sur le chiffre d'affaires de connaître. La requérante n'est ainsi pas fondée à soutenir qu'elle aurait été privée d'une garantie faute d'avoir été informée de la faculté de saisir cette commission de ces rappels.

Sur le bien-fondé des impositions :

En ce qui concerne les cotisations supplémentaires d'impôt sur les sociétés :

9. En vertu des dispositions combinées des articles 38 et 209 du code général des impôts, le bénéfice imposable à l'impôt sur les sociétés est celui qui provient des opérations de toute nature faites par l'entreprise, à l'exception de celles qui, en raison de leur objet ou de leurs modalités, sont étrangères à une gestion commerciale normale. Les abandons de créances accordés par une entreprise au profit d'un tiers ne relèvent pas, en règle générale, d'une gestion commerciale normale, sauf s'il apparaît qu'en consentant de tels avantages, l'entreprise a agi dans son propre intérêt. Il appartient à l'administration d'apporter la preuve des faits sur lesquels elle se fonde pour estimer qu'un abandon de créance consenti par une entreprise à un tiers constitue un acte anormal de gestion. Toutefois, elle est réputée apporter cette preuve dès lors que l'entreprise n'est pas en mesure de justifier qu'elle a bénéficié en retour de contreparties.

10. En l'espèce, la requérante fait valoir qu'à la suite de la vérification de comptabilité dont a également fait l'objet la SARL Pigranel, la comptabilisation en charge d'une facture qu'elle avait émise à destination de cette dernière a été remise en cause. Cependant, cette circonstance est sans incidence sur la réalité des travaux distincts de ceux objets de cette facture, qu'elle ne conteste pas avoir effectués pour le compte de la SARL Pigranel, au cours de l'exercice 2012, pour un montant total de 620 000 euros HT. Or, après avoir réduit la créance correspondante détenue sur la SARL Pigranel au montant de 435 000 euros HT durant l'exercice 2013, elle l'a finalement abandonnée totalement au cours de l'exercice 2014. En se bornant à faire état des difficultés financières que connaitrait la SARL Pigranel, au demeurant sans les étayer, la requérante ne justifie pas avoir bénéficié de contreparties, notamment d'un intérêt commercial, en retour de cet abandon de créance. Dès lors, l'administration est réputée apporter la preuve de l'existence d'un acte anormal de gestion.

En ce qui concerne les rappels de taxe sur la valeur ajoutée :

11. En premier lieu, en application de l'article 279-0 bis du code général des impôts la taxe sur la valeur ajoutée est perçue au taux réduit sur les travaux d'amélioration, de transformation, d'aménagement et d'entretien portant sur des locaux à usage d'habitation, achevés depuis plus de deux ans, " à l'exception de la part correspondant à la fourniture d'équipements ménagers ou mobiliers ou à l'acquisition de gros équipements fournis dans le cadre de travaux d'installation ou de remplacement du système de chauffage, des ascenseurs ou de l'installation sanitaire ou de système de climatisation dont la liste est fixée par arrêté du ministre chargé du budget ". Il résulte de l'article 30-00 A de l'annexe IV au code général des impôts, que la liste des gros équipements à laquelle il est ainsi renvoyé comprend " tous les systèmes de climatisation ".

12. Contrairement à ce que soutient la requérante, il ne résulte pas de ces dispositions que la fourniture de systèmes de climatisation et de matériel d'électroménager pourrait bénéficier du taux réduit de taxe sur la valeur ajoutée au seul motif que ces matériels viendraient s'encastrer ou s'incorporer au bâti, ce qui au demeurant n'est en l'espèce pas justifié.

13. En deuxième lieu, aux termes du I de l'article 256 du code général des impôts : " Sont soumises à la taxe sur la valeur ajoutée les (...) prestations de services effectuées à titre onéreux par un assujetti agissant en tant que tel ". Aux termes de l'article 266 de ce code : " 1. La base d'imposition est constituée : a) Pour les (...) les prestations de services (...), par toutes les sommes, valeurs, biens ou services reçus ou à recevoir par le (...) le prestataire en contrepartie de ces opérations, de la part (...) du preneur (...) ". Aux termes de l'article 267 de ce code : " I. Sont à comprendre dans la base d'imposition : 1 ° Les impôts, taxes, droits et prélèvements de toute nature à l'exception de la taxe sur la valeur ajoutée elle-même. / (...) ". En vertu de ces dispositions, l'assiette de la taxe sur la valeur ajoutée est égale au prix convenu entre les parties, diminué notamment de la taxe exigible sur cette opération.

14. Il résulte de l'instruction qu'après avoir été assujettie à un rappel de taxe sur la valeur ajoutée sur de précédents exercices car elle avait à tort fait bénéficier son client d'un taux réduit, la SARL Ibera a établi et recouvré auprès de ce dernier deux nouvelles factures au cours de l'exercice 2013, afin de " régularisation de la TVA pour les travaux réalisés en 2009 et 2010 (ou 2008) et facturés à tort au taux réduit ", mentionnant des montants HT et TTC égaux, de respectivement 176 234 et 85 312 euros. Ces facturations complémentaires constituent, au regard des dispositions citées ci-dessus, un supplément de prix aux prestations réalisées lors des exercices antérieurs. C'est dès lors à bon droit et sans assujettir deux fois les mêmes sommes à l'impôt que l'administration a assis la taxe sur la valeur ajoutée sur ce supplément diminué du montant de ladite taxe.

En ce qui concerne les majorations :

15. En premier lieu, aux termes de l'article 1729 du code général des impôts : " Les inexactitudes ou les omissions relevées dans une déclaration ou un acte comportant l'indication d'éléments à retenir pour l'assiette ou la liquidation de l'impôt (...) entraînent l'application d'une majoration de : / a. 40 % en cas de manquement délibéré ; / (...) ".

16. D'une part, ainsi que l'a relevé le vérificateur, la SARL Ibera ne pouvait ignorer que l'abandon de créance consenti à la SARL Pigranel pour une somme importante et sans aucune justification la conduisait à éluder l'impôt sur les sociétés. L'administration établit dès lors le caractère délibéré du manquement.

17. D'autre part, ainsi que l'a relevé l'administration, il est constant que la société a fait l'objet d'un précédent rappel de taxe sur la valeur ajoutée pour avoir appliqué un taux réduit à la fourniture de services et de biens exclus de l'application dudit taux par les dispositions de l'article 279-0 bis du code général des impôts. Dès lors, la SARL Ibera ne peut être qu'être regardée comme ayant commis un manquement délibéré en appliquant à nouveau ce taux réduit à des fournitures inéligibles.

18. En deuxième lieu, alors que les dispositions de l'article 1727 du code général des impôts prévoient que toute créance de nature fiscale qui n'a pas été acquittée dans le délai légal donne lieu au versement d'un intérêt de retard, la SARL Ibéra n'indique pas pour quel motif l'application de tels intérêts ne serait en l'espèce pas justifiée.

19. Il résulte de tout ce qui précède que la SARL Ibera n'est pas fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Nice a rejeté ses demandes. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que l'Etat, qui n'est pas la partie perdante en la présente instance, verse à la requérante la somme qu'elle demande sur ce fondement.

D É C I D E :

Article 1er : La requête de la SARL Ibera est rejetée.

Article 2 : Le présent arrêt sera notifié à la SARL Ibera et au ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique.

Copie en sera adressée à la direction de contrôle fiscal Sud-Est Outre-mer.

Délibéré après l'audience du 23 février 2024, à laquelle siégeaient :

- Mme Chenal-Peter, présidente de chambre,

- Mme Vincent, présidente assesseure,

- Mme Poullain, première conseillère.

Rendu public par mise à disposition au greffe, le 8 mars 2024.

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N° 22MA01463

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Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de MARSEILLE
Formation : 5ème chambre
Numéro d'arrêt : 22MA01463
Date de la décision : 08/03/2024
Type de recours : Plein contentieux

Analyses

Contributions et taxes - Impôts sur les revenus et bénéfices - Revenus et bénéfices imposables - règles particulières - Bénéfices industriels et commerciaux - Détermination du bénéfice net - Acte anormal de gestion.

Contributions et taxes - Taxes sur le chiffre d'affaires et assimilées.


Composition du Tribunal
Président : Mme CHENAL-PETER
Rapporteur ?: Mme Caroline POULLAIN
Rapporteur public ?: M. GUILLAUMONT
Avocat(s) : CABINET PATRICK HERROU

Origine de la décision
Date de l'import : 16/03/2024
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel;arret;2024-03-08;22ma01463 ?
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