Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
Mme B... I... D... H..., M. F... D..., Mme E... D... et Mme C... G... ont demandé au tribunal administratif de Toulon de mettre à la charge de l'Office national d'indemnisation des accidents médicaux, des affections iatrogènes et des infections nosocomiales la somme de 6 618 759 euros à verser à Mme D... H..., celle de 82 073,96 euros à verser à M. F... D..., celle de 6 500 euros à verser à Mme E... D... et celle de 46 500 euros à verser à Mme C... G... en réparation de leurs préjudices. Ils demandaient en outre au tribunal d'ordonner avant-dire droit une expertise afin d'évaluer les frais de logement et de véhicule adaptés.
Par un jugement n° 2001354 du 16 juin 2022, le tribunal administratif de Toulon a rejeté ces demandes.
Procédure devant la cour :
Par une requête et un mémoire, enregistrés le 29 juillet 2022 et le 15 février 2023, Mme D... H..., représentée par la SELARL Proxima, agissant par Me Guillermou, demande à la cour, dans le dernier état de ses écritures :
1°) d'annuler ce jugement du tribunal administratif de Toulon du 16 juin 2022 ;
2°) d'ordonner avant-dire droit une expertise afin d'évaluer les frais de logement, de véhicule adapté et les aides techniques ;
3°) de réserver jusqu'en fin d'instance tous droits et moyens des parties sur lesquels il ne serait pas expressément statué par la décision à intervenir et, en particulier, l'indemnisation des frais de logement, de véhicule adapté et aides techniques ;
4°) de mettre à la charge de l'ONIAM la somme totale de 9 249 291,60 euros à lui verser en réparation de tous ses préjudices, cette somme devant être assortie des intérêts moratoires à compter de la date de l'avis de la CCI, le 6 novembre 2019, ainsi que de la capitalisation de ces intérêts ;
5°) de mettre à la charge de l'ONIAM la somme de 8 000 euros en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle soutient que :
- l'anormalité en raison de la rareté des conséquences de l'accident non fautif dont elle a été victime est caractérisée ; l'ensemble des conditions de l'indemnisation au titre de la solidarité nationale telles qu'exigées au II de l'article L. 1142-1 du code de la santé publique est donc rempli ;
- la réparation de ses préjudices doit être intégrale ;
- l'indemnisation de ses préjudices doit être calculée par application du barème de capitalisation le plus récent ;
- il est sollicité une indemnisation en capital ;
- il est nécessaire de diligenter avant-dire droit une expertise architecturale et ergothérapique qui permettra d'évaluer le coût de son nouveau projet de vie ainsi que le coût d'un véhicule adapté à ses séquelles ;
- les préjudices de la victime directe s'élèvent aux sommes de 8 305 371,11 euros au titre de l'aide de tierce personne, 1 146,08 euros au titre des frais de conseil et d'assistance, 40 365 euros au titre des souffrances endurées, 26 481 euros au titre du préjudice esthétique temporaire, 20 000 euros au titre du préjudice esthétique permanent, 69 658 euros au titre du déficit fonctionnel temporaire, 366 775 euros au titre du déficit fonctionnel permanent, 70 000 euros au titre du préjudice d'agrément, 40 000 euros au titre du préjudice sexuel, et 309 495,30 euros au titre des frais de véhicule adapté.
Par un mémoire, enregistré le 5 août 2022, la caisse primaire d'assurance maladie (CPAM) du Var a informé la cour de ce qu'elle n'entendait pas intervenir dans la présente instance.
Par un mémoire, enregistré le 17 février 2023, l'Office national d'indemnisation des accidents médicaux, des affections iatrogènes et des infections nosocomiales, représenté par la SELARL de la Grange et Fitoussi, agissant par Me Fitoussi, conclut au rejet de la requête et, dans l'hypothèse où la cour retiendrait une obligation indemnitaire de l'Office, à ce que les indemnisations sollicitées par la requérante soient réduites à de plus justes proportions.
Il fait valoir que les moyens soulevés par la requête ne sont pas fondés.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- le code de la santé publique ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de Mme Rigaud ;
- les conclusions de M. Gautron, rapporteur public ;
- et les observations de Me d'Antin Bolelli, représentant Mme D... H....
Considérant ce qui suit :
1. Mme D... H..., alors âgée de 56 ans, a présenté en 2007 un méningiome de la tente du cervelet gauche à l'origine d'une hypertension intracrânienne avec une dilatation des cavités ventriculaires. Le 5 mars 2008, elle a bénéficié de l'exérèse de la tumeur, intervention réalisée au sein de l'hôpital d'instruction des armées Saint-Anne de Toulon. Les suites post-opératoires ont été marquées par une paralysie gauche et une absence de réveil rapide. Un scanner a mis en évidence un œdème cérébelleux. Elle présente depuis un syndrome cérébelleux sévère. Mme D... H... a saisi le 18 avril 2019 la commission de conciliation et d'indemnisation des accidents médicaux (CCI) Provence-Alpes-Côte d'Azur (PACA) qui a désigné un expert et rendu, après la remise du rapport d'expertise le 8 août 2019, le 6 novembre 2019 un avis favorable à la prise en charge par l'ONIAM des conséquences de l'accident médical non fautif subi par la requérante. L'ONIAM n'ayant pas donné de suite à cet avis, Mme D... H..., M. F... D..., son époux, Mme E... D... et Mme C... G..., ses filles, ont présenté devant le tribunal administratif de Toulon des demandes tendant à la prise en charge, par l'ONIAM, de leurs préjudices résultant de l'accident médical non fautif dont a été victime Mme D... H... ainsi qu'à la désignation d'un expert pour évaluer certains des préjudices dont ils demandaient l'indemnisation. Mme D... H... doit être regardée comme relevant appel du jugement du 16 juin 2022 par lequel le tribunal administratif de Toulon a rejeté ses demandes d'indemnisation et d'expertise en tant qu'il la concerne.
2. Aux termes du II de l'article L. 1142-1 du code de la santé publique, dans sa rédaction applicable au litige : " Lorsque la responsabilité d'un professionnel, d'un établissement, service ou organisme mentionné au I ou d'un producteur de produits n'est pas engagée, un accident médical, une affection iatrogène ou une infection nosocomiale ouvre droit à la réparation des préjudices du patient, et, en cas de décès, de ses ayants-droit au titre de la solidarité nationale, lorsqu'ils sont directement imputables à des actes de prévention, de diagnostic ou de soins et qu'ils ont eu pour le patient des conséquences anormales au regard de son état de santé comme de l'évolution prévisible de celui-ci et présentent un caractère de gravité, fixé par décret, apprécié au regard de la perte de capacités fonctionnelles et des conséquences sur la vie privée et professionnelle mesurées en tenant notamment compte du taux d'incapacité permanente ou de la durée de l'incapacité temporaire de travail. ". L'article D. 1142-1 du même code définit le seuil de gravité prévu par ces dispositions.
3. Il résulte de ces dispositions que l'ONIAM doit assurer, au titre de la solidarité nationale, la réparation de dommages résultant directement d'actes de prévention, de diagnostic ou de soins à la condition qu'ils présentent un caractère d'anormalité au regard de l'état de santé du patient comme de l'évolution prévisible de cet état. La condition d'anormalité du dommage prévue par ces dispositions doit toujours être regardée comme remplie lorsque l'acte médical a entraîné des conséquences notablement plus graves que celles auxquelles le patient était exposé de manière suffisamment probable en l'absence de traitement. Lorsque les conséquences de l'acte médical ne sont pas notablement plus graves que celles auxquelles le patient était exposé par sa pathologie en l'absence de traitement, elles ne peuvent être regardées comme anormales sauf si, dans les conditions où l'acte a été accompli, la survenance du dommage présentait une probabilité faible. Pour apprécier le caractère faible ou élevé du risque dont la réalisation a entraîné le dommage, il y a lieu de prendre en compte la probabilité de survenance d'un événement du même type que celui qui a causé le dommage et entraînant une invalidité grave ou un décès. Une probabilité de survenance du dommage qui n'est pas inférieure ou égale à 5 % ne présente pas le caractère d'une probabilité faible, de nature à justifier la mise en œuvre de la solidarité nationale.
4. Aux termes de l'article R. 621-1 du code de justice administrative : " La juridiction peut, soit d'office, soit sur la demande des parties ou de l'une d'elles, ordonner, avant dire droit, qu'il soit procédé à une expertise sur les points déterminés par sa décision. (...) ". Il incombe alors, en principe, au juge de statuer au vu des pièces du dossier, le cas échéant après avoir demandé aux parties les éléments complémentaires qu'il juge nécessaires à son appréciation. Il ne lui revient d'ordonner une expertise que lorsqu'il n'est pas en mesure de se prononcer au vu des pièces et éléments qu'il a recueillis et que l'expertise présente ainsi un caractère utile.
5. Le rapport d'expertise établi à la demande de la CCI PACA et remis le 8 août 2019, indique que l'exérèse de la tumeur dont a bénéficié Mme D... H... le 5 mars 2008 lui a provoqué un syndrome cérébelleux extrêmement important, entraînant pour elle des séquelles majeures, gênant la parole, la déglutition, la rendant inapte à tout déplacement et à toute réalisation des actes de la vie quotidienne, justifiant l'évaluation de son déficit fonctionnel permanent à 85 %. Il en résulte également que ce syndrome cérébelleux et ses conséquences ont pour origine directe un accident médical non fautif. Le rapport d'expertise précise que les risques de ce type de chirurgie sont très élevés, considérant, selon la littérature médicale, qu'il existe " au moins 15 % de complications post-opératoires avec une atteinte des tissus avoisinants " du type des lésions sur le cervelet dont Mme D... H... est atteinte, ou de celui de lésions directes du tronc cérébral, entraînant des " séquelles majeures sur le plan de la conscience et également une mortalité non négligeable ". L'expert précise en outre qu'en l'absence d'une telle intervention, l'espérance de vie de la patiente " se chiffrait en mois plutôt qu'en année ". Ainsi, les séquelles dont Mme D... H... est atteinte depuis l'accident médical non fautif ne sont pas notablement plus graves que les conséquences létales auxquelles elle était exposée en l'absence d'intervention chirurgicale. Toutefois, le rapport d'expertise ajoute que " le risque de complication de la gravité de celle que présente Mme D... n'est pas identifiable dans la littérature mais doit être de l'ordre de 1 à 2 % ", cette analyse étant confirmée par la note, produite pour la première fois en appel par Mme D... H..., établie par le docteur A..., médecin conseil sollicité par elle dans le cadre de l'instance. Ces éléments et l'ensemble des pièces versées au débat ne permettent pas de déterminer si la survenance du dommage subi par Mme D... H... présentait une probabilité faible. Il y a donc lieu d'ordonner avant dire droit une expertise aux fins précisées ci-après.
DÉCIDE :
Article 1er : Il sera, avant de statuer sur les conclusions indemnitaires de Mme D... H..., procédé à une expertise par un médecin désigné par la présidente de la cour, menée au contradictoire Mme D... H..., de l'Office national d'indemnisation des accidents médicaux, des affections iatrogènes et des infections nosocomiales et de la caisse primaire d'assurance maladie du Var.
L'expert aura pour mission de :
1°) Prendre connaissance de l'expertise médicale ordonnée par la CCI de Provence-Alpes-Côte d'Azur, du dossier médical correspondant et de l'analyse critique du médecin conseil de Mme D... H....
2°) Expliciter, en se fondant sur la littérature scientifique disponible, les risques de complications du même type (entraînant une invalidité équivalente ou un décès) que ceux auxquels était exposée Mme D... H... du fait de l'intervention chirurgicale dont elle a bénéficié le 5 mars 2008. En donner une évaluation chiffrée sous forme d'un pourcentage.
3°) Donner son avis sur la majoration éventuelle de ces risques de complications par tout facteur favorisant ces risques en lien avec les éventuels antécédents de Mme D... H....
4°) Compte tenu des éléments indiqués aux 2°) et 3°), donner une évaluation chiffrée, sous forme d'un pourcentage, du risque de syndrome cérébelleux auquel Mme D... H... se trouvait personnellement exposée.
Article 2 : L'expert remplira sa mission dans les conditions prévues par les articles R. 621-2 à R. 621-14 du code de justice administrative. Pour l'accomplissement de cette mission, il pourra se faire remettre, en application de l'article R. 621-7-1 du même code, tous documents utiles, et notamment tous ceux relatifs aux examens et soins pratiqués sur l'intéressée. Il annexera à son rapport l'intégralité des dires présentés par les parties.
Article 3 : Conformément aux dispositions de l'article R. 621-7 du code de justice administrative, l'expert avertira les parties par lettre recommandée, quatre jours au moins à l'avance, des jours et heures auxquels il sera procédé à l'expertise.
Article 4 : Conformément aux dispositions du premier alinéa de l'article R. 621-9 du code de justice administrative, l'expert déposera son rapport au greffe en deux exemplaires, dans le délai qui sera fixé par la présidente de la cour. Il en notifiera une copie à chacune des parties intéressées. Avec leur accord, cette notification pourra s'opérer sous forme électronique.
Article 5 : Tous droits et moyens des parties sur lesquels il n'est pas expressément statué par le présent arrêt sont réservés jusqu'en fin d'instance.
Article 6 : Le présent arrêt sera notifié à Mme B... I... D... H..., à la caisse primaire d'assurance maladie du Var et à l'Office national d'indemnisation des accidents médicaux.
Délibéré après l'audience du 8 février 2024, à laquelle siégeaient :
- Mme Cécile Fedi, présidente ;
- Mme Lison Rigaud, présidente assesseure ;
- M. Nicolas Danveau, premier conseiller.
Rendu public par mise à disposition au greffe le 23 février 2024.
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N° 22MA02165