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12/02/2024 | FRANCE | N°23MA01480

France | France, Cour administrative d'appel, 6ème chambre, 12 février 2024, 23MA01480


Vu la procédure suivante :



Procédure contentieuse antérieure :



M. C... A... et M. B... A... ont demandé au tribunal administratif de Nice, en premier lieu, d'annuler la décision du 15 octobre 2019 par laquelle le chef d'établissement du lycée professionnel Auguste Escoffier de Cagnes-sur-Mer a infligé à M. B... A... une sanction d'exclusion temporaire de trois jours, ainsi que la décision implicite rejetant le recours gracieux présenté le 13 décembre 2019, en deuxième lieu, d'annuler la décision du 13 décembre 2019 par laquelle le che

f d'établissement a interdit à M. B... A... l'accès au lycée professionnel jusqu'à la r...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. C... A... et M. B... A... ont demandé au tribunal administratif de Nice, en premier lieu, d'annuler la décision du 15 octobre 2019 par laquelle le chef d'établissement du lycée professionnel Auguste Escoffier de Cagnes-sur-Mer a infligé à M. B... A... une sanction d'exclusion temporaire de trois jours, ainsi que la décision implicite rejetant le recours gracieux présenté le 13 décembre 2019, en deuxième lieu, d'annuler la décision du 13 décembre 2019 par laquelle le chef d'établissement a interdit à M. B... A... l'accès au lycée professionnel jusqu'à la réunion du conseil de discipline ainsi que la décision du 6 février 2020 par laquelle la rectrice de l'académie de Nice a infligé à M. B... A... une sanction d'exclusion définitive de l'établissement et, en troisième lieu, de condamner l'Etat à leur verser la somme de 20 000 euros en réparation du préjudice subi par M. B... A....

Par un jugement nos 2001083, 2004460, 2100198 du 12 avril 2023, le tribunal administratif de Nice a rejeté ces demandes.

Procédure devant la Cour :

Par une requête sommaire, enregistrée le 12 juin 2023, et un mémoire ampliatif enregistré le 11 juillet 2023, MM. C... et B... A..., représentés par Me Le Foyer de Costil, demandent à la Cour :

1°) d'annuler ce jugement ;

2°) de faire droit à leurs demandes de première instance ;

3°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 3 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Ils soutiennent que :

- le jugement attaqué n'est pas signé ;

- c'est à tort que les premiers juges ont estimé que la demande tendant à l'engagement de la responsabilité sans faute de l'Etat n'était pas assortie de précisions suffisantes ;

- la sanction d'exclusion définitive qui a été infligée à B... est disproportionnée ;

- ils ont subi un préjudice qu'il convient de chiffrer à 20 000 euros.

Par une lettre en date du 21 septembre 2023, la Cour a informé les parties qu'il était envisagé d'inscrire l'affaire à une audience qui pourrait avoir lieu avant le 30 juin 2024, et que l'instruction pourrait être close par l'émission d'une ordonnance à compter du 20 octobre 2023.

Par un mémoire en défense, enregistré le 20 octobre 2023, la rectrice de l'académie de Nice conclut au rejet de la requête d'appel en soutenant qu'aucun des moyens qui est présenté à l'appui de cette requête n'est fondé.

Par ordonnance du 13 novembre 2023, la clôture de l'instruction a été prononcée avec effet immédiat.

Par une lettre du 8 janvier 2024, la Cour a informé les parties que l'arrêt à intervenir était susceptible d'être fondé sur le moyen tiré de ce que l'action en responsabilité pour faute engagée par MM. A... à raison de l'absence de coopération du personnel enseignant avec la famille de B... met en cause la responsabilité des membres de l'enseignement public, et ressortit donc à la compétence des juridictions de l'ordre judiciaire en application de l'article L. 911-4 du code de l'éducation, cette incompétence ne concernant en revanche pas les autres fondements de responsabilité invoqués.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

- le code de l'action sociale et des familles ;

- le code de l'éducation ;

- l'ordonnance n° 2020-306 du 25 mars 2020 ;

- le code de justice administrative.

La présidente de la Cour a désigné M. Renaud Thielé, président assesseur de la 6ème chambre pour présider, en application de l'article R. 222-26 du code de justice administrative, la formation de jugement.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de M. Renaud Thielé, rapporteur,

- les conclusions de M. François Point, rapporteur public,

- et les observations de Me Azema, pour MM. A....

Considérant ce qui suit :

1. M. B... A..., né le 10 août 1999, atteint de troubles envahissants du développement de type autistique, était scolarisé au cours de l'année 2018-2019 en seconde année de certificat d'aptitude professionnelle " agent polyvalent de restauration " dans l'unité localisée pour l'inclusion scolaire (ULIS) du lycée professionnel Auguste Escoffier de Cagnes-sur-Mer (Alpes-Maritimes). Par une décision du 15 octobre 2019, le proviseur du lycée a prononcé à son encontre la sanction d'exclusion temporaire de l'établissement pour une durée de trois jours, au motif que " à plusieurs reprises, B... a eu un geste déplacé à l'encontre d'enseignantes ou de jeunes filles élèves de l'établissement ". Le 13 décembre 2019, M. B... A... et M. C... A..., son père, ont formé un recours hiérarchique contre cette décision auprès de la rectrice de l'académie de Nice. En raison du silence gardé pendant deux mois par l'administration sur cette demande, celle-ci a fait l'objet d'une décision implicite de rejet. Le 13 décembre 2019, le proviseur a pris à son encontre une mesure lui interdisant, à titre conservatoire, l'accès à l'établissement, pendant la durée d'une procédure disciplinaire justifiée par l'agression par B... de sa professeure de mathématiques, survenue le même jour. Par une décision du 6 février 2020, la rectrice de l'académie de Nice a prononcé à l'encontre de B... une sanction d'exclusion définitive à raison des " atteintes à l'intégrité physique et morale réitérées auprès des personnes de l'établissement au cours du mois de décembre 2019 ". Par trois requêtes, M. B... A..., ainsi que son curateur M. C... A..., ont saisi le tribunal administratif de Nice de demandes tendant, en premier lieu, à l'annulation de la sanction de trois jours d'exclusion prononcée le 15 octobre 2019, en deuxième lieu, à l'annulation de la mesure conservatoire d'interdiction prononcée le 13 décembre 2019 et de la décision du 6 février 2020 portant exclusion définitive, et, en troisième lieu, à la condamnation de l'Etat à leur payer la somme de 20 000 euros au titre du préjudice subi. Par le jugement attaqué, dont MM. A... relèvent appel, le tribunal administratif de Nice a rejeté l'ensemble de ces demandes, en estimant, d'une part, que l'illégalité des décisions du 15 octobre 2019 et du 13 décembre 2019 n'était pas établie et, d'autre part, que les conclusions dirigées contre la décision du 6 février 2020 étaient tardives et donc irrecevables.

Sur la régularité du jugement :

2. Contrairement à ce que soutiennent MM. A..., la minute du jugement attaqué est signée par le président de la formation de jugement, le rapporteur et le greffier d'audience. Les requérants ne sont donc pas fondés à invoquer la méconnaissance des dispositions de l'article R. 741-7 du code de justice administrative.

Sur le bien-fondé du jugement :

En ce qui concerne la demande d'annulation de la sanction prononcée le 15 octobre 2019 et de la mesure conservatoire prononcée le 13 décembre 2019 :

3. MM. A... n'invoquent aucun moyen à l'appui de la décision du 15 octobre 2019 infligeant à M. B... A... une sanction d'exclusion temporaire de trois jours et de la décision du 13 décembre 2019 lui faisant interdiction d'accéder aux locaux de l'établissement dans l'attente du résultat de la procédure disciplinaire.

En ce qui concerne la demande d'annulation de la décision du 6 février 2020 portant exclusion définitive :

4. MM. A... sont réputés avoir eu connaissance acquise de cette décision au plus tard le 5 mars 2020, date à laquelle ils ont saisi le tribunal administratif de Nice d'un premier recours pour excès de pouvoir contre cette décision, recours dont le tribunal administratif a constaté le désistement d'office par une ordonnance du 9 septembre 2020. En application des articles 1er et 2 de l'ordonnance susvisée du 25 mars 2020 relative à la prolongation des délais échus pendant la période d'urgence sanitaire et à l'adaptation des procédures pendant cette même période, le délai de recours expirait donc le 24 août 2020 à minuit. A la date d'enregistrement de leur seconde requête, soit le 2 novembre 2020, ce délai était expiré. C'est donc à bon droit que, par un motif qui n'est d'ailleurs pas critiqué, les premiers juges ont rejeté comme irrecevable la demande tendant à l'annulation de la décision du 6 février 2020 prononçant l'exclusion définitive de M. B... A....

En ce qui concerne la responsabilité sans faute de l'Etat :

5. Compte tenu de l'office du juge d'appel, à qui il appartient de rejuger l'affaire et non d'apprécier le caractère erroné des motifs du jugement attaqué, MM. A... ne peuvent utilement invoquer le moyen tiré de l'" erreur de qualification juridique " qu'aurait commise le tribunal administratif en estimant qu'ils n'apportaient pas les précisions suffisantes pour apprécier une demande présentée sur le fondement de la responsabilité sans faute.

6. Par ailleurs, si, dans leurs écritures de première instance, MM. A... avaient soutenu qu'" en tout état de cause, il peut y avoir préjudice sans qu'il y ait faute du service public, lorsqu'il y a rupture d'égalité entre les citoyens ce qui est le cas en l'espèce ", ils n'invoquaient aucune rupture de l'égalité devant les charges publiques, qui seule serait de nature à permettre d'engager la responsabilité sans faute de l'Etat et qui ne résulte pas davantage de l'instruction.

En ce qui concerne la responsabilité pour faute de l'Etat :

S'agissant du défaut de coopération du personnel enseignant avec la famille :

7. L'action en responsabilité pour faute engagée par MM. A... à raison de l'absence de coopération du personnel enseignant avec la famille de B... met en cause la responsabilité des membres de l'enseignement public, et ressortit donc à la compétence des juridictions de l'ordre judiciaire en application de l'article L. 911-4 du code de l'éducation.

S'agissant de la faute tenant à l'illégalité de la sanction d'exclusion définitive infligée à B... :

8. En premier lieu, aux termes de l'article R. 511-12 du code de l'éducation : " Sauf dans le cas où le chef d'établissement est tenu d'engager une procédure disciplinaire et préalablement à la mise en œuvre de celle-ci, le chef d'établissement et l'équipe éducative recherchent, dans la mesure du possible, toute mesure utile de nature éducative. ".

9. Compte tenu de la gravité des faits imputés à B..., qui a agressé physiquement une enseignante, le chef d'établissement pouvait engager une procédure disciplinaire sans avoir au préalable mis en œuvre une mesure de nature éducative.

10. En second lieu, aux termes de l'article R. 511-13 du code de l'éducation : " I.- Dans les (...) lycées relevant du ministre chargé de l'éducation, les sanctions qui peuvent être prononcées à l'encontre des élèves sont les suivantes : (...) 6° L'exclusion définitive de l'établissement (...) ".

11. Le 13 décembre 2019, lors d'un cours de mathématiques, M. B... A... a délibérément pris son élan et percuté violemment l'enseignante, avant de lui serrer le bras avec force. Ce comportement s'inscrit dans un contexte caractérisé par des gestes déplacés et violents, notamment vis-à-vis des membres du personnel et élèves de l'autre sexe, qui avaient justifié, en octobre 2019, l'infliction d'une sanction d'exclusion temporaire de trois jours.

12. S'il ne ressort pas des pièces du dossier qu'au moment des faits, le discernement de B... était aboli, celui-ci était néanmoins altéré du fait même des troubles envahissants du développement dont il souffre et qui avaient d'ailleurs justifié son placement au sein de l'unité. Compte tenu de cette altération, qui n'a pas été prise en compte par la rectrice dans sa décision, la sanction d'exclusion définitive infligée à B... est disproportionnée. Cette illégalité est constitutive d'une faute de nature à engager la responsabilité de l'administration.

S'agissant du préjudice :

13. D'une part, MM. A... sollicitent l'indemnisation du préjudice matériel consécutif à l'arrivée de B... sur le marché de l'emploi sans diplôme. Toutefois, compte tenu des difficultés rencontrées par B... dans son apprentissage, et en l'absence de toute précision sur ses résultats au certificat d'aptitude professionnelle et sur ses tentatives éventuelles pour trouver un emploi sans diplôme, il ne résulte pas de l'instruction que l'illégalité tenant au caractère disproportionné de la sanction infligée l'aurait privé d'une chance sérieuse d'obtenir un emploi. La demande tendant à l'indemnisation du préjudice de 10 000 euros à ce titre, préjudice dont la nature n'est d'ailleurs pas détaillée, ne peut donc être accueillie.

14. D'autre part, MM. A... sollicitent l'indemnisation du préjudice moral qui leur a été causé par la faute de l'administration. Compte tenu de la nature de l'illégalité commise, ainsi que de la gravité de la faute imputée à B..., il sera fait une juste appréciation de ce chef de préjudice en l'évaluant à 2 500 euros pour B... et à 1 500 euros pour son père.

Sur les frais liés au litige :

15. Dans les circonstances de l'espèce, il y a lieu de mettre à la charge de l'Etat une somme de 2 500 euros à verser à MM. A... en remboursement des frais exposés par ceux-ci et non compris dans les dépens.

D É C I D E :

Article 1er : Le jugement nos 2001083, 2004460, 2100198 du 12 avril 2023 du tribunal administratif de Nice est annulé en tant qu'il rejette la demande indemnitaire présentée par MM. A....

Article 2 : L'Etat est condamné à payer à M. B... A... et à M. C... A... deux sommes de 2 500 et 1 500 euros en réparation du préjudice causé.

Article 3 : L'Etat versera à MM. A... une somme de 2 500 euros en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Article 4 : Le surplus des demandes de première instance et des conclusions d'appel de MM. A... est rejeté.

Article 5 : Le présent arrêt sera notifié à M. B... A..., à M. C... A... et au ministre de l'éducation nationale et de la jeunesse.

Copie en sera adressée au rectorat de l'académie de Nice.

Délibéré après l'audience du 29 janvier 2024, où siégeaient :

- M. Renaud Thielé, président assesseur, présidant la formation de jugement en application de l'article R. 222-26 du code de justice administrative,

- Mme Isabelle Gougot, première conseillère,

- Mme Isabelle Ruiz, première conseillère.

Rendu public par mise à disposition au greffe, le 12 février 2024.

N° 23MA01480 2


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de MARSEILLE
Formation : 6ème chambre
Numéro d'arrêt : 23MA01480
Date de la décision : 12/02/2024
Type de recours : Excès de pouvoir

Analyses

30-02-02-01-04 Enseignement et recherche. - Questions propres aux différentes catégories d'enseignement. - Enseignement du second degré. - Scolarité. - Questions particulières relatives à la scolarité dans les lycées.


Composition du Tribunal
Président : M. THIELÉ
Rapporteur ?: M. Renaud THIELÉ
Rapporteur public ?: M. POINT
Avocat(s) : LE FOYER DE COSTIL

Origine de la décision
Date de l'import : 18/02/2024
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel;arret;2024-02-12;23ma01480 ?
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