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12/02/2024 | FRANCE | N°22MA01509

France | France, Cour administrative d'appel de MARSEILLE, 6ème chambre, 12 février 2024, 22MA01509


Vu la procédure suivante :



Procédure contentieuse antérieure :



La société CTR, devenue en 2022 société par actions simplifiée à associé unique Leyton - CTR a demandé au tribunal administratif de Bastia de condamner la commune d'Ajaccio à lui verser la somme de 30 000 euros au titre d'une facture impayée du 15 décembre 2017, somme majorée des intérêts légaux.



Par un jugement n° 2000848 du 29 mars 2022, le tribunal administratif de Bastia a fait droit à sa demande.





Procédure deva

nt la Cour :



Par une requête, enregistrée le 27 mai 2022, la commune d'Ajaccio, représentée par Mes Matharan et ...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

La société CTR, devenue en 2022 société par actions simplifiée à associé unique Leyton - CTR a demandé au tribunal administratif de Bastia de condamner la commune d'Ajaccio à lui verser la somme de 30 000 euros au titre d'une facture impayée du 15 décembre 2017, somme majorée des intérêts légaux.

Par un jugement n° 2000848 du 29 mars 2022, le tribunal administratif de Bastia a fait droit à sa demande.

Procédure devant la Cour :

Par une requête, enregistrée le 27 mai 2022, la commune d'Ajaccio, représentée par Mes Matharan et Rossignol-Infante, demande à la Cour :

1°) d'annuler le jugement du 29 mars 2022 ;

2°) de rejeter la demande de la société CTR ;

3°) de mettre à la charge de la société CTR la somme de 5 000 euros sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que :

- aucun manquement contractuel ne saurait être retenu à son encontre ;

- le montant de la pénalité infligée est manifestement disproportionné.

Par un mémoire en défense, enregistré le 26 juillet 2022, la société Leyton - CTR, représentée par Me Hennequin, conclut au rejet de la requête et demande à la Cour de mettre à la charge de la commune d'Ajaccio la somme de 3 000 euros sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle fait valoir qu'aucun des moyens de la requête n'est fondé.

Les parties ont été informées, par courrier du 6 décembre 2023, en application des dispositions de l'article R. 611-7 du code de justice administrative, de ce que l'arrêt était susceptible d'être fondé sur un moyen relevé d'office, tiré de l'illicéité de l'objet du contrat, le service de la liquidation et du contrôle de l'assiette des impositions de toute nature ne pouvant être confié qu'à des agents placés sous l'autorité directe de l'administration.

Des observations en réponse au moyen d'ordre public ont été produites pour la société Leyton - CTR le 23 janvier 2024, et communiquées le lendemain.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- le code général des collectivités territoriales ;

- le livre des procédures fiscales ;

- le code des marchés publics ;

- le décret n° 2013-269 du 29 mars 2013 ;

- le décret n° 2013-206 du 11 mars 2013 ;

- le code de justice administrative.

La présidente de la Cour a désigné M. Renaud Thielé, président assesseur de la 6ème chambre pour présider, en application de l'article R. 222-26 du code de justice administrative, la formation de jugement.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de Mme Isabelle Ruiz, rapporteure,

- les conclusions de M. François Point, rapporteur public,

- et les observations de Me Kazouz, pour la commune d'Ajaccio.

Considérant ce qui suit :

1. La commune d'Ajaccio et la société CTR, devenue en 2022 Leyton - CTR, ont conclu, le 7 juin 2016, une convention d'audit et de conseil en ingénierie fiscale en vue d'identifier, au profit de la commune, les possibilités d'optimisation de la taxe locale sur la publicité extérieure au titre de l'année 2017. Estimant que la commune avait mis fin de manière unilatérale aux relations contractuelles, la société CTR a émis, le 15 décembre 2017, une facture d'un montant de 30 000 euros toutes charges comprises dont le paiement a été refusé par un courrier du maire d'Ajaccio du 2 mars 2018. La société CTR a adressé à la commune, le 7 janvier 2020, une réclamation préalable reçue le 13 janvier suivant, rejetée par courrier du 28 janvier 2020. La société CTR a alors saisi le tribunal administratif de Bastia d'une demande tendant à la condamnation de la commune d'Ajaccio à lui verser la somme de 30 000 euros au titre d'une facture impayée du 15 décembre 2017. Par le jugement du 29 mars 2022, le tribunal administratif a fait droit à cette demande. La commune d'Ajaccio relève appel de ce jugement.

Sur le cadre juridique :

2. Le juge du contrat, juge de plein contentieux saisi par une partie, peut relever d'office une irrégularité tenant au caractère illicite du contenu du contrat. Dans ce cas, si le juge est saisi d'un litige d'exécution du contrat, il doit l'écarter et ne peut pas régler le litige sur le terrain contractuel.

Sur l'objet du contrat :

3. D'une part, aux termes de l'article 4 de la convention liant la commune d'Ajaccio et la société CTR, la commune s'est entachée à " mettre à la disposition de CTR toutes les informations nécessaires à la réalisation de sa mission ". Aux termes des stipulations de l'article 5.l. de cette la convention, la société CTR s'engageait à " - Effectuer le métrage des dispositifs publicitaires imposables, / - Intégrer les données dans l'application TLPE OnLine, / - Adresser au Client un (ou plusieurs) rapport(s| contenant ses préconisations, / - Dispenser, dans les conditions de l'article 7 ci-dessous, une formation à distance relative à l'application TLPE Online, / - Accompagnement à la rédaction du modèle de courrier d'information des redevables, / - Intégrer le courrier d'information dans l'application TLPE Online, / - Effectuer la gestion des contestations et la mise à Jour de l'application / - Accompagnement à la rédaction du modèle de courrier en réponse aux contestations spécifiques ". Aux termes des stipulations de l'article 5.2. de la même convention, il appartenait à la commune d'Ajaccio de : " - Personnaliser et valider le courrier d'information des redevables, / - Intégration dans l'application TLPE OnLine des contestations des redevables, / - Envoi des courriers de réponse aux redevables, / - Emission des titres de recettes. / - Transmission à CTR de tous les éléments et documents justifiant de la perception de la Taxe Locale sur la Publicité Extérieure au plus tard quinze (15) jours après qu'il en ait été avisé ". Le dernier alinéa de l'article 5.2 de la convention stipule que : " En cas de carence du client dans les cas énoncés ci-dessus, CTR sera en droit de facturer une somme immédiatement exigible. Pour le calcul de cette somme, CTR appliquera le taux de rémunération défini au sein des présentes à la valorisation du montant global des recettes. La valorisation du montant global des recettes supplémentaires sera issue du rapport ou de tout autre document écrit plus récent. ". Aux termes de l'article 6 de la convention : " (...) La rémunération de CTR est établie au taux de 35 % sur les recettes générées au profit du Client. / Les honoraires du cabinet CTR seront plafonnés à 25 000€ HT (...) ". Enfin, l'article 7 de la convention prévoit que : " CTR concède (...) à son client (...) le droit de bénéficier du service de gestion déclarative et statistique de la taxe locale sur la publicité extérieure (ci-après 'le service TLPE-Online') ".

4. D'autre part, il ressort du rapport d'analyse établi par la société CTR dans le cadre de l'exécution de cette convention que l'application " TLPE-Online " mise contractuellement à la disposition de la commune permet, en premier lieu, le " recensement des enseignes, préenseignes et dispositifs publicitaires sur le territoire de la commun ", en deuxième lieu, la " gestion informatique et administrative de la procédure de mise en recouvrement ", et, en troisième lieu, le " traitement des déclarations et réponses aux sous-déclarations ". Il en ressort également que cette application permet au cabinet de " préparer le publipostage et de transmettre le fichier à la collectivité ", ce qui suppose que les informations personnelles relatives à la situation déclarative des contribuables aient été au préalable introduites dans l'application " TLPE-Online ". Le rapport indique par ailleurs qu'à la suite du courrier de relance ainsi adressé aux contribuables " la collectivité reçoit les courriers de déclarations [et] les réachemine au consultant, via l'application TLPE-online ", ce qui suppose que la société CTR était rendue destinataire des déclarations adressées par les redevables.

5. Il résulte de ce qui précède que la mission dévolue contractuellement à la société CTR ne se limitait pas au recensement des enseignes, préenseignes et dispositifs publicitaires et à la fourniture de conseils d'ordre général, mais impliquait l'accès à des données fiscales personnelles. Ainsi, le fonctionnement de l'application " TLPE-Online " impliquait que le consultant fût informé de l'identité des contribuables ayant manqué à leurs obligations déclaratives et participât au traitement des déclarations reçues. En outre, l'article 5.1 de la convention confiait à la société le soin d'" effectuer la gestion des contestations " des contribuables. Enfin, l'article 5.2 de cette convention prévoyait l'obligation pour la commune d'assurer la " transmission à CTR de tous les éléments et documents justifiant de la perception de la Taxe ".

6. Dans cette mesure, la convention a fait participer la société à l'exécution même du service du contrôle fiscal. La circonstance que la société CTR n'émettait pas elle-même les titres de recettes, mais se bornait à " accompagner " la commune, " qui à aucun moment n'abandonnait son pouvoir à la société ", n'est pas de nature à modifier cette analyse, dès lors qu'ainsi qu'elle le reconnaît, la société participait à l'examen des situations fiscales individuelles conduisant à l'établissement des rôles.

Sur la licéité de cet objet :

7. Aux termes de l'article L. 2333-6 du code général des collectivités territoriales : " Les communes peuvent, par délibération de leur conseil municipal, (...), instaurer une taxe locale sur la publicité extérieure frappant les supports publicitaires dans les limites de leur territoire (...) ". Aux termes de l'article R. 2333-13 du même code : " Les déclarations (...) sont contrôlées par les agents de la commune (...) qui perçoit la taxe ". Aux termes de l'article L. 103 du livre des procédures fiscales : " L'obligation du secret professionnel, telle qu'elle est définie aux articles 226-13 et 226-14 du code pénal, s'applique à toutes les personnes appelées à l'occasion de leurs fonctions ou attributions à intervenir dans l'assiette, le contrôle, le recouvrement ou le contentieux des impôts, droits, taxes et redevances prévus au code général des impôts. / Le secret s'étend à toutes les informations recueillies à l'occasion de ces opérations (...) ".

8. Le service de contrôle de l'assiette des impositions de toute nature ne peut être confié qu'à des agents placés sous l'autorité directe de l'administration, qui, dans le cas de la taxe locale sur la publicité extérieure, sont, en vertu des dispositions précitées de l'article R. 2333-13 du code général des collectivités territoriales, les agents de la commune percevant la taxe, lesquels sont d'ailleurs astreints, en vertu de l'article L. 103 du livres des procédures fiscales, au secret professionnel.

9. Il en résulte que le contrat conclu entre la commune d'Ajaccio et la société CTR, et qui, par des clauses indivisibles du reste de la convention, fait participer cette dernière à l'exécution même du service du contrôle fiscal, a un contenu illicite, et doit être écarté. La société ne peut donc réclamer le paiement des sommes dues en vertu du contrat.

11. Il résulte de tout ce qui précède que, sans qu'il soit besoin d'examiner ses moyens relatifs tant à la régularité qu'au bien-fondé du jugement, la commune d'Ajaccio est fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Bastia a fait droit à la demande de condamnation présentée par la société CTR.

Sur les frais liés au litige :

12. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce qu'une somme quelconque soit mise à la charge de la commune d'Ajaccio, qui n'est pas la partie perdante dans la présente instance. Dans les circonstances de l'espèce, il y a lieu de mettre à la charge de la société Leyton - CTR une somme de 2 500 euros à ce titre.

D É C I D E :

Article 1er : Les articles 1er et 2 du jugement n° 2000848 du 29 mars 2022 du tribunal administratif de Bastia sont annulés.

Article 2 : Les demandes de la société CTR auxquelles ces dispositions font droit sont rejetées.

Article 3 : La société Leyton - CTR versera à la commune d'Ajaccio une somme de 2 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Article 4 : Le surplus des conclusions de la commune d'Ajaccio est rejeté.

Article 5 : Le présent arrêt sera notifié à la commune d'Ajaccio et à la société Leyton - CTR.

Délibéré après l'audience du 29 janvier 2024, où siégeaient :

- M. Renaud Thielé, président assesseur, présidant la formation de jugement en application de l'article R. 222-26 du code de justice administrative,

- Mme Isabelle Gougot, première conseillère

- Mme Isabelle Ruiz, première conseillère.

Rendu public par mise à disposition au greffe, le 12 février 2024.

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No 22MA01509


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de MARSEILLE
Formation : 6ème chambre
Numéro d'arrêt : 22MA01509
Date de la décision : 12/02/2024
Type de recours : Plein contentieux

Analyses

CONTRIBUTIONS ET TAXES - GÉNÉRALITÉS - RÈGLES GÉNÉRALES D'ÉTABLISSEMENT DE L'IMPÔT - CONTRÔLE FISCAL - LE SERVICE DE L'ÉTABLISSEMENT ET DU CONTRÔLE DE L'ASSIETTE DES IMPOSITIONS - PAR SA NATURE - NE SAURAIT ÊTRE CONFIÉ QU'À DES AGENTS PLACÉS SOUS L'AUTORITÉ DIRECTE DE L'ADMINISTRATION [RJ3].

19-01-03-01 La mission du contrôle fiscal, par sa nature, ne saurait être confiée qu'à des agents placés sous l'autorité directe de l'administration [RJ3].

MARCHÉS ET CONTRATS ADMINISTRATIFS - FIN DES CONTRATS - OFFICE DU JUGE DE PLEIN CONTENTIEUX SAISI PAR UNE PARTIE À UN CONTRAT - CAS OÙ LE JUGE EST SAISI D'UN LITIGE D'EXÉCUTION DU CONTRAT - OBLIGATION DE FAIRE APPLICATION - EN PRINCIPE - DU CONTRAT - EXCEPTION - CARACTÈRE ILLICITE DU CONTRAT OU VICE D'UNE PARTICULIÈRE GRAVITÉ [RJ1] - EXISTENCE - CONTRAT FAISANT PARTICIPER UNE SOCIÉTÉ PRIVÉE AU CONTRÔLE DES DÉCLARATIONS FISCALES [RJ2].

39-04 Le juge du contrat, saisi d'un litige d'exécution d'un contrat confiant à une société privée une mission la faisant participer au contrôle des déclarations fiscales, relève d'office le moyen tiré de l'illicéité d'un tel contrat, ce service ne pouvant, par sa nature, être confié qu'à des agents placés sous l'autorité directe de l'administration. Une commune, chargée du contrôle des déclarations fiscales relatives à la taxe locale sur la publicité extérieure en vertu de l'article R. 2333-13 du code général des collectivités territoriales, ne saurait légalement confier cette mission à une société privée.


Composition du Tribunal
Président : M. THIELÉ
Rapporteur ?: Mme Isabelle RUIZ
Rapporteur public ?: M. POINT
Avocat(s) : SCP ONELAW

Origine de la décision
Date de l'import : 09/06/2024
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel;arret;2024-02-12;22ma01509 ?
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