Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
Mme B... A... a demandé au tribunal administratif de Toulon d'annuler la décision du 13 mars 2023 par laquelle le préfet du Var a refusé de l'admettre au séjour, l'a obligée à quitter le territoire français dans un délai de trente jours, et a fixé le pays de destination.
Par un jugement n° 2300953 du 15 mai 2023, le magistrat désigné du tribunal administratif de Toulon a rejeté sa demande.
Procédure devant la Cour :
Par une requête, enregistrée le 6 juin 2023, Mme A..., représentée par Me Walkadi, demande à la Cour :
1°) d'annuler le jugement du 15 mai 2023 ;
2°) d'annuler l'arrêté du 13 mars 2023 ;
3°) d'enjoindre au préfet du Var de lui délivrer une attestation de demande d'asile dans un délai de trois jours à compter de la notification de la décision à intervenir, ainsi qu'une autorisation provisoire de séjour pendant le réexamen de sa situation aux fins de délivrance de la carte de séjour temporaire portant la mention " vie privée et familiale " et ce, dans un délai de quinze jours à compter de la notification de l'arrêt à intervenir, sous astreinte de 100 euros par jour de retard ;
4°) de l'admettre provisoirement au bénéfice de l'aide juridictionnelle.
Elle soutient que :
S'agissant de la décision portant obligation de quitter le territoire :
- l'arrêté est insuffisamment motivé ;
- l'arrêté révèle un défaut d'examen de sa situation personnelle et familiale ;
- c'est à tort que le préfet a fait application de l'article L. 542-4 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, qui méconnaît les stipulations de l'article 13 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, et des stipulations de l'article 1er de la convention de Genève relative au statut des réfugiés ;
- l'arrêté méconnaît son droit d'être entendue personnellement devant la Cour nationale du droit d'asile (CNDA), en violation des stipulations des articles 6 et 13 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et de l'article 47 de la charte des droits de l'Union européenne ;
- le préfet a commis une erreur de droit en se croyant lié par la décision de l'Office français de protection des réfugiés et apatrides (OFPRA) ;
- la décision méconnaît les stipulations des articles 3 et 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales.
S'agissant de la décision fixant le pays de destination :
- elle est illégale par exception d'illégalité.
S'agissant de la décision fixant le délai de départ volontaire :
- elle est illégale par exception d'illégalité ;
- elle est entachée d'un défaut de motivation ;
- elle est entachée d'une erreur manifeste d'appréciation dès lors qu'elle ne tient pas compte de son recours pendant devant la Cour nationale du droit d'asile.
Mme A... a été admise au bénéfice de l'aide juridictionnelle totale par décision du bureau d'aide juridictionnelle près le tribunal judiciaire de Marseille du 13 juillet 2023.
La requête a été communiquée au préfet du Var, qui n'a pas produit d'observations.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- la charte des droits fondamentaux de l'Union européenne ;
- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- le code des relations du public avec l'administration ;
- la loi du 10 juillet 1991 ;
- le code de justice administrative.
Le président de la formation de jugement a dispensé la rapporteure publique, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Le rapport de M. Marcovici a été entendu au cours de l'audience publique.
Considérant ce qui suit :
1. Mme A... relève appel du jugement du 15 mai 2023 par lequel le magistrat désigné du tribunal administratif de Toulon a rejeté sa demande tendant à l'annulation de l'arrêté du 13 mars 2023 par lequel le préfet du Var a refusé de l'admettre au séjour, lui a fait obligation de quitter le territoire français dans un délai de trente jours, et a fixé le pays de sa destination.
Sur la demande d'admission à l'aide juridictionnelle :
2. Si Mme A... sollicite, dans le cadre de sa requête, son admission à titre provisoire au bénéfice de l'aide juridictionnelle, il ressort des pièces du dossier que son admission au bénéfice de l'aide juridictionnelle totale a été prononcée par une décision du bureau d'aide juridictionnelle près le tribunal judiciaire de Marseille le 13 juillet 2023. Dès lors, ses conclusions tendant à ce que la Cour l'admette à titre provisoire au bénéfice de l'aide juridictionnelle sont devenues sans objet.
Sur les conclusions à fin d'annulation :
3. Mme A... déclare être entrée en France le 9 août 2022 avec ses quatre enfants, nés en 2010, 2011, 2014 et 2016, pour fuir les violences conjugales subies aux mains de son conjoint depuis leur mariage en 2009. Mme A... indique que ses enfants et elle ont fréquemment fait l'objet des menaces de mort de son mari, et subi des violences physiques et psychologiques. Suite à une plainte déposée en 2019, elle a obtenu une décision de justice interdisant à son mari de l'approcher pendant vingt jours, décision qu'il n'a pas respectée. Elle aurait tenté une seconde fois, en vain, d'obtenir une ordonnance de protection. Mme A... a finalement décidé de quitter l'Albanie à la suite d'un viol commis par des amis de son époux en août 2022, et qui se serait suivi de nouvelles menaces de mort par son mari, ce dernier l'accusant d'avoir provoqué ses agresseurs. Mme A... produit pour la première fois en appel une attestation de la psychologue de sa fille aînée, âgée de 13 ans à la date de l'arrêté, qui atteste que l'enfant " présente un syndrome de stress post-traumatique suites aux violences physiques et psychologiques subies de la part de son père. (...) A cela s'ajoute la peur de devoir quitter le territoire français et de devoir retourner en Albanie car selon ses dires son père les tuerait. Elle exprime clairement être terrifiée à l'idée de devoir partir. (...) Ses peurs et son incapacité à gérer ses émotions peuvent engendrer malaises, crises d'angoisse... Elle présente un sentiment d'insécurité permanent et un état de sidération qui l'empêche de mobiliser des ressources, tout comme la maman. / L'idée d'un passage à l'acte n'est pas à exclure si un retour au pays devait se produire ". Mme A... produit également le signalement effectué par une travailleuse sociale de l'association Logivar Estérel, qui fait état de deux malaises de l'enfant Nazmie dans son établissement scolaire, le 16 mars 2023 et le 5 avril 2023, l'un d'eux ayant nécessité l'intervention des secours, ainsi que d'une situation d'isolement et d'un état d'anxiété constatés par l'infirmière scolaire. Le signalement relate également l'état de détresse dans lequel la notification de l'arrêté du
13 mars 2023 a plongé Mme A..., qui a exprimé des pensées suicidaires, déclarant notamment : " : " Je suis venue en France pour mes enfants, si je me tue, au moins, ceux-ci pourront vivre heureux en France dans des familles d'accueil ". Ces nouveaux éléments, bien que postérieurs à la décision attaquée, révèlent l'état de santé psychique très dégradé de l'intéressée et de sa fille, apparaissant persuadée de ne pouvoir échapper à la violence de son père en cas d'éloignement. Au regard de l'ensemble de ces éléments, et en particulier de la grande vulnérabilité de Mme A... et de sa fille aînée, l'intéressée est fondée à soutenir que le préfet du Var a commis une erreur manifeste d'appréciation des conséquences de sa décision sur sa situation personnelle.
4. Sans qu'il soit besoin d'examiner les autres moyens, il résulte de ce qui précède que Mme A... est fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le magistrat désigné du tribunal administratif de Toulon a rejeté sa requête et qu'il y a lieu d'annuler l'arrêté en litige et ce jugement.
Sur les conclusions aux fins d'injonction :
5. Eu égard au motif d'annulation retenu au point 3, l'exécution du présent arrêt implique nécessairement que soit délivrée à Mme A... une carte de séjour portant la mention " vie privée et familiale " d'une durée de validité d'un an. Il y a lieu d'ordonner cette édiction dans un délai de deux mois. Dans les circonstances de l'espèce, il n'y a pas lieu d'assortir cette injonction de l'astreinte demandée par Mme A....
D É C I D E :
Article 1er : Il n'y a pas lieu de statuer sur la demande d'aide juridictionnelle à titre provisoire présentée par Mme A....
Article 2 : Le jugement du tribunal administratif de Toulon du 15 mai 2023 est annulé.
Article 3 : L'arrêté du 13 mars 2023 du préfet du Var est annulé.
Article 4 : Il est enjoint au préfet du Var de délivrer à Mme A... une carte de séjour d'un an portant la mention " vie privée et familiale ", dans un délai de deux mois à compter de la notification du présent arrêt.
Article 5 : Le présent arrêt sera notifié à Mme B... A..., à Me Walkadi et au ministre de l'intérieur et des outre-mer.
Copie en sera adressée au préfet du Var et au procureur de la République près le tribunal judiciaire de Toulon.
Délibéré après l'audience du 23 janvier 2024, où siégeaient :
- M. Marcovici, président,
- M. Revert, président assesseur,
- M. Martin, premier conseiller.
Rendu public par mise à disposition au greffe le 6 février 2024.
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N° 23MA01415