Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
Mme A... B... a demandé au tribunal administratif de Nice d'annuler l'arrêté du 8 juillet 2022 par lequel le préfet des Alpes-Maritimes a rejeté sa demande de titre de séjour, l'a obligée à quitter le territoire français dans un délai de trente jours et a fixé le pays de destination.
Par un jugement n° 2204587 du 2 février 2023, le tribunal administratif de Nice a rejeté sa demande.
Procédure devant la Cour :
Par une requête enregistrée le 18 mai 2023, Mme B..., représentée par Me Hmad, demande à la Cour :
1°) d'annuler ce jugement du tribunal administratif de Nice du 2 février 2023 ;
2°) d'annuler l'arrêté du préfet des Alpes-Maritimes du 8 juillet 2022 ;
3°) d'enjoindre au préfet des Alpes-Maritimes de lui délivrer un titre de séjour portant la mention " vie privée et familiale " ou " entrepreneur ", dans le délai de 2 mois à compter de la notification de l'arrêt à intervenir, et dans l'attente, un document provisoire de séjour l'autorisant à travailler dans le délai de 8 jours à compter de cette notification, à défaut, d'enjoindre au préfet des Alpes-Maritimes de réexaminer son droit au séjour et de lui délivrer dans l'attente d'une nouvelle décision, un document provisoire de séjour l'autorisant à travailler dès cette notification et pendant toute la durée du réexamen de la situation ;
4°) de mettre à la charge de l'État une somme de 2 500 euros à verser à son avocat au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991.
Elle soutient que :
- le préfet s'est abstenu d'examiner si elle pouvait répondre aux conditions pour obtenir un titre de séjour en qualité d'auto-entrepreneur ;
- elle a été victime de violences conjugales et son propre comportement ne constitue pas une menace pour l'ordre public ;
- le préfet a méconnu les stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales.
La procédure a été communiquée au préfet des Alpes-Maritimes, qui n'a pas produit de mémoire en défense.
Par ordonnance du 27 décembre 2023, la clôture de l'instruction a été fixée au 11 janvier 2024 à 12 heures.
Mme B... a présenté un mémoire enregistré le 14 janvier 2024 après clôture d'instruction et non communiqué.
Mme B... a été admise au bénéfice de l'aide juridictionnelle totale par décision du 31 mars 2023.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 ;
- le code de justice administrative.
Le président de la formation de jugement a dispensé le rapporteur public, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de M. d'Izarn de Villefort,
- et les observations de Me Hmad, représentant Mme B....
Considérant ce qui suit :
1. Mme B..., ressortissante malgache, a demandé au tribunal administratif de Nice d'annuler l'arrêté du 8 juillet 2022 par lequel le préfet des Alpes-Maritimes a rejeté sa demande de titre de séjour, l'a obligée à quitter le territoire français dans un délai de trente jours et a fixé le pays de destination. Elle relève appel du jugement du 2 février 2023 par lequel le tribunal administratif de Nice a rejeté sa demande tendant à l'annulation de cet arrêté.
Sur les conclusions à fin d'annulation :
2. Aux termes de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales : " 1. Toute personne a droit au respect de sa vie privée et familiale, de son domicile et de sa correspondance. / 2. Il ne peut y avoir ingérence d'une autorité publique dans l'exercice de ce droit que pour autant que cette ingérence est prévue par la loi et qu'elle constitue une mesure qui, dans une société démocratique, est nécessaire à la sécurité nationale, à la sûreté publique, au bien-être économique du pays, à la défense de l'ordre et à la prévention des infractions pénales, à la protection de la santé ou de la morale, ou à la protection des droits et libertés d'autrui ".
3. Mme B..., qui avait épousé un ressortissant français le 30 septembre 2017, s'est vue délivrer en cette qualité une carte de séjour temporaire valable à compter du 15 janvier 2019 puis une carte de séjour pluriannuelle valable du 15 janvier 2020 au 14 janvier 2022, dont elle a demandé le renouvellement le 15 janvier 2022. Pour refuser de lui délivrer un titre de séjour, le préfet des Alpes-Maritimes a constaté que la condition fixée à l'article L. 423-3 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile tenant au maintien du lien conjugal et de la communauté de vie avec le conjoint de nationalité française n'était pas réunie et faisait obstacle au renouvellement de sa carte de séjour délivrée en qualité de conjoint de ressortissant français, l'intéressée ne pouvant se prévaloir selon lui des dispositions de l'article L. 423-5 de ce code. Il a aussi relevé que ce refus ne portant pas à son droit au respect de sa vie privée et familiale une atteinte disproportionnée, l'intéressée ne pouvait bénéficier d'un titre de séjour sur le fondement de l'article L. 423-23 du même code. Il a considéré qu'elle ne produisait aucun élément de nature à établir que son admission au séjour répondrait à des considérations humanitaires ou se justifierait au regard de motifs exceptionnels. Enfin, il a opposé les dispositions de l'article L. 432-1 du même code selon lesquelles la délivrance d'une carte de séjour temporaire peut être refusée à tout étranger dont la présence en France constitue une menace pour l'ordre public.
4. Il ressort des pièces du dossier, d'une part, que Mme B..., née le 24 avril 1990, est entrée en France le 12 novembre 2014 sous couvert d'un visa Schengen D de long séjour. Elle a occupé plusieurs emplois du 19 janvier au 31 juillet 2015 et du 31 mars au 30 septembre 2016, du 31 octobre au 4 décembre 2016 et du 16 mai au 31 août 2019, en qualité, respectivement, de commerciale, de vendeuse, d'employée commerciale et d'agent de secteur encaissement au sein de commerces de détail ou de gros. Immatriculée au registre spécial des agents commerciaux, elle a ensuite exercé une activité d'agent commercial mandataire indépendant en immobilier à compter du 14 septembre 2020 sous le régime micro-entrepreneur. Elle a déclaré au titre de cette activité des bénéfices industriels et commerciaux de 4 333 euros en 2021, s'ajoutant à la perception d'une somme de 9 125 euros en décembre 2021, et de 28 278 euros pour le premier semestre 2022. Elle produit une promesse d'embauche en tant que mandataire dans une société d'assurances et de crédit. Sa sœur réside en France. D'autre part, le 16 janvier 2020, Mme B... a déposé plainte pour violences habituelles n'ayant pas entraîné une incapacité de travail supérieure à huit jours commis par une personne étant conjoint et a quitté le domicile conjugal le 17 février suivant. La procédure ayant été engagée au cours de ce mois de février, le divorce a été prononcé par jugement du 10 septembre 2021. Cette plainte a donné lieu à un avis de classement à victime daté du 26 mars 2021, motivé, sur le fondement de l'article 41-1 du code de procédure pénale, par le fait que l'auteur des faits avait suivi un stage de prévention aux violences conjugales ou sexistes dont l'accomplissement avait été ordonné par le procureur de la République. Le 23 février 2021, elle a déposé plainte pour violences habituelles n'ayant pas entraîné une incapacité de travail supérieure à huit jours et viol commis par une personne étant conjoint entre le 1er janvier 2019 et le 18 février 2020. Cette plainte a été classée au motif que les faits n'avaient pas été établis. Au cours de son audition par les services de police réalisée le 24 juin 2020 à la suite de la plainte déposée le 16 janvier 2020, elle a déclaré avoir été victime de la part de son conjoint de violences lorsque celui-ci était alcoolisé, de relations sexuelles non consenties à partir du mois d'août 2019 et de propos dévalorisants. Son conjoint ayant également porté plainte dans les suites de cet incident pour violences n'ayant pas entraîné une incapacité de travail supérieure à huit jours commises par un conjoint et injures non publiques, la requérante s'est vue elle-même ordonner par le procureur de la République la participation à un stage de responsabilisation pour la prévention et la lutte contre les violences au sein du couple sur le fondement de l'article 41-1 du code de procédure pénale, qu'elle a accomplie le 23 juin 2020. Cette circonstance ne permet pas de regarder sa présence comme constituant une menace pour l'ordre public. Dans ces conditions, eu égard à la durée et aux conditions de son séjour, en refusant de lui délivrer un titre de séjour comme en l'obligeant à quitter le territoire français, le préfet des Alpes-Maritimes a porté à son droit au respect de sa vie privée et familiale une atteinte disproportionnée et a méconnu, en conséquence, les stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales.
5. Il résulte de tout ce qui précède que, sans qu'il soit besoin sur les autres moyens de la requête, Mme B... est fondée à soutenir que c'est à tort, que par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Nice a rejeté sa demande.
Sur les conclusions à fin d'injonction :
6. Eu égard au motif pour lequel le présent arrêt prononce l'annulation de l'arrêté en litige, et dès lors qu'il ne résulte pas de l'instruction qu'un changement dans les circonstances de droit ou de fait y ferait obstacle, l'annulation de l'arrêté du préfet des Alpes-Maritimes du 8 juillet 2022 implique nécessairement la délivrance à la requérante d'une carte de séjour temporaire portant la mention " vie privée vie familiale ". Il y a lieu d'enjoindre au préfet des Bouches-du-Rhône de délivrer un tel titre à Mme B... dans un délai d'un mois à compter de la notification du présent arrêt.
Sur les frais liés au litige :
7. Mme B... a obtenu le bénéfice de l'aide juridictionnelle. Par suite, son avocate peut se prévaloir des dispositions des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi du 10 juillet 1991. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, et sous réserve que Me Hmad, avocate de Mme B..., renonce à percevoir la somme correspondant à la part contributive de l'État, de mettre à la charge de l'Etat le versement à Me Hmad de la somme de 1 500 euros.
D É C I D E :
Article 1er : Le jugement du tribunal administratif de Nice du 2 février 2023 et l'arrêté du préfet des Alpes-Maritimes du 8 juillet 2022 sont annulés.
Article 2 : Il est enjoint au préfet des Alpes-Maritimes de délivrer à Mme B... une carte de séjour temporaire portant la mention " vie privée vie familiale " dans un délai d'un mois à compter de la notification du présent arrêt.
Article 3 : L'Etat versera la somme de 1 500 euros à Me Hmad en application de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991, sous réserve qu'elle renonce au bénéfice de la part contributive de l'Etat au titre de l'aide juridictionnelle.
Article 4 : Le présent arrêt sera notifié à Mme A... B..., à Me Hmad et au ministre de l'intérieur et des outre-mer.
Copie en sera adressée au préfet des Alpes-Maritimes et au procureur de la république prés le tribunal judiciaire de Nice.
Délibéré après l'audience du 18 janvier 2024, où siégeaient :
- M. Portail, président,
- M. d'Izarn de Villefort, président assesseur,
- M. Angéniol, premier conseiller.
Rendu public par mise à disposition au greffe le 1er février 2024.
N° 23MA01254 2