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01/02/2024 | FRANCE | N°22MA01605

France | France, Cour administrative d'appel, 3ème chambre, 01 février 2024, 22MA01605


Vu la procédure suivante :



Procédure contentieuse antérieure :



La société Sardanapale a demandé au tribunal administratif de Marseille de prononcer la décharge, en droits et majorations, des cotisations supplémentaires d'impôt sur les sociétés auxquelles elle a été assujettie au titre de l'année 2014.



Par un jugement n° 2100154 du 8 avril 2022, le tribunal administratif de Marseille a rejeté sa demande.



Procédure devant la Cour :



Par une requête et des mémoires, en

registrés les 7 juin 2022, 23 novembre 2022, 6 février 2023 et 26 avril 2023, la société Sardanapale, représentée par Me Phili...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

La société Sardanapale a demandé au tribunal administratif de Marseille de prononcer la décharge, en droits et majorations, des cotisations supplémentaires d'impôt sur les sociétés auxquelles elle a été assujettie au titre de l'année 2014.

Par un jugement n° 2100154 du 8 avril 2022, le tribunal administratif de Marseille a rejeté sa demande.

Procédure devant la Cour :

Par une requête et des mémoires, enregistrés les 7 juin 2022, 23 novembre 2022, 6 février 2023 et 26 avril 2023, la société Sardanapale, représentée par Me Philip, demande à la Cour :

1°) d'annuler le jugement n° 2100154 du 8 avril 2022 du tribunal administratif de Marseille ;

2°) de prononcer la décharge demandée ;

3°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 2 000 euros sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que :

-l'administration n'établit pas que le prix de cession de la villa située B... à La Ciotat dont elle était propriétaire est insuffisant ;

- elle n'a pas commis d'acte anormal de gestion, dès lors qu'elle avait intérêt à la vente ;

- la majoration pour manquement délibéré n'est ni motivée ni fondée.

Par des mémoires en défense enregistrés les 12 octobre 2022, 12 janvier 2023 et 21 mars 2023, le ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique conclut au rejet de la requête.

Il soutient que les moyens invoqués par la société Sardanapale ne sont pas fondés.

Par une ordonnance du 17 octobre 2023, la clôture de l'instruction a été fixée au 6 novembre 2023.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- le code général des impôts et le livre des procédures fiscales ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de M. Platillero,

- les conclusions de M. Ury, rapporteur public,

- et les observations de Me Chibout pour la société Sardanapale.

Considérant ce qui suit :

1. La société Sardanapale, qui exerce l'activité de marchand de biens, a fait l'objet d'une vérification de comptabilité, à l'issue de laquelle une proposition de rectification du 15 septembre 2017 lui a été notifiée. Au terme de la procédure, elle a été assujettie à une cotisation supplémentaire d'impôt sur les sociétés, assortie des intérêts de retard et de la majoration pour manquement délibéré, au titre de l'année 2014. La société Sardanapale relève appel du jugement du 8 avril 2022 par lequel le tribunal administratif de Marseille a rejeté sa demande tendant à la décharge, en droits et majorations, de cette imposition.

Sur le bien-fondé de l'imposition :

2. En vertu des dispositions combinées des articles 38 et 209 du code général des impôts, le bénéfice imposable à l'impôt sur les sociétés est celui qui provient des opérations de toute nature faites par l'entreprise, à l'exception de celles qui, en raison de leur objet ou de leurs modalités, sont étrangères à une gestion normale. Constitue un acte anormal de gestion l'acte par lequel une entreprise décide de s'appauvrir à des fins étrangères à son intérêt.

3. S'agissant de la cession d'un élément d'actif circulant entre parties liées par des relations d'intérêts, lorsque l'administration, qui n'a pas à se prononcer sur l'opportunité des choix de gestion opérés par une entreprise, soutient que la cession a été réalisée à un prix significativement inférieur à la valeur vénale qu'elle a retenue et que le contribuable n'apporte aucun élément de nature à remettre en cause cette évaluation, elle doit être regardée comme apportant la preuve du caractère anormal de l'acte de cession si le contribuable ne justifie pas que l'appauvrissement qui en est résulté a été décidé dans l'intérêt de l'entreprise, soit que celle-ci se soit trouvée dans la nécessité de procéder à la cession à un tel prix, soit qu'elle en ait tiré une contrepartie.

4. Il résulte de l'instruction que dans le cadre de son activité de marchand de biens, la société Sardanapale, constituée entre M. et Mme ..., a acquis le 25 juin 2009 par adjudication une villa d'un étage et son terrain attenant au sein du Parc privé du B...à La Ciotat (Bouches-du-Rhône), ainsi que les millièmes correspondants des choses et parties communes de l'ensemble immobilier, au prix de 447 000 euros. Par un acte du 16 décembre 2014, elle a vendu ce bien à M. A..., associé de la société, au prix de 515 000 euros. D'après la déclaration du premier propriétaire, la villa comprenait une surface affectée à l'habitation de 93 m², un garage de 30 m², une cave et une terrasse de 60 m² chacune et un terrain de 2 000 m². Une déclaration rectificative a toutefois été déposée en 2013 pour déclarer une piscine de 32 m². En outre, M. A... ayant indiqué au cours de la vérification de comptabilité qu'une demande de permis de construire avait été déposée en juillet 2015 en vue de régulariser des additions de constructions qui n'avaient pas été déclarées, l'administration fiscale a exercé son droit de communication auprès du service de l'urbanisme de la commune de La Ciotat, le dossier de permis de construire ayant révélé une surface affectée à l'habitation de 236,50 m² à la date de la cession. Estimant que le prix de la cession du bien ne reflétait pas sa valeur vénale réelle, l'administration a procédé à une comparaison avec le prix de la cession de quatre biens immobiliers situés au sein du Parc privé du B..., ventes intervenues entre le 19 juillet 2013 et le 3 avril 2014, portant sur des constructions datant de 1958 à 1975 d'une superficie habitable comprise entre 91 et 300 m² sur des terrains d'une superficie comprise entre 1 275 et 2 510 m², dont l'une dotée d'une piscine. Elle a ainsi abouti à un prix de vente total moyen au m² de 5 230,87 euros, alors que la villa en litige a été cédée par la société Sardanapale à son associé au prix au m² de 2 177, 58 euros. Elle a alors déterminé une valeur vénale de 1 234 280 euros, en appliquant à la superficie habitable de 236 m² le prix moyen au m² retenu de 5 230 euros, puis a admis un abattement de 35 % pour fixer une valeur de 802 282 euros, le montant de la rectification s'élevant ainsi à 287 282 euros.

En ce qui concerne la valeur vénale du bien :

5. La société Sardanapale ne conteste pas sérieusement que, pour procéder à l'évaluation de la valeur vénale de l'immeuble en litige, l'administration s'est référée à des transactions portant sur des biens similaires situés à proximité, intervenues à des dates proches de celle du fait générateur de l'impôt. En effet, si elle fait état d'une cession intervenue en avril 2014 d'une villa de 300 m² au sein du Parc privé du Liouquet au prix de 140 000 euros, il est constant que ce bien a été retenu comme comparable et que le prix invoqué ne porte que sur la cession après licitation d'une partie du bien indivis, le prix total s'élevant à 1 400 000 euros, ne remettant ainsi pas en cause le prix moyen au m² retenu par l'administration.

6. La société Sardanapale fait néanmoins valoir que, à la différence du bien dont elle était propriétaire, les biens retenus à titre de comparables ont une vue sur la mer, alors que l'immeuble en cause est situé en bordure d'une route nationale empruntée, et sont en bon état, alors que son bien n'était pas habitable sans l'engagement de travaux d'un montant important. Toutefois, outre que les devis produits sont datés du 15 juin 2020 et que les photographies jointes au dossier, si elles montrent un bien en travaux, ne sont pas datées, ne permettant ainsi pas d'apprécier l'état du bien à la date de la cession, l'administration a admis de pratiquer un abattement de 35 %, dont aucun élément ne permet de supposer qu'il serait insuffisant pour tenir compte des différences précédemment décrites, alors que la villa à évaluer dispose au demeurant d'une piscine, à la différence de trois des comparables retenus.

7. Par ailleurs, si la société Sardanapale fait valoir qu'une partie des constructions n'avait pas été régulièrement déclarée à la date de la cession, il est constant qu'une demande de permis de construire a été déposée le 7 juillet 2015 pour régulariser les additions de constructions réalisées sans autorisation, sans qu'il soit allégué qu'au regard de la législation d'urbanisme, ces constructions n'étaient pas dès l'origine conformes aux documents d'urbanisme, la requérante n'alléguant au demeurant pas plus que ce permis de construire de régularisation lui aurait été refusé. Il ne résulte ainsi pas de l'instruction que l'abattement précédemment cité serait insuffisant pour tenir compte également de l'absence de déclaration des additions de construction à la date de la cession.

8. Enfin, si la société Sardanapale produit un avis de valeur établi par une agence immobilière qui fait état d'un prix compris entre 580 000 et 600 000 euros, cet avis, qui mentionne la réalisation d'une étude comparative de marché sans qu'aucune information relative aux biens qui auraient été retenus à titre de comparaison ne soit fournie, a été émis le 6 septembre 2022 en mentionnant une maison à l'abandon, aucun élément ne permettant de supposer que, compte tenu de sa date et de l'évolution de l'état du bien, il reflèterait de manière fiable le prix du bien à la date de la cession, ce qui ne saurait résulter du seul exposé de la hausse générale des prix de l'immobilier entre 2014 et 2022.

9. Dans ces conditions, l'administration établit que la société Sardanapale a consenti à M. A..., son associé, un prix de vente significativement inférieur à la valeur vénale du bien immobilier en cause, la seule comparaison avec le prix d'acquisition et le constat de la réalisation d'une plus-value étant sans incidence sur l'insuffisance établie du prix de cession.

En ce qui concerne l'intérêt de l'entreprise :

10. Pour justifier que l'appauvrissement qui résulte du prix anormal de la cession a été décidé dans son intérêt, la société Sardanapale fait valoir qu'elle avait acquis le bien en litige dans le cadre du régime des marchands de biens défini au 6 de l'article 257 du code général des impôts, en prenant l'engagement de le revendre dans les cinq ans en application de l'article 1115 du même code afin de bénéficier d'une exonération sur les droits de mutation, la cession lui ayant permis de respecter l'engagement légal de revente qui expirait en juin 2014.

11. Toutefois, outre qu'il est constant que la société Sardanapale n'a pas mis le bien en litige sur le marché en vue de trouver un acquéreur dans des conditions de prix normales, il n'est pas contesté que le montant des contreparties qu'elle invoque s'élève à 19 002 euros en ce qui concerne l'imposition de la plus-value, déduction faite des charges, et à 26 000 euros en ce qui concerne les droits de mutation, sans commune mesure avec l'importance de la minoration de prix mise en évidence par l'administration à hauteur de 287 282 euros. Par ailleurs, si la société Sardanapale a réalisé une marge lors de la revente du bien inscrit à son actif circulant à une partie avec laquelle elle est liée par des liens d'intérêts, cette circonstance est sans incidence sur la preuve attendue d'une contrepartie à la minoration de prix constatée par l'administration.

12. Dans ces conditions, la société Sardanapale ne justifie pas que l'appauvrissement qui est résulté de la cession en cause a été décidé dans son intérêt, en établissant qu'elle se soit trouvée dans la nécessité de procéder à la cession au prix stipulé ou qu'elle en ait tiré une contrepartie. Par suite, l'administration doit être regardée comme apportant la preuve du caractère anormal de l'acte de cession.

Sur les pénalités :

13. Aux termes de l'article 1729 du code général des impôts : " Les inexactitudes ou les omissions relevées dans une déclaration (...) entraînent l'application d'une majoration de : a. 40 % en cas de manquement délibéré (...) ". Aux termes de l'article L. 80 D du livre des procédures fiscales : " Les décisions mettant à la charge des contribuables des sanctions fiscales sont motivées au sens des articles L. 211-2 à L. 211-7 du code des relations entre le public et l'administration, quand un document ou une décision adressés au plus tard lors de la notification du titre exécutoire ou de son extrait en a porté la motivation à la connaissance du contribuable (...) ".

14. Pour justifier l'application de la majoration pour manquement délibéré, l'administration a notamment relevé que le bien en litige a été acquis en 2009 par la société Sardanapale en sa qualité de marchand de biens et qu'en tant que professionnel de l'immobilier, la société, ainsi que son associé bénéficiaire de la vente, avaient une connaissance précise du marché et ne pouvaient ignorer que la cession en cause à un prix largement inférieur au prix du marché constituait un acte étranger à l'intérêt de l'exploitation de la société traduisant une libéralité consentie à l'acquéreur. Elle a également relevé que l'importance de l'écart relevé entre la valeur vénale du bien et le prix mentionné dans l'acte traduisait l'intention délibérée de la société Sardanapale d'éluder l'impôt. L'administration a ainsi suffisamment motivé cette pénalité et justifie, compte tenu de ce qui a été dit aux points précédents, de son bien-fondé.

15. Il résulte de tout ce qui précède que la société Sardanapale n'est pas fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Marseille a rejeté sa demande. Ses conclusions aux fins d'annulation de ce jugement et de décharge, en droits et majorations, des impositions en litige doivent dès lors être rejetées.

Sur les frais liés au litige :

16. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que soit mise à la charge de l'Etat, qui n'est pas la partie perdante dans la présente instance, la somme que la société Sardanapale demande au titre des frais qu'elle a exposés.

D E C I D E :

Article 1 : La requête de la société Sardanapale est rejetée.

Article 2 : Le présent arrêt sera notifié à la société à responsabilité limitée Sardanapale et au ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique.

Copie en sera adressée à la direction de contrôle fiscal Sud-Est Outre-mer.

Délibéré après l'audience du 18 janvier 2024, où siégeaient :

- Mme Paix, présidente,

- M. Platillero, président assesseur,

- Mme Mastrantuono, première conseillère.

Rendu public par mise à disposition au greffe, le 1er février 2024.

2

N° 22MA01605


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de MARSEILLE
Formation : 3ème chambre
Numéro d'arrêt : 22MA01605
Date de la décision : 01/02/2024
Type de recours : Plein contentieux

Analyses

19-04-02-01-04-082 Contributions et taxes. - Impôts sur les revenus et bénéfices. - Revenus et bénéfices imposables - règles particulières. - Bénéfices industriels et commerciaux. - Détermination du bénéfice net. - Acte anormal de gestion.


Composition du Tribunal
Président : Mme PAIX
Rapporteur ?: M. Fabien PLATILLERO
Rapporteur public ?: M. URY
Avocat(s) : PHILIP

Origine de la décision
Date de l'import : 10/03/2024
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel;arret;2024-02-01;22ma01605 ?
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