Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
M. A... C... a demandé au tribunal administratif de Marseille, à titre principal, de condamner la commune de Piégut à lui verser la somme de 167 807 euros en réparation des préjudices résultant de l'illégalité de l'arrêté du 13 novembre 2014 par lequel le maire de Piégut a retiré l'autorisation qui lui avait été préalablement délivrée pour réaliser des travaux sur un bâtiment sis quartier Jussel sur le territoire communal, à titre subsidiaire, de condamner la commune de Piégut à lui verser les sommes de 90 246,12 euros en réparation de son préjudice patrimonial et 20 000 euros en réparation de son préjudice moral, et, en tout état de cause, de majorer ces sommes des intérêts de droit à compter de la date de la première demande d'indemnisation, le 14 septembre 2018, avec capitalisation annuelle des intérêts échus à compter de cette même date.
Par un jugement n° 1810425 du 21 mars 2022, le tribunal administratif de Marseille a rejeté sa demande.
Procédure devant la Cour :
Par une requête et un mémoire, enregistrés les 20 mai 2022 et 27 janvier 2023, M. C..., représenté par Me Volpato, demande à la Cour :
1°) d'annuler le jugement du tribunal administratif de Marseille du 21 mars 2022 ;
2°) de condamner la commune de Piégut à lui verser la somme de 167 807 euros au titre des préjudices qu'il estime avoir subis, avec intérêts au taux légal à compter de la date de la première demande d'indemnisation, le 14 septembre 2018, et capitalisation annuelle des intérêts à compter de cette même date ;
3°) de mettre à la charge de la commune de Piégut la somme de 5 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Il soutient que :
- la commune de Piégut a commis une faute en retirant le permis de construire qui lui avait été accordé par un arrêté du maire de la commune du 29 avril 2014, par l'arrêté du 13 novembre 2014, lequel a été annulé en raison de son illégalité par un jugement du 29 décembre 2017 du tribunal administratif de Marseille ;
- il a subi, du fait de cette illégalité fautive, des préjudices au titre des frais de procédure et de justice engagés, de la vente forcée de sa maison principale d'habitation et de dommages et intérêts divers, pour un montant total de 167 807 euros.
Par un mémoire en défense enregistré le 29 juin 2022, la commune de Piégut, représentée par Me Rouanet, conclut au rejet de la requête et à ce que soit mise à la charge de M. C... la somme de 3 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle fait valoir qu'aucun des moyens de la requête n'est fondé.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- le code de l'urbanisme ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de M. Claudé-Mougel, premier conseiller ;
- les conclusions de M. Quenette, rapporteur public.
Considérant ce qui suit :
1. M. C... a acquis en 2005 une maison d'habitation, sise quartier Jussel sur le territoire de la commune de Piégut. Après avoir procédé en 2006 à des travaux portant notamment sur la transformation de l'un des garages de cette maison en studio, sans autorisation d'urbanisme, il a vendu ledit studio aux époux B... le 15 janvier 2008. Par un jugement du 2 juillet 2013, le tribunal de grande instance (TGI) de Gap a annulé cette vente et condamné M. C... à verser aux époux B... une somme de 66 754,95 euros. Par un arrêté du 29 avril 2014, le maire de Piégut a délivré à M. C... un permis de construire portant sur la régularisation de la transformation du garage en studio. Le maire de Piégut a retiré ce permis par un arrêté du 13 novembre de la même année. Par un arrêt du 29 mars 2016, la cour d'appel de Grenoble a confirmé l'annulation de la vente et condamné M. C... à verser aux époux B... une somme de 61 955,95 euros. Par une décision du 13 juillet 2017, la Cour de cassation a rejeté le pourvoi formé par M. C... contre cet arrêt. Par un jugement n° 1500210 du 29 décembre 2017, devenu définitif, le tribunal administratif de Marseille a annulé l'arrêté du 13 novembre 2014 susvisé. M. C... a demandé au tribunal administratif de Marseille de condamner la commune de Piégut à lui verser la somme de 167 807 euros en réparation des préjudices résultant de l'illégalité de cet arrêté. Il relève appel du jugement du 21 mars 2022 par lequel le tribunal administratif de Marseille a rejeté sa demande.
Sur le bien-fondé du jugement :
En ce qui concerne la faute commise par la commune de Piégut :
2. Ainsi qu'il a été rappelé au point 1, le tribunal administratif de Marseille, par un jugement du 29 décembre 2017, devenu définitif, a annulé l'arrêté du 13 novembre 2014 qui a retiré l'arrêté du 29 avril 2014 accordant à M. C... un permis de construire autorisant la transformation en studio du garage de sa maison d'habitation, au motif que le maire de la commune ne pouvait fonder ce retrait sur les dispositions de l'article NB 2 du plan d'occupation des sols, ni sur son ignorance de la consistance des travaux objet de la demande de permis. Cette illégalité est constitutive d'une faute de nature à engager la responsabilité de la commune de Piégut.
En ce qui concerne la réalité des préjudices allégués et le lien de causalité entre ces préjudices et la faute commise par la commune :
S'agissant des préjudices résultant de l'annulation de la vente du studio aux époux B... :
3. M. C... soutient que l'illégalité entachant l'arrêté du 13 novembre 2014 a été à l'origine de l'annulation de la vente du studio aux époux B... et de sa condamnation par les juridictions judiciaires. Toutefois, selon les termes mêmes de ces décisions juridictionnelles, en particulier de l'arrêt du 29 mars 2016 de la Cour d'appel de Grenoble, cette annulation de la vente et la condamnation subséquente de M. C... à indemniser les époux B..., notamment en remboursant le montant qu'ils ont acquitté pour l'acquisition du studio, n'a pas résulté de l'absence d'autorisation d'urbanisme portant sur la transformation du garage en studio, mais d'un dol caractérisé par le fait que l'intéressé a, en toute connaissance de cause, dissimulé l'existence de travaux réalisés dans des conditions illicites, cette dissimulation étant de nature à vicier leur consentement. Cet arrêt précise à cet égard que le fait que M. C... " ait, postérieurement au jugement, tenté de régulariser un permis de construire est sans incidence sur le fait qu'il a sciemment trompé les époux B..., au moment de la vente du bien ". Dans ces conditions, aucun lien de causalité ne peut être établi entre l'illégalité fautive commise par la commune de Piégut et les préjudices invoqués par M. C... tenant à sa condamnation par la Cour d'appel de Grenoble puis au rejet de son pourvoi par la Cour de cassation. De même, comme le requérant le relève lui-même dans ses écritures, la vente forcée de sa maison principale d'habitation, pour laquelle il invoque un préjudice de 50 000 euros, résulte directement et exclusivement de sa condamnation, par les juridictions judiciaires, à indemniser les époux B..., et ne présente dès lors aucun lien de causalité avec l'arrêté du 13 novembre 2014. Il en est de même des frais de remise en état du studio et les charges diverses engagées pour maintenir le bien en bon état jusqu'à sa revente.
S'agissant des préjudices liés aux frais de procédure et de justice :
4. Les frais de justice exposés devant le juge administratif en conséquence directe d'une faute de l'administration sont susceptibles d'être pris en compte dans le préjudice résultant de la faute imputable à celle-ci. Toutefois, lorsque l'intéressé avait qualité de partie à l'instance, la part de son préjudice correspondant à des frais non compris dans les dépens est réputée intégralement réparée par la décision que prend le juge dans l'instance en cause.
5. Il résulte de l'instruction que, par le jugement susmentionné du 29 décembre 2017, le tribunal administratif de Marseille a mis à la charge de la commune de Piégut une somme de 1 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative. Dans ces conditions, le préjudice invoqué par M. C... et lié aux frais de justice doit être regardé comme intégralement réparé par ce jugement. Si, par ailleurs, M. C... produit, afin d'établir le préjudice qu'il invoque lié aux frais de procédure, trois factures de Me Vidal, huissier de justice, pour des procès-verbaux de constat en les présentant comme correspondant à des constats d'affichage de permis, une telle mention ne figure pas en objet de ces factures et ces frais ne peuvent, dès lors, être regardés comme présentant avec le retrait illégal litigieux un lien de causalité direct et certain.
S'agissant du préjudice lié aux frais d'architecte :
6. Il ne résulte pas de l'instruction que les frais d'architecte, s'élevant à la somme de 360 euros, auraient été exposés par M. C... en pure perte, dès lors que l'annulation du retrait illégal a eu pour effet de remettre en vigueur le permis de construire que l'intéressé avait obtenu le 29 avril 2014, alors en outre que le maire de Piégut a délivré à M. C... un nouveau permis de construire portant sur le même projet par un arrêté du 6 mars 2017.
S'agissant du préjudice lié au temps perdu :
7. Si M. C... produit, pour établir le préjudice dont il se prévaut lié au temps perdu, un document intitulé " timesheet ", cette énumération d'actions prétendument réalisées par l'intéressé durant quatre années et demi, dont certaines sont antérieures au retrait illégal et d'autres sont, au demeurant, fantaisistes, ne présente aucun caractère probant, ni, a fortiori, ne permet d'établir que ce " temps perdu " aurait été causé directement par la décision illégale en litige ou par d'autres fautes qu'aurait commises l'administration.
S'agissant du préjudice moral :
8. Pour justifier de son préjudice moral, M. C... soutient que celui-ci est lié à la perte de son habitation principale, à la crainte d'être exposé à une mesure de saisie et d'expulsion, de laquelle aurait résulté un traumatisme lié à l'hypothèque conservatoire inscrite par les époux B..., à un sentiment d'injustice et d'impuissance face au retrait du permis de construire, à une hargne procédurale " destinée à le détruire ", à un impact psychologique considérable et à des tracasseries administratives.
9. D'une part, ainsi qu'il a été dit au point 3, les préjudices résultant de la perte de son habitation principale, de la crainte d'être exposé à une mesure de saisie et d'expulsion ainsi que du traumatisme lié à l'hypothèque conservatoire découlent directement et exclusivement de la procédure devant les juridictions judiciaires, et ne peuvent donc présenter un lien de causalité avec le retrait illégal dont il est demandé réparation.
10. D'autre part, si M. C... invoque une hargne procédurale, il ne résulte pas de l'instruction que le maire de Piégut aurait commis un détournement de pouvoir en retirant illégalement le permis de construire qui avait été préalablement accordé à l'intéressé, le jugement susmentionné du 29 décembre 2017 du tribunal administratif de Marseille n'ayant, au demeurant, pas retenu ce motif au nombre de ceux justifiant l'annulation de ce retrait.
11. Enfin, M. C... doit cependant être regardé comme ayant subi, du fait du retrait illégal de son permis de construire, un préjudice moral résultant de trois années de procédure contentieuse, entre le retrait de son autorisation le 13 novembre 2014 et l'annulation de cette décision, prononcée par le jugement susvisé du 29 décembre 2017. Il en sera fait une juste appréciation en condamnant la commune de Piégut à lui verser une indemnité de 1 000 euros à ce titre, tous intérêts confondus.
12. Il résulte de ce qui précède que M. C... est fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Marseille a rejeté en totalité sa demande d'indemnisation. Toutefois, il est seulement fondé à demander la condamnation de la commune de Piégut à lui verser une somme de 1 000 euros en réparation du préjudice moral subi.
Sur les frais liés au litige :
13. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que soit mise à la charge de M. C..., qui n'est pas, dans la présente instance, la partie perdante, la somme demandée par la commune de Piégut au titre des frais exposés par elle et non compris dans les dépens. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de la commune de Piégut une somme de 1 000 euros au titre des frais exposés par M. C... et non compris dans les dépens.
D É C I D E :
Article 1er : La commune de Piégut est condamnée à verser à M. C... une somme de 1 000 euros tous intérêts confondus.
Article 2 : Le jugement n° 1810425 du 21 mars 2022 du tribunal administratif de Marseille est réformé en ce qu'il a de contraire à l'article 1er.
Article 3 : La commune de Piégut versera à M. C... une somme de 1 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 4 : Le surplus des conclusions de la requête de M. C... est rejeté.
Article 5 : Les conclusions présentées par la commune de Piégut en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.
Article 6 : Le présent arrêt sera notifié à M. A... C... et à la commune de Piégut.
Délibéré après l'audience du 18 janvier 2024, où siégeaient :
- M. Portail, président,
- M. d'Izarn de Villefort, président assesseur,
- M. Claudé-Mougel, premier conseiller.
Rendu public par mise à disposition au greffe le 1er février 2024
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N° 22MA01474