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26/01/2024 | FRANCE | N°23MA00093

France | France, Cour administrative d'appel, 5ème chambre, 26 janvier 2024, 23MA00093


Vu la procédure suivante :



Procédure contentieuse antérieure :



La SAS ERT Technologies a demandé au tribunal administratif de Marseille d'annuler la décision du 9 avril 2019 par laquelle le directeur régional des entreprises, de la concurrence, de la consommation, du travail et de l'emploi lui a infligé une amende administrative d'un montant total de 35 200 euros sur le fondement des dispositions de l'article L. 8115-5 du code du travail.



Par un jugement n° 1904814 du 9 novembre 2022, le tribunal administratif de Marseil

le a rejeté sa demande.



Procédure devant la Cour :



Par une requête, enr...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

La SAS ERT Technologies a demandé au tribunal administratif de Marseille d'annuler la décision du 9 avril 2019 par laquelle le directeur régional des entreprises, de la concurrence, de la consommation, du travail et de l'emploi lui a infligé une amende administrative d'un montant total de 35 200 euros sur le fondement des dispositions de l'article L. 8115-5 du code du travail.

Par un jugement n° 1904814 du 9 novembre 2022, le tribunal administratif de Marseille a rejeté sa demande.

Procédure devant la Cour :

Par une requête, enregistrée le 13 janvier 2023, la société ERT Technologies, représentée par Me Chapelle, demande à la Cour :

1°) d'annuler ce jugement du 9 novembre 2022 ;

2°) d'annuler la décision du 9 avril 2019 ;

3°) de mettre à la charge de l'Etat une somme de 2 000 euros en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que :

- une seule amende pouvait être prononcée à raison du manquement aux dispositions visées au 5° de l'article L. 8115-1 du code du travail dans leur ensemble ; le cumul effectué à raison de trois manquements qui relèvent tous de ces dispositions est illégal ;

- le nombre de salariés concernés par chaque manquement n'est pas caractérisé, ni leur identité précisée ; les chiffres retenus sont seulement ceux de l'effectif théorique maximal et non ceux constatés par l'inspecteur du travail sur place ;

- au sein du site contrôlé, aucun des postes de travail ne nécessite des équipements de travail ou de sécurité ; il n'y a dès lors pas d'obligation de mettre à disposition un vestiaire et aucun manquement aux dispositions des articles R. 4228-1 et R. 4228-2 du code du travail ne peut être retenu ;

- les installations sanitaires sont supérieures en nombre au minimum requis, un cabinet d'aisance pouvant être substitué à un urinoir, de sorte qu'aucun manquement aux dispositions de l'article R. 4228-10 du code du travail n'est davantage constitué ;

- elle n'est pas responsable des odeurs constatées qui résultent de problèmes de canalisation bouchées pour lesquels elle a fait intervenir des professionnels à plusieurs reprises ; aucun défaut d'aménagement n'est caractérisé, ni par conséquent aucun manquement aux dispositions de l'article R. 4228-11 du code du travail.

La procédure a été communiquée au ministre du travail, du plein emploi et de l'insertion qui n'a pas produit d'observations.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- le code du travail ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de Mme Poullain,

- et les conclusions de M. Guillaumont, rapporteur public.

Considérant ce qui suit :

1. La SAS ERT Technologies, spécialisée dans le secteur de la construction de réseaux électriques et de télécommunication, dispose notamment d'un établissement situé à Vitrolles ayant fait l'objet d'un contrôle de l'inspectrice du travail le 29 août 2018. Elle relève appel du jugement par lequel le tribunal administratif de Marseille a rejeté ses conclusions tendant à l'annulation de la décision du directeur régional des entreprises, de la concurrence, de la consommation, du travail et de l'emploi du 9 avril 2019 lui ayant infligé, à la suite de ce contrôle, une amende administrative d'un montant total de 35 200 euros sur le fondement des dispositions de l'article L. 8115-1 du code du travail.

2. D'une part, aux termes de cet article : " L'autorité administrative compétente peut, sur rapport de l'agent de contrôle de l'inspection du travail mentionné à l'article L. 8112-1, et sous réserve de l'absence de poursuites pénales, soit adresser à l'employeur un avertissement, soit prononcer à l'encontre de l'employeur une amende en cas de manquement : / (...) / 5° Aux dispositions prises pour l'application des obligations de l'employeur relatives aux installations sanitaires, à la restauration et à l'hébergement prévues au chapitre VIII du titre II du livre II de la quatrième partie, ainsi qu'aux mesures relatives aux prescriptions techniques de protection durant l'exécution des travaux de bâtiment et génie civil prévues au chapitre IV du titre III du livre V de la même partie pour ce qui concerne l'hygiène et l'hébergement ". Aux termes de l'article L. 8115-3 du même code, dans sa version applicable : " Le montant maximal de l'amende est de 2 000 euros et peut être appliqué autant de fois qu'il y a de travailleurs concernés par le manquement. / (...) ".

3. D'autre part, aux termes de l'article R. 4228-1 du code du travail : " L'employeur met à la disposition des travailleurs les moyens d'assurer leur propreté individuelle, notamment des vestiaires, des lavabos, des cabinets d'aisance et, le cas échéant, des douches ". L'article R. 4228-2 du même code précise : " Les vestiaires collectifs et les lavabos sont installés dans un local spécial de surface convenable, isolé des locaux de travail et de stockage et placé à proximité du passage des travailleurs. / (...) / Pour les travailleurs qui ne sont pas obligés de porter des vêtements de travail spécifiques ou des équipements de protection individuelle, l'employeur peut mettre à leur disposition, en lieu et place de vestiaires collectifs, un meuble de rangement sécurisé, dédié à leurs effets personnels, placé à proximité de leur poste de travail ". Aux termes de l'article R. 4228-10 du même code : " Il existe au moins un cabinet d'aisance et un urinoir pour vingt hommes et deux cabinets pour vingt femmes. L'effectif pris en compte est le nombre maximal de travailleurs présents simultanément dans l'établissement. (...) ". L'article R. 4228-11 ajoute : " Les cabinets d'aisance ne peuvent communiquer directement avec les locaux fermés dans lesquels les travailleurs sont appelés à séjourner. / Ils sont aménagés de manière à ne dégager aucune odeur. / (...) ".

4. En premier lieu, les dispositions des articles L. 8115-1 et L. 8115-3 du code du travail permettent à l'autorité administrative de sanctionner, de manière distincte, d'un avertissement ou d'une amende d'un montant maximal de 2 000 euros par travailleur concerné chaque manquement constaté aux dispositions mentionnées aux 1° à 5° de l'article L. 8115-1. Le pouvoir de sanction de l'administration n'est ainsi pas limité au prononcé d'une seule amende par catégorie de manquements. Dès lors, le directeur régional pouvait légalement sanctionner d'une amende chacun des trois manquements distincts constatés aux dispositions des articles R. 4228-1, R. 4228-10 et R. 4228-11 du code du travail, ayant respectivement trait à l'absence de vestiaire, à l'insuffisance de sanitaires et aux odeurs s'en dégageant. La circonstance que les obligations issues de ces trois articles soient toutes visées au 5° de l'article L. 8115-1 du code du travail est à cet égard sans incidence.

5. En deuxième lieu, dès lors que les manquements litigieux concernent les équipements mis à disposition de l'ensemble des salariés, c'est à bon droit que le directeur régional a considéré, pour déterminer le montant total de la sanction, que ceux-ci concernaient, indépendamment du personnel qui était effectivement présent le jour de la visite de l'inspectrice du travail, d'une part, le nombre de collaborateurs en principe appelés à utiliser un vestiaire et, d'autre part, le nombre de collaborateurs masculins pouvant être présents simultanément sur le site et utilisant les sanitaires insuffisants et défaillants. Il s'est à cet égard référé à la réponse fournie sur ce point par la SAS ERT Technologies, par courrier du 21 février 2018, évoquant la présence simultanée dans l'entreprise de 36 hommes, dont 16 conducteurs de travaux. Si la société requérante soutient que l'administration a omis de vérifier que ces chiffres étaient d'actualité lorsque la décision contestée a été prise, elle n'a pour sa part pas évoqué une actualisation au cours de la procédure contradictoire, ni d'ailleurs au cours de la procédure juridictionnelle.

6. En troisième lieu, seize salariés sont, en tant que conducteurs de travaux, amenés à travailler de façon aléatoire sur des chantiers au cours de la journée, en partant de leur bureau à Vitrolles, et doivent, dans ce cadre, ainsi que cela résulte d'une note de service de l'entreprise, revêtir des vêtements de travail spécifiques et utiliser un équipement de protection individuel. Dès lors qu'il ne résulte pas de l'instruction, et il n'est d'ailleurs pas allégué, que ces salariés trouveraient un vestiaire pour se changer directement sur les lieux de leurs chantiers, qui sont des domiciles d'usagers ou des locaux d'entreprises, la SAS ERT Technologies doit, en application des dispositions citées ci-dessus, mettre à leur disposition un vestiaire sur le site de Vitrolles, quand bien même ils n'auraient pas à y porter de tenue spécifique. Le directeur régional n'a dès lors pas commis d'erreur de droit en retenant à cet égard un manquement aux dispositions des articles R. 4228-1 et R. 4228-2 du code du travail.

7. En quatrième lieu, si la société requérante ne conteste pas que l'unique urinoir présent dans ses locaux était hors-service, depuis plusieurs mois lorsque l'inspectrice du travail a effectué son contrôle, le directeur régional a néanmoins, ainsi qu'elle le fait valoir, entaché sa décision d'une erreur de droit en estimant que cet équipement ne pouvait être substitué par un cabinet d'aisance présent en surnombre et permettant le même usage.

8. Pour établir que la décision contestée était toutefois légale à cet égard, l'administration a invoqué, dans son mémoire en défense produit en première instance, un autre motif tiré ce que l'odeur nauséabonde dégagée par l'un des cabinets d'aisance empêchait qu'il soit pris en compte dans le décompte du nombre d'équipements existant pour apprécier le respect des obligations issues des dispositions de l'article R. 4228-10 du code du travail. Mais, dès lors que l'exigence d'absence d'odeur émanant des cabinets d'aisance ne résulte pas des dispositions de l'article R. 4228-10 mais de celles de l'article R. 4228-11 du code du travail, elle ne saurait être prise en compte pour dénombrer les équipements existant sur le site et apprécier le strict respect des dispositions de l'article R. 4228-10. Il n'y a ainsi pas lieu de procéder à la substitution de motifs sollicitée.

9. Dès lors, la décision est illégale en ce qu'elle sanctionne d'une amende de 14 400 euros un manquement aux dispositions de l'article R. 4228-10 du code du travail.

10. En cinquième et dernier lieu, il est constant que l'inspectrice du travail a constaté par deux fois, les 7 décembre 2017 et 29 août 2018, qu'un des cabinets d'aisance masculins dégageait, de façon permanente, une odeur nauséabonde, ce que ne conteste pas l'entreprise requérante. Si elle justifie avoir fait intervenir à plusieurs reprises des professionnels pour déboucher et nettoyer les canalisations, entre les mois de juin 2017 et septembre 2018, la persistance de l'odeur témoigne d'un défaut d'aménagement constitutif d'un manquement aux dispositions citées ci-dessus de l'article R. 4228-11 du code du travail.

11. Il résulte de tout ce qui précède que la société ERT Technologies est seulement fondée à soutenir que c'est à tort que le tribunal administratif n'a pas, par le jugement attaqué, écarté le manquement aux dispositions de l'article R. 4228-10 du code du travail, sanctionné à hauteur de 14 400 euros, et ramené en conséquence le montant total de l'amende à 20 800 euros.

12. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de faire application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et de mettre à la charge de l'Etat une somme de 2 000 euros à verser à la société ERT Technologies au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

D É C I D E :

Article 1er : Le montant total de l'amende infligée à la SAS ERT Technologies par la décision du directeur régional des entreprises, de la concurrence, de la consommation du travail et de l'emploi du 9 avril 2019 est ramené à 20 800 euros.

Article 2 : Le jugement du tribunal administratif de Marseille du 9 novembre 2022 est réformé en ce qu'il a de contraire au présent arrêt.

Article 3 : L'Etat versera une somme de 2 000 euros à la SAS ERT Technologies au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Article 4 : Le surplus des conclusions de la requête est rejeté.

Article 5 : Le présent arrêt sera notifié à la SAS ERT Technologies et à la ministre du travail, de la santé et des solidarités.

Copie en sera adressée au directeur régional de l'économie, de l'emploi, du travail et des solidarités de Provence-Alpes-Côte d'Azur.

Délibéré après l'audience du 12 janvier 2024, à laquelle siégeaient :

- Mme Chenal-Peter, présidente de chambre,

- Mme Vincent, présidente assesseure,

- Mme Poullain, première conseillère.

Rendu public par mise à disposition au greffe, le 26 janvier 2024.

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N° 23MA00093

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Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de MARSEILLE
Formation : 5ème chambre
Numéro d'arrêt : 23MA00093
Date de la décision : 26/01/2024
Type de recours : Plein contentieux

Analyses

Répression - Domaine de la répression administrative - Régime de la sanction administrative.

Travail et emploi - Conditions de travail.


Composition du Tribunal
Président : Mme CHENAL-PETER
Rapporteur ?: Mme Caroline POULLAIN
Rapporteur public ?: M. GUILLAUMONT
Avocat(s) : ALINE CHAPELLE

Origine de la décision
Date de l'import : 04/02/2024
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel;arret;2024-01-26;23ma00093 ?
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