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26/01/2024 | FRANCE | N°22MA00574

France | France, Cour administrative d'appel, 2ème chambre, 26 janvier 2024, 22MA00574


Vu la procédure suivante :



Procédures contentieuses antérieures :

1°) M. F... E... a demandé au tribunal administratif de Bastia de condamner l'État à lui payer la somme de 1 500 000 euros en réparation du préjudice subi résultant de l'illégalité fautive de l'arrêté du 25 août 2009 par lequel le préfet de la Haute-Corse a refusé de lui accorder une autorisation d'exploiter les parcelles cadastrées section F n°s 510 et 516 situées sur le territoire de la commune de Linguizzetta.



Par un jugement n° 1901088 du 21 décem

bre 2021, le tribunal administratif de Bastia a rejeté la demande de M. E....



2°) M. F......

Vu la procédure suivante :

Procédures contentieuses antérieures :

1°) M. F... E... a demandé au tribunal administratif de Bastia de condamner l'État à lui payer la somme de 1 500 000 euros en réparation du préjudice subi résultant de l'illégalité fautive de l'arrêté du 25 août 2009 par lequel le préfet de la Haute-Corse a refusé de lui accorder une autorisation d'exploiter les parcelles cadastrées section F n°s 510 et 516 situées sur le territoire de la commune de Linguizzetta.

Par un jugement n° 1901088 du 21 décembre 2021, le tribunal administratif de Bastia a rejeté la demande de M. E....

2°) M. F... E... et Mme C... B... ont demandé au tribunal administratif de Bastia de condamner l'État à leur payer la somme de 2 000 000 euros en réparation des préjudices subis résultant de l'illégalité fautive de la décision du 10 décembre 2008 délivrant à un autre agriculteur l'autorisation d'exploiter les parcelles cadastrées section F n°s 510 et 516 sur le territoire de la commune de Linguizzetta et de l'arrêté du 25 août 2009 par lequel le préfet de la Haute-Corse a refusé de leur accorder une autorisation d'exploiter les mêmes parcelles.

Par une ordonnance n° 2101521 du 23 février 2022, le président du tribunal administratif de Bastia a rejeté leur demande.

Procédures devant la cour :

I. Par une requête, enregistrée le 15 février 2022 sous le n° 22MA00574, M. F... E..., représenté par Me Treves, demande à la cour :

1°) d'annuler le jugement du 21 décembre 2021 du tribunal administratif de Bastia ;

2°) de condamner l'État à lui payer la somme de 1 716 001 euros avec intérêts capitalisés au taux légal à compter de la décision à intervenir ;

3°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 8 000 euros en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Il soutient que :

- compte tenu de la fraude entachant l'action des services de l'État, la prescription quadriennale ne lui est pas opposable ;

- la responsabilité de l'État est engagée du fait de l'illégalité fautive de l'arrêté du 25 août 2009, en raison de l'illégalité des motifs de cette décision, de la persistance de son bail emphytéotique jusqu'en 2010 et du caractère prioritaire de sa demande ;

- elle est également engagée en raison de l'illégalité fautive de la décision du 10 décembre 2008 attribuant l'autorisation d'exploiter à un autre agriculteur, cette décision ne lui ayant pas été notifiée et en l'absence d'information, par le pétitionnaire, du dépôt de sa demande d'autorisation d'exploiter ;

- l'État a commis une faute en s'abstenant de lui notifier l'autorisation d'exploiter les parcelles cadastrées section F n°s 510 et 516 qui a été délivrée le 10 décembre 2008 à un agriculteur considéré comme prioritaire au regard du schéma départemental des structures agricoles ;

- l'absence de renouvellement du bail le liant à la commune de Linguizzetta révèle l'existence d'une faute de l'État de nature à engager sa responsabilité ;

- il a droit à l'indemnisation de ses pertes de revenus liées au non renouvellement de son bail emphytéotique et résultant du refus d'autorisation d'exploiter des terres qui lui a été opposé le 25 août 2009 ainsi que des pertes de revenus concernant les années à venir ;

- il a droit à l'indemnisation de son préjudice moral.

Par un mémoire, enregistré le 23 octobre 2023, le ministre de l'agriculture et de la souveraineté alimentaire conclut au rejet de la requête.

Il fait valoir que :

- la prescription quadriennale fait obstacle au versement de l'indemnité résultant de l'illégalité de l'arrêté du 25 août 2009 ;

- la décision du 25 août 2009 n'est entachée d'aucune illégalité ;

- l'État n'a commis aucune faute susceptible d'engager sa responsabilité ;

- le requérant ne démontre ni le caractère certain du préjudice allégué ni de lien de causalité.

Par une ordonnance du 26 octobre 2023, la clôture de l'instruction a été fixée au 30 novembre 2023.

II. Par une requête, enregistrée le 17 mars 2022 sous le n° 22MA00872, M. F... E..., représenté par Me Treves, demande à la cour :

1°) d'annuler l'ordonnance du 23 février 2022 du président du tribunal administratif de Bastia ;

2°) de condamner l'État à lui payer la somme de 1 716 001 euros avec intérêts capitalisés au taux légal à compter de la décision à intervenir ;

3°) de mettre à la charge de l'État la somme de 8 000 euros en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Il fait valoir les mêmes moyens qu'à l'appui de la requête n° 22MA00574.

Par un mémoire, enregistré le 23 octobre 2023, le ministre de l'agriculture et de la souveraineté alimentaire conclut au rejet de la requête.

Il fait valoir, outre les mêmes motifs que ceux exposés sous la requête n° 22MA00574, que la requête est irrecevable en application de l'article R. 412-1 du code de justice administrative, n'étant pas accompagnée d'une copie de l'ordonnance attaquée.

Par une ordonnance du 26 octobre 2023, la clôture de l'instruction a été fixée au 30 novembre 2023.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- le code rural et de la pêche maritime ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de Mme Rigaud ;

- et les conclusions de M. Gautron, rapporteur public.

Considérant ce qui suit :

1. M. E... demande l'indemnisation des préjudices qu'il estime avoir subis du fait de l'illégalité des décisions du 10 décembre 2008 et du 25 août 2009 par lesquelles le préfet de la Haute-Corse a successivement délivré à M. D... l'autorisation d'exploiter les parcelles cadastrées section F n°s 510 et 516 sur le territoire de la commune de Linguizzetta et rejeté sa propre demande. Par un jugement du 21 décembre 2021 et une ordonnance du 23 février 2022, le tribunal administratif de Bastia a rejeté les deux requêtes formées par M. E... tendant à la condamnation de l'État à lui verser respectivement la somme de 1 500 000 euros ou de 2 000 000 euros en réparation de ces préjudices. M. E... relève appel de ce jugement et de cette ordonnance.

2. Ces requêtes présentent à juger les mêmes questions et ont fait l'objet d'une instruction commune. Il y a lieu de les joindre pour statuer par le même arrêt.

3. Aux termes de l'article L. 331-3 du code rural et de la pêche maritime, dans sa rédaction applicable au litige : " L'autorité administrative se prononce sur la demande d'autorisation en se conformant aux orientations définies par le schéma directeur départemental des structures agricoles applicable dans le département dans lequel se situe le fonds faisant l'objet de la demande. Elle doit notamment : 1° Observer l'ordre des priorités établi par le schéma départemental entre l'installation des jeunes agriculteurs et l'agrandissement des exploitations agricoles, en tenant compte de l'intérêt économique et social du maintien de l'autonomie de l'exploitation faisant l'objet de la demande ; (...) / L'autorisation peut n'être délivrée que pour une partie de la demande, notamment si certaines des parcelles sur lesquelles elle porte font l'objet d'autres candidatures prioritaires. Elle peut également être conditionnelle ou temporaire ". Aux termes de l'article R. 331-4 du même code : " (...) Si la demande porte sur des biens n'appartenant pas au demandeur, celui-ci doit justifier avoir informé par écrit de sa candidature le propriétaire. (...) Le service chargé de l'instruction fait procéder à la publicité de la demande d'autorisation d'exploiter dans les conditions prévues à l'article D. 331-4-1. Cette publicité porte sur la localisation des biens et leur superficie, ainsi que sur l'identité des propriétaires ou de leurs mandataires et du demandeur ". L'article D. 331-4-1 précise que : " Les demandes d'autorisation d'exploiter sont affichées pendant un mois à la mairie des communes où sont situés les biens qui font l'objet de la demande et publiées sur le site de la préfecture chargée de l'instruction. / A l'expiration du délai de publicité, il est dressé la liste de toutes les candidatures enregistrées pour un même bien ". Enfin, aux termes du III de l'article R. 331-6 du même code : " Le préfet de région notifie sa décision aux demandeurs, aux propriétaires et aux preneurs en place par lettre recommandée avec accusé de réception ou remise contre récépissé ".

4. Il résulte de l'instruction que, par une décision du 10 décembre 2008, le préfet de la Haute-Corse a fait droit à la demande d'autorisation d'exploiter les parcelles cadastrées section F n°s 510 et 516 présentée M. D..., qui, jusque-là, les exploitait en surfaces fourragères dans le cadre de son activité d'éleveur, en vertu d'une sous-location que M. E... lui avait consentie, de février 2005 à février 2008. Le préfet de la Haute-Corse a, en conséquence, rejeté la demande d'autorisation d'exploiter ces mêmes parcelles, présentée par M. E... le 26 mars 2009, en retenant que M. D... était prioritaire sur lui au regard des orientations du schéma départemental des structures agricoles.

5. En premier lieu, il résulte de l'instruction que le bail emphytéotique portant sur les parcelles en cause, conclu pour une durée de vingt ans entre M. E... et la commune de Linguizzetta avait pris fin le 23 février 2008. Si le maire de la commune a indiqué au requérant, par courrier du 4 février 2008, qu'une étude était confiée à la SAFER afin de dresser un état des lieux de l'existant et qu'une solution transitoire devait lui être proposée, ni les termes de ce courrier ni aucune autre pièce du dossier n'établissent que la durée du bail emphytéotique aurait été prorogée jusqu'au 15 mars 2010 comme le prétend le requérant. Il ne saurait donc, en tout état de cause, soutenir qu'il aurait dû être informé de la demande formée par M. D... ou que la décision prise par le préfet sur cette demande aurait dû lui être notifiée. Il ne conteste pas, au demeurant, que cette demande a bien fait l'objet de la publicité prévue par l'article D. 331-4-1 du code rural et de la pêche maritime.

6. En deuxième lieu, les circonstances dans lesquelles ce bail emphytéotique n'a pas été reconduit par la commune sont, en tout état de cause, sans incidence sur la légalité des décisions litigieuses, en raison de l'indépendance entre la législation du contrôle des structures des exploitations agricoles et celle sur les baux ruraux, et elles ne sauraient, au surplus, engager la responsabilité de l'Etat.

7. Enfin, si M. E... soutient qu'il était âgé de 52 ans à la date des décisions litigieuses, qu'il était père de famille résidant sur le siège de l'exploitation situé sur les terres en cause, qu'il avait conclu, dans le cadre du protocole dit " A... ", un plan de redressement de ses dettes bancaires et que son exploitation agricole était économiquement viable, ces éléments ne sont pas de nature à établir qu'il devait être regardé, eu égard aux orientations définies par le schéma directeur départemental des structures agricoles, comme prioritaire sur M. D... qui, ainsi qu'il a été dit au point 4, exploitait ces parcelles, ce qui n'est infirmé par aucune des pièces versées au dossier et notamment pas par le rapport dressé le 18 février 2010. Par suite, le requérant n'établit pas que le préfet de la Haute-Corse a commis une faute en délivrant l'autorisation d'exploiter à M. D... et en rejetant sa propre demande.

8. Il résulte de tout ce qui précède, sans qu'il soit besoin d'examiner l'exception de prescription quadriennale opposée par le ministre de l'agriculture et de la souveraineté alimentaire, que le requérant n'est pas fondé à soutenir que c'est à tort que le tribunal administratif de Bastia a, par le jugement et l'ordonnance attaqués, rejeté ses conclusions indemnitaires.

Sur la suppression de passages injurieux, outrageants ou diffamatoires :

9. En vertu des dispositions de l'article 41 de la loi du 29 juillet 1881 reproduites à l'article L. 741-2 du code de justice administrative, les cours administratives d'appel peuvent, dans les causes dont elles sont saisies, prononcer, même d'office, la suppression des écrits injurieux, outrageants ou diffamatoires.

10. Les passages des écritures du requérant débutant par les mots " M. E... reproche " et se terminant par " totale spoliation " figurant respectivement en page 7 des deux requêtes introductives d'instance, ceux débutant par les mots " Plus grave " et se terminant par " au requérant " figurant respectivement en page 9 de la requête n° 22MA00574 et en page 10 de la requête n° 22MA00872, et les mots " de la rouerie " figurant respectivement en page 14 et 15 de ces deux requêtes, excèdent le droit à la libre discussion et présentent un caractère outrageant et diffamatoire. Dès lors, il y a lieu d'en prononcer la suppression en application de l'article L. 741-2 du code de justice administrative.

Sur les frais liés au litige :

11. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que soit mise à la charge de l'État, qui n'est pas partie perdante dans la présente instance, les sommes que demande M. E... au titre des frais exposés par lui et non compris dans les dépens.

D É C I D E :

Article 1er : Les requêtes de M. E... sont rejetées.

Article 2 : Les passages mentionnés au point 10 du présent arrêt sont supprimés.

Article 3 : Le présent arrêt sera notifié à M. F... E... et au ministre de l'agriculture et de la souveraineté alimentaire.

Copie en sera transmise au préfet de la Haute-Corse.

Délibéré après l'audience du 11 janvier 2024, à laquelle siégeaient :

- Mme Laurence Helmlinger, présidente,

- Mme Lison Rigaud, présidente assesseure,

- M. Nicolas Danveau, premier conseiller.

Rendu public par mise à disposition au greffe, le 26 janvier 2024.

N° 22MA00574, 22MA00872 2


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de MARSEILLE
Formation : 2ème chambre
Numéro d'arrêt : 22MA00574
Date de la décision : 26/01/2024
Type de recours : Plein contentieux

Analyses

Agriculture et forêts - Exploitations agricoles - Cumuls et contrôle des structures - Cumuls d'exploitations - Motifs de la décision.

Responsabilité de la puissance publique - Faits susceptibles ou non d'ouvrir une action en responsabilité - Responsabilité et illégalité - Absence d'illégalité et de responsabilité.


Composition du Tribunal
Président : Mme HELMLINGER
Rapporteur ?: Mme Lison RIGAUD
Rapporteur public ?: M. GAUTRON
Avocat(s) : TREVES;TREVES;TREVES

Origine de la décision
Date de l'import : 04/02/2024
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel;arret;2024-01-26;22ma00574 ?
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