Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
M. A... B... a demandé au tribunal administratif de Bastia de condamner l'Etat à lui verser la somme de 2 910 829 euros en réparation du préjudice qu'il a subi à la suite de la faute commise par le préfet de la Corse-du-Sud en menaçant la sécurité juridique de son projet immobilier.
Par un jugement n° 2000649 du 15 juillet 2022, le tribunal administratif de Bastia a rejeté la demande de M. B....
Procédure devant la Cour :
Par une requête et des mémoires, enregistrés les 24 et 25 août 2022 et le 21 septembre 2023, M. B..., représenté par Me Msellati, demande à la Cour :
1°) d'annuler le jugement n° 2000649 du 15 juillet 2022 du tribunal administratif de Bastia ;
2°) de condamner l'Etat à lui verser la somme de 2 910 829 euros en réparation du préjudice qu'il a subi ;
3°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 5 000 euros en application de l'article
L. 761-1 du code de justice administrative.
Il soutient que :
- le jugement attaqué est entaché d'une insuffisance de motivation le privant de base légale ;
- le préfet a délibérément ignoré l'article L. 425-14 du code de l'urbanisme pour l'empêcher de mener à bien son projet immobilier, portant ainsi atteinte aux principes de sécurité juridique et de non-rétroactivité des lois ; les procédures d'évaluation au titre du code de l'environnement applicables à la date de délivrance du permis de construire sont sans commune mesure avec les exigences exponentielles du préfet à partir de 2019 ;
- bien qu'informé de l'avis de la direction régionale de l'environnement, de l'aménagement et du logement de Corse depuis le 19 décembre 2012, le préfet a commis une faute lourde en n'exerçant pas de contrôle de légalité sur le permis de construire accordé le
7 mai 2013 par le maire de la commune de Lecci, alors qu'à la date de cet arrêté, s'appliquaient les dispositions de l'ancien article R. 111-15 du code de l'urbanisme, sans que puisse être opposé un principe d'indépendance des législations, qui imposaient au préfet de prendre en compte les considérations environnementales dans l'exercice de son contrôle ;
- dans ce contexte, l'article L. 171-7 du code de l'environnement ne pouvait trouver à s'appliquer ; en lui imposant de suspendre ses travaux sous couvert de cet article, le préfet a commis une faute de nature à engager la responsabilité de l'Etat ;
- le délai de trois ans à compter de la déclaration d'ouverture de chantier, pris par l'Etat pour intervenir au titre de la loi sur l'eau, est manifestement excessif au regard du principe de sécurité juridique ;
- il est dès lors fondé à demander la condamnation de l'Etat à lui verser la somme totale de 2 910 829 euros en réparation de l'ensemble des préjudices subis.
Par un mémoire en défense, enregistré le 8 septembre 2023, le ministre de la transition écologique et de la cohésion des territoires conclut au rejet de la requête.
Il fait valoir que les moyens soulevés par le requérant ne sont pas fondés.
Un courrier du 22 septembre 2023 adressé aux parties en application des dispositions de l'article R. 611-11-1 du code de justice administrative, les a informées de la période à laquelle il était envisagé d'appeler l'affaire à l'audience et leur a indiqué la date à partir de laquelle l'instruction pourrait être close, dans les conditions prévues par le dernier alinéa de l'article R. 613-1 et le dernier alinéa de l'article R. 613-2 du même code.
Par une ordonnance du 19 octobre 2023, la clôture de l'instruction a été prononcée avec effet immédiat, en application du dernier alinéa de l'article R. 613-1 du code de justice administrative.
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu :
- le code de l'environnement ;
- le code de l'urbanisme ;
- le code de justice administrative ;
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de M. Martin,
- les conclusions de Mme Balaresque, rapporteure publique ;
- et les observations de Me Dolciani, substituant Me Msellati, représentant
M. B....
Considérant ce qui suit :
1. Par arrêté du 7 mai 2013, le maire de la commune de Lecci a accordé à M. B... un permis de construire valant division parcellaire en vue de la création de 86 logements en
trois tranches de bâtiments, sur un terrain situé lieu-dit Alzetto cadastré section C n° 535 sur le territoire de cette commune. A la suite d'un contrôle effectué le 25 février 2019 par un agent assermenté de la direction départementale des territoires et de la mer de la Corse-du-Sud, les services de l'Etat ont demandé à M. B..., par courrier du 5 mars 2019, de cesser tout aménagement sur la parcelle, puis, par courrier du 14 mai 2019, de déposer un dossier de déclaration ou d'autorisation en application de l'article R. 214-1 du code de l'environnement.
M. B... ayant finalement informé le préfet de Corse-du-Sud, par courrier du 15 novembre 2019, de ce qu'il entendait retirer le dossier déposé à cette fin le 31 juillet 2019, il a été mis en demeure, par arrêté du 5 août 2020, de déposer un dossier complet de déclaration ou d'autorisation ou de supprimer les aménagements réalisés sur sa parcelle. Avant même cette mise en demeure, il a présenté le 14 avril 2020 une demande préalable indemnitaire au préfet en réparation du préjudice qu'il estime avoir subi à raison des fautes commises par ses services, de nature à entraver la réalisation de son projet immobilier. Cette demande ayant été expressément rejetée par courrier du 25 mai 2020, M. B... a saisi le tribunal administratif de Bastia d'une demande de condamnation de l'Etat à lui verser la somme de 2 910 829 euros. Par jugement du 15 juillet 2022, le tribunal administratif de Bastia a rejeté la demande de M. B..., jugement dont l'intéressé relève appel.
Sur la régularité du jugement attaqué :
2. Il résulte des motifs mêmes du jugement attaqué que le tribunal administratif de Bastia a expressément répondu aux moyens que comportaient les mémoires produits par le demandeur. En particulier le tribunal administratif, qui n'était pas tenu de répondre à tous les arguments avancés par les parties, a écarté aux points 6 et 7 du jugement, par des motifs suffisamment précis en droit et en fait, le moyen tiré de ce que le préfet aurait commis une faute dans l'exercice de son pouvoir au titre du contrôle de légalité. En outre, il a écarté, par des motifs là encore suffisamment précis exposés au point 8, le moyen tiré de ce que le préfet aurait tardé à mettre en œuvre son pouvoir de police sur le fondement du code de l'environnement. Par suite, M. B... n'est pas fondé à soutenir que le jugement serait entaché d'irrégularité sur ce point.
Sur le bien-fondé du jugement attaqué :
3. En premier lieu et d'une part, aux termes de l'article L. 425-14 du code de l'urbanisme : " Sans préjudice du deuxième alinéa de l'article L. 181-30 du code de l'environnement, lorsque le projet est soumis à autorisation environnementale, en application du chapitre unique du titre VIII du livre Ier du même code, ou à déclaration, en application de la section 1 du chapitre IV du titre Ier du livre II dudit code, le permis ou la décision de
non-opposition à déclaration préalable ne peut pas être mis en œuvre :/ 1° Avant la délivrance de l'autorisation environnementale mentionnée à l'article L. 181-1 du même code, sauf décision spéciale prévue à l'article L. 181-30 du même code ; / 2° Avant la décision d'acceptation, pour les installations, ouvrages, travaux et activités soumis à déclaration en application du II de l'article L. 214-3 du même code. ".
4. D'autre part, aux termes du I de l'article L. 171-7 du code de l'environnement : " Indépendamment des poursuites pénales qui peuvent être exercées, lorsque des installations ou ouvrages sont exploités, des objets et dispositifs sont utilisés ou des travaux, opérations, activités ou aménagements sont réalisés sans avoir fait l'objet de l'autorisation, de l'enregistrement, de l'agrément, de l'homologation, de la certification ou de la déclaration requis en application du présent code, ou sans avoir tenu compte d'une opposition à déclaration, l'autorité administrative compétente met l'intéressé en demeure de régulariser sa situation dans un délai qu'elle détermine, et qui ne peut excéder une durée d'un an. (...) ".
5. Il ne résulte d'aucune disposition législative ou règlementaire, et en tout état de cause pas des dispositions citées au point 4, de l'article L. 425-14 du code de l'urbanisme, créées par l'ordonnance n° 2016-354 du 25 mars 2016 relative à l'articulation des procédures d'autorisation d'urbanisme avec diverses procédures relevant du code de l'environnement, que l'autorité environnementale serait privée de la possibilité de mettre en œuvre les pouvoirs de contrôle et de sanction qu'elle tient de l'article L. 171-7 du code de l'environnement, citées au point 5, lesquelles prévoient, notamment, la possibilité pour elle de mettre en demeure le bénéficiaire d'une autorisation d'urbanisme, y compris dans l'hypothèse où elle a été délivrée antérieurement à la publication de l'ordonnance du 25 mars 2016, de régulariser sa situation lorsque, les travaux ayant débuté, il apparait qu'ils n'ont pas fait l'objet de l'autorisation, de l'enregistrement, de l'agrément, de l'homologation, de la certification ou de la déclaration requis en application de ce code.
6. En l'espèce, à la suite d'un contrôle des services de l'Etat du 25 février 2019, le directeur départemental des territoires et de la mer de la Corse-du-Sud a dressé un rapport en manquement administratif constatant la réalisation de travaux sans l'autorisation prévue au titre de la nomenclature des installations, ouvrages, travaux et activités soumis à autorisation ou à déclaration, fixée par l'article R. 214-1 du code de l'environnement, plus précisément à la rubrique 3.3.1.0 selon laquelle les travaux d'assèchement, mise en eau, imperméabilisation, remblais de zones humides ou de marais, la zone asséchée ou mise en eau sont soumis à autorisation lorsque cette zone est supérieure ou égale à 1 ha ou à déclaration lorsque cette zone est supérieure à 0,1 ha, mais inférieure à 1 ha. A la suite du dépôt d'un dossier de déclaration par M. B... le 31 juillet 2019, complété le 18 septembre 2019, les services de l'Etat lui ont adressé, par lettre du 3 octobre 2019, une demande tendant à ce que son projet soit une nouvelle fois complété, demande à laquelle l'intéressé n'a pas satisfait de sorte que, par courrier du
6 février 2020, il a été informé de ce que sa déclaration faisait l'objet d'une opposition tacite en application de l'article R. 214-35 du code de l'environnement. M. B... ne conteste pas le bien-fondé des constatations de l'agent de l'Etat relatives à l'existence de remblais constitués à l'aide de gravats en tout genre et de terre. Il ne conteste pas davantage que ces travaux ont été effectués en zone humide. Il est par ailleurs constant qu'aucune autorisation ou non-opposition préalable n'a été obtenue par l'intéressé au titre de la loi sur l'eau, notamment en ce qu'ils emportent remblais de zones humides. Par conséquent, indépendamment de la complexité alléguée de la régularisation sollicitée, l'appelant n'est pas fondé à soutenir que le préfet aurait commis une faute de nature à engager la responsabilité de l'Etat, résultant d'une méconnaissance des principes de sécurité juridique et de non-rétroactivité des lois, en procédant à la constatation de manquements, au début de l'année 2019, portant sur l'exécution de travaux sans autorisation ou déclaration au titre de la police de l'eau, et en lui demandant de suspendre l'exécution desdits travaux et de régulariser sa situation, faute de quoi il s'exposait à une mise en demeure sur le fondement de l'article L. 171-7 du code de l'environnement, ce qui fût fait par arrêté du 5 août 2020.
7. En deuxième lieu, les carences de l'Etat dans l'exercice du contrôle de légalité des actes des collectivités territoriales ne sont susceptibles d'engager sa responsabilité que si elles présentent le caractère d'une faute lourde. Alors même que le préfet, destinataire de l'arrêté du
7 mai 2013 par lequel le maire de la commune de Lecci a accordé à M. B... son permis de construire, ne pouvait ignorer que la direction régionale de l'environnement, de l'aménagement et du logement de Corse avait émis un avis défavorable au projet compte tenu de ses effets sur les écoulements pluvieux et de l'absence d'évaluation des incidences Natura 2000, il ne résulte pas de l'instruction que l'abstention du préfet à déférer au juge administratif ce permis de construire, puisse, en l'espèce, être regardée comme constitutive d'une faute lourde de nature à engager la responsabilité de l'Etat, et ce en dépit de la circonstance qu'à la date à laquelle le permis lui a été transmis, les dispositions de l'article R. 111-15 alors applicables du code de l'urbanisme prévoyaient que le permis ou la décision prise sur la déclaration préalable devait respecter les préoccupations d'environnement définies aux articles L. 110-1 et L. 110-2 du code de l'environnement.
8. En troisième et dernier lieu, M. B... n'établit pas plus en appel qu'en première instance que la déclaration d'ouverture de chantier du 25 juillet 2016 aurait été communiquée aux services de l'Etat. En tout état de cause, la mise en œuvre par le préfet des contrôles et procédures fixés par l'article L. 171-7 du code de l'environnement n'emportait pas,
par elle-même, l'impossibilité pour lui d'achever les travaux autorisés par le permis de construire délivré le 7 mai 2013 par le maire de Lecci à M. B.... Par suite, ce dernier ne peut utilement soutenir que le préfet aurait commis une faute en tardant à exercer son pouvoir de police.
9. Il résulte de tout ce qui précède que M. B... n'est pas fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Bastia a rejeté sa demande de condamnation de l'Etat à lui verser la somme de 2 910 829 euros. Par suite, ses conclusions aux fins d'indemnisation ainsi que celles présentées sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative doivent être rejetées.
D É C I D E :
Article 1er : La requête de M. B... est rejetée.
Article 2 : Le présent arrêt sera notifié à M. A... B... et au ministre de la transition écologique et de la cohésion des territoires.
Délibéré après l'audience du 9 janvier 2024, où siégeaient :
- M. Marcovici, président,
- M. Revert, président assesseur,
- M. Martin, premier conseiller.
Rendu public par mise à disposition au greffe le 23 janvier 2024.
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No 22MA02346