La jurisprudence francophone des Cours suprêmes


recherche avancée

13/11/2023 | FRANCE | N°23MA02332

France | France, Cour administrative d'appel de Marseille, 6ème chambre, 13 novembre 2023, 23MA02332


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

La commune de Puget-Ville a demandé au tribunal administratif de Toulon de condamner la société par actions simplifiée Idex Energies à lui verser trois provisions, aux montants respectifs toutes taxes comprises de 49 569 euros, de 30 921 euros et de 437 075,10 euros au titre des travaux de reprise de l'étanchéité d'un silo, des travaux de remise en marche de la chaudière à bois et des pénalités de retard prévues par le marché public qui les liait entre elles.

Par une ordonnance n° 1903796 du

24 août 2023, le juge des référés du tribunal administratif de Toulon a rejeté cett...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

La commune de Puget-Ville a demandé au tribunal administratif de Toulon de condamner la société par actions simplifiée Idex Energies à lui verser trois provisions, aux montants respectifs toutes taxes comprises de 49 569 euros, de 30 921 euros et de 437 075,10 euros au titre des travaux de reprise de l'étanchéité d'un silo, des travaux de remise en marche de la chaudière à bois et des pénalités de retard prévues par le marché public qui les liait entre elles.

Par une ordonnance n° 1903796 du 24 août 2023, le juge des référés du tribunal administratif de Toulon a rejeté cette demande comme irrecevable.

Procédure devant la Cour :

Par une requête, enregistrée le 7 septembre 2023, la commune de Puget-Ville, représentée par la SELARL LLC et associés, demande à la Cour :

1°) d'annuler cette ordonnance ;

2°) de faire droit à ses demandes de première instance ;

3°) de mettre à la charge de la société Idex Energies la somme de 3 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que :

- le délai de jugement de l'affaire, de près de quatre ans, méconnaît l'article L. 511-1 du code de justice administrative qui prévoit que le juge des référés " se prononce dans les meilleurs délais " ;

- l'ordonnance est irrégulière dès lors que l'instruction a été clôturée après l'audience ;

- sa demande de première instance était recevable ;

- les créances dont elle se prévaut ne sont pas sérieusement contestables.

Par un mémoire en défense, enregistré le 8 octobre 2023, la société Idex Energies, représentée par Me Manfredi, demande à la Cour :

1°) d'enjoindre à la commune et à la société Edeis de communiquer l'intégralité des comptes rendus de l'année de parfait achèvement, outre les documents cotés Exe 8 et Exe 9, dans un délai d'un mois sous astreinte de 250 euros par jour de retard ;

2°) d'enjoindre à la société Qualiconsult de communiquer le rapport final de contrôle technique ;

3°) de rejeter toute demande présentée à son encontre et de confirmer le jugement ;

4°) subsidiairement, de condamner les sociétés Edeis et Qualiconsult à la relever et garantir de toute condamnation, et de prononcer au besoin la compensation entre la condamnation et le solde des travaux ;

5°) en tout état de cause, de mettre à la charge des parties succombantes, au besoin in solidum, la somme de 3 500 euros à lui verser au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que :

- la demande de provision est irrecevable ;

- en effet, la commune n'a pas justifié de l'habilitation de son maire pour agir en justice ;

- sa demande de première instance est insuffisamment motivée dès lors qu'elle ne précise pas le fondement de la demande ;

- la réception a mis fin aux rapports contractuels entre la commune et elle ;

- les désordres n'ont été ni réservés ni signalés pendant le délai de la garantie de parfait achèvement ;

- les créances invoquées sont sérieusement contestables ;

- les moyens présentés à l'appui des demandes dirigées contre elle sont infondés ;

- subsidiairement, le maître d'œuvre et le bureau de contrôle ont commis une faute de conception et une faute dans le suivi des travaux de mise en œuvre de l'étanchéité.

Par un mémoire en défense, enregistré le 12 octobre 2023, la société Edeis Ingénierie, représentée par Me Fournier, demande à la Cour :

1°) de confirmer l'ordonnance attaquée ;

2°) subsidiairement, de rejeter les demandes de la société Idex Energies ;

3°) de mettre à la charge de la société Idex Energies la somme de 3 000 euros à lui verser au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

La société Edeis Ingénierie s'en remet à la sagesse de la Cour quant au rejet de la demande de la commune et à la confirmation de l'ordonnance attaquée.

Par une lettre du 9 octobre 2023, la Cour a informé les parties qu'il était envisagé d'enrôler l'affaire avant le 31 décembre 2023, et que la clôture de l'instruction pourrait être prononcée avec effet immédiat à compter du 15 octobre 2023.

Par une ordonnance du 26 octobre 2023, la clôture de l'instruction a été prononcée avec effet immédiat.

Vu les autres pièces du dossier.

Cette affaire a été portée en formation collégiale par décision du juge des référés.

Vu :

- le code général des collectivités territoriales ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de M. Renaud Thielé, rapporteur,

- les conclusions de M. François Point, rapporteur public,

- et les observations de Me Marchesini, pour la commune de Puget-Ville, de Me Manfredi, pour la société Idex Energies, et celles de Me Blanc, pour la société Edeis.

Considérant ce qui suit :

1. Par contrat conclu le 5 novembre 2012, la commune de Puget-Ville (Var) a confié à la société Idex Energies les trois lots d'un marché public de travaux ayant pour objet la construction d'un réseau de chaleur entre l'école maternelle " Lou Pichoun ", l'école primaire " Lei Cigalos " et la salle polyvalente " Jean-Latour ", sous maîtrise d'œuvre de la société Lavalin, devenue Edeis, et sous contrôle technique de la société Qualiconsult. Estimant que les réserves faites lors de la réception n'avaient pas été levées et que des travaux de reprise étaient nécessaires, la commune a saisi le juge des référés du tribunal administratif de Toulon d'une demande tendant à la condamnation de la société Idex Energies à lui verser, à titre de provision, trois sommes de 49 569 euros, de 30 921 euros et de 437 075,10 euros au titre du coût, toutes taxes comprises, des travaux de reprise de l'étanchéité du silo, des travaux de reprise de la chaudière à bois et des pénalités de retard. Par l'ordonnance attaquée, dont la commune relève appel, le juge des référés du tribunal administratif de Toulon a rejeté ces demandes comme irrecevables.

2. Aux termes de l'article R. 541-1 du code de justice administrative : " Le juge des référés peut, même en l'absence d'une demande au fond, accorder une provision au créancier qui l'a saisi lorsque l'existence de l'obligation n'est pas sérieusement contestable. Il peut, même d'office, subordonner le versement de la provision à la constitution d'une garantie ".

Sur la régularité de l'ordonnance :

3. Il résulte de la modification apportée à l'article R. 421-1 du code de justice administrative par le décret n° 2016-1480 du 2 novembre 2016 que, depuis l'entrée en vigueur de ce décret le 1er janvier 2017, l'exigence résultant de cet article, tenant à la nécessité, pour saisir le juge administratif, de former un recours dans les deux mois contre une décision préalable, est en principe applicable aux recours relatifs à une créance en matière de travaux publics. Toutefois, si l'article R. 421-1 n'exclut pas qu'il s'applique à des décisions prises par des personnes privées, dès lors que ces décisions revêtent un caractère administratif, aucune disposition législative ou réglementaire ni aucune règle générale de procédure ne détermine les effets du silence gardé sur une demande, par une personne morale de droit privé qui n'est pas chargée d'une mission de service public administratif. En l'absence de disposition déterminant les effets du silence gardé par une telle personne privée sur une demande qui lui a été adressée, les conclusions, relatives à une créance née de travaux publics, dirigées contre une telle personne privée ne sauraient être rejetées comme irrecevables faute de la décision préalable prévue par l'article R. 421-1 du code de justice administrative.

4. Dès lors, c'est, ainsi que le soutient la commune, à tort que, par l'ordonnance attaquée, le juge des référés du tribunal administratif de Toulon a rejeté comme irrecevable la demande de provision présentée par la commune de Puget-Ville.

5. Sans qu'il soit besoin d'examiner les autres moyens relatifs à la régularité de l'ordonnance, cette ordonnance doit être annulée.

6. Il y a lieu, pour la Cour, d'évoquer l'affaire pour y statuer immédiatement.

Sur les provisions demandées au titre des travaux de reprise :

7. La commune de Puget-Ville sollicite deux provisions de 49 569 euros et de 30 921 euros correspondant au coût, toutes taxes comprises, des travaux de reprise de l'étanchéité du silo et de mise en service de la chaudière à bois.

8. L'article 44.1 du cahier des clauses administratives générales applicable aux marchés publics de travaux, dans son édition de 2009, prévoit que " Le délai de garantie est, sauf prolongation décidée comme il est précisé à l'article 44. 2, d'un an à compter de la date d'effet de la réception. / Pendant le délai de garantie, outre les obligations qui peuvent résulter pour lui de l'application de l'article 41. 4, le titulaire est tenu à une obligation dite obligation de parfait achèvement, au titre de laquelle il doit : / a) Exécuter les travaux ou prestations éventuels de finition ou de reprise prévus aux articles 41. 5 et 41. 6 ; / b) Remédier à tous les désordres signalés par le maître de l'ouvrage ou le maître d'œuvre, de telle sorte que l'ouvrage soit conforme à l'état où il était lors de la réception ou après correction des imperfections constatées lors de celle-ci ; / c) Procéder, le cas échéant, aux travaux confortatifs ou modificatifs, dont la nécessité serait apparue à l'issue des épreuves effectuées conformément aux stipulations prévues par les documents particuliers du marché ; / d) Remettre au maître d'œuvre les plans des ouvrages conformes à l'exécution dans les conditions précisées à l'article 40. Les dépenses correspondant aux travaux complémentaires prescrits par le maître de l'ouvrage ou le maître d'œuvre ayant pour objet de remédier aux déficiences énoncées aux b et c ci-dessus ne sont à la charge de l'entrepreneur que si la cause de ces déficiences lui est imputable. / L'obligation de parfait achèvement ne s'étend pas aux travaux nécessaires pour remédier aux effets de l'usage ou de l'usure normale. / A l'expiration du délai de garantie, le titulaire est dégagé de ses obligations contractuelles, à l'exception des garanties particulières éventuellement prévues par les documents particuliers du marché. / Les sûretés éventuellement constituées sont libérées dans les conditions réglementaires. / Si le représentant du pouvoir adjudicateur fait obstacle à la libération des sûretés, il en informe, en même temps, le titulaire par tout moyen permettant de donner une date certaine. ".

9. La garantie de parfait achèvement ainsi stipulée permet de rechercher la responsabilité contractuelle de l'entrepreneur au titre des désordres ayant fait l'objet de réserves dans le procès-verbal de réception et de ceux qui apparaissent et sont signalés dans le délai d'un an suivant la date de réception.

10. En l'état de l'instruction, la commune n'apporte pas de contestation aux affirmations de la société selon lesquelles le désordre affectant l'étanchéité du silo n'a été ni réservé au moment de la réception, ni signalé dans le délai d'un an de la garantie de parfait achèvement.

11. L'obligation dont se prévaut la commune ne peut donc être regardée comme non sérieusement contestable.

Sur la provision demandée au titre des pénalités de retard :

12. La commune de Puget-Ville sollicite une provision de 294 918,01 euros au titre des pénalités contractuelles dues à raison du retard dans la levée des réserves.

13. D'une part, aux termes de l'article 20 du cahier des clauses administratives générales applicables aux marchés publics de travaux dans son édition de 2009, qui figure au nombre des pièces contractuelles en application de l'article 2 du cahier des clauses administratives particulières : " 20.1. En cas de retard imputable au titulaire dans l'exécution des travaux, qu'il s'agisse de l'ensemble du marché ou d'une tranche pour laquelle un délai d'exécution partiel ou une date limite a été fixé, il est appliqué une pénalité journalière de 1/3 000 du montant hors taxes de l'ensemble du marché, de la tranche considérée ou du bon de commande. Ce montant est celui qui résulte des prévisions du marché, c'est-à-dire du marché initial éventuellement modifié ou complété par les avenants intervenus ; il est évalué à partir des prix initiaux du marché hors TVA définis à l'article 13.1.1. / 20.1.1. Les pénalités sont encourues du simple fait de la constatation du retard par le maître d'œuvre. (...) ". Aux termes de l'article 4.3.1 du cahier des clauses administratives particulières : " (...) Les stipulations de l'article 20.1 du CCAG sont seules applicables. / (...) En plus des pénalités journalières définies ci-dessus, le titulaire subit une pénalité forfaitaire de 1 / 250e du montant en prix de base du marché, en cas de non-respect de la date limite d'achèvement ou du délai d'exécution des travaux (...) ".

14. D'autre part, aux termes de l'article 41.6 du même cahier : " Lorsque la réception est assortie de réserves, l'entrepreneur doit remédier aux imperfections et malfaçons correspondantes dans le délai fixé par la personne responsable du marché ou, en l'absence d'un tel délai, trois mois avant l'expiration du délai de garantie défini au 1 de l'article 44. / Au cas où ces travaux ne seraient pas faits dans le délai prescrit, la personne responsable du marché peut les faire exécuter aux frais et risques de l'entrepreneur ".

15. Compte tenu des sanctions prévues, en cas de défaut de levée des réserves, par les stipulations de l'article 41.6 du cahier des clauses administratives générales, plusieurs cours administratives d'appel ont estimé que la durée effective d'exécution des travaux prise en compte pour le calcul des pénalités de retard prenait fin au moment de la réception des travaux (CAA Lyon, 11 décembre 2008, SARL Terrenoire, n° 05LY01532 ; CAA Lyon, 18 février 2010, SA Planche, n° 07LY01299 et 09LY00808 ; CAA Paris, 24 fév. 2005, Société Alufer, n° 00PA01865). Compte tenu de l'existence de ce débat d'ordre juridique, la créance dont se prévaut la commune à ce titre ne peut, en l'état de l'instruction, être regardée comme non sérieusement contestable.

16. Il résulte de tout ce qui précède que les demandes de provision présentées par la commune de Puget-Ville ne peuvent être accueillies. Sa demande de première instance doit donc être rejetée, ainsi que, par voie de conséquence, ses conclusions tendant à l'application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative. Il n'y a pas lieu, dans les circonstances de l'espèce de faire droit aux conclusions des autres parties présentées au titre de ces dernières dispositions. Les mesures d'instruction sollicitées par la société Idex Energies sont inutiles à la solution du litige.

D É C I D E :

Article 1er : L'ordonnance n° 1903796 du 24 août 2023 du juge des référés du tribunal administratif de Toulon est annulée.

Article 2 : Les demandes présentées par la commune de Puget-Ville en première instance, ainsi que le surplus de ses conclusions d'appel, et que les conclusions de la société Idex Energies et de la société Edeis présentées sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative, sont rejetées.

Article 3 : Le présent arrêt sera notifié à la commune de Puget-Ville, à la société Idex Energies, à la société Edeis et à la société Qualiconsult.

Délibéré après l'audience du 30 octobre 2023, où siégeaient :

- M. Alexandre Badie, président,

- M. Renaud Thielé, président assesseur,

- Mme Isabelle Gougot, première conseillère.

Rendu public par mise à disposition au greffe, le 13 novembre 2023.

N° 23MA02332 2


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Marseille
Formation : 6ème chambre
Numéro d'arrêt : 23MA02332
Date de la décision : 13/11/2023
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Plein contentieux

Analyses

Marchés et contrats administratifs - Exécution financière du contrat.

Procédure - Procédures de référé autres que celles instituées par la loi du 30 juin 2000 - Référé-provision.


Composition du Tribunal
Président : M. BADIE
Rapporteur ?: M. Renaud THIELÉ
Rapporteur public ?: M. POINT
Avocat(s) : SCP FOURNIER - DE VILLERS

Origine de la décision
Date de l'import : 19/11/2023
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.marseille;arret;2023-11-13;23ma02332 ?
Association des cours judiciaires suprmes francophones
Organisation internationale de la francophonie
Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie. Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie.
Logo iall 2012 website award