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26/10/2023 | FRANCE | N°22MA03082

France | France, Cour administrative d'appel de Marseille, 1ère chambre, 26 octobre 2023, 22MA03082


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

La SCI Carthemis, Mme C... F..., l'association comité d'intérêt local du quartier Font-Brun à Carqueiranne, M. A... E..., Mme et M. B... et Pierre D... et la SCI Arvore 3 ont demandé au tribunal administratif de Toulon d'annuler, d'une part, la décision du 12 mars 2020 par laquelle le maire de la commune de Carqueiranne a délivré à la SAS Bettyzou Développement un permis de construire un hôtel, centre de remise en forme et centre de sensibilisation à l'environnement au 930 avenue de Font-Brun, d'autre p

art, les décisions rejetant leurs recours gracieux respectifs.

Par un jug...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

La SCI Carthemis, Mme C... F..., l'association comité d'intérêt local du quartier Font-Brun à Carqueiranne, M. A... E..., Mme et M. B... et Pierre D... et la SCI Arvore 3 ont demandé au tribunal administratif de Toulon d'annuler, d'une part, la décision du 12 mars 2020 par laquelle le maire de la commune de Carqueiranne a délivré à la SAS Bettyzou Développement un permis de construire un hôtel, centre de remise en forme et centre de sensibilisation à l'environnement au 930 avenue de Font-Brun, d'autre part, les décisions rejetant leurs recours gracieux respectifs.

Par un jugement n° 2001841,2002996,2003219 du 18 octobre 2022, le tribunal administratif de Toulon a annulé les décisions litigieuses.

Procédure devant la Cour :

Par une requête et un mémoire, enregistrés les 17 décembre 2022 et 21 mai 2023, la SAS Bettyzou Développement, représentée par Me Vicquenault, demande à la Cour :

1°) d'annuler ce jugement du 18 octobre 2022 ;

2°) de rejeter les demandes de première instance, subsidiairement après avoir sursis à statuer en application de l'article L. 600-5-1 du code de l'urbanisme ;

3°) de mettre à la charge solidaire de la SCI Carthemis, Mme F..., l'association comité d'intérêt local du quartier Font-Brun, M. E..., Mme et M. D... et la SCI Arvore 3 la somme de 10 000 euros en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que :

- les demandes de première instance étaient irrecevables faute pour les demandeurs de justifier de leur intérêt à agir ;

- la demande de la SCI Arvore 3 était en outre tardive ;

- le jugement est insuffisamment motivé, dès lors qu'il ne précise pas l'échelle à laquelle a été appréciée la densification de l'urbanisation pour l'application de l'article L. 121-16 du code de l'urbanisme, ni les raisons pour lesquelles le permis n'aurait pas pu faire l'objet d'une mesure de régularisation en application de l'article L. 600-5-1 du même code ;

- il est également entaché de contrariétés de motifs en ce qu'il décrit l'urbanisation de la zone de dense ou de pavillonnaire, et retient par ailleurs l'existence d'une perspective monumentale ;

- c'est à tort qu'il a estimé que les dispositions des articles L. 121-13, L. 121-16 et R. 111-27 du code de l'urbanisme avaient été méconnues et qu'une régularisation ne pouvait intervenir ;

- l'ensemble des autres moyens invoqués par ses contradicteurs en première instance n'est pas fondé.

Par des mémoires enregistrés les 17 février, 11 mai et 13 juin 2023, la SCI Carthemis, Mme F... et l'association comité d'intérêt local du quartier Font-Brun, représentées par Me Rouhaud, concluent au rejet de la requête et à ce qu'une somme de 5 000 euros soit mise à la charge de l'Etat et de la SAS Bettyzou Développement au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elles soutiennent que :

- l'intérêt à agir de la SCI Carthemis et de Mme F..., alors qu'elles sont voisines immédiates, est démontré ;

- le jugement est suffisamment motivé et non entaché de contradiction de motifs ;

- comme les premiers juges l'ont relevé, le permis méconnait les dispositions des articles L. 121-16, L. 121-13 et R. 111-27 du code de l'urbanisme ; contrairement à ce qu'a jugé le tribunal, l'article L. 121-16 est avant tout méconnu du fait que le projet s'implante dans un espace qui n'est pas déjà urbanisé ;

- la nature même du projet empêche toute régularisation ;

- subsidiairement, si les motifs d'annulation retenus par les premiers juges devaient être écartés, le permis serait néanmoins annulé car il n'a pas été précédé de l'accord de l'Etat après avis de la commission départementale de la nature, des paysages et des sites conformément à l'article L. 121-13 du code de l'urbanisme, l'avis de l'Etat n'a pas été délivré par une autorité compétente conformément à l'article L. 122-5 du code de l'urbanisme, aucune étude d'incidence ni étude d'impact n'a été produite ainsi que requis par l'article R. 431-16 du code de l'urbanisme, l'accord du gestionnaire du domaine maritime prévu à l'article R. 431-13 du code de l'urbanisme n'a pas été donné, et les dispositions des articles L. 121-8, L. 121-23, L. 153-11, L. 111-3, L. 111-11 et R. 111-2 du code de l'urbanisme ont été méconnues, de même que les orientations du schéma de cohérence territoriale.

Par un mémoire enregistré le 11 mai 2023, Mme et M. D... et la SCI Arvore 3, représentés par Me Ladouari, concluent au rejet de la requête et à ce qu'une somme de 3 000 euros soit mise à la charge de la SAS Bettyzou Développement, d'une part au bénéfice des époux D..., d'autre part à celui de la SCI Arvore 3.

Ils soutiennent que :

- leur intérêt à agir, alors qu'ils sont voisins immédiats et que le projet d'acquisition était antérieur à l'affichage du permis, est établi ;

- leur demande n'était pas tardive dès lors que l'affichage continu du permis durant deux mois n'est pas établi ;

- le jugement est suffisamment motivé et non entaché de contradiction de motifs ;

- la densification significative de l'espace au sein duquel est inséré le terrain d'assiette méconnaît l'article L. 121-13 du code de l'urbanisme ;

- le projet est de nature à porter atteinte à l'intérêt particulier du site et méconnait l'article R 111-27 du code de l'urbanisme ;

- la régularisation du permis n'est pas possible.

- le maire aurait dû prononcer un sursis à statuer sur le fondement de l'article L. 153-11 du code de l'urbanisme ;

- les dispositions des articles R431-10, L. 111-3, L. 121-16, et L. 121-8 du code de l'urbanisme ont été méconnues dès lors notamment que le terrain d'assiette est situé hors des parties urbanisées de la commune.

Par un mémoire enregistré le 12 juin 2023, M. E..., représenté par Me Rivière, conclut au rejet de la requête et à ce qu'une somme de 3 000 euros soit mise à la charge de la SAS Bettyzou Développement au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Il soutient que :

- son intérêt à agir est justifié au regard de l'augmentation du trafic induite par le projet ;

- le jugement est suffisamment motivé et non entaché de contradiction de motifs ;

- le projet se situe hors des espaces urbanisés de la commune et en tout état de cause il induit une densification importante ; il méconnaît l'article L. 121-13 du code de l'urbanisme ;

- le projet est de nature à porter atteinte à l'intérêt particulier du site et méconnait l'article R 111-27 du code de l'urbanisme ;

- une évaluation d'incidence environnementale aurait dû être effectuée ;

- le maire aurait dû prononcer un sursis à statuer sur le fondement de l'article L. 153-11 du code de l'urbanisme ;

- les dispositions de l'article L. 122-2 du code de l'urbanisme ont été méconnues dès lors que le terrain d'assiette se situe dans une zone de coupure d'urbanisation prévue au schéma de cohérence territoriale.

Les parties ont été informées, par une lettre du 12 avril 2023, qu'en application de l'article R. 611-11-1 du code de justice administrative il était envisagé d'appeler l'affaire au cours du second semestre 2023 et que l'instruction pourrait être close à partir du 12 mai 2023 sans information préalable.

Par une ordonnance du 6 juillet 2023, la clôture immédiate de l'instruction a été prononcée en application de l'article R. 613-1 du code de justice administrative.

Un mémoire, présenté pour Mme et M. D... et la SCI Arvore 3, a été enregistré le 17 juillet 2023, après la clôture de l'instruction, et non communiqué.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- le code de l'urbanisme ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de Mme Poullain,

- les conclusions de M. Quenette, rapporteur public,

- et les observations de Me Vicquenault représentant la SAS Bettyzou Développement, de Me Rouhaud représentant la SCI Carthemis, Mme F... et l'association comité d'intérêt local du quartier Font-Brun, et de Me Ladouari représentant Mme et M. D... et la SCI Arvore 3.

Considérant ce qui suit :

1. Par arrêté du 12 mars 2020 le maire de la commune de Carqueiranne a délivré à la SAS Bettyzou Développement un permis de construire un hôtel, centre de remise en forme et centre de sensibilisation à l'environnement au 930 avenue de Font-Brun sur les parcelles cadastrées AS n° 81 et 82. La SAS Bettyzou Développement relève appel du jugement du tribunal administratif de Toulon du 18 octobre 2022 ayant annulé cet arrêté.

Sur la régularité du jugement attaqué :

2. En premier lieu, le tribunal administratif a retenu que les dispositions de l'article L. 121-6 du code de l'urbanisme avaient été méconnues aux termes de motifs longuement développés aux points 35 à 38 de son jugement, ayant défini l'espace dans lequel il estimait approprié d'examiner l'insertion du projet de construction, de part et d'autre de l'avenue de Font-Brun ainsi que plus au nord de l'avenue de la Valériane, caractérisé la densification du bâti induite par le projet sur la parcelle de la requérante, et relevé son contraste avec les parcelles avoisinantes. Il n'a à cet égard pas entaché sa décision d'une insuffisance de motivation.

3. En deuxième lieu, en énonçant que les vices qu'il avait retenus, tirés de la méconnaissance des articles L. 121-16, L. 121-13 et R. 111-27 du code de l'urbanisme, n'étaient pas relatifs à une partie identifiable du projet et qu'eu égard à la situation, à la dimension et aux caractéristiques de celui-ci, la régularisation de ceux-ci impliquait de revoir l'économie générale du projet et d'y apporter un bouleversement tel qu'il en changerait la nature même, le tribunal a suffisamment motivé sa décision de ne pas faire application des dispositions des articles L. 600-5 et L. 600-5-1 du code de l'urbanisme.

4. Alors que les contradictions de motifs qu'elle invoque sont susceptibles d'affecter le bien-fondé du jugement mais non sa régularité, il résulte de ce qui précède que la SAS Bettyzou Développement n'est pas fondée à soutenir que le jugement serait entaché d'irrégularité.

Sur le bien-fondé du jugement attaqué :

En ce qui concerne la recevabilité des demandes de première instance :

5. Aux termes du premier alinéa de l'article L. 600-1-2 du code de l'urbanisme : " Une personne autre que l'Etat, les collectivités territoriales ou leurs groupements ou une association n'est recevable à former un recours pour excès de pouvoir contre une décision relative à l'occupation ou à l'utilisation du sol régie par le présent code que si la construction, l'aménagement ou les travaux sont de nature à affecter directement les conditions d'occupation, d'utilisation ou de jouissance du bien qu'elle détient ou occupe régulièrement ou pour lequel elle bénéficie d'une promesse de vente, de bail, ou d'un contrat préliminaire mentionné à l'article L. 261-15 du code de la construction et de l'habitation ".

6. Il résulte de ces dispositions qu'il appartient, en particulier, à tout requérant qui saisit le juge administratif d'un recours pour excès de pouvoir tendant à l'annulation d'un permis de construire de préciser l'atteinte qu'il invoque pour justifier d'un intérêt lui donnant qualité pour agir, en faisant état de tous éléments suffisamment précis et étayés de nature à établir que cette atteinte est susceptible d'affecter directement les conditions d'occupation, d'utilisation ou de jouissance de son bien. Il appartient au défendeur, s'il entend contester l'intérêt à agir du requérant, d'apporter tous éléments de nature à établir que les atteintes alléguées sont dépourvues de réalité. Le juge de l'excès de pouvoir apprécie la recevabilité de la requête au vu des éléments ainsi versés au dossier par les parties, en écartant le cas échéant les allégations qu'il jugerait insuffisamment étayées mais sans pour autant exiger de l'auteur du recours qu'il apporte la preuve du caractère certain des atteintes qu'il invoque au soutien de la recevabilité de celui-ci. Eu égard à sa situation particulière, le voisin immédiat justifie, en principe, d'un intérêt à agir lorsqu'il fait état devant le juge, qui statue au vu de l'ensemble des pièces du dossier, d'éléments relatifs à la nature, à l'importance ou à la localisation du projet de construction.

7. En premier lieu, à la date de l'affichage en mairie du permis de construire litigieux, les époux D... bénéficiaient d'une promesse de vente de la propriété située immédiatement à l'ouest de celle de la SAS Bettyzou, cadastrée section AT n° 50, 51, 52 et 53. Eu égard à l'importance du projet, qui consiste à notamment à créer un hôtel de 55 chambres d'une surface de plancher de 6 986 m², même en partie enterrée, en lieu et place d'une villa d'habitation de quelques 1 200 m² auparavant utilisée en centre de rééducation pour enfants, en en étendant la construction notamment vers l'ouest, à quelques mètres de leur limite de propriété, les époux D... justifient de leur intérêt à agir.

8. En deuxième lieu, Mme F... et la SCI Carthemis sont propriétaires respectivement des parcelles contigües cadastrées section AS n° 84 et AS n° 85, situées à proximité est du terrain d'assiette du projet, dont la parcelle AS n° 84 n'est séparée que par la parcelle AS n° 83, assez étroite. Si elles ne sont ainsi pas voisines immédiates du projet, il ressort des pièces du dossier, ainsi qu'elles le font valoir, que celui-ci implique l'abattage de 23 arbres de haute tige et le déplacement d'un certain nombre d'autres, qui aujourd'hui constituent un écran végétal entre leurs propriétés et la villa Bettyzou. Alors que la requérante indique elle-même que cette bâtisse se trouve aujourd'hui respectivement à 66 et 86 mètres des habitations de Mme F... et de la SCI Carthemis, ces distances seraient réduites à 15 et 35 mètres au terme du projet. Ainsi, et eu égard à la nature et à l'importance de celui-ci, rappelées au point précédent, il est établi qu'il est susceptible d'affecter directement les conditions de jouissance des biens en cause, dont l'environnement visuel et sonore se trouvera nécessairement dégradé.

9. En troisième lieu, M. E... est propriétaire de la parcelle cadastrée AS n° 235, située en face nord de la parcelle AS n° 82, de l'autre côté de l'avenue Font-Brun, dont sa propriété est séparée par une étroite parcelle naturelle. S'il n'est ainsi pas davantage voisin immédiat du projet, il fait valoir à bon droit, ainsi que l'a jugé le tribunal, que le projet, de par son importance et au regard des 112 places de stationnement qu'il prévoit au lieu des 6 actuelles, va générer une augmentation du trafic automobile sur l'avenue Font Brun qui seule dessert la villa Bettyzou, alors que sa piscine est installée du côté de sa propriété donnant sur cette avenue. Ainsi, alors même que certains clients pourraient relier l'hôtel par l'autre côté de l'avenue, les nuisances susceptibles d'affecter directement les conditions de jouissance de son bien sont établies.

10. Il résulte de ce qui précède que la SAS Bettyzou Développement n'est pas fondée à soutenir que c'est à tort que le tribunal administratif a retenu la recevabilité des trois demandes dont il était saisi, alors même qu'il a jugé que l'association comité d'intérêt local du quartier Font-Brun et la SCI Arvore 3 n'étaient pour leur part pas recevables à introduire une action.

En ce qui concerne l'office du juge d'appel :

11. Aux termes de l'article L. 600-4-1 du code de l'urbanisme : " Lorsqu'elle annule pour excès de pouvoir un acte intervenu en matière d'urbanisme ou en ordonne la suspension, la juridiction administrative se prononce sur l'ensemble des moyens de la requête qu'elle estime susceptibles de fonder l'annulation ou la suspension, en l'état du dossier ". En vertu de ces dispositions, il appartient au juge d'appel, saisi d'un jugement par lequel un tribunal administratif a prononcé l'annulation d'un permis de construire en retenant plusieurs moyens, de se prononcer sur le bien-fondé de tous les moyens d'annulation retenus au soutien de leur décision par les premiers juges et d'apprécier si l'un au moins de ces moyens justifie la solution d'annulation. Dans ce cas, le juge d'appel n'a pas à examiner les autres moyens de première instance. Dans le cas où il estime en revanche qu'aucun des moyens retenus par le tribunal administratif n'est fondé, le juge d'appel, saisi par l'effet dévolutif des autres moyens de première instance, examine ces moyens. Il lui appartient de les écarter si aucun d'entre eux n'est fondé et, à l'inverse, en application des dispositions précitées de l'article L. 600-4-1 du code de l'urbanisme, de se prononcer, si un ou plusieurs d'entre eux lui paraissent fondés, sur l'ensemble de ceux qu'il estime, en l'état du dossier, de nature à confirmer, par d'autres motifs, l'annulation prononcée par les premiers juges.

En ce qui concerne la méconnaissance des dispositions des articles L. 121-13 et L. 121-16 du code de l'urbanisme :

12. Aux termes du deuxième alinéa de l'article L. 121-3 du code de l'urbanisme : " Le schéma de cohérence territoriale précise, en tenant compte des paysages, de l'environnement, des particularités locales et de la capacité d'accueil du territoire, les modalités d'application des dispositions du présent chapitre. Il détermine les critères d'identification des villages, agglomérations et autres secteurs déjà urbanisés prévus à l'article L. 121-8, et en définit la localisation ". Aux termes de l'article L. 121-8 du code de l'urbanisme, dans sa version applicable : " L'extension de l'urbanisation doit se réaliser soit en continuité avec les agglomérations et villages existants, soit en hameaux nouveaux intégrés à l'environnement. / Dans les secteurs déjà urbanisés autres que les agglomérations et villages identifiés par le schéma de cohérence territoriale et délimités par le plan local d'urbanisme, des constructions et installations peuvent être autorisées, en dehors de la bande littorale de cent mètres, des espaces proches du rivage et des rives des plans d'eau mentionnés à l'article L. 121-13, à des fins exclusives d'amélioration de l'offre de logement ou d'hébergement et d'implantation de services publics, lorsque ces constructions et installations n'ont pas pour effet d'étendre le périmètre bâti existant ni de modifier de manière significative les caractéristiques de ce bâti. Ces secteurs déjà urbanisés se distinguent des espaces d'urbanisation diffuse par, entre autres, la densité de l'urbanisation, sa continuité, sa structuration par des voies de circulation et des réseaux d'accès aux services publics de distribution d'eau potable, d'électricité, d'assainissement et de collecte de déchets, ou la présence d'équipements ou de lieux collectifs./ (...) ".

13. Aux termes de l'article L. 121-13 du même code : " L'extension limitée de l'urbanisation des espaces proches du rivage [...] est justifiée et motivée dans le plan local d'urbanisme, (...). / Toutefois, ces critères ne sont pas applicables lorsque l'urbanisation est conforme aux dispositions d'un schéma de cohérence territoriale (...) ". Aux termes de son article L. 121-16 : " En dehors des espaces urbanisés, les constructions ou installations sont interdites sur une bande littorale de cent mètres à compter de la limite haute du rivage (...) ".

14. Il résulte de ces dispositions, sous réserve des exceptions qu'elles prévoient, que, dans les espaces proches du rivage des communes littorales, ne peuvent être autorisées, dans les zones situées en dehors des espaces déjà urbanisés, que les constructions réalisées soit en continuité avec les agglomérations et villages existants soit en hameaux nouveaux intégrés à l'environnement, à la condition qu'elles n'entraînent qu'une extension limitée de l'urbanisation spécialement justifiée et motivée et qu'elles soient situées en dehors de la bande littorale des cent mètres à compter de la limite haute du rivage. Ne peuvent déroger à l'interdiction de toute construction sur la bande littorale des cent mètres que les projets réalisés dans des espaces urbanisés, caractérisés par un nombre et une densité significatifs de constructions, à la condition qu'ils n'entraînent pas une densification significative de ces espaces.

15. En l'espèce, les parcelles cadastrées AS n° 81 et 82, sur lesquelles doit venir s'implanter le projet litigieux, ne supportent aujourd'hui qu'une habitation de 1 200 m² dont l'emprise au sol est d'environ 500 m² alors qu'elles ont une superficie de plus de 9 500 m². Leurs dimensions laissent ainsi libres, malgré quelques espaces extérieurs aménagés, d'importantes zones naturelles. Les propriétés voisines à l'ouest, et dans une moindre mesure à l'est, sont également dispersées tandis qu'au nord-ouest ont été préservés de vastes espaces naturels. Si la densité de construction est plus importante au nord de l'avenue Font-Brun, les habitations ont elles-mêmes été construites en nord de propriété, ménageant ainsi des espaces naturels en bord d'avenue, au plus près des parcelles litigieuses. Ainsi, et alors que les dispositions du schéma de cohérence territoriale ne déterminent pas les critères d'identification des villages, agglomérations et autres secteurs déjà urbanisés et leur localisation, la zone d'implantation du projet, eu égard au nombre et à la faible densité des constructions qui la caractérise, n'est pas urbanisée au sens des dispositions citées ci-dessus des articles L. 121-13 et 16 du code de l'urbanisme.

16. D'une part, il résulte de ce qui précède, dès lors qu'il est constant que le projet est intégralement situé à l'intérieur de la bande littorale des cent mètres, que l'arrêté litigieux méconnaît les dispositions de l'article L. 121-16 du code de l'urbanisme.

17. D'autre part, alors qu'aucun plan local d'urbanisme n'est applicable, le schéma de cohérence territoriale n'apporte aucune précision quant à l'application du principe d'extension limitée de l'urbanisation dans le secteur concerné proche du rivage. Par ailleurs, la délivrance du permis litigieux a pour effet d'étendre l'urbanisation dès lors qu'il prévoit que la surface de plancher du bâtiment existant soit portée à presque 7 000 m² dans une zone qui, comme cela a été dit précédemment, ne constitue pas un espace urbanisé pour l'application de l'article L. 121-13 du code de l'urbanisme. Dès-lors, le permis de construire a été délivré en méconnaissance de ces dispositions, sans qu'il soit besoin de se prononcer sur le caractère limité ou non de cette extension.

18. La SAS Bettyzou n'est ainsi pas fondée à se plaindre de ce que le tribunal administratif a retenu que l'arrêté litigieux méconnaissait les dispositions des articles L. 121-13 et L. 121-16 du code de l'urbanisme.

En ce qui concerne la méconnaissance des dispositions de l'article R. 111-27 du code de l'urbanisme :

19. Aux termes de R. 111-27 du code de l'urbanisme : " Le projet peut être refusé ou n'être accepté que sous réserve de l'observation de prescriptions spéciales si les constructions, par leur situation, leur architecture, leurs dimensions ou l'aspect extérieur des bâtiments ou ouvrages à édifier ou à modifier, sont de nature à porter atteinte au caractère ou à l'intérêt des lieux avoisinants, aux sites, aux paysages naturels ou urbains ainsi qu'à la conservation des perspectives monumentales. ".

20. Il résulte de ces dispositions que, si les constructions projetées portent atteinte au caractère ou à l'intérêt des lieux avoisinants, aux sites, aux paysages naturels ou urbains ou encore à la conservation des perspectives monumentales, l'autorité administrative compétente peut refuser de délivrer le permis de construire sollicité ou l'assortir de prescriptions spéciales. Pour rechercher l'existence d'une atteinte de nature à fonder le refus de permis de construire ou les prescriptions spéciales accompagnant la délivrance de ce permis, il lui appartient d'apprécier, dans un premier temps, la qualité du site sur lequel la construction est projetée et d'évaluer, dans un second temps, l'impact que cette construction, compte tenu de sa nature et de ses effets, pourrait avoir sur le site.

21. Ainsi que l'ont relevé à bon droit les premiers juges, la villa Bettyzou s'insère dans une bande côtière comprenant un certain nombre d'imposantes villas des années 1930, dont elle constitue un très bel exemple, entouré d'une zone boisée. Elle offre, depuis la mer particulièrement, une perspective remarquable conférant au lieu un caractère particulier. Alors même qu'une partie en est enterrée et que l'extension est recouverte par une toiture végétalisée, le projet consiste à créer un front bâti avec l'édification de deux ailes de part et d'autre de la villa existante d'un bout à l'autre des parcelles d'assiette, en rupture avec l'environnement voisin. Malgré l'effort architectural dans lequel il s'inscrit, ce projet est ainsi manifestement de nature à porter atteinte à la perspective existante et au caractère des lieux. Ainsi, le maire de Carqueiranne, en ne faisant pas application des dispositions de l'article R. 111-27 du code de l'urbanisme, a entaché sa décision délivrant le permis de construire d'une erreur manifeste d'appréciation.

En ce qui concerne l'application des dispositions de l'article L. 600-5-1 du code de l'urbanisme :

22. Les vices tirés de la méconnaissance des dispositions des articles L. 121-13 et L. 121-16 ne sont pas régularisables. Il n'y a dès lors en tout état de cause pas lieu de mettre en œuvre les dispositions de l'article L. 600-5-1 du code de l'urbanisme.

Sur les frais liés au litige :

23. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce qu'une somme soit mise à ce titre à la charge des défendeurs qui ne sont pas les parties perdantes dans la présente instance. En revanche, il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de SAS Bettyzou Développement, et non de l'Etat qui n'a pas relevé appel du jugement de première instance, une somme de 1 500 euros à verser à la SCI Carthemis et Mme F..., une somme de 1 500 euros à verser à M. E..., et une somme de 1 500 euros à verser Mme et M. D... sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative. Il n'y a pas lieu de faire droit aux conclusions présentées à ce titre par l'association comité d'intérêt local du quartier Font-Brun et la SCI Arvore 3.

D É C I D E :

Article 1er : La requête de la SAS Bettyzou Développement est rejetée.

Article 2 : La SAS Bettyzou Développement versera une somme globale de 1 500 euros à la SCI Carthemis et Mme F..., de 1 500 euros à M. E..., et de 1 500 euros à Mme et M. D... au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Article 3 : Le surplus des conclusions des parties est rejeté.

Article 4 : Le présent arrêt sera notifié à la SAS Bettyzou Développement, à la commune de Carqueiranne, à la SCI Carthemis, à Mme C... F..., à l'association comité d'intérêt local du quartier Font-Brun à Carqueiranne, à M. A... E..., à Mme et M. B... et Pierre D..., à la SCI Arvore 3, au préfet du Var et au ministre de la transition écologique et de la cohésion de territoires.

Délibéré après l'audience du 12 octobre 2023, à laquelle siégeaient :

-M. Portail, président,

-M. d'Izarn de Villefort, président assesseur,

-Mme Poullain, première conseillère,

Rendu public par mise à disposition au greffe le 26 octobre 2023.

2

N°22MA03082


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Marseille
Formation : 1ère chambre
Numéro d'arrêt : 22MA03082
Date de la décision : 26/10/2023
Type d'affaire : Administrative

Analyses

68-001-01-02-03 Urbanisme et aménagement du territoire. - Règles générales d'utilisation du sol. - Règles générales de l'urbanisme. - Prescriptions d'aménagement et d'urbanisme. - Régime issu de la loi du 3 janvier 1986 sur le littoral.


Composition du Tribunal
Président : M. PORTAIL
Rapporteur ?: Mme Caroline POULLAIN
Rapporteur public ?: M. QUENETTE
Avocat(s) : CABINET D'AVOCATS THOMAS RIVIERE

Origine de la décision
Date de l'import : 29/10/2023
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.marseille;arret;2023-10-26;22ma03082 ?
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