Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
Mme C... A... a demandé au tribunal administratif de Marseille d'annuler, d'une part, les décisions du 16 octobre 2019 par lesquelles le président du conseil de la région Provence-Alpes-Côte d'Azur a informé les sociétés candidates à l'attribution d'un marché global de performance ayant pour objet la construction, la maintenance et l'exploitation de la Cité scolaire internationale de Marseille, de ce que cette procédure était déclarée sans suite, et, d'autre part, la délibération du 13 décembre 2019 par laquelle la commission permanente du conseil régional a approuvé le versement à chacun des trois candidats d'une prime de 800 000 euros.
Par un jugement n° 2003317 du 5 avril 2022, le tribunal administratif de Marseille a rejeté ces demandes.
Procédure devant la Cour :
Par une requête, enregistrée le 7 juin 2022, et un mémoire enregistré le 29 mai 2023, Mme A..., représentée par Me Bonnefoi, demande à la Cour :
1°) d'annuler ce jugement ;
2°) d'annuler la délibération du 13 décembre 2019 ;
3°) de mettre à la charge de la région la somme de 5 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle soutient que :
- sa demande est recevable ;
- le jugement est insuffisamment motivé ;
- il est entaché d'une contradiction ;
- le tribunal administratif a mal analysé ses écritures ;
- c'est à tort que le tribunal administratif a écarté certains moyens comme inopérants ;
- la région est à l'origine de la situation dont elle se plaint ;
- l'éventuel conflit d'intérêts de la requérante était sans conséquence ;
- la décision de déclarer la procédure sans suite et la décision d'attribuer les primes aux candidats sont disproportionnées ;
- le fondement de ces mesures " n'a aucun caractère contradictoire ".
Par deux mémoires en intervention volontaire, enregistrés le 17 mars 2023 et le 14 juin 2023, Mme B... D..., représentée par Mes Gaspar et Foglia, demande à la Cour :
1°) d'annuler le jugement attaqué ;
2°) d'annuler la délibération du 13 décembre 2019 et la décision de déclaration sans suite ;
3°) de mettre à la charge de la région la somme de 5 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle soutient que :
- la requête de Mme A... est recevable ;
- son intervention est recevable ;
- le jugement est insuffisamment motivé ;
- la région est à l'origine de la situation de conflit d'intérêts ;
- elle ne pouvait déclarer la procédure sans suite alors que d'autres solutions existaient.
Par trois mémoires en défense, enregistrés le 14 octobre 2022, le 31 mai 2023 et le 14 juin 2023, et un mémoire récapitulatif enregistré le 4 juillet 2023, la région Provence-Alpes-Côte d'Azur, représentée par le cabinet Ernst et Young, conclut au rejet de la requête de Mme A... et de l'intervention volontaire de Mme D... et à ce qu'une somme de 5 000 euros soit mise à la charge de Mme A... et de Mme D... au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
La région soutient que :
- la demande d'annulation de la décision de déclaration sans suite est tardive ;
- elle n'a pas intérêt pour demander l'annulation de la décision de déclaration sans suite, dont elle se borne à contester les motifs ;
- la délibération du 13 décembre 2019 n'est pas susceptible de faire l'objet d'un recours pour excès de pouvoir ;
- Mme A... ne démontre aucun intérêt pour agir à l'encontre de cette délibération, dont elle critique seulement les motifs ;
- Mme D... ne justifie pas d'un intérêt à intervenir ;
- l'irrecevabilité de la requête de Mme A... rend l'intervention volontaire de Mme D... également irrecevable ;
- les moyens présentés à l'appui de la requête d'appel sont irrecevables.
Par lettre du 17 mars 2023, la Cour a informé les parties de ce qu'il était envisagé d'inscrire ce dossier à une audience qui pourrait avoir lieu d'ici le 31 décembre 2023, et que la clôture de l'instruction était susceptible d'être prononcée avec effet immédiat à compter du 1er juin 2023.
Par ordonnance du 8 septembre 2023, la clôture de l'instruction a été prononcée avec effet immédiat.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- l'ordonnance n° 2015-899 du 23 juillet 2015 ;
- le décret n° 2016-360 du 25 mars 2016 ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de M. Renaud Thielé, rapporteur,
- les conclusions de M. François Point, rapporteur public,
- et les observations de Me Bonnefoi, pour Mme A..., de Me Radi, pour la région Provence-Alpes-Côte d'Azur, et de Me Gaspar, pour Mme D....
Connaissance prise de la note en délibéré, et de la note en délibéré rectificative, présentées pour Mme A... et enregistrées au greffe les 25 et 26 septembre 2023.
Considérant ce qui suit :
1. Par un avis d'appel public à la concurrence du 18 juillet 2018, la région Provence-Alpes-Côte d'Azur a lancé une procédure de passation, sous la forme d'un dialogue compétitif prévu par l'article 42-1°-d) de l'ordonnance n° 2015-899 du 23 juillet 2015, d'un marché public global de performance portant sur la conception, la construction et l'exploitation-maintenance de la cité scolaire internationale de Marseille. Par un arrêté du 25 octobre 2018, le président du conseil régional a désigné des maîtres d'œuvre et des personnalités appelés à siéger en raison de leurs compétences au sein du jury chargé notamment d'examiner les prestations des candidats, de les auditionner et de formuler un avis motivé sur la base duquel le marché sera attribué. Mme A..., qui occupait les fonctions de directrice déléguée générale de l'association EnvirobatBDM, a été désignée pour siéger dans ce jury. Le 24 mai 2019, Mme B... D..., chef de projet " bâtiment et développement durable " au sein de la société Adret, membre du groupement dont le mandataire, la société Eiffage, a présenté un dossier de candidature dans le cadre de cette procédure, est devenue présidente de cette même association EnvirobatBDM. La région Provence-Alpes-Côte d'Azur, estimant que cette situation était susceptible de créer un conflit d'intérêts, a, par décisions du 16 octobre 2019, fait part aux différents candidats du classement sans suite de la procédure. En outre, par une délibération du 13 décembre 2019, la région a notamment approuvé le versement d'une prime de 800 000 euros hors taxes à chacun des candidats de ce marché. Le 17 décembre 2019, la région a assigné Mme A... devant le tribunal de grande instance de Marseille en sollicitant sa condamnation, solidairement avec la présidente de l'association, à lui payer une indemnité de 3 938 894 euros. Mme A... a saisi le tribunal administratif de Marseille d'une demande tendant à l'annulation, d'une part, des décisions du 16 octobre 2019, et d'autre part, de la délibération du 13 décembre 2019. Par le jugement attaqué, le tribunal administratif a rejeté ces demandes. Mme A... fait appel de ce jugement en tant seulement qu'il rejette sa demande tendant à l'annulation de la délibération du 13 décembre 2019.
Sur la régularité du jugement attaqué :
2. Aux termes de l'article L. 9 du code de justice administrative : " Les jugements sont motivés ".
3. Mme A... fait grief au tribunal administratif de n'avoir pas répondu au moyen tiré de ce que la région était seule responsable de la situation, dès lors qu'elle aurait dû vérifier, dès la prise de connaissance des candidatures, qu'il n'y avait pas de conflit d'intérêts, conflit qu'elle ne pouvait ignorer.
4. Si les premiers juges ont répondu au moyen tiré de l'absence de charte de déontologie et de définition des situations de conflit d'intérêts, ils n'ont pas analysé le moyen tiré de ce que la région aurait dû vérifier qu'il n'y avait pas de conflits d'intérêts. Le caractère inopérant de ce moyen ne dispensait pas les premiers juges de l'analyser.
5. Sans qu'il soit besoin d'examiner les autres moyens relatifs à la régularité du jugement attaqué, Mme A... est fondée à soutenir qu'il est, dans la limite des conclusions d'appel, irrégulier.
6. Le jugement attaqué doit donc être annulé en tant qu'il rejette la demande de Mme A... tendant à l'annulation de la délibération du 13 décembre 2019. Il y a lieu pour la Cour d'évoquer l'affaire et d'y statuer immédiatement.
Sur la recevabilité de la demande de première instance :
7. La délibération du 13 décembre 2019 dont Mme A... demande l'annulation a pour objet l'attribution de primes aux différents candidats de la procédure de passation déclarée sans suite, et intéresse les seuls rapports entre le pouvoir adjudicateur et les candidats. Mme A... est donc dépourvue d'intérêt pour agir contre cette délibération. La seule circonstance que, devant le juge civil, la région ait sollicité la condamnation de Mme A... à indemniser le préjudice qu'elle impute à la faute supposée de cette dernière n'est pas de nature à conférer à celle-ci un intérêt pour agir contre la délibération décidant le versement des primes aux candidats, alors même que ces primes constitueraient, dans l'argumentaire de la région, un élément du préjudice dont elle sollicite l'indemnisation. Il revient en effet au juge civil, au terme d'une appréciation de l'ensemble des faits qui lui sont soumis, non seulement d'estimer la réalité de la faute imputée à Mme A..., mais également de déterminer si la région justifie d'un préjudice en lien avec cette faute, ce qui suppose, notamment, d'examiner si la déclaration sans suite de la procédure de consultation est la conséquence nécessaire de cette faute ou résulte d'un choix de la région.
8. Au demeurant, en l'espèce, en application de l'article 92 du décret susvisé du 25 mars 2016 relatif aux marchés publics, l'attribution de la prime, dont le montant est fixé par les documents de la consultation, constituait un droit pour tous les candidats à l'attribution d'un marché global de performance, quelle que soit l'issue de la consultation. Il en résulte que la région aurait dû payer ces différentes primes aux candidats à l'attribution de ce marché, que la procédure donne lieu à l'attribution du marché ou qu'elle soit déclarée sans suite. Ainsi, le seul préjudice susceptible d'être en lien avec la déclaration sans suite prononcée correspond non pas au coût de ces primes versées aux candidats à l'issue de la procédure déclarée sans suite, mais au coût de la seconde mise en concurrence rendue nécessaire par la déclaration sans suite.
9. Il résulte de ce qui précède que la demande de Mme A... tendant à l'annulation de la délibération du 13 décembre 2019 est irrecevable et doit être rejetée, ainsi que, par voie de conséquence, ses conclusions tendant à l'application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative. L'intervention de Mme D... est irrecevable par voie de conséquence de l'irrecevabilité de la demande de Mme A... et doit donc être rejetée pour les mêmes motifs. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative s'opposent à ce qu'une somme quelconque soit mise à la charge de Mme D... au titre des frais du litige, dès lors que celle-ci n'a pas la qualité de partie dans la présente instance. Dans les circonstances de l'espèce, il n'y a pas lieu de mettre à la charge de Mme A... une somme à ce même titre.
D É C I D E :
Article 1er : Le jugement n° 2003317 du 5 avril 2022 du tribunal administratif de Marseille est annulé en tant qu'il rejette la demande présentée par Mme A... et tendant à l'annulation de la délibération du 13 décembre 2019.
Article 2 : Cette demande est rejetée, ainsi que le surplus de ses conclusions d'appel.
Article 3 : L'intervention de Mme D... n'est pas admise.
Article 4 : Les conclusions de la région Provence-Alpes-Côte d'Azur tendant à l'application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.
Article 5 : Le présent arrêt sera notifié à Mme C... A..., à la région Provence-Alpes-Côte d'Azur et à Mme B... D....
Délibéré après l'audience du 25 septembre 2023, où siégeaient :
- M. Alexandre Badie, président,
- M. Renaud Thielé, président assesseur,
- Mme Isabelle Gougot, première conseillère.
Rendu public par mise à disposition au greffe, le 16 octobre 2023.
N° 22MA01589 2