Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
M. A... B... a demandé au tribunal administratif de Toulon, par une requête enregistrée sous le n° 1903108, d'annuler la décision par laquelle le recteur de l'académie de Nice a implicitement rejeté sa demande en date du 22 février 2018 tendant à obtenir le grade de professeur des écoles de classe exceptionnelle et, par une requête enregistrée sous le n° 2002634, de condamner l'Etat à lui verser une somme de 123 301 euros en réparation des préjudices financiers consécutifs à son absence de promotion au grade de professeur des écoles de classe exceptionnelle.
Par un jugement nos 1903108 et 2002634 du 21 février 2022, le tribunal administratif de Toulon a rejeté ses demandes.
Procédure devant la Cour :
Par une requête, enregistrée le 20 avril 2022, M. B..., représenté par Me Varron Charrier, demande à la Cour :
1°) d'annuler le jugement du 21 février 2022 ;
2°) d'annuler la décision née le 22 avril 2018 ;
3°) de condamner l'Etat à lui verser une somme de 123 301 euros en réparation de ses préjudices financiers ;
4°) de mettre à la charge de l'État la somme de 4 000 euros sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Il soutient que :
- c'est à tort que les premiers juges ont estimé que l'avis attribué par l'inspecteur d'académie ne constituait qu'une mesure préparatoire à l'établissement du tableau d'avancement, seule décision susceptible de faire l'objet d'un recours, le jugement est donc irrégulier ;
- l'administration a commis deux fautes, l'une de lui avoir attribué la note générale de " satisfaisant " alors qu'il pouvait prétendre au vu de ses services à la qualification d'" excellent " et l'autre, pour ne pas l'avoir promu ;
- l'absence de promotion au grade de classe exceptionnelle résulte du tableau d'avancement qui résulte lui-même de la qualification et de la note qui lui ont été attribuées et au cas présent, est due à la faute commise par l'administration qui a procédé à son classement erroné au tableau d'avancement en se basant sur une note générale entachée d'une erreur d'appréciation ;
- il était éligible à la promotion à raison tant de l'exercice de ses fonctions, au titre du " premier vivier " qu'en raison de son parcours professionnel au titre du " deuxième vivier " ;
- il appartient au rectorat, sur lequel pèse dès lors la charge de la preuve, de démontrer que les agents promus avaient des dossiers meilleurs que le sien ;
- il ressort des documents de la commission administrative paritaire que des agents qui n'avaient pas plus d'ancienneté que lui mais qui ont en revanche obtenu l'appréciation " excellent " du fait du choix personnel de l'inspecteur d'académie ont été promus au grade de professeur des écoles de classe exceptionnelle que ce soit au titre du " premier vivier " ou au titre du " deuxième vivier " ;
- en raison de ces fautes qui ont conduit à ce qu'à tort il ne soit pas promu et alors qu'il aurait prolongé son activité professionnelle avec la perspective de promotions automatiques à venir chaque année et qu'il aurait continué à enseigner durant deux ans, il aurait bénéficié d'une retraite plus conséquente ; il a ainsi été privé d'une chance de percevoir un traitement et une pension plus importants.
Une mise en demeure de produire ses observations a été adressée le 11 avril 2023 au recteur de l'académie de Nice.
Un courrier du 22 juin 2023 adressé aux parties en application des dispositions de l'article R. 611-11-1 du code de justice administrative, les a informées de la période à laquelle il est envisagé d'appeler l'affaire à l'audience et a indiqué la date à partir de laquelle l'instruction pourra être close dans les conditions prévues par le dernier alinéa de l'article R. 613-1 et le dernier alinéa de l'article R. 613-2.
Par ordonnance du 26 juillet 2023, la clôture de l'instruction a été fixée à sa date d'émission en application de l'article R. 613-1 du code de justice administrative.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- la loi n° 84-16 du 11 janvier 1984 ;
- le décret n° 90-680 du 1er août 1990 ;
- la note de service n° 2017-178 du 24 novembre 2017 ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de Mme Isabelle Ruiz, rapporteure,
- les conclusions de M. François Point, rapporteur public,
- et les observations de Me Varron Charrier, pour M. B....
Considérant ce qui suit :
1. M. B..., professeur des écoles hors-classe, a sollicité sa promotion au grade de professeur des écoles de classe exceptionnelle. Par courrier du 22 février 2018, il a sollicité le remplacement de la mention " Satisfaisant " par la mention " Excellent " dans son dossier constitué en vue de la promotion au grade sollicité. Par une demande enregistrée sous le n° 1903108, M. B... a alors saisi le tribunal administratif de Toulon pour solliciter l'annulation de la décision portant rejet de sa demande. Par une seconde demande enregistrée sous le n° 2002634, M. B... a saisi le tribunal administratif de Toulon afin d'obtenir la condamnation de l'Etat à lui verser une somme de 123 301 euros en réparation des préjudices financiers résultant de son absence de promotion au grade de professeur des écoles de classe exceptionnelle. Par le jugement du 21 février 2022, le tribunal administratif a rejeté ces demandes. M. B... fait appel de ce jugement.
Sur le cadre applicable :
2. Aux termes de l'article 25-1 du décret du 1er août 1990 : " I.- Peuvent être promus au grade de professeur des écoles de classe exceptionnelle, au choix, par voie d'inscription à un tableau annuel d'avancement, les professeurs des écoles qui, à la date d'établissement dudit tableau, ont atteint au moins le 3e échelon de la hors-classe et justifient de 8 années de fonctions accomplies dans des conditions d'exercice difficiles ou sur des fonctions particulières au sein d'un corps enseignant, d'éducation ou de psychologue relevant du ministère de l'éducation nationale. / La liste de ces fonctions est fixée par arrêté du ministre chargé de l'éducation nationale et du ministre chargé de la fonction publique. / II.- Par dérogation aux dispositions du décret n° 2005-1090 du 1er septembre 2005 relatif à l'avancement de grade dans les corps des administrations de l'Etat, le nombre de promotions au grade de professeur des écoles de classe exceptionnelle est contingenté dans la limite d'un pourcentage appliqué à l'effectif du corps des professeurs des écoles considérés au 31 août de l'année au titre de laquelle sont prononcées les promotions. / Le pourcentage mentionné à l'alinéa précédent est fixé par arrêté conjoint du ministre chargé de l'éducation nationale, du ministre chargé du budget et du ministre chargé de la fonction publique. / III.- Dans la limite de 20 % du nombre des promotions annuelles mentionné au premier alinéa du II, peuvent également être promus au grade de professeur des écoles de classe exceptionnelle au choix, par voie d'inscription au tableau annuel d'avancement, les professeurs des écoles qui, ayant atteint au moins le 6e échelon de la hors-classe, ont fait preuve d'une valeur professionnelle exceptionnelle au regard de l'ensemble de leur carrière. / IV. -Le tableau d'avancement est arrêté chaque année, dans chaque département, par le recteur, après avis de la commission administrative paritaire compétente, selon des orientations définies par le ministre chargé de l'éducation nationale. / Les promotions sont prononcées, dans l'ordre d'inscription au tableau annuel d'avancement, par le recteur. ".
3. Aux termes de l'article 3.3 de la note n° 2017-178 du 24 novembre 2017, relative à l'accès au grade de professeur des écoles de classe exceptionnelle : " L'inspecteur de l'éducation nationale (IEN) formule un avis via l'application I-Prof sur chacun des agents promouvables, au titre de l'un ou de l'autre vivier (...) Ces avis prennent la forme d'une appréciation littérale ". Aux termes de l'article 3.4 de cette note " L'appréciation arrêtée par l'IA-Dasen / Vous formulerez une appréciation qualitative à partir du CV I-Prof de l'enseignant et des avis rendus. / Pour le premier vivier / L'appréciation qualitative porte sur le parcours professionnel, l'exercice des fonctions (durée, conditions, notamment dans le cadre de l'éducation prioritaire) et la valeur professionnelle de l'agent au regard de l'ensemble de la carrière. / L'examen du parcours professionnel de chaque agent doit permettre d'apprécier, sur la durée, son investissement professionnel, compte tenu par exemple des éléments suivants : activités professionnelles, implication en faveur de la réussite des élèves et dans la vie de l'école/établissement, richesse et diversité du parcours professionnel, formations et compétences. / Pour le second vivier / L'appréciation qualitative porte sur le parcours et la valeur professionnels de l'agent au regard de l'ensemble de la carrière. / L'examen du parcours professionnel de chaque agent doit permettre d'apprécier, sur la durée, son investissement professionnel, compte tenu par exemple des éléments suivants : activités professionnelles, implication en faveur de la réussite des élèves et dans la vie de l'établissement, richesse et diversité du parcours professionnel, formations et compétences. / L'appréciation de l'IA-Dasen, que ce soit pour le premier ou pour le second vivier, se décline en quatre degrés : / - Excellent ; / - Très satisfaisant ; / - Satisfaisant ; / - Insatisfaisant. / Pour le premier vivier comme pour le second vivier, les appréciations " excellent " et " très satisfaisant " ne peuvent être attribuées qu'à un pourcentage maximal des candidatures recevables. Ces pourcentages sont fixés en annexe 1 au titre des années 2017 et 2018. Ces annexes seront complétées pour les campagnes suivantes. ".
Sur la régularité du jugement :
4. Il résulte de l'instruction que conformément aux dispositions de la note du ministre de l'éducation nationale citées au point précédent, l'inspecteur d'académie-directeur académique des services de l'éducation nationale a rendu un avis dans le cadre de l'examen du dossier de candidature de M. B... pour la promotion au grade de professeur des écoles de classe exceptionnelle, tant au titre du " premier vivier " que du " deuxième vivier " et que la demande de M. B... enregistrée sous le n° 1903108 devant le tribunal administratif de Toulon tendait à l'annulation de la décision portant rejet du recours hiérarchique qu'il avait introduit contre cet avis. Or, l'avis de l'inspecteur d'académie-directeur académique des services de l'éducation nationale qui n'est pas détachable de la décision prononcée au vu de cet avis n'a pas le caractère d'une décision faisant grief. Dans ces conditions, l'appelant n'est pas fondé à se plaindre de ce que les premiers juges ont rejeté ses conclusions dirigées contre cet acte préparatoire. Ces derniers n'ont dès lors pas entaché leur jugement d'irrégularité.
Sur le bien-fondé du jugement :
En ce qui concerne l'existence d'une faute :
5. Il résulte de l'instruction qu'alors que l'appelant a sollicité son inscription sur le tableau d'avancement au grade de professeur des écoles de classe exceptionnelle au titre du " premier vivier " ainsi qu'au titre du " deuxième vivier ", l'avis rendu par l'inspecteur d'académie dans ce cadre a été " satisfaisant " et l'intéressé n'a pas été promu.
6. L'appelant fait valoir, s'agissant de la liste établie au titre du premier vivier, que l'administration a commis une faute en procédant à son classement erroné au tableau d'avancement en se basant sur une note générale entachée d'une erreur d'appréciation. Titulaire du 6ème échelon de son grade et classé 91ème au titre du " premier vivier ", il conteste le meilleur classement d'autres candidats classés respectivement 10ème, 11ème, 12ème et 13ème alors qu'ils sont titulaires d'un échelon inférieur au sien, le 5ème. Il se plaint également en ce qui concerne la promotion au titre du " deuxième vivier " de ce qu'il n'a été classé que 47ème alors que d'autres candidats avec moins d'ancienneté dans le même échelon 6 ont été classés bien avant lui.
7. Toutefois, il résulte de l'instruction que, dans le cadre de l'appréciation comparative des mérites des candidats, bien que l'intéressé ait pu disposer d'une ancienneté supérieure à celle d'autres agents bénéficiant d'un meilleur classement, ceux-ci ont bénéficié d'une appréciation de la part de l'inspecteur d'académie d'excellente tandis que M. B... n'a obtenu que la mention " satisfaisant ".
8. Néanmoins, l'appelant remet également en cause le bien-fondé de l'appréciation littérale portée par l'inspecteur d'académie ainsi que la pertinence de la mention " satisfaisant " portée à son dossier. Il résulte de la note n° 2017-178 du 24 novembre 2017, relative à l'accès au grade de professeur des écoles de classe exceptionnelle, d'une part, que l'appréciation à porter sur chaque candidat comprend quatre degrés et d'autre part, que l'accès aux deux premiers grades est contingenté. Il s'en déduit que pour apprécier la valeur professionnelle d'un candidat écarté des deux premiers degrés " Excellent " et " Très satisfaisant ", il y a lieu d'analyser les mérites comparés de cet agent et de ceux des autres agents candidats à ce même grade. Cette qualification résulte de l'appréciation portée par l'administration sur les mérites de ses agents tout au long de leur carrière.
9. Il résulte de l'instruction et notamment les fiches des notations que M. B... a obtenues au cours des dernières années qu'il produit, que ses supérieurs hiérarchiques soulignent de manière constante la très grande qualité de son implication et l'excellence de son travail. De son côté, l'administration n'a produit ni dans le cadre de l'appel ni dans le cadre de la première instance d'éléments de nature à établir que les candidats classés " Excellent " ou " Très satisfaisant " présentaient des mérites supérieurs à ceux de M. B.... Il en ressort que pour ce qui concerne la promotion au titre du " premier vivier ", l'appréciation littérale concernant M. B... et les appréciations s'agissant des candidats mieux classés telles qu'elles ont été reportées dans le tableau des candidats promouvables au titre de ce vivier ne sont pas en adéquation et ne permettent pas de comprendre la qualification de seulement " Satisfaisant " portée au dossier de l'appelant et la qualification d'" Excellent " attribuée à trente-cinq autres candidats et celle de " Très satisfaisant " donnée à quarante-sept autres candidats, tous classés devant l'appelant. Il ressort également de la liste établie au titre du " deuxième vivier " que douze candidats ont bénéficié de la qualification d'" Excellent " et dix-neuf de la qualification " Très satisfaisant ". L'appréciation portée par l'administration sur le dossier de l'appelant comparativement aux autres candidats n'est pas davantage justifiée par une différenciation de l'appréciation ainsi portée par l'administration sur les mérites respectifs des candidats promouvables au titre du " deuxième vivier ".
10. Il s'ensuit que l'administration a commis une erreur manifeste dans l'appréciation des mérites respectifs des candidats qui l'a conduite à attribuer à certains la mention " Excellent " ou " Très satisfaisant " et à l'appelant, la mention de seulement " Satisfaisant ". Il résulte de tout ce qui précède que M. B... est fondé à soutenir que l'administration a commis une faute en ne procédant pas à sa promotion sur le fondement d'appréciations de ses mérites et qualités erronées.
En ce qui concerne le lien de causalité et les préjudices :
11. Il résulte de ce qui vient d'être dit que l'administration doit procéder à la reconstitution de la carrière de M. B... en prenant en compte sa promotion au grade de classe exceptionnelle à compter du 1er septembre 2017. Il résulte par ailleurs de l'instruction que l'intéressé a fait valoir ses droits à pension à compter du 1er septembre 2018. Dans ces conditions, et compte tenu de la reconstitution de la carrière de M. B..., y compris en ses droits à pension, l'appelant n'est pas fondé à réclamer l'indemnisation d'un quelconque préjudice. Il n'y a pas lieu de faire droit à sa demande d'indemnisation à hauteur de 123 301 euros, au regard d'une éventualité alléguée mais incertaine, de la perte de chance de ne pas être parti à la retraite deux ans plus tard.
12. Il résulte de ce qui précède que M. B... est fondé à soutenir que c'est à tort que le tribunal administratif de Toulon a rejeté ses demandes.
Sur les frais liés au litige :
13. Il y a lieu, en application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative, de mettre à la charge de l'Etat une somme de 2 000 euros qui sera versée à M. B... au titre des frais exposés par lui elle et non compris dans les dépens.
D É C I D E :
Article 1er : L'Etat est condamné à procéder à la reconstitution de la carrière de M. B... tenant compte des éléments mentionnés au point 11 du présent arrêt.
Article 2 : Le jugement du 21 février 2022 du tribunal administratif de Toulon est réformé en ce qu'il est contraire au présent arrêt.
Article 3 : L'Etat versera à M. B... une somme de 2 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 4 : Le présent arrêt sera notifié à M. A... B... et au ministre de l'éducation nationale et de la jeunesse.
Copie en sera adressée au recteur de l'académie de Nice.
Délibéré après l'audience du 25 septembre 2023, où siégeaient :
- M. Alexandre Badie, président de chambre,
- M. Renaud Thielé, président assesseur,
- Mme Isabelle Ruiz, première conseillère.
Rendu public par mise à disposition au greffe, le 16 octobre 2023.
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No 22MA01117