Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
Mme A... B... épouse C... a demandé au tribunal administratif de Nice, d'une part, d'annuler l'arrêté du 23 novembre 2021 par lequel le préfet des Alpes-Maritimes a refusé de lui délivrer un titre de séjour, lui a fait obligation de quitter le territoire français dans un délai de trente jours et a fixé le pays à destination duquel elle sera reconduite à l'expiration de ce délai, d'autre part, d'enjoindre audit préfet de lui délivrer un titre de séjour portant la mention " vie privée et familiale ", dans un délai de trente jours à compter de la notification du jugement à intervenir et sous une astreinte de 100 euros par jour de retard et, enfin, de mettre à la charge de l'Etat une somme de 1 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Par un jugement n° 2106616 du 25 avril 2022, le tribunal administratif de Nice a rejeté sa demande.
Procédure devant la Cour :
Par une requête, enregistrée le 2 juin 2022, Mme C..., représentée par Me Ciccolini, demande à la Cour :
1°) d'annuler ce jugement du tribunal administratif de Nice du 25 avril 2022 ;
2°) d'annuler cet arrêté préfectoral du 23 novembre 2021 ;
3°) d'enjoindre au préfet des Alpes-Maritimes, en application des dispositions des articles L. 911-1, L. 911-2 et L. 911-3 du code de justice administrative, de lui délivrer un titre de séjour portant la mention " vie privée et familiale ", dans un délai de trente jours à compter de la notification de l'arrêt à intervenir et sous une astreinte de 100 euros par jour de retard ;
4°) de mettre à la charge de l'Etat une somme de 1 500 euros sur le fondement des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle soutient que :
- contrairement à l'arrêté préfectoral contesté du 23 novembre 2021, le jugement attaqué du tribunal administratif de Nice lui fait, à tort, essentiellement grief de ne pas avoir justifié de ressources suffisantes perçues par elle-même ou par son époux ;
- ce même jugement ne tient pas compte de sa situation maritale au regard des stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- conformément à l'article 3 de la convention internationale des droits de l'enfant, l'intérêt supérieur de son enfant commande que celui-ci puisse continuer de vivre auprès de ses deux parents ;
- l'arrêté préfectoral contesté du 23 novembre 2021 est entaché d'une erreur manifeste d'appréciation.
La procédure a été communiquée au préfet des Alpes-Maritimes qui n'a pas produit de mémoire.
Par une ordonnance du 30 mai 2023, la clôture de l'instruction a été fixée au 30 juin 2023, à 12 heures.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- le code de justice administrative.
Le président de la formation de jugement a dispensé la rapporteure publique, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Le rapport de M. Lombart a été entendu au cours de l'audience publique.
Considérant ce qui suit :
1. Par un arrêté du 23 novembre 2021, le préfet des Alpes-Maritimes a refusé à Mme C..., ressortissante tunisienne, née le 13 janvier 1989, la délivrance d'un titre de séjour, lui a fait obligation de quitter le territoire français dans un délai de trente jours et a fixé le pays à destination duquel elle sera reconduite à l'expiration de ce délai. Mme C... relève appel du jugement du 25 avril 2022 par lequel le tribunal administratif de Nice a rejeté sa demande tendant à l'annulation de cet arrêté.
Sur le bien-fondé du jugement attaqué :
2. L'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales stipule que : " 1. Toute personne a droit au respect de sa vie privée et familiale, de son domicile et de sa correspondance. / 2. Il ne peut y avoir ingérence d'une autorité publique dans l'exercice de ce droit que pour autant que cette ingérence est prévue par la loi et qu'elle constitue une mesure qui, dans une société démocratique, est nécessaire à la sécurité nationale, à la sûreté publique, au bien-être économique du pays, à la défense de l'ordre et à la prévention des infractions pénales, à la protection de la santé ou de la morale, ou à la protection des droits et libertés d'autrui. "
3. Il ressort des pièces versées aux débats par Mme C..., lesquelles ne sont au demeurant pas contestées par le préfet des Alpes-Maritimes qui n'a produit de mémoire en défense ni devant le tribunal administratif de Nice, ni devant la Cour, que celle-ci est entrée, le 5 novembre 2015, sur le territoire français pour y rejoindre son époux. Titulaire d'une carte de résident valable du 20 janvier 2016 au 19 janvier 2026, ce dernier y réside en situation régulière. De ce mariage, un premier enfant est né, en France, déclaré par son père, le 23 septembre 2019. Alors même qu'elle n'est pas dépourvue d'attaches familiales dans son pays d'origine et qu'elle ne se prévaut d'aucune intégration en France, Mme C... est ainsi fondée à se prévaloir en France d'une vie familiale, suffisamment stable et intense, ainsi que d'une durée de séjour de plus de six ans, à la date d'édiction de l'arrêté préfectoral contesté. Dans ces conditions, en refusant de délivrer à Mme C... un titre de séjour et en lui faisant obligation de quitter le territoire français, le préfet des Alpes-Maritimes a porté à son droit au respect de sa vie privée et familiale une atteinte disproportionnée aux buts en vue desquels ces décisions ont été prises et le représentant de l'Etat a méconnu les stipulations précitées de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales.
4. Il résulte de ce qui précède que, sans qu'il soit besoin d'examiner les autres moyens de sa requête, Mme C... est fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué du 25 avril 2022, le tribunal administratif de Nice a rejeté sa demande tendant à l'annulation de l'arrêté préfectoral contesté du 23 novembre 2021. Il y a donc lieu d'annuler tant ce jugement que cet arrêté.
Sur les conclusions aux fins d'injonction et d'astreinte :
5. Aux termes de l'article L. 911-1 du code de justice administrative : " Lorsque sa décision implique nécessairement qu'une personne morale de droit public (...) prenne une mesure d'exécution dans un sens déterminé, la juridiction, saisie de conclusions en ce sens, prescrit, par la même décision, cette mesure assortie, le cas échéant, d'un délai d'exécution. (...) ". Selon l'article L. 911-3 du même code : " La juridiction peut assortir, dans la même décision, l'injonction prescrite en application des articles L. 911-1 et L. 911-2 d'une astreinte qu'elle prononce dans les conditions prévues au présent livre et dont elle fixe la date d'effet. "
6. Eu égard à la portée du motif qui la fonde, et alors qu'au demeurant, il résulte de l'instruction que Mme C... a donné naissance, le 30 octobre 2022, à un second enfant que son époux a reconnu, l'annulation prononcée par le présent arrêt implique nécessairement que le préfet des Alpes-Maritimes délivre à cette dernière un titre de séjour temporaire portant la mention " vie privée et familiale ". Dès lors, il y a lieu d'adresser au représentant de l'Etat une injonction en ce sens et de lui impartir, pour y satisfaire, un délai d'un mois courant à compter de la notification du présent arrêt. Dans les circonstances de l'espèce, il n'y a pas lieu, en revanche, d'assortir cette injonction d'une astreinte.
Sur les frais liés au litige :
7. Aux termes de l'article L. 761-1 du code de justice administrative : " Dans toutes les instances, le juge condamne la partie tenue aux dépens ou, à défaut, la partie perdante, à payer à l'autre partie la somme qu'il détermine, au titre des frais exposés et non compris dans les dépens. Les parties peuvent produire les justificatifs des sommes qu'elles demandent et le juge tient compte de l'équité ou de la situation économique de la partie condamnée. Il peut, même d'office, pour des raisons tirées des mêmes considérations, dire qu'il n'y a pas lieu à cette condamnation. "
8. Dans les circonstances de l'espèce, il y a lieu de mettre à la charge de l'Etat la somme de 1 500 euros à verser à Mme C... au titre des dispositions précitées de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
D E C I D E :
Article 1er : Le jugement n° 2106616 du tribunal administratif de Nice du 25 avril 2022 et l'arrêté du 23 novembre 2021 par lequel le préfet des Alpes-Maritimes a refusé de délivrer à Mme C... un titre de séjour, lui a fait obligation de quitter le territoire français dans un délai de trente jours et a fixé le pays à destination duquel elle sera reconduite à l'expiration de ce délai sont annulés.
Article 2 : Il est enjoint au préfet des Alpes-Maritimes de délivrer à Mme C... un titre de séjour temporaire portant la mention " vie privée et familiale ", dans le délai d'un mois à compter de la notification du présent arrêt.
Article 3 : L'Etat (ministre de l'intérieur et des outre-mer) versera à Mme C... une somme de 1 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 4 : Le surplus des conclusions de la requête est rejeté.
Article 5 : Le présent arrêt sera notifié à Mme A... B... épouse C... et au ministre de l'intérieur et des outre-mer.
Copie en sera adressée au préfet des Alpes-Maritimes et au procureur de la République près le tribunal judiciaire de Nice.
Délibéré après l'audience du 19 septembre 2023, où siégeaient :
- M. Marcovici, président,
- M. Revert, président assesseur,
- M. Lombart, premier conseiller.
Rendu public par mise à disposition au greffe le 3 octobre 2023.
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No 22MA01577