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22/09/2023 | FRANCE | N°22MA02246

France | France, Cour administrative d'appel de Marseille, 7ème chambre, 22 septembre 2023, 22MA02246


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

Mme B... A... a demandé au tribunal administratif de Marseille de condamner l'Etat à lui verser la somme de 19 000 euros assortie des intérêts au taux légal, en réparation des préjudices qu'elle estime avoir subis.

Par un jugement n° 2002286 du 14 juin 2022, le tribunal administratif de Marseille a rejeté cette demande.

Procédure devant la Cour :

Par une requête enregistrée le 10 août 2022 et un mémoire enregistré le 15 décembre 2022, Mme A..., représentée par Me Baduel, deman

de à la Cour :

1°) d'annuler le jugement du tribunal administratif de Marseille du 14 juin 2022 ;...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

Mme B... A... a demandé au tribunal administratif de Marseille de condamner l'Etat à lui verser la somme de 19 000 euros assortie des intérêts au taux légal, en réparation des préjudices qu'elle estime avoir subis.

Par un jugement n° 2002286 du 14 juin 2022, le tribunal administratif de Marseille a rejeté cette demande.

Procédure devant la Cour :

Par une requête enregistrée le 10 août 2022 et un mémoire enregistré le 15 décembre 2022, Mme A..., représentée par Me Baduel, demande à la Cour :

1°) d'annuler le jugement du tribunal administratif de Marseille du 14 juin 2022 ;

2°) de condamner l'Etat à lui verser la somme de 19 000 euros assortie des intérêts au taux légal à compter du 10 octobre 2019 et de la capitalisation des intérêts à compter du 11 octobre 2020 ;

3°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 2 000 euros en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que :

- elle n'a pas perçu l'indemnisation à laquelle elle a droit dès lors que la commission nationale d'indemnisation des avoués (CNIA) n'a jamais statué sur sa demande d'indemnisation avant le terme du mandat de ses membres, alors même qu'elle disposait d'un délai suffisant pour le faire après la décision du Conseil d'Etat annulant les deux premières décisions de rejet de la commission ;

- elle avait droit à l'indemnisation sollicitée devant la CNIA ;

- elle a subi une perte de chance d'obtenir l'indemnisation financière à laquelle elle a droit et qui doit être évaluée à 15 000 euros ;

- les stipulations de l'article 6.1 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ont été méconnues ;

- les dispositions de l'article L. 114-5 du code des relations entre le public et l'administration ont été méconnues ;

- les dispositions de l'article L. 114-5-1 du code des relations entre le public et l'administration ont été méconnues ;

- les dispositions de l'article L. 114-6 du code des relations entre le public et l'administration ont été méconnues ;

- elle a subi un préjudice moral du fait de la longueur excessive de la procédure tendant à son indemnisation qui doit être évalué à 4 000 euros.

Par un mémoire en défense enregistré le 18 novembre 2022, le ministre de la justice conclut au rejet de la requête.

Il fait valoir qu'aucun des moyens de la requête n'est fondé.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

- la loi n° 2000-321 du 12 avril 2000 ;

- la loi n° 2011-94 du 25 janvier 2011 ;

- le décret n° 2001-492 du 6 juin 2001 ;

- le décret n° 2011-361 du 1er avril 2011 ;

- le code des relations entre le public et l'administration ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de Mme Chenal-Peter,

- et les conclusions de M. Guillaumont, rapporteur public.

Considérant ce qui suit :

1. Mme A..., salariée de la chambre des avoués de la cour d'appel d'Aix-en-Provence, a été licenciée à l'occasion de l'entrée en vigueur de la loi du 25 janvier 2011 portant réforme de la représentation devant les cours d'appel qui a supprimé la profession d'avoué. Elle a saisi la commission nationale d'indemnisation des avoués (CNIA), créée par l'article 16 de cette loi, d'une demande d'indemnisation. Par une décision du 9 mai 2012, le président de la CNIA a rejeté cette demande, au motif qu'elle ne justifiait pas d'une année d'ancienneté ininterrompue dans la profession à la date de son licenciement. A la suite du recours gracieux formé par l'intéressée, cette décision a été confirmée le 2 octobre 2013. Par une décision du 11 juin 2014, le Conseil d'Etat a annulé ces deux décisions, et renvoyé Mme A... devant la CNIA afin qu'il soit statué sur sa demande. Le 20 août 2014, la commission a demandé à la requérante de produire des pièces justificatives complémentaires. A la date d'expiration du mandat des membres de la commission le 4 avril 2016, celle-ci n'avait pas statué sur la demande d'indemnisation de Mme A... qui n'a produit de nouvelles pièces que le 28 décembre 2016. Saisi de l'exécution de sa décision du 11 juin 2014, le Conseil d'Etat a conclu à l'impossibilité de cette exécution et a procédé au classement administratif de la demande de Mme A.... L'intéressée relève appel du jugement du 14 juin 2022 par lequel le tribunal administratif de Marseille a rejeté sa demande tendant à la condamnation de l'Etat à lui verser la somme de 15 000 euros au titre de son préjudice financier et la somme de 4 000 euros au titre de son préjudice moral du fait de la longueur excessive de la procédure d'indemnisation.

Sur le bien-fondé du jugement attaqué :

2. En premier lieu, d'une part, aux termes de l'article 14 de la loi du 25 janvier 2011 : " Tout licenciement survenant en conséquence directe de la présente loi entre la publication de celle-ci et le 31 décembre 2012, ou le 31 décembre 2014 pour les personnels de la Chambre nationale des avoués près les cours d'appel, est réputé licenciement pour motif économique au sens de l'article L. 1233-3 du code du travail. / Dès lors qu'ils comptent un an d'ancienneté ininterrompue dans la profession, les salariés perçoivent du fonds d'indemnisation prévu à l'article 19 des indemnités calculées à hauteur d'un mois de salaire par année d'ancienneté dans la profession, dans la limite de trente mois (...) ". Aux termes de l'article 16 de la même loi, alors en vigueur : " Les demandes d'indemnisation présentées en application des articles 14 et 15 sont formées avant l'expiration d'un délai de deux ans à compter de l'entrée en vigueur du chapitre Ier de la présente loi. / Elles sont portées devant une commission nationale présidée par un magistrat hors hiérarchie de l'ordre judiciaire et composée d'un représentant du garde des sceaux, ministre de la justice, d'un représentant du ministre chargé du budget et de deux représentants des avoués près les cours d'appel. / Les indemnités mentionnées à l'article 14 et les sommes mentionnées à l'article 15 sont fixées par la commission sur production d'un état liquidatif établi par l'employeur et des pièces justificatives. Elle transmet sa décision au fonds d'indemnisation, qui procède au paiement (...) ". Aux termes de l'article 1er du décret du 1er avril 2011 relatif aux modalités de l'indemnisation prévue par la loi n° 2011-94 du 25 janvier 2011 portant réforme de la représentation devant les cours d'appel, alors en vigueur : " Les membres de la commission prévue à l'article 16 de la loi du 25 janvier 2011 susvisée sont désignés pour cinq ans par arrêté du garde des sceaux, ministre de la justice et des libertés (...) ".

3. D'autre part, aux termes de l'article 10 du décret du 1er avril 2011, alors en vigueur : " Les demandes de versement ou de remboursement formées en application des articles 14 et 15 de la loi du 25 janvier 2011 susvisée sont les suivantes : / - l'indemnité exceptionnelle de licenciement, calculée à hauteur d'un mois de salaire par année d'ancienneté dans la profession, dans la limite de trente mois, toute année accomplie partiellement donnant lieu à une indemnité calculée prorata temporis. L'ancienneté dans la profession est déterminée en prenant en compte les périodes couvertes par un contrat de travail entre l'intéressé et un avoué près les cours d'appel, le mois de salaire de référence étant le douzième de la rémunération des douze derniers mois précédant le licenciement ; / (...) / Le président, la commission et son rapporteur peuvent demander communication de toute pièce nécessaire à l'instruction du dossier. Le salarié reçoit une copie de cette demande. ".

4. Par sa décision précitée en date du 11 juin 2014, le Conseil d'Etat a, d'une part, annulé les décisions des 9 mai et 2 octobre 2012 de CNIA au motif que le président de la commission nationale d'indemnisation des avoués s'était abstenu de rechercher si Mme A... justifiait, comme elle le soutenait, avoir été placée en congé parental, dès lors que cette période de congé parental devait être prise en compte pour la moitié de sa durée pour le calcul du montant de l'indemnité et d'autre part, renvoyé Mme A... devant la CNIA afin qu'il soit statué sur sa demande.

5. Mme A... soutient que la CNIA a commis une faute en s'abstenant de rendre une décision explicite avant la date correspondant à la fin du mandat des membres de la commission en application des dispositions précitées. Il résulte de l'instruction, que la commission a bien adressé à Mme A... une demande de pièces complémentaires par courrier du 20 août 2014, afin d'exécuter la décision du Conseil d'Etat du 11 juin 2014. Toutefois, elle n'a jamais statué sur le droit à indemnisation de la requérante, alors qu'il lui était loisible, au plus tard à la date d'expiration du mandat de ses membres le 4 avril 2016, de se prononcer à nouveau, en rejetant la demande d'indemnisation au motif que l'intéressée ne lui avait pas fourni les justificatifs complémentaires sollicitées, et ainsi ne pouvait être regardée comme remplissant les conditions pour obtenir une indemnisation. Dans ces conditions, Mme A... est fondée à soutenir qu'en l'absence de décision expresse prise par la CNIA, celle-ci a commis une faute, du fait de sa carence à s'être prononcée sur son cas avant l'expiration du mandat de ses membres.

6. Toutefois, le Conseil d'Etat a considéré que Mme A... n'avait pas été en mesure d'établir, devant lui, l'existence d'un contrat de travail en 2001 ni de justifier avoir effectivement été placée en congé parental d'éducation depuis cette date et jusqu'au 27 novembre 2011. Et ainsi qu'il a été dit au point précédent, Mme A... n'a pas produit les pièces réclamées par la CNIA avant la fin du mandat de ses membres, le 4 avril 2016 mais seulement le 28 décembre 2016 soit 9 mois après. Dans ces conditions, la commission n'aurait pu, au plus tard le 4 avril 2016, que rejeter la demande de la requérante pour défaut de production de ces pièces. Par suite, et ainsi que l'a jugé à bon droit le tribunal, il n'existe pas de lien de causalité directe entre l'absence de réponse de la CNIA et le préjudice allégué par Mme A..., qui aurait résulté de la perte de chance de se voir allouer une indemnité du fait de son licenciement.

7. En deuxième lieu, l'article 2 du décret du 6 juin 2001 pris pour l'application du chapitre II du titre II de la loi n° 2000-321 du 12 avril 2000 et relatif à l'accusé de réception des demandes présentées aux autorités administratives, dont le contenu a été repris par les dispositions de l'article L114-5 du code des relations entre le public et l'administration, dispose que : " Lorsque la demande est incomplète, l'autorité administrative indique au demandeur les pièces manquantes dont la production est indispensable à l'instruction de la demande(...). Elle fixe un délai pour la réception de ces pièces et informations. ". En l'espèce, la circonstance que la demande de pièces complémentaires qui a été adressée à Mme A... par la CNIA le 20 août 2014 ne fixe pas de délai pour produire lesdites pièces ne constitue pas une faute en lien avec le préjudice allégué, dès lors que Mme A... ne pouvait ignorer la date limite du mandat des membres de la commission résultant des termes mêmes de l'article 1er précité du décret du 1er avril 2011, et qu'en tout état de cause une telle demande appelait une réponse à la commission dans un délai raisonnable.

8. En troisième lieu, si Mme A... se prévaut des dispositions de l'article L114-5-1 du code des relations entre le public et l'administration aux termes desquelles : " L'absence d'une pièce au sein d'un dossier déposé par un usager en vue de l'attribution d'un droit ne peut conduire l'administration à suspendre l'instruction de ce dossier dans l'attente de la transmission de la pièce manquante. (...) ", de telles dispositions, issues de l'article 4 de la loi n° 2018-727 du 10 août 2018 pour un Etat au service d'une société de confiance, et entrées en vigueur le 12 août suivant, sont inapplicables au présent litige.

9. En quatrième lieu, l'article 19-1 de la loi du 12 avril 2000 relative aux droits des citoyens dans leurs relations avec les administrations, dont les dispositions ont été reprises à l'article L114-6 du code des relations entre le public et l'administration : " Lorsqu'une demande adressée à une administration est affectée par un vice de forme ou de procédure faisant obstacle à son examen et que ce vice est susceptible d'être couvert dans les délais légaux, l'administration invite l'auteur de la demande à la régulariser en lui indiquant le délai imparti pour cette régularisation, les formalités ou les procédures à respecter ainsi que les dispositions légales et réglementaires qui les prévoient.(...) ". Toutefois, l'absence ou l'insuffisance des pièces justificatives présentées au soutien d'une demande de paiement de l'aide ne constitue pas un vice de forme ou de procédure faisant obstacle à l'examen de cette demande. Par suite, la requérante n'est pas fondée à se prévaloir de ces dispositions à l'appui de sa demande indemnitaire.

10. En cinquième lieu, Mme A... ne saurait utilement soutenir que le délai pris par la CNIA pour statuer sur sa demande d'indemnisation était excessif et méconnaîtrait par suite les stipulations de l'article 6.1 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales dès lors que ces stipulations ne concernent que le délai des procédures préalables à l'intervention des décisions juridictionnelles.

11. En dernier lieu, Mme A... soutient qu'elle a subi un préjudice moral en raison de la longueur excessive de la procédure d'indemnisation à compter de son renvoi devant la CNIA par le Conseil d'Etat. Toutefois, ainsi qu'il a été dit au point 7, la requérante a elle-même communiqué les pièces complémentaires réclamées par la commission très tardivement, et au-delà du délai imparti par la loi du 25 janvier 2011. Par ailleurs, il ne résulte pas de l'instruction qu'elle aurait entrepris d'autres démarches auprès de cette commission avant l'expiration du délai fixé par la loi. Le comportement de la requérante ayant ainsi été à l'origine de la durée de la procédure devant la CNIA, aucune faute susceptible d'engager la responsabilité de l'Etat, ne peut être retenue.

12. Il résulte de tout ce qui précède que Mme A... n'est pas fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Marseille a rejeté sa demande.

Sur les frais liés au litige :

13. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que soit mise à la charge de l'Etat, qui n'est pas la partie perdante dans la présente instance, la somme que Mme A... demande au titre des frais exposés par elle et non compris dans les dépens.

D É C I D E :

Article 1er : La requête de Mme A... est rejetée.

Article 2 : Le présent arrêt sera notifié à Mme B... A... et au Garde des Sceaux, ministre de la justice.

Délibéré après l'audience du 8 septembre 2023, où siégeaient :

-Mme Chenal-Peter, présidente de chambre,

-Mme Marchessaux, première conseillère.

-Mme Poullain, première conseillère.

Rendu public par mise à disposition au greffe le 22 septembre 2023.

N° 22MA02246 2

bb


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Marseille
Formation : 7ème chambre
Numéro d'arrêt : 22MA02246
Date de la décision : 22/09/2023
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Excès de pouvoir

Analyses

38-07-01 Logement.


Composition du Tribunal
Président : Mme CHENAL-PETER
Rapporteur ?: Mme Anne-Laure CHENAL-PETER
Rapporteur public ?: M. GUILLAUMONT
Avocat(s) : SCP D'AVOCATS BADUEL et GAUTIER

Origine de la décision
Date de l'import : 01/10/2023
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.marseille;arret;2023-09-22;22ma02246 ?
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