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11/09/2023 | FRANCE | N°21MA00384

France | France, Cour administrative d'appel de Marseille, 6ème chambre, 11 septembre 2023, 21MA00384


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

Par un arrêt avant dire droit n° 21MA00384 du 20 mars 2023, la Cour a prescrit à l'Etat, dans un délai d'un mois de démontrer que les faits évoqués aux points 42, 45 et 68 de l'arrêt, et invoqués par Mme B... étaient justifiés par des considérations étrangères à tout harcèlement.

Procédure devant la Cour :

Les 12 avril et 12 mai 2023, le ministre de l'éducation nationale et de la jeunesse a communiqué à la Cour diverses pièces en exécution de cet arrêt du 20 mars 2023.

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ar lettre du 18 avril 2023, la Cour a informé les parties de ce qu'il était envisagé d'inscrire le doss...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

Par un arrêt avant dire droit n° 21MA00384 du 20 mars 2023, la Cour a prescrit à l'Etat, dans un délai d'un mois de démontrer que les faits évoqués aux points 42, 45 et 68 de l'arrêt, et invoqués par Mme B... étaient justifiés par des considérations étrangères à tout harcèlement.

Procédure devant la Cour :

Les 12 avril et 12 mai 2023, le ministre de l'éducation nationale et de la jeunesse a communiqué à la Cour diverses pièces en exécution de cet arrêt du 20 mars 2023.

Par lettre du 18 avril 2023, la Cour a informé les parties de ce qu'il était envisagé d'inscrire le dossier à une audience qui pourrait avoir lieu d'ici la fin de l'année 2023, et que la clôture de l'instruction pourrait être prononcée avec effet immédiat à compter du 20 mai 2023.

Par un mémoire enregistré le 17 mai 2023, Mme F... B..., représentée par Me Lazaud, réitère ses précédentes conclusions, demandant à la Cour :

1°) d'annuler le jugement du 11 septembre 2017 du tribunal administratif de Marseille ;

2°) de condamner l'Etat à lui payer la somme de 409 120 euros en réparation du préjudice matériel qu'elle a subi ;

3°) de condamner l'Etat à lui payer la somme de 150 000 euros en réparation du préjudice moral qu'elle a subi ;

4°) de condamner l'Etat à lui payer la somme de 108 848 euros au titre de la réparation du préjudice résultant de la perte de chance ;

5°) d'enjoindre au ministre de l'éducation nationale et de la jeunesse et au recteur de l'académie d'Aix-Marseille, sous astreinte de 500 euros par jour de retard, de faire cesser immédiatement le harcèlement moral et les discriminations dont elle est victime, et notamment, dans l'immédiat, de retirer de son dossier administratif " tous les courriers injustes, diffamants, mensongers, préjudiciables émanant de parents d'élèves, de chefs d'établissement et du rectorat depuis 2009 " ;

6°) de lui " permettre " de " bénéficier pour l'année à venir, à titre de réparation (...) de la promotion à l'agrégation sur liste d'aptitude classe exceptionnelle avec effet rétroactif depuis 2011 pour un montant de 67 800 euros, la rétroactivité depuis 2010 de la promotion à la hors classe des certifiés pour un montant de 23 100 euros (...) et la rétroactivité de la promotion classe exceptionnelle depuis 2017 pour un montant de 7 761 euros " ;

7°) de lui " accorder (...) pour la rentrée 2023 un poste spécifique pour les classes post-bac et notamment les BTS juridiques Notariat, Assurances, Immobilier, Banque, Informatique de gestion, conformément à ses qualifications et à son cursus " ;

8°) de lui " permettre de retrouver la possibilité d'enseigner dans l'Enseignement Supérieur, tant au niveau des vacations que d'une affectation à titre définitif " ;

9°) " de prendre en charge la réparation de sa voiture vandalisée lors des grèves et blocages par les élèves survenus en 2009 " ;

10°) " d'effectuer le paiement de toutes ses diligences d'examens divers depuis 2008 [qu'elle] ne parvient pas à obtenir " ;

11°) d'enjoindre au ministre de l'éducation nationale et de la jeunesse de lui accorder la protection fonctionnelle ;

12°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 15 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle réitère les moyens déjà présentés à l'appui de sa requête et conteste l'exactitude des témoignages fournis par l'administration.

Par ordonnance du 7 juin 2023, la clôture de l'instruction a été prononcée avec effet immédiat.

Mme B... a produit le 21 juillet 2023 un nouveau mémoire qui, étant parvenu après la clôture de l'instruction, n'a pas été communiqué.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- le code de l'éducation ;

- la loi n° 83-634 du 13 juillet 1983 portant droits et obligations des fonctionnaires ;

- le décret n° 72-581 du 4 juillet 1972 relatif au statut particulier des professeurs certifiés ;

- le décret n° 2010-888 du 28 juillet 2010 relatif aux conditions générales de l'appréciation de la valeur professionnelle des fonctionnaires de l'Etat ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de M. Renaud Thielé, rapporteur,

- les conclusions de M. François Point, rapporteur public,

- et les observations de Mme B..., assistée de Me Lazaud, et de M. J..., représentant le ministre de l'éducation et de la jeunesse.

Il a été pris connaissance d'une note en délibéré présentée pour Mme B... le 28 août 2023.

Considérant ce qui suit :

1. Par un arrêt n° 21MA00384 du 20 mars 2023, la Cour a prescrit à l'Etat, dans un délai d'un mois, de démontrer que les faits évoqués aux points 42, 45 et 68 de l'arrêt étaient justifiés par des considérations étrangères à tout harcèlement, en fournissant à la Cour, d'une part, tous éléments permettant de comparer les emplois du temps définitifs des différents professeurs d'anglais du lycée Victor-Hugo pendant la période allant de 2011 à 2017, de nature à établir que les différences en termes de classes attribuées et de fractionnement des horaires de cours étaient justifiées par des motifs étrangers à tout harcèlement et, d'autre part, tous éléments permettant d'établir l'absence de lien entre les menaces proférées par le proviseur du lycée et la suppression, en 2012, des cours de Mme B... à l'Institut d'études politiques d'Aix-en-Provence.

Sur le cadre juridique :

2. Aux termes de l'article 6 quinquiès de la loi du 13 juillet 1983 : " Aucun fonctionnaire ne doit subir les agissements répétés de harcèlement moral qui ont pour objet ou pour effet une dégradation des conditions de travail susceptible de porter atteinte à ses droits et à sa dignité, d'altérer sa santé physique ou mentale ou de compromettre son avenir professionnel. / Aucune mesure concernant notamment le recrutement, la titularisation, la formation, la notation, la discipline, la promotion, l'affectation et la mutation ne peut être prise à l'égard d'un fonctionnaire en prenant en considération : / 1° Le fait qu'il ait subi ou refusé de subir les agissements de harcèlement moral visés au premier alinéa ; / 2° Le fait qu'il ait exercé un recours auprès d'un supérieur hiérarchique ou engagé une action en justice visant à faire cesser ces agissements ; / 3° Ou bien le fait qu'il ait témoigné de tels agissements ou qu'il les ait relatés. / Est passible d'une sanction disciplinaire tout agent ayant procédé ou ayant enjoint de procéder aux agissements définis ci-dessus. / Les dispositions du présent article sont applicables aux agents non titulaires de droit public " ;

3. D'une part, il appartient à un agent public qui soutient avoir été victime d'agissements constitutifs de harcèlement moral, de soumettre au juge des éléments de fait susceptibles de faire présumer l'existence d'un tel harcèlement. Il incombe à l'administration de produire, en sens contraire, une argumentation de nature à démontrer que les agissements en cause sont justifiés par des considérations étrangères à tout harcèlement. La conviction du juge, à qui il revient d'apprécier si les agissements de harcèlement sont ou non établis, se détermine au vu de ces échanges contradictoires, qu'il peut compléter, en cas de doute, en ordonnant toute mesure d'instruction utile.

4. D'autre part, pour apprécier si des agissements dont il est allégué qu'ils sont constitutifs d'un harcèlement moral revêtent un tel caractère, le juge administratif doit tenir compte des comportements respectifs de l'agent auquel il est reproché d'avoir exercé de tels agissements et de l'agent qui estime avoir été victime d'un harcèlement moral. En revanche, la nature même des agissements en cause exclut, lorsque l'existence d'un harcèlement moral est établie, qu'il puisse être tenu compte du comportement de l'agent qui en a été victime pour atténuer les conséquences dommageables qui en ont résulté pour lui. Le préjudice résultant de ces agissements pour l'agent victime doit alors être intégralement réparé.

Sur les agissements en cause :

En ce qui concerne les classes de BTS attribuées pendant la période allant de 2011 à 2022 :

5. Mme B... soutient que, de 2011 à 2022, elle s'est vu attribuer, suivant les années, soit aucune, soit une, soit " rarement " deux classes de BTS alors que le lycée comptait jusqu'en 2021 dix classes de BTS métiers du patrimoine pour neuf ou dix enseignants, et que certains de ses collègues, ne disposant pas d'un diplôme en droit ou d'une expérience de l'enseignement supérieur, se sont vu confier quatre, voire cinq classes de BTS. Elle soutient à ce titre que, lors d'une entrevue qui a eu lieu le 9 décembre 2010 en présence de représentants syndicaux, le proviseur, M. D... l'aurait " menacée pour l'année prochaine de ne plus lui confier de bonnes classes et notamment plus de 1ères S, mais surtout qu'elle n'aurait plus de BTS ". Elle soutient, enfin, que, par la suite, les chefs d'établissement ayant succédé à M. D... ont, pendant plusieurs années, refusé de lui réattribuer des classes de BTS en raison de la réputation injuste qui lui avait été faite et de ses arrêts de maladie fréquents.

6. Comme le relève le ministre de l'éducation nationale et de la jeunesse en défense, Mme B... s'est vu attribuer deux classes de BTS pour les années 2018-2019 et 2020-21, et trois classes de BTS pour l'année 2019-2020. Toutefois, le ministre ne contestait pas que, au moins entre 2011 et 2017, Mme B... n'avait aucune, ou une seule classe de BTS, contrairement à ses collègues, alors même que, du fait de son expérience et de sa spécialisation en anglais juridique, l'intérêt du service plaidait pour une répartition de service plus équilibrée.

7. Par le point 42 de son arrêt avant dire droit, la Cour a relevé que le faible nombre de classes de BTS attribuées pendant la période allant de l'année 2011-2012 à l'année 2017-2018, alors que l'attribution de telles classes est valorisante du point de vue de la carrière mais également compte tenu de leur coefficient de pondération pour le calcul des obligations de service, devait, dans ces conditions, être regardé comme un fait susceptible de laisser présumer une situation de harcèlement moral. Elle a en conséquence prescrit à l'Etat de lui fournir tous éléments de nature à établir que les différences en termes de classes attribuées étaient justifiées par des motifs étrangers à tout harcèlement.

8. En exécution de cette demande, le ministre a produit une attestation de M. D..., indiquant que " Le service de Madame B... était équilibré avec des classes de 2nde, premières, terminales et dans son cas, de BTS ". Il a par ailleurs produit une attestation de M. K..., qui a succédé à M. D... de 2012 à 2015, et qui indique " En ce qui concerne son retrait du service d'une section de BTS, j'ai effectivement pris cette décision (...) à la suite de plaintes de parents d'étudiants et de ses collègues. En particulier, les étudiants du BTS ont refusé de passer leur BTS blanc d'anglais, ils se sont mis en grève et ont exigé de ne plus avoir Mme B... comme professeur. De même, ses collègues professeurs de BTS refusaient de l'intégrer dans un autre BTS. Il est à noter que quel que soit le niveau enseigné, nous avons toujours eu à répondre à des plaintes d'élèves ou de parents. J'ai donc reçu Mme B... et lui [ai] expliqué les raisons de ma décision pour l'année suivante. (...) ". Il a également produit une attestation de Mme C..., proviseure du lycée entre avril 2015 et juillet 2017, qui a succédé à M. K... de 2015 à 2017, et qui indique que " dès que cela a été possible, c'est-à-dire lors de la mutation d'un collègue, j'ai accepté de donner les classes de BTS à Mme B... (cf EDT 2017-2018). J'estime avoir toujours fait preuve de bienveillance même lorsque les parents d'élèves élus ont soulevé le problème lié aux arrêts maladie de Mme B... en conseil d'administration ". Il produit en outre une attestation de M. G..., proviseur adjoint de l'établissement de 2014 à 2018, qui indique : " (...) l'emploi du temps de Mme B... n'est pas dégradé et que nombre d'enseignants du lycée ont plus de " trous " dans leur emploi du temps. Cette bienveillance se traduira d'ailleurs sur les deux dernières rentrées que j'ai préparées par l'attribution d'une classe de BTS à la rentrée 2017 (préparation de la rentrée effectuée avec Madame C...) puis de deux classes de BTS à la rentrée 2018 (préparation de rentrée effectuée avec Monsieur E.... ". Il produit également une attestation de M. H..., un ancien enseignant aujourd'hui à la retraite, qui indique que " pendant l'année scolaire 2012-2013, j'ai dû faire face à une difficulté particulière. De nombreux parents m'ont alerté sur des difficultés dans le cours d'anglais de Mme B..., professeur en charge de la classe. Contenu du cours insuffisant de leur point de vue dans la perspective de l'examen, absence de réponse aux questions des élèves, retards et sorties de cours fréquentes de l'enseignant (...) J'ai donc dévolu le problème à mon chef d'établissement, Monsieur D..., qui a organisé des cours de soutien en anglais en sollicitant d'autres collègues de l'établissement et en ne confiant plus cette classe à cette collègue l'année suivante ".

9. Il résulte de ces attestations, qui sont concordantes, que le retrait temporaire des classes de BTS auparavant attribuées à Mme B... était justifié par l'intérêt du service, le fort enjeu de l'obtention de diplôme relevant de l'enseignement supérieur ayant conduit à en écarter temporairement Mme B... du fait de ses absences et de certaines insuffisances qui lui étaient reprochées.

En ce qui concerne le fractionnement de l'emploi du temps et les classes attribuées :

10. Mme B... soutient que le proviseur, après lui avoir promis, à la fin de l'année scolaire 2009-2010, un emploi du temps compatible avec l'exercice de son activité accessoire d'enseignement à l'Institut d'études politiques d'Aix-en-Provence, le mercredi après-midi, aurait établi un emploi du temps fractionné, avec des cours de BTS " assurances " et " notariat " positionnés sur le mercredi après-midi. Elle soutient également s'être vu attribuer des emplois du temps fractionnés, avec des classes très faibles, de 2011 à 2017. Elle soutient également à ce titre que, lors d'une entrevue qui a eu lieu le 9 décembre 2010 en présence de représentants syndicaux, M. D... l'aurait " menacée pour l'année prochaine de ne plus lui confier de bonnes classes et notamment plus de 1ères S (...) ". Par ailleurs, Mme B... fait valoir que, au début de l'année 2012, M. D... est venu dans sa classe de 1ère STG 1 en lui indiquant, devant une élève qui se trouvait être la déléguée de la classe, sa volonté " de ne pas en rester là avec elle pour avoir écrit sa lettre au recteur du 31 janvier 2012 contre lui et l'avoir sali, car jamais personne ne lui avait fait cela ". Mme B... soutient, enfin, que, malgré sa demande, seules 2 heures supplémentaires de cours lui ont été confiées au lycée, " lorsque d'autres collègues anglicistes ont obtenu 10 h 75 (sic) ou 6 h ". Elle soutient, en outre, que, par la suite, les chefs d'établissement ayant succédé à M. D... ont continué à établir des emplois du temps " catastrophiques ". Elle fait valoir à ce titre qu'après avoir été malade de septembre 2013 à février 2014, elle a été " sanctionnée " par le successeur de M. D..., M. K..., qui lui a donné un emploi du temps " catastrophique avec de mauvaises classes sans aucun BTS, ni heure supplémentaire ", en lui indiquant en juin 2014 que son état de santé ne lui permettait pas de lui attribuer les classes de BTS. Elle soutient qu'ayant été à nouveau arrêtée pour cause de maladie de décembre 2014 à avril 2015, elle a été à nouveau " sanctionnée " par la nouvelle direction qui lui a donné un " emploi du temps (...) catastrophique et particulièrement inhumain ".

11. Par le point 45 de son arrêt avant dire droit, la Cour a relevé que ces faits étaient susceptibles de laisser présumer une situation de harcèlement moral et a prescrit au ministre de fournir des justifications.

12. En exécution de cette demande, le ministre a produit une attestation de M. D..., ainsi rédigée : " Le service de madame B... était équilibré avec des classes de 2nde, première, terminale et dans son cas, de BTS. Par ailleurs, la répartition de service des enseignants est le fruit d'un échange avec le coordonnateur des disciplines. Le travail est construit progressivement au regard de la structure de l'établissement, des contraintes RH, logistiques et enfin des vœux des personnels. Je vous confirme que les emplois du temps de madame B... sont de grande qualité avec des journées libres (mercredi ou lundi) et des 1/2 journées de libre. A toutes fins utiles, je rappelle qu'un enseignant est de service du lundi matin à l'ouverture du lycée au vendredi soir. Les vœux formulés par les enseignants sont pris en compte avec pour priorité l'intérêt des élèves (...) Comme rappelé en préambule, le lycée Victor Hugo est situé dans le 3ème arrondissement de Marseille, quartier le plus pauvre de notre pays. Aucune classe dans cet établissement ne peut être considérée comme facile. Les emplois du temps de madame B... sont de grandes qualités avec des journées et des 1/2 journées de libre dans la semaine. La répartition des cours lui permettait d'assurer des missions auxquelles je ne me suis jamais opposé par souci d'apaisement même si je regrettais son absence d'implication et d'intérêt auprès de ses élèves. ". Il produit également une attestation de M. G..., proviseur adjoint de l'établissement de 2014 à 2018, qui indique : " On peut de plus repérer sur les emplois du temps que madame B... a transmis, des classes européennes de seconde (deux sur les trois que Victor Hugo proposait), des classes de première générale, qui sont les " meilleures " classes du lycée (sous réserve que ce critère en soit un...) et donc de manière globale un service confortable eu égard aux différentes contraintes de construction des services des enseignants du lycée, au contexte de l'établissement et au très grand nombre d'élèves en difficulté. Ces mêmes emplois du temps garantiront aussi à madame B... sur les quatre années où je les ai conçus au minimum trois demi-journées de libre, elle ne travaillera jamais le samedi matin (que tous les enseignants fuyaient) malgré l'absence de ce vœu sur ses fiches de vœux, soit des conditions a minima équitables et dans une certaine mesure, favorables. La fiche de vœux stipule d'ailleurs que les seuls deux vœux émis par les enseignants seront pris en compte dans la mesure du possible ; la construction des emplois du temps étant extrêmement complexe. L'intégralité des emplois du temps de 2016/2017 que j'ai pu retrouver permettra la comparaison du service de Mme B... avec tous les autres professeurs du lycée ; il y est clairement apparent que l'emploi du temps de Mme B... n'est pas dégradé et que nombre d'enseignants du lycée ont plus de " trous " dans leur emploi du temps. Cette bienveillance se traduira d'ailleurs sur les deux dernières rentrées que j'ai préparées par l'attribution d'une classe de BTS à la rentrée 2017 (préparation de la rentrée effectuée avec Madame C...) puis de deux classes de BTS à la rentrée 2018 (préparation de rentrée effectuée avec Monsieur E.... ". Le ministre produit, par ailleurs, une attestation de M. I..., proviseur adjoint du lycée pendant la période 2011-2014, qui indique : " je n'ai aucunement perçu la moindre hostilité de [la] part [de M. D...] envers Mme B.... Il est vrai que les absences répétées de cette enseignante, par ailleurs toujours justifiées par un avis médical, étaient source d'inquiétude pour les élèves et les étudiants qui lui étaient confiées, notamment ceux des classes à examens. Il est vrai également que nous partagions cette inquiétude, mais à aucun moment Monsieur D... n'avait fait preuve d'hostilité à son égard. Bien au contraire, il m'a toujours demandé d'avoir un regard bienveillant sur son emploi du temps qui était de qualité. D'autre part, à la demande de Madame B... et avec l'accord bienveillant de M. D..., je lui ai attribué une salle fixe (B101) (...) ". Enfin, le ministre produit les emplois du temps des autres enseignants.

13. Il résulte de l'ensemble de ces attestations et pièces concordantes que la dégradation des emplois du temps de Mme B..., que ce soit en termes de classes attribuées ou de fractionnement des horaires, ne résulte pas d'une volonté de la désavantager, mais s'explique par les aléas habituels tenant à la complexité de la répartition du service dans un établissement scolaire de cette taille. Il résulte à ce titre que l'emploi du temps de Mme B... n'est guère plus fractionné que la moyenne des emplois du temps de ces collègues sur la période, et que la répartition des classes par niveau a été faite de manière suffisamment équitable, avec notamment l'attribution des classes européennes de seconde et de première générale, dont M. G..., proviseur adjoint entre 2014 et 2018, atteste, sans que cela soit contesté qu'il s'agit des " meilleures " classes du lycée.

En ce qui concerne les vacations effectuées à l'Institut d'études politiques d'Aix-en-Provence :

14. Mme B... soutient qu'à l'occasion de l'entretien au rectorat du 29 mars 2012, le proviseur du lycée, M. D... a indiqué " qu'il n'était pas certain que Mme B... ait encore des cours à Sciences po l'année prochaine ", et que cette menace est à mettre en lien avec le courrier reçu le 21 juin 2012 du directeur des études de l'institut, lui indiquant que les vacations qu'elle assurait depuis 2007 n'étaient pas reconduites. Elle produit une lettre en date du 21 juin 2012 du directeur des études de l'Institut d'études politiques mentionnant non pas un retrait des heures d'enseignement à Mme B..., mais une suppression des cours et conférences de méthode qu'elle donnait. Mme B... affirme avoir constaté en septembre 2012, sur l'emploi du temps en ligne de l'institut, que ses cours n'avaient pas été supprimés mais qu'elle avait seulement été remplacée. Elle soutient, par ailleurs, qu'interrogé par le député de sa circonscription, le directeur de l'institut, au sujet d'une candidature présentée en 2013, aurait ultérieurement déclaré, à son sujet, qu'" elle avait des problèmes avec son administration... qu'elle était dans un continuum de problèmes... qu'il n'avait rien à lui reprocher professionnellement, mais que ce problème d'ordre personnel ne lui permettait pas de retenir sa candidature ". Elle indique, enfin, que M. A..., alors directeur de l'institut, était en contact direct avec M. D... dans le cadre du dispositif des " cordées de la réussite " et pour la classe " Spé IEP " ouverte au lycée en vertu d'un partenariat initié le 31 janvier 2011.

15. Par le point 68 de son arrêt avant dire droit, la Cour a relevé que ces faits étaient susceptibles de faire présumer un harcèlement moral.

16. En exécution de cette demande, le ministre a produit une attestation de M. D..., indiquant que ses " échanges avec le directeur de l'IEP étaient limités à un ou deux projets " et que leurs " échanges n'ont jamais concerné Mme B... ". Il produit par ailleurs une attestation de Mme L..., attachée principale d'administration, qui indique n'avoir " jamais contacté l'IEP à son sujet ". Il produit également une attestation de M. L..., son époux, alors chef de la division de la Chancellerie du rectorat, qui a déclaré n'avoir jamais eu d'information sur la situation de Mme B..., et " n'avoir jamais eu à connaître de questions individuelles dans le cadre de mes fonctions, le conseil d'administration de l'IEP siégeant en formation plénière n'étant pas compétent pour cela ". Il produit, enfin, une attestation de M. A..., ancien directeur de l'IEP, qui indique qu'il n'a " aucun souvenir d'une quelconque intervention de la part d'une autorité rectorale à l'encontre de Mme B... tant en ce qui concerne la suppression de ses interventions à l'IEP d'Aix-en-Provence qu'à l'égard du rejet de sa candidature à un recrutement de maître de conférences " (...) Les vacataires sont recrutés ou démis par décision du conseil d'administration restreint composé des membres élus enseignants du corps enseignants (5 professeurs et 5 maîtres de conférences). Les maîtres de conférences sont sélectionnés par des commissions de spécialistes propres à chaque discipline. Je n'appartenais pas à celle compétente pour statuer sur le recrutement de Mme B.... Dans ces conditions, l'intervention d'une autorité rectorale auprès de ma personne n'aurait jamais eu l'effet évoqué par le requérant (...) Je précise, enfin, que je me suis rapproché de M. M..., député de ma circonscription au moment des faits. Il n'a aucun souvenir des propos qui lui sont attribués relatant ceux que j'aurais tenus au cours d'une de nos prétendues conversations. Aucun document n'est communiqué quant à l'existence de tels propos. Aucune preuve n'est fournie à l'appui de ces affirmations. De plus, cet ancien député, avec lequel j'entretenais des relations cordiales, se serait bien gardé de s'immiscer dans la problématique des recrutements universitaires ".

17. Mme B... ne conteste pas les affirmations de l'ancien directeur de l'Institut d'études politiques d'Aix-en-Provence, selon lequel les décisions relatives au recrutement et à la fin du service des chargés d'enseignement vacataires relevaient de la compétence exclusive du conseil d'administration restreint, où M. L... ne siégeait pas, et que les décisions étaient prises en son sein par des commissions de spécialistes de chaque discipline, et selon lequel il n'était pas associé aux travaux de la commission compétente pour les enseignements d'anglais. Dans ces conditions, la décision de l'institut de mettre fin aux enseignements de Mme B..., si ses motivations restent peu claires, apparaît sans lien avec les agissements imputés par elle à M. D... et M. L... ainsi qu'à l'épouse de celui-ci.

18. Il résulte de tout ce qui précède que les faits de harcèlement invoqués par Mme B... ne peuvent être tenus pour établis. Elle n'est donc pas fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Marseille a rejeté sa demande tendant à la condamnation de l'Etat à lui verser la somme de 387 721,19 euros en réparation des préjudices qu'elle estime avoir subis du fait d'une situation de harcèlement moral dans l'exercice de ses fonctions. Sans qu'il soit besoin de statuer sur leur recevabilité, l'ensemble de ses conclusions présentées à titre accessoire, et notamment les conclusions à fin d'injonction et celles tendant à l'application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative, doivent être rejetées par voie de conséquence.

D É C I D E :

Article 1er : La requête de Mme B... est rejetée.

Article 2 : Le présent arrêt sera notifié à Mme F... B... et au ministre de l'éducation nationale et de la jeunesse.

Copie en sera adressée à la ministre de l'enseignement supérieur et de la recherche et au recteur de l'académie d'Aix-Marseille.

Délibéré après l'audience du 28 août 2023, où siégeaient :

- M. Alexandre Badie, président,

- M. Renaud Thielé, président-assesseur,

- Mme Isabelle Gougot, première conseillère.

Rendu public par mise à disposition au greffe le 11 septembre 2023.

N° 21MA00384 2


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Marseille
Formation : 6ème chambre
Numéro d'arrêt : 21MA00384
Date de la décision : 11/09/2023
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Plein contentieux

Analyses

Fonctionnaires et agents publics - Positions - Affectation et mutation - Mutation.

Fonctionnaires et agents publics - Statuts - droits - obligations et garanties - Statut général des fonctionnaires de l'État et des collectivités locales - Droits et obligations des fonctionnaires (loi du 13 juillet 1983).


Composition du Tribunal
Président : M. BADIE
Rapporteur ?: M. Renaud THIELÉ
Rapporteur public ?: M. POINT
Avocat(s) : GOMAR

Origine de la décision
Date de l'import : 17/09/2023
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.marseille;arret;2023-09-11;21ma00384 ?
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