Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
M. B... A... a demandé au tribunal administratif de Toulon de condamner l'Etat à lui verser la somme de 74 813,51 euros en réparation de ses différents préjudices, assortie des intérêts à compter du 20 novembre 2018, date de sa demande préalable ainsi que des intérêts capitalisés.
Par un jugement n° 1900870 du 17 décembre 2020, le tribunal administratif de Toulon a condamné l'Etat à verser à M. A... la somme de 5 000 euros, assortie des intérêts à compter du 23 novembre 2018. Les intérêts échus au 24 novembre 2019 ont été capitalisés pour produire eux-mêmes des intérêts, ainsi qu'à chaque échéance annuelle à compter de cette date.
Procédure devant la Cour :
Par une requête, enregistrée le 15 février 2021 et des mémoires enregistrés le 31 mars 2022, le 5 juillet 2022, le 2 juin et le 14 juin 2023, M. A..., représenté par Me Bellanger, demande à la Cour, dans le dernier état de ses écritures :
1°) de réformer le jugement n° 1900870 du 17 décembre 2020 du tribunal administratif de Toulon ;
2°) de condamner l'Etat à lui verser la somme de 64 813,51 euros, assortie des intérêts au taux légal à compter du 23 novembre 2018, capitalisés s'ils sont dus pour une année entière ;
3°) de condamner l'Etat à lui verser les intérêts légaux, assortis de la capitalisation des intérêts sur la somme de 5 000 euros, à compter du 23 novembre 2018 et jusqu'au 15 juin 2022 ;
4°) de condamner l'Etat à lui verser les intérêts légaux sur la somme de 1 500 euros mise à sa charge en première instance, au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative, à compter du 21 février 2021 et jusqu'au 15 juin 2022 ;
5°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 3 000 euros au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Il soutient que :
- l'Etat a commis une faute en lui refusant le renouvellement de l'autorisation d'occupation temporaire ;
- la procédure conduite devant le juge administratif à l'occasion de l'action domaniale méconnaît le principe d'égalité des armes et celui de non-discrimination ;
- le refus de régularisation, qui a des conséquences sur les personnes et les biens, est entaché d'erreur d'appréciation et est donc fautif ;
- les frais de démolition se sont élevés à la somme de 64 813,51 euros ;
- l'Etat lui a finalement versé la somme de 6 500 euros le 15 juin 2022 mais a omis le versement des intérêts et leur capitalisation, de même que les intérêts sur les frais d'instance.
Par des mémoires en défense, enregistrés le 14 septembre 2022, les 11 mai et 9 juin 2023, le ministre de la transition écologique et de la cohésion des territoires conclut, par la voie de l'appel incident, au rejet de la requête de M. A... devant le tribunal administratif de Toulon.
Il fait valoir qu'en l'absence de faute, M. A... n'est pas fondé à demander la condamnation de l'Etat.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- la convention européenne des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- le code général de la propriété des personnes publiques ;
- la loi n° 80-539 du 16 juillet 1980 ;
- le code de justice administrative.
La présidente de la Cour a désigné Mme Virginie Ciréfice, présidente assesseure, pour présider la formation de jugement en application de l'article R. 222-26 du code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de M. Prieto,
- les conclusions de M. Guillaumont, rapporteur public,
- et les observations de Me Cortes, représentant M. A....
Considérant ce qui suit :
1. M. A... était titulaire d'une autorisation d'occupation temporaire (AOT) du domaine public maritime du 13 octobre 2011 au 31 décembre 2013 pour un quai, une plateforme et une cale de halage situés en bordure de sa propriété dans le quartier dit " C... " à Sanary-sur-Mer. Un litige sur la superficie de ces ouvrages a été portée devant le tribunal administratif de Toulon et M. A... n'a pas sollicité le renouvellement de l'AOT avant que le juge ne se soit prononcé le 3 avril 2015. Le 21 octobre 2014, les services de la préfecture ont constaté que M. A... avait maintenu les ouvrages en cause, sans droit ni titre, et un procès-verbal de contravention de grande voirie a été dressé à son encontre pour occupation illicite du domaine public maritime par le maintien de diverses structures en béton. M. A... a ensuite sollicité du préfet du Var le 20 avril 2015 le renouvellement de l'AOT qui a été implicitement rejeté. Par un jugement n° 1500836, devenu définitif, du 29 juillet 2016, il a été, en outre, enjoint à M. A... de libérer la surface non autorisée d'environ 150 m² qu'il occupait sur le domaine public maritime, de démolir les ouvrages implantés sur ces zones et de remettre les lieux dans leur état naturel dans un délai de six mois à compter de la notification du jugement sous astreinte d'un montant de 200 euros par jour de retard. Par un jugement n° 1502943, devenu définitif, du 1er mars 2018, le tribunal administratif de Toulon a annulé le refus de renouvellement de l'AOT au motif qu'il n'était pas justifié par un motif d'intérêt général suffisant et a enjoint au préfet du Var de réexaminer la demande de M. A....
2. M. A... relève appel du jugement n° 1900870 du 17 décembre 2020 par lequel le tribunal administratif de Toulon a seulement condamné l'Etat à lui verser la somme de 5 000 euros en réparation du préjudice qu'il estime avoir subi et a rejeté le surplus de sa demande indemnitaire. M. A... se prévaut en appel d'un préjudice financier à hauteur de 64 813,51 euros au titre des frais de démolition des installations, de la location d'une grue et du démontage et remontage de son portail. Par la voie de l'appel incident, le ministre de la transition écologique et de la cohésion des territoires demande à la Cour d'annuler ce jugement en tant qu'il l'a condamné à verser à M. A... la somme de 5 000 euros en réparation de son préjudice moral.
3. En premier lieu, s'il résulte des principes généraux de la domanialité publique que les titulaires d'autorisations ou de conventions d'occupation temporaire du domaine public n'ont pas de droit acquis au renouvellement de leur titre, il appartient au gestionnaire du domaine d'examiner chaque demande de renouvellement en appréciant les garanties qu'elle présente pour la meilleure utilisation possible du domaine public. Il peut décider, sous le contrôle du juge, de rejeter une telle demande pour un motif d'intérêt général suffisant. Pour déterminer si un tel motif existe, il y a lieu, de tenir compte, le cas échéant, parmi l'ensemble des éléments d'appréciation, des contraintes particulières qui pèsent sur l'activité de l'occupant, notamment de celles qui peuvent résulter du principe de continuité du service public.
4. Par le jugement définitif du 1er mars 2018, le refus de renouvellement de l'AOT de M. A... a été annulé au motif qu'il n'était pas justifié par un motif d'intérêt général suffisant dès lors que les ouvrages en cause constituent une protection contre l'érosion. Si, compte tenu de ce motif d'annulation, la faute de l'Etat est établie, sa responsabilité ne peut toutefois être engagée que si le fait dommageable qui lui est imputable est la cause directe et certaine du préjudice subi par la victime.
5. Il résulte de l'instruction que, d'une part, l'annulation juridictionnelle mentionnée au point précédent du refus de délivrance de l'autorisation d'occupation du domaine public était seulement assortie, comme indiqué au point 1 du présent arrêt, d'une injonction au réexamen de la demande de renouvellement d'autorisation formulée par M. A... et non à la délivrance du titre sollicité. En outre, M. A... ne peut se prévaloir des renouvellements successifs d'autorisation d'occupation du domaine public dès lors qu'il résulte des principes fondamentaux de la domanialité publique rappelés au point 3 du présent arrêt que les titulaires d'autorisation n'ont pas de droits acquis au renouvellement de leur titre. Enfin, la demande indemnitaire présentée par M. A... trouve sa contrepartie dans sa propre condamnation par jugement du tribunal administratif de Toulon du 29 juillet 2016 au titre d'une contravention de grande voirie, suite au procès-verbal du 21 octobre 2014. Dans ces conditions, M. A... n'établit pas, ainsi qu'il lui incombe de le faire, l'existence d'un lien de causalité direct entre la faute de l'État et son préjudice financier.
6. En deuxième lieu, aux termes des stipulations de l'article 6 de la convention européenne des droits de l'homme et des libertés fondamentales : " Droit à un procès équitable 1. Toute personne a droit à ce que sa cause soit entendue équitablement, publiquement et dans un délai raisonnable, par un tribunal indépendant et impartial, établi par la loi, qui décidera, soit des contestations sur ses droits et obligations de caractère civil, soit du bien-fondé de toute accusation en matière pénale dirigée contre elle.(...) " ; Aux termes de l'article 14 de cette convention relatif à l'interdiction de discrimination : " La jouissance des droits et libertés reconnus dans la présente Convention doit être assurée, sans distinction aucune, fondée notamment sur le sexe, la race, la couleur, la langue, la religion, les opinions politiques ou toutes autres opinions, l'origine nationale ou sociale, l'appartenance à une minorité nationale, la fortune, la naissance ou toute autre situation ".
7. L'obligation de remettre les lieux en leur état primitif, résultant de l'occupation sans titre du domaine public, qui répond à un impératif de protection de l'état naturel du rivage de la mer, ne résulte pas d'une accusation en matière pénale au sens des stipulations de l'article 6-1 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales. La circonstance qu'il n'appartienne pas au juge de substituer sa propre appréciation de l'intérêt général à celle du préfet, pouvant seul décider de poursuivre ou non une contravention de grande voirie légalement constatée, ne saurait être regardée comme constituant un obstacle au droit à un procès équitable au sens de ces dispositions, pas davantage que cela n'est susceptible de caractériser une discrimination prohibée au sens de l'article 14 de la convention. Enfin, l'obligation de remise en l'état, sans indemnisation préalable, d'une dépendance du domaine public, dans la mesure où nul ne peut se prévaloir d'aucun droit réel sur une telle dépendance, ne constitue pas une mesure prohibée par l'article 1er du premier protocole additionnel à la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales en vertu duquel nul ne peut être privé de sa propriété que pour cause d'utilité publique. Par suite, le moyen invoqué tiré de la méconnaissance de ces stipulations doit être écarté.
8. En dernier lieu, M. A... se prévaut également d'un préjudice moral à hauteur de 10 000 euros en raison de troubles d'anxiété liés au refus de renouvellement illégal. Dans les circonstances de l'espèce, il y a lieu de confirmer le montant alloué par les premiers juges d'une somme de 5 000 euros au titre de ce préjudice.
9. Il résulte de tout ce qui précède que M. A... n'est pas fondé à soutenir que par le jugement attaqué n° 1900870 du 17 décembre 2020, le tribunal administratif de Toulon a seulement condamné l'Etat à lui verser la somme de 5 000 euros en réparation du préjudice qu'il estime avoir subi et l'a débouté du surplus de ses demandes. Les conclusions du ministre de la transition écologique et de la cohésion des territoires, présentées par la voie de l'appel incident, doivent être rejetées.
Sur les frais liés au litige :
10. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que soit mis à la charge du ministre de la transition écologique et de la cohésion des territoires, qui n'est pas la partie perdante dans la présente instance, le versement de la somme que demande, à ce titre, M. A....
D É C I D E :
Article 1er : La requête de M. A... est rejetée.
Article 2 : Les conclusions du ministre de la transition écologique et de la cohésion des territoires présentées par la voie de l'appel incident sont rejetées.
Article 3 : Le présent arrêt sera notifié à M. A... et au ministre de la transition écologique et de la cohésion des territoires.
Copie en sera adressée au préfet du Var.
Délibéré après l'audience du 23 juin 2023, où siégeaient :
- Mme Ciréfice, présidente assesseure, présidente de la formation de jugement en application de l'article R. 222-26 du code de justice administrative,
- M. Prieto, premier conseiller,
- Mme Marchessaux, première conseillère.
Rendu public par mise à disposition au greffe, le 7 juillet 2023.
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N° 21MA00629
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