Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
L'établissement Français du Sang de Provence-Alpes-Côte d'Azur-Corse (EFS PACA-Corse) a demandé au tribunal administratif de Toulon d'annuler la décision du 23 septembre 2019 par laquelle l'inspecteur du travail a rejeté sa demande d'autorisation de licenciement de M. B... C... pour faute, ainsi que la décision du 27 mai 2020 de la ministre du travail rejetant cette demande d'autorisation de licenciement.
Par un jugement n° 2001819 du 27 mai 2022, le tribunal administratif de Toulon a annulé les décisions des 23 septembre 2019 et 27 mai 2020.
Procédure devant la Cour :
Par une requête, enregistrée le 7 juillet 2022, sous le n° 22MA01926, M. B... C..., représenté par Me Salord, demande à la Cour :
1°) d'annuler ce jugement du tribunal administratif de Toulon du 27 mai 2022 ;
2°) de rejeter la demande de l'EFS PACA-Corse ;
3°) de mettre à la charge de l'EFS PACA-Corse la somme de 4 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Il soutient que :
- l'employeur n'a pas consulté le comité social et économique (CSE) du projet de licenciement en litige, ce qui entache la procédure de nullité ;
- il a fait l'objet de discriminations de la part de l'EFS PACA-Corse lequel a instauré un climat de recherche de fautes ;
- la matérialité des faits reprochés n'est pas établie dès lors que l'allégation de douleur thoracique de la donneuse est totalement infondée ;
- il a commis l'erreur de remplir une fiche d'effet indésirable grave du donneur (EIGD) et cette fiche a permis un suivi médical de la donneuse ne caractérisant pas un comportement fautif ;
- la fiche de liaison a été renseignée et signée conjointement par l'association des donneurs de sang bénévoles et par lui, les signataires de la fiche de liaison ont jugé l'incident de la deuxième donneuse mineur ne nécessitant pas de remontée d'information, ainsi cette rédaction est établie et ne caractérise pas un comportement fautif ;
- il n'a pas manqué à ses obligations médicales dès lors qu'il était présent, positionné à proximité de la zone de prélèvement et les consignes médicales ont été appliquées par l'équipe de prélèvement ;
- la persistance des comportements fautifs mentionnés par l'employeur est prescrite ;
- l'ensemble de ces griefs n'était pas d'une gravité suffisante pour justifier le licenciement en litige.
Par un mémoire en défense, enregistré le 5 janvier 2023, l'établissement Français du Sang de Provence-Alpes-Côte d'Azur-Corse (EFS PACA-Corse), représenté par Me Coriatt, conclut au rejet de la requête de M. C... et demande à la Cour de mettre à sa charge la somme de 2 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Il fait valoir que les moyens soulevés par M. C... ne sont pas fondés.
La requête a été communiquée au ministre du travail, du plein emploi et de l'insertion, qui n'a pas produit d'observation.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- le code du travail ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de Mme Marchessaux,
- les conclusions de M. Guillaumont, rapporteur public,
- et les observations de Me Coriatt, représentant l'établissement français du sang Provence-Alpes-Côte d'Azur-Corse.
Considérant ce qui suit :
1. M. C... a été recruté par l'établissement français du sang Provence-Alpes-Côte d'Azur-Corse par contrat à durée indéterminée conclu le 5 décembre 2000 en qualité de médecin de collecte sur le site de Toulon. Il détient le mandat de délégué syndical FO de site depuis le 6 mars 2019 et a présenté sa candidature aux élections du comité social et économique qui se sont tenues du 13 au 20 novembre 2018 mais n'a pas été élu. Par une lettre du 2 juillet 2019, l'EFS PACA-Corse l'a convoqué à un entretien préalable à un éventuel licenciement qui s'est tenu le 12 juillet 2019. Par un courrier du 26 juillet 2019, l'EFS PACA-Corse a sollicité de l'inspection du travail l'autorisation de le licencier. Par une décision du 23 septembre 2019, l'inspecteur du travail a refusé d'accorder à l'EFS PACA-Corse l'autorisation de licencier M. C.... L'EFS PACA-Corse a formé un recours hiérarchique à l'encontre de cette décision. Par une décision du 27 mai 2020, la ministre du travail a annulé la décision de l'inspecteur du travail du 23 septembre 2019 mais refusé d'autoriser le licenciement de M. C.... Ce dernier relève appel du jugement du 27 mai 2022 par lequel le tribunal administratif de Toulon a annulé les décisions des 23 septembre 2019 et 27 mai 2020.
Sur le bien-fondé du jugement attaqué :
En ce qui concerne l'absence de consultation du comité social et économique (CSE) :
2. Aux termes de l'article L. 2411-7 du code du travail : " L'autorisation de licenciement est requise pendant six mois pour le candidat, au premier ou au deuxième tour, aux fonctions de membre élu de la délégation du personnel du comité social et économique, à partir de la publication des candidatures. La durée de six mois court à partir de l'envoi par lettre recommandée de la candidature à l'employeur. (...) ".
3. Il ressort des pièces du dossier que M. C... s'est présenté comme candidat titulaire et suppléant sur la liste du syndicat FO, le lundi 22 octobre 2018, date du dépôt de la liste par ce syndicat, en vue du premier tour des élections du 3ème collège du CSE. Le 1er tour de cette élection s'est déroulé du 13 au 20 novembre 2018 et le 2ème tour du 3 au 10 décembre 2018. M. C... n'a pas été élu, le 3ème collège ayant été pourvu totalement dès le 1er tour. En outre, par lettre du 2 juillet 2019, l'EFS PACA-Corse a convoqué le salarié à un entretien préalable à une éventuelle sanction disciplinaire pouvant aller jusqu'au licenciement. Ainsi, à cette date, le délai de six mois prévu par les dispositions de l'article L. 2411-7 du code du travail était écoulé et M. C... ne bénéficiait plus de la protection de candidat aux élections du CSE. Par ailleurs, le mandat de délégué syndical FO de site qu'il détenait, n'obligeait pas son employeur a saisir le comité social et économique de son projet de licenciement. Par suite, M. C... n'est pas fondé à soutenir que l'EFS PACA-Corse aurait dû soumettre au CSE, le projet de licenciement le concernant.
En ce qui concerne la matérialité des faits reprochés :
4. En vertu des dispositions du code du travail, le licenciement des salariés légalement investis de fonctions représentatives, qui bénéficient d'une protection exceptionnelle dans l'intérêt de l'ensemble des travailleurs qu'ils représentent, ne peut intervenir que sur autorisation de l'inspecteur du travail. Lorsque leur licenciement est envisagé, celui-ci ne doit pas être en rapport avec les fonctions représentatives normalement exercées ou avec leur appartenance syndicale. Dans le cas où la demande de licenciement est motivée par un comportement fautif, il appartient à l'inspecteur du travail saisi et, le cas échéant, au ministre compétent, de rechercher, sous le contrôle du juge de l'excès de pouvoir, si les faits reprochés au salarié sont d'une gravité suffisante pour justifier le licenciement, compte tenu de l'ensemble des règles applicables au contrat de travail de l'intéressé et des exigences propres à l'exécution normale du mandat dont il est investi.
5. Il ressort des pièces du dossier que par lettre du 26 juillet 2019, l'EFS PACA-Corse a demandé à l'inspecteur du travail de licencier M. C... aux motifs que, d'une part, lors d'une collecte du 18 juin 2019, ce dernier ne s'est pas jamais déplacé pour consulter une donneuse ayant signalé une douleur à la poitrine, en méconnaissance des protocoles relatifs à la conduite à tenir devant une telle douleur et à l'organisation de la prise en charge d'un évènement indésirable grave du donneur survenant en collecte et, d'autre part, le salarié n'a pas renseigné complètement la fiche de liaison de la collecte entre l'EFS et l'association des donneurs de sang bénévoles du 18 juin 2019 en signalant le malaise du premier donneur et en occultant le second évènement concernant Mme A... alors que deux fiches EIGD ont été établies.
S'agissant du premier grief tiré de l'absence de déplacement de M. C... auprès de la donneuse et le non-respect des protocoles :
6. Selon les mentions du document national cadre de procédure EFS : " Organisation de la prise en charge d'un événement indésirable grave donneur survenant en collecte " que lors de l'apparition d'un effet indésirable, " le médecin de prélèvement se rend dans l'instant auprès du donneur (...), définit aussitôt la conduite à tenir pour l'ensemble de l'équipe en fonction du caractère résolutif et/ou du type d'incident, notamment la prise en charge médicale du donneur conformément aux fiches nationales de conduite à tenir (...). Une fois l'incident géré (...) le médecin de prélèvement doit lui faire des recommandations pour lui-même et pour les dons suivants éventuels, organiser si besoin le retour du donneur à son domicile, l'adresser, si besoin, à son médecin traitant, s'enquérir de l'état de santé du donneur obligatoirement le lendemain du don et les jours suivants si nécessaire. ". La fiche " Conduite à tenir devant une douleur thoracique ", diffusée le 28 mai 2018 et dont M. C... a pris connaissance ainsi qu'il ressort de la copie d'écran produite par l'EFS, précise qu'à défaut d'appeler le centre 15 pour une prise en charge spécialisée, il convient, après avoir interrompu le don et mis le donneur au repos, de poser une voie veineuse périphérique avec du chlorure de sodium à 0,9 % et éventuellement (mais non systématiquement) d'administrer un dérivé nitré de manière sublinguale.
7. En l'espèce, l'impression d'écran du logiciel médico-technique concernant Mme A... portent les mentions " douleur précordiales subites au cours du don. Interruption ". De même, M. C... a inscrit dans la fiche du 18 juin 2019 de signalement des effets indésirables graves de donneur (EIGD) concernant cette donneuse " douleur thoracique pendant le prélèvement ". La douleur thoracique est aussi inscrite dans la fiche de prélèvement de la donneuse laquelle décrit, dans un courriel du 24 juillet 2019, une douleur lui compressant la poitrine avec une sensation de chaleur qui l'envahit. Il apparaît ainsi que la donneuse a bien présenté une douleur thoracique, contrairement à ce que soutient M. C....
8. Il ressort des pièces du dossier et des propres écritures de M. C... ainsi que des déclarations de Mme A... que, alors qu'elle signalait une douleur thoracique poussant l'infirmière à interrompre le don, M. C... s'est borné à observer l'état de la donneuse en passant la tête par-dessus le paravent le séparant d'elle, manquant ainsi à son devoir de se " rendre dans l'instant auprès d'elle " contrairement aux protocoles décrits au point 6. Ainsi, cette faute est matériellement établie.
S'agissant du second grief tiré du renseignement incomplet de la fiche de liaison :
9. La fiche relative à la procédure " modalité de réalisation d'une collecte mobile " concernant le débriefing avec l'association des donneurs de sang bénévoles (ADSB) mentionne qu'il doit être réalisé par le médecin responsable de la collecte. Au titre des points devant être systématiquement être abordés figure l'information voire l'explication sur les éventuels incidents survenus sur la collecte. Cette fiche précise que le médecin responsable de la collecte remplit la partie " après la collecte " de la fiche de liaison de la collecte entre l'EFS et l'ADSB. Toutefois, Il ressort des pièces du dossier que si M. C... a indiqué dans la fiche de liaison de la collecte du 18 juin 2019, au titre des autres commentaires éventuels, un malaise important ayant contraint de réduire la collecte pendant la 1ère moitié de la matinée, il n'a pas fait état du cas de la seconde donneuse. Par suite, le requérant n'a pas respecté ce protocole et commis une faute dont la matérialité est établie.
S'agissant du caractère de gravité suffisant de ces deux fautes :
10. Les deux manquements mentionnés aux points 8 et 9 pris dans leur ensemble constituent, dans les circonstances de l'espèce, des fautes suffisamment graves pour justifier à eux seuls le licenciement de M. C... lequel ne peut, dès lors, utilement soutenir que la persistance des comportements fautifs mentionnés par l'employeur est prescrite. Si ce dernier soutient que la donneuse aurait présenté à l'entretien une forte anxiété, un profil difficile, une personnalité peu fiable et peu crédible au niveau de ses déclaration médicales avec éventuellement une tendance hypocondriaque et qu'elle ait été prise en charge ultérieurement par le service des urgences de l'hôpital de Sainte-Musse, sans qu'il en ait résulté pour elle un préjudice, ces circonstances ne sont pas de nature à atténuer ce caractère de gravité dès lors que M. C... a fait preuve d'une grande légèreté dans la prise en charge de Mme A... et que, comme l'a estimé à juste titre le tribunal, une faute de ce type pourrait avoir des implications médicales graves sur les personnes qui viennent bénévolement donner leur sang, et qui s'en remettent à la garantie que représente le médecin de collecte pour assurer leur sécurité. Il en va de même du fait que M. C... exercerait ces fonctions depuis 18 ans au service de la transfusion et que la collecte aurait débuté dans des conditions difficiles en raison d'un premier malaise gr ave d'un donneur survenu en début de matinée. Par suite, la ministre du travail a commis une erreur d'appréciation en refusant d'autoriser le licenciement de M. C....
En ce qui concerne les discriminations subies par M. C... :
11. Le requérant soutient que dès les premiers dossiers, l'EFS PACA-Corse a instauré un climat de recherche de fautes pour lesquelles il a dû régulièrement se défendre et faire valoir ses droits. Il invoque plusieurs affaires survenues en 2006 concernant des collectes, deux procédures de sanction disciplinaire intervenues les 17 juillet 2015 et 12 janvier 2016, l'EFS lui reprochant un manque de coopération et d'implication lors d'une collecte avec une " EPDI " et d'être l'auteur de musique trop forte au cours d'une collecte à Cotignac, ainsi que d'un arrêt de la Cour d'appel d'Aix-en-Provence du 6 mai 2022 jugeant que l'avertissement du 13 avril 2016 était justifié mais relevant l'existence d'une discrimination exercée par l'EFS à son encontre en raison de ses activités syndicales et de son mandat. Toutefois, ces faits ne concernent pas la procédure de licenciement en litige et ne sont pas de nature à établir que cette dernière serait en lien avec le mandat syndical du requérant. Il ne ressort pas des pièces du dossier que M. C... aurait fait l'objet d'une différence de traitement ou d'une quelconque discrimination.
12. Il résulte de tout ce qui précède que M. C... n'est pas fondé à soutenir que c'est à tort que par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Toulon a annulé les décisions du 27 mai 2020 de la ministre du travail et, en tout état de cause, celle du 23 septembre 2019 de l'inspecteur du travail.
Sur les frais liés au litige :
13. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que soit mise à la charge de l'EFS PACA-Corse qui n'est pas dans la présente instance la partie perdante, la somme demandée par M. C... au titre des frais exposés par lui et non compris dans les dépens. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de M. C... la somme de 2 000 euros au titre des frais exposés par l'EFS PACA-Corse et non compris dans les dépens.
D É C I D E :
Article 1er : La requête de M. C... est rejetée.
Article 2 : M. C... versera à l'établissement Français du Sang de Provence-Alpes-Côte d'Azur-Corse une somme de 2 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 3 : Le présent arrêt sera notifié à M. B... C..., à l'établissement Français du Sang de Provence-Alpes-Côte d'Azur-Corse (EFS Paca-Corse) et au ministre du travail, du plein emploi et de l'insertion.
Délibéré après l'audience du 7 juin 2023, où siégeaient :
- Mme Chenal-Peter, présidente de chambre,
- M. Prieto, premier conseiller,
- Mme Marchessaux, première conseillère.
Rendu public par mise à disposition au greffe, le 23 juin 2023.
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N° 22MA01926
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