Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
M. C... E... et Mme F... E... ont demandé au tribunal administratif de Marseille d'annuler l'arrêté du 8 février 2018 par lequel le maire de la commune de Saint-Cannat a délivré à M. et Mme D... un permis de construire une maison individuelle et la décision implicite de rejet de leur recours gracieux formé à son encontre par courrier du 3 avril 2018.
Par un jugement n° 1804634 du 23 novembre 2020, le tribunal administratif de Marseille a annulé l'arrêté attaqué et la décision implicite de rejet de leur recours gracieux formé à son encontre par courrier du 3 avril 2018.
Procédure devant la Cour :
Par une requête et des mémoires du 22 janvier 2021, 14 septembre 2021 et 17 février 2022, M. A... D... et Mme B... D..., représentés par Me Ibanez, demandent à la Cour :
1°) d'annuler le jugement précité ;
2°) de rejeter la demande de M. et Mme E... présentée devant le tribunal administratif de Marseille ;
3°) de mettre à la charge de M. et Mme E... une somme de 5 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Ils soutiennent que :
S'agissant de la régularité du jugement :
- les minutes du jugement ne sont pas signées en méconnaissance des dispositions de l'article R. 741-7 du code de justice administrative ;
S'agissant du bien-fondé du jugement :
- l'autorité compétente ne pouvait être regardée comme ayant une connaissance d'un état d'avancement suffisant du règlement du future plan local d'urbanisme (PLU) pour opposer un sursis à statuer dès lors que la finalisation du PLU a été transférée à la métropole de Marseille Provence par une délibération du 25 octobre 2017 et que le porté à connaissance sur le risque d'incendie n'était pas suffisamment précis ; le tribunal a entaché sa décision d'une erreur de fait et de droit ;
- aucun sursis à statuer ne pouvait être opposé dès lors que les pétitionnaires disposaient d'un certificat d'urbanisme opérationnel sur l'ensemble des parcelles du projet ; le tribunal a entaché sa décision d'une erreur de fait et de droit ;
- aucune fraude n'a été commise dès lors qu'une partie de la parcelle BD3 a effectivement été détachée et acquise par les pétitionnaires ;
- le projet respecte les règles en vigueur ;
- le projet ne méconnait pas les dispositions de l'article R. 111-2 du code de l'urbanisme ;
- le moyen tiré de la méconnaissance des dispositions de l'article R. 113-1 et 2 du code de l'urbanisme est tardif ;
S'agissant des conclusions dirigées contre le permis modificatif :
- elles sont irrecevables car nouvelles en appel ;
- les moyens soulevés sont infondés.
Par des mémoires en défense, enregistrés le 7 mai 2021, le 15 décembre 2021 et le 16 mai 2022, ce dernier mémoire n'ayant pas été communiqué, M. C... E... et Mme F... E..., représentés par Me Guégan, demandent à la cour ::
1°) de rejeter les conclusions de M. et Mme D... ;
2°) d'annuler par voie de conséquence, l'arrêté du 5 novembre 2020 par lequel le Maire de la commune de Saint-Cannat a délivré le permis de construire modificatif à M. et Mme D... ;
3°) d'annuler, à titre subsidiaire, l'arrêté du 5 novembre 2020 par lequel le Maire de la commune de Saint-Cannat a délivré le permis de construire modificatif à M. et Mme D... ;
4°) de mettre à la charge de la commune de Saint-Cannat la somme de 10 000 euros sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Ils font valoir, dans le dernier état de leur écriture, que :
- le permis a été délivré au terme d'une procédure irrégulière dès lors que le maire devait surseoir à statuer ;
- les pétitionnaires ne disposaient pas d'un certificat d'urbanisme sur la parcelle BD3 ;
- le certificat d'urbanisme délivré le 24 mars 2017 a été obtenu par manœuvre ;
- il est illégal par voie d'exception ;
- le préfet n'a pas été consulté alors que le projet porte en partie sur une parcelle soumis au règlement national d'urbanisme ;
- le projet méconnait les dispositions des articles NB5 et NB14 du plan d'occupation des sols (POS) ;
- le projet méconnait les dispositions de l'article R. 111-2 du code de l'urbanisme ;
- le projet méconnait les dispositions des articles L. 113-1 et L. 113-2 du code de l'urbanisme ;
- le permis modificatif a été obtenu par fraude ;
- il a été obtenu sans sollicitation d'aucun avis ;
- il est illégal en raison de l'illégalité du permis initial ;
- les moyens invoqués contre le permis initial sont opérant contre le permis modificatif et repris à son encontre ;
- il méconnait les dispositions de l'article R. 111-2 du code de l'urbanisme.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- le code de l'urbanisme ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de M. Quenette,
- les conclusions de M. Roux, rapporteur public,
- et les observations de Me Ranson pour M. et Mme D....
Considérant ce qui suit :
1. M. et Mme D... ont déposé le 29 novembre 2017 une demande de permis de construire une maison individuelle avec piscine sur les parcelles cadastrées BD3p et BD5, situées chemin du Paradou sur le territoire de la commune de Saint-Cannat. Par arrêté du 8 février 2018, le maire de Saint-Cannat leur a délivré l'autorisation d'urbanisme sollicitée. Par courrier du 3 avril 2018, M. et Mme E... ont formé un recours gracieux contre cet arrêté. Le silence gardé par la commune a fait naître une décision implicite de rejet de leur recours. M. et Mme D... relèvent appel du jugement par lequel le tribunal administratif de Marseille a annulé le permis délivré et la décision implicite de rejet du recours gracieux formé à son encontre.
Sur la régularité du jugement attaqué :
2. Aux termes de l'article R. 741-7 du code de justice administrative : " Dans les tribunaux administratifs [...] la minute de la décision est signée par le président de la formation de jugement, le rapporteur et le greffier d'audience ".
3. Il ressort des pièces du dossier que le jugement attaqué a été signé conformément aux prescriptions de l'article R. 741-7 du code de justice administrative.
Sur le bien-fondé du jugement attaqué :
4. En vertu des dispositions de l'article L. 600-4-1 du code de l'urbanisme, il appartient au juge d'appel, saisi d'un jugement par lequel un tribunal administratif a prononcé l'annulation d'un permis de construire en retenant plusieurs moyens, de se prononcer sur le bien-fondé de tous les moyens d'annulation retenus au soutien de leur décision par les premiers juges et d'apprécier si l'un au moins de ces moyens justifie la solution d'annulation. Dans ce cas, le juge d'appel n'a pas à examiner les autres moyens de première instance. Dans le cas où il estime en revanche qu'aucun des moyens retenus par le tribunal administratif n'est fondé, le juge d'appel, saisi par l'effet dévolutif des autres moyens de première instance, examine ces moyens. Il lui appartient de les écarter si aucun d'entre eux n'est fondé et, à l'inverse, en application des dispositions de l'article L. 600-4-1 du code de l'urbanisme, de se prononcer, si un ou plusieurs d'entre eux lui paraissent fondés, sur l'ensemble de ceux qu'il estime, en l'état du dossier, de nature à confirmer, par d'autres motifs, l'annulation prononcée par les premiers juges.
5. Pour annuler le permis de construire en litige, les premiers juges ont retenu l'unique moyen tiré de ce que le maire, en délivrant le permis de construire en litige plutôt que d'opposer un sursis à statuer sur cette demande, a entaché sa décision d'une erreur manifeste d'appréciation.
6. D'une part, aux termes de l'article L. 424-1 du code de l'urbanisme : " Il peut être sursis à statuer sur toute demande d'autorisation concernant des travaux, constructions ou installations dans les cas prévus aux articles L. 102-13, L. 153-11 et L. 311-2 du présent code (...) ". Aux termes de l'article L. 153-11 du même code : " (...) L'autorité compétente peut décider de surseoir à statuer, dans les conditions et délai prévus à l'article L. 424-1, sur les demandes d'autorisation concernant des constructions, installations ou opérations qui seraient de nature à compromettre ou à rendre plus onéreuse l'exécution du futur plan dès lors qu'a eu lieu le débat sur les orientations générales du projet d'aménagement et de développement durables ".
7. D'autre part, aux termes de l'article L. 410-1 du code de l'urbanisme : " Le certificat d'urbanisme, en fonction de la demande présentée : / a) Indique les dispositions d'urbanisme, les limitations administratives au droit de propriété et la liste des taxes et participations d'urbanisme applicables à un terrain ; / b) Indique en outre, lorsque la demande a précisé la nature de l'opération envisagée ainsi que la localisation approximative et la destination des bâtiments projetés, si le terrain peut être utilisé pour la réalisation de cette opération ainsi que l'état des équipements publics existants ou prévus. / Lorsqu'une demande d'autorisation ou une déclaration préalable est déposée dans le délai de dix-huit mois à compter de la délivrance d'un certificat d'urbanisme, les dispositions d'urbanisme, le régime des taxes et participations d'urbanisme ainsi que les limitations administratives au droit de propriété tels qu'ils existaient à la date du certificat ne peuvent être remis en cause à l'exception des dispositions qui ont pour objet la préservation de la sécurité ou de la salubrité publique. / Lorsque le projet est soumis à avis ou accord d'un service de l'État, les certificats d'urbanisme le mentionnent expressément. Il en est de même lorsqu'un sursis à statuer serait opposable à une déclaration préalable ou à une demande de permis. / Le certificat d'urbanisme est délivré dans les formes, conditions et délais déterminés par décret en Conseil d'État par l'autorité compétente mentionnée au a et au b de l'article L. 422-1 du présent code. "
8. Il résulte de la combinaison des articles L. 153-11 et L. 410-1 du code de l'urbanisme que tout certificat d'urbanisme, quel que soit son contenu, délivré sur le fondement de l'article L. 410-1 a pour effet de garantir à son titulaire un droit à voir toute demande d'autorisation ou de déclaration préalable déposée dans le délai indiqué examinée au regard des règles d'urbanisme applicables à la date de la délivrance du certificat. Figure cependant parmi ces règles la possibilité de se voir opposer un sursis à statuer à une déclaration préalable ou à une demande de permis, lorsque sont remplies, à la date de délivrance du certificat, les conditions énumérées à l'article L. 153-11 du code de l'urbanisme. Une telle possibilité vise à permettre à l'autorité administrative de ne pas délivrer des autorisations pour des travaux, constructions ou installations qui seraient de nature à compromettre ou à rendre plus onéreuse l'exécution du futur plan local d'urbanisme.
9. Il ressort des pièces du dossier que le permis de construire en litige porte sur trois parcelles cadastrées DB3, DB5 et DB8, sur lesquelles les pétitionnaires se prévalent d'un certificat d'urbanisme délivré par la commune de Saint-Cannat le 24 mars 2017. Si les époux E... font valoir que ce certificat d'urbanisme ne porte que sur les parcelles DB 5 et DB 8, la demande de certificat opérationnel inclut, dans son plan de masse CU3 et dans la description de l'opération pour laquelle le certificat a été demandé, également la parcelle DB 3. Par suite, en indiquant dans son article 1er que l'opération est réalisable, le certificat d'urbanisme doit être regardé comme portant également sur la parcelle DB 3, l'oubli de cette mention étant en l'espèce une erreur de plume. Les époux D... disposaient donc d'un certificat d'urbanisme opérationnel sur l'ensemble du terrain d'assiette de leur projet. Or, le 24 mars 2017, date de délivrance du certificat d'urbanisme concluant au caractère réalisable du projet, les conditions permettant de surseoir à statuer n'étaient pas remplies car le débat sur les orientations du PADD qui allait avoir lieu le 4 mai suivant ne s'était pas encore tenu. Aucun sursis n'était donc opposable à la date du certificat d'urbanisme et à la demande de permis déposée dans le délai de cinq années. C'est donc à tort que le tribunal a annulé le permis de construire en litige au motif que le maire de Saint-Cannat a commis une erreur manifeste d'appréciation en s'abstenant de surseoir à statuer sur la demande.
10. Il y a lieu pour la Cour, saisie par l'effet dévolutif de l'appel, d'examiner les autres moyens invoqués par M. et Mme E... devant le tribunal administratif de Marseille et la Cour.
11. Aux termes de l'article R. 111-2 du code de l'urbanisme : " " Le projet peut être refusé ou n'être accepté que sous réserve de l'observation de prescriptions spéciales s'il est de nature à porter atteinte à la salubrité ou à la sécurité publique du fait de sa situation, de ses caractéristiques, de son importance ou de son implantation à proximité d'autres installations ".
12. Il ressort des pièces du dossier que le terrain d'assiette du projet est situé dans une zone d'aléa au feu de forêt subi fort à très fort et induit fort au terme des cartes d'aléa du porté à connaissance préfectoral, ainsi que cela est d'ailleurs explicitement rappelé dans le certificat d'urbanisme opérationnel du 24 mars 2017 qui précise que l'opération envisagée de remembrement des terrains est réalisable. Si ce porté à connaissance ne présente pas de caractère réglementaire, il constitue néanmoins un élément d'information quant au risque d'incendie. Le terrain contient dans sa partie est un espace boisé classé. Ce dernier ouvre au sud sur un vaste espace boisé, dont une partie a été ravagée par un feu de forêt de 800 hectares quelques mois seulement avant la délivrance du permis de construire. Les pétitionnaires ne se prévalent d'aucun élément de défense incendie propre au secteur. Il est situé à l'extrémité d'une zone faiblement urbanisée et le projet étendra nécessairement la sensibilité du site au risque incendie, alors même qu'il est accessible sur sa partie est par un chemin relativement étroit, sans possibilité de retournement, et que le chemin devient au droit de la parcelle un chemin de terre. Il ne ressort pas des pièces du dossier que la sensibilité du site au risque incendie serait susceptible d'être atténuée de manière suffisante par des prescriptions spéciales. En accordant un permis de construire, alors même que le projet prévoyait initialement une piscine pouvant servir de réserve d'eau tout comme la piscine de la propriété voisine, le maire de Saint-Cannat a entaché sa décision d'une erreur manifeste d'appréciation du risque incendie en méconnaissance des dispositions de l'article R. 111-2 du code de l'urbanisme.
13. Pour l'application de l'article L. 600-4-1 du code de l'urbanisme, aucun autre moyen n'est susceptible de justifier l'annulation de l'arrêté en litige.
14. Il résulte de l'ensemble de ce qui précède que M. et Mme D... ne sont pas fondés à se plaindre que par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Marseille a annulé l'arrêté du 8 février 2018 ainsi que la décision rejetant le recours gracieux des époux E....
Sur les conclusions tendant à l'annulation du permis de construire modificatif du 5 novembre 2020 :
En ce qui concerne la recevabilité de la demande :
15. Aux termes de l'article L. 600-2 du code de l'urbanisme : " Lorsqu'un refus opposé à une demande d'autorisation d'occuper ou d'utiliser le sol ou l'opposition à une déclaration de travaux régies par le présent code a fait l'objet d'une annulation juridictionnelle, la demande d'autorisation ou la déclaration confirmée par l'intéressé ne peut faire l'objet d'un nouveau refus ou être assortie de prescriptions spéciales sur le fondement de dispositions d'urbanisme intervenues postérieurement à la date d'intervention de la décision annulée sous réserve que l'annulation soit devenue définitive et que la confirmation de la demande ou de la déclaration soit effectuée dans les six mois suivant la notification de l'annulation au pétitionnaire. ". En application de ces dispositions, les consorts E... sont recevables à demander pour la première fois dans le cadre de la procédure d'appel le permis de construire modificatif délivré le 5 novembre 2020 aux consorts D....
En ce qui concerne le bien-fondé de la demande :
16. L'arrêté du 5 novembre 2020 par lequel le Maire de la commune de Saint-Cannat a délivré le permis de construire modificatif à M. et Mme D... doit être annulé par voie de conséquence de l'annulation du permis de construire du 8 février 2018.
Sur les frais liés au litige :
17. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge des époux D... la somme de 2 000 euros au profit de M. et Mme E... au titre des frais exposés et non compris dans les dépens. Les dispositions du même article font par ailleurs obstacle à ce que les sommes demandées à ce titre par M. et Mme D... soient mises à la charge des époux E..., qui ne sont pas la partie perdante.
D É C I D E :
Article 1er : La requête de M. et Mme D... est rejetée.
Article 2 : L'arrêté du 5 novembre 2020 par lequel le Maire de la commune de Saint-Cannat a délivré un permis de construire modificatif à M. et Mme D... est annulé.
Article 3 : M. et Mme D... verseront une somme de 2 000 euros à M. et Mme E... pris ensemble au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 4 : Le présent jugement sera notifié à M. C... E... et Mme F... E..., M. A... D... et Mme B... D... et à la commune de Saint-Cannat.
Copie en sera adressée au préfet des Bouches-du-Rhône et au procureur de la république prés le tribunal judiciaire d'Aix-en-Provence.
Délibéré après l'audience du 8 juin 2023, où siégeaient :
- M. Portail, président,
- M. d'Izarn de Villefort, président assesseur,
- M. Quenette, premier conseiller.
Rendu public par mise à disposition au greffe, le 22 juin 2023.
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N° 21MA00432
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