Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
Mme A... C... a demandé au magistrat désigné du tribunal administratif de Marseille d'annuler l'arrêté du 27 septembre 2022 par lequel le préfet des Hautes-Alpes lui a enjoint de quitter le territoire français dans un délai de trente jours mentionnant le pays de destination.
Par un jugement n° 2208416 du 14 novembre 2022, le magistrat désigné du tribunal administratif de Marseille a annulé l'arrêté attaqué.
Procédure devant la Cour :
I°) Par une requête, enregistrée le 10 décembre 2022 sous le n° 22MA03023, le préfet des Hautes-Alpes demande à la Cour :
1°) d'annuler ce jugement du magistrat désigné du tribunal administratif de Marseille du 14 novembre 2022 ;
2°) de rejeter la demande de première instance ;
Il soutient que :
- il n'existait pas de motifs raisonnables permettant aux services de police de considérer que l'intéressée pourrait être reconnue victime de proxénétisme aggravé et aurait dû être informée du droit de déposer une demande de titre de séjour sur le fondement de l'article L. 425-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- en dépit du défaut d'information l'intéressée a été mise en mesure d'exercer ses droits ;
- les faits de proxénétisme se sont déroulés en Italie entre le 1er janvier 1996 et le 1er janvier 2018.
Par un mémoire en défense, enregistré le 24 mars 2023, Mme C..., représentée par Me Bruggiamosca, conclut au rejet de la requête et demande à la Cour de mettre à la charge de l'Etat la somme de 2 000 euros sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ainsi que de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991.
Elle fait valoir qu'aucun des moyens de la requête n'est fondé.
Un courrier du 27 février 2023 adressé aux parties en application des dispositions de l'article R. 612-3 alinéa 3 du code de justice administrative les a informées de la période à laquelle il est envisagé d'appeler l'affaire à l'audience et a indiqué la date à partir de laquelle l'instruction pourra être close dans les conditions prévues par le dernier alinéa de l'article R. 613-1 et le dernier alinéa de l'article R. 613-2.
Un avis d'audience portant clôture immédiate de l'instruction a été émis le 11 mai 2023.
Par un courrier du 17 mai 2023 les parties ont été informées, en application des dispositions de l'article R. 611-7 du code de justice administrative, que l'arrêt à intervenir est susceptible de se fonder sur les moyens d'ordre public suivants :
1° inopérance du moyen retenu par le tribunal administratif, selon lequel le préfet aurait méconnu l'obligation d'information prévue aux articles L. 425-1, R. 425-1 et R. 425-2 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile (16MA02574 27 février 2017 + sur le caractère d'ordre public d'un tel moyen : CE, 8 / 3 SSR, 3 août 2011, Mme B..., n° 326754, Lebon T) ;
2° la requérante a déposé une plainte concernant des faits exclusivement commis hors du territoire de la République et ne soutient pas que cette plainte est dirigée contre un ressortissant français. Dans ce cas, la loi pénale française ne s'appliquant pas aux faits dont l'intéressée se plaint, elle ne peut dès lors pas être regardée comme accusant une personne d'avoir commis à son encontre l'infraction prévue à l'article 225-4-1 du code pénal. Elle n'entre donc pas dans le champ d'application des dispositions de l'article L. 425-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile qui permet la délivrance d'une carte de séjour temporaire aux victimes d'une infraction visée aux articles 225-4-1 et suivants du code pénal (21MA00481 31 décembre 2021 classé en C+).
Le 25 mai 2023, Mme C... a produit des observations en réponse aux moyens d'ordre public.
Mme C... a été admise au bénéfice de l'aide juridictionnelle totale par une décision du 3 mars 2023.
II°) Par une requête, enregistrée le 10 décembre 2022 sous le n° 22MA03024, le préfet des Hautes-Alpes, demande à la Cour de prononcer le sursis à exécution du jugement du tribunal administratif de Marseille du 14 novembre 2022.
Il soutient qu'il existe des moyens sérieux de nature à justifier l'annulation du jugement attaqué ; il reprend à ce titre les moyens développés sous la requête enregistrée sous le n° 22MA03023.
Par un mémoire, enregistré le 12 avril 2023, Mme C..., représentée par Me Bruggiamosca, demande à la Cour de rejeter la demande de sursis à exécution du préfet des Hautes-Alpes et de mettre à la charge de l'État la somme de 1 000 euros à verser à Me Bruggiamosca en application de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991 relative à l'aide juridictionnelle.
Un courrier du 27 février 2023 adressé aux parties en application des dispositions de l'article R. 612-3 alinéa 3 du code de justice administrative les a informées de la période à laquelle il est envisagé d'appeler l'affaire à l'audience et a indiqué la date à partir de laquelle l'instruction pourra être close dans les conditions prévues par le dernier alinéa de l'article R. 613-1 et le dernier alinéa de l'article R. 613-2.
Un avis d'audience portant clôture immédiate de l'instruction a été émis le 11 mai 2023.
Mme C... a été admise au bénéfice de l'aide juridictionnelle totale par une décision du 26 mai 2023.
Vu les autres pièces des dossiers.
Vu :
- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- le code pénal ;
- le code de procédure pénale ;
- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 ;
- le code de justice administrative.
Le président de la formation de jugement a dispensé le rapporteur public, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de Mme Isabelle Gougot, rapporteure,
- et les observations de Me Bruggiamosca, pour Mme C....
Deux notes en délibéré présentées pour Mme C... ont été enregistrées le 5 juin 2023.
Considérant ce qui suit :
1. Par arrêté du 27 septembre 2022, le préfet des Hautes-Alpes a fait obligation à Mme C..., ressortissante nigériane, de quitter le territoire français avec un délai de trente jours. Par une requête enregistrée sous le n° 22MA03023, le préfet des Hautes-Alpes relève appel du jugement du 14 novembre 2022 par lequel le magistrat désigné du tribunal administratif de Marseille a annulé cet arrêté. Et par une requête enregistrée sous le n° 22MA03024, il demande à la Cour de surseoir à l'exécution dudit jugement.
Sur la jonction :
2. Les affaires enregistrées sous les nos 22MA03023 et 22MA03024 sont dirigées contre le même jugement et ont fait l'objet d'une instruction commune. Il y a lieu de les joindre pour statuer par un même arrêt.
Sur la requête n° 22MA03023 :
En ce qui concerne le bien-fondé du jugement :
3. Aux termes de l'article L. 425-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " L'étranger qui dépose plainte contre une personne qu'il accuse d'avoir commis à son encontre des faits constitutifs des infractions de traite des êtres humains ou de proxénétisme, visées aux articles 225-4-1 à 225-4-6 et 225-5 à 225-10 du code pénal, ou témoigne dans une procédure pénale concernant une personne poursuivie pour ces mêmes infractions, se voit délivrer, sous réserve qu'il ait rompu tout lien avec cette personne, une carte de séjour temporaire portant la mention " vie privée et familiale " d'une durée d'un an... ". Et selon l'article R. 425-1 du même code : " Le service de police ou de gendarmerie qui dispose d'éléments permettant de considérer qu'un étranger, victime d'une des infractions constitutives de la traite des êtres humains ou du proxénétisme prévues et réprimées par les articles 225-4-1 à 225-4-6 et 225-5 à 225-10 du code pénal, est susceptible de porter plainte contre les auteurs de cette infraction ou de témoigner dans une procédure pénale contre une personne poursuivie pour une infraction identique, l'informe : [...] qu'il peut bénéficier d'un délai de réflexion de trente jours, dans les conditions prévues à l'article R. 425-2, pour choisir de bénéficier ou non de la possibilité d'admission au séjour mentionnée au 1°.Ces informations sont données dans une langue que l'étranger comprend et dans des conditions de confidentialité permettant de le mettre en confiance et d'assurer sa protection. / Ces informations peuvent être fournies, complétées ou développées auprès des personnes intéressées par des organismes de droit privé à but non lucratif, spécialisés dans le soutien aux personnes prostituées ou victimes de la traite des êtres humains, dans l'aide aux migrants ou dans l'action sociale, désignés à cet effet par le ministre chargé de l'action sociale. ". Enfin l'article R. 425-2 du même code précise que : " L'étranger à qui un service de police ou de gendarmerie fournit les informations mentionnées à l'article R. 425-1 et qui choisit de bénéficier du délai de réflexion de trente jours prévu au même article se voit délivrer un récépissé de même durée par le préfet ou [...] conformément aux dispositions de l'article R. 425-3. Ce délai court à compter de la remise du récépissé. Pendant le délai de réflexion, aucune décision d'éloignement ne peut être prise à l'encontre de l'étranger en application de l'article L. 611-1, ni exécutée. / Le délai de réflexion peut, à tout moment, être interrompu et le récépissé mentionné au premier alinéa retiré par le préfet territorialement compétent, si l'étranger a, de sa propre initiative, renoué un lien avec les auteurs des infractions mentionnées à l'article R. 425-1, ou si sa présence constitue une menace grave pour l'ordre public. ".
4. Lorsque le tribunal administratif a fait droit à une demande en se fondant sur un moyen inopérant, notamment en faisant application d'une règle de droit inapplicable, et que, pour contester le jugement de ce tribunal, l'appelant n'a pas invoqué le caractère inopérant du moyen retenu par les premiers juges, il appartient au juge d'appel de relever d'office cette inopérance pour censurer le motif retenu par le tribunal après en avoir préalablement informé les parties en application de l'article R. 611-7 du code de justice administrative.
5. Pour annuler l'arrêté attaqué le magistrat désigné du tribunal administratif de Marseille s'est fondé sur le fait que le préfet aurait méconnu l'obligation d'information prévue par les articles R. 425-1 et R. 425-2 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile cités au point 3. Toutefois, ces dispositions du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile chargent les services de police ou de gendarmerie d'une mission d'information, à titre conservatoire et préalablement à toute qualification pénale, des victimes potentielles de faits de traite d'êtres humains. Ainsi, lorsque ces services ont des motifs raisonnables de considérer que l'étranger pourrait être reconnu victime de tels faits, il leur appartient d'informer ce dernier de ses droits en application de ces dispositions. En l'absence d'une telle information, l'étranger est fondé à se prévaloir du délai de réflexion pendant lequel une obligation de quitter le territoire français ne peut être prise, ni exécutée, notamment dans l'hypothèse où il a effectivement porté plainte par la suite.
6. Il ressort cependant des pièces du dossier que Mme C... a déposé plainte le 6 avril 2022 pour proxénétisme aggravé. Elle ne peut par suite invoquer utilement la méconnaissance des articles R. 425-1 et R. 425-2 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile dès lors qu'elle avait déposé plainte avant l'intervention de l'arrêté contesté, édicté le 27 septembre 2022. C'est donc à tort que le premier juge a accueilli un tel moyen, qui était inopérant.
7. Il y a lieu, pour la Cour, saisie par l'effet dévolutif de l'appel, d'examiner la demande de Mme C... en répondant aux autres moyens de première instance invoqués par elle.
En ce qui concerne les autres moyens de première instance :
8. Un étranger ne peut faire l'objet d'une obligation de quitter le territoire français en application des dispositions de l'article L. 611-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile lorsque la loi prescrit qu'il doit se voir attribuer de plein droit un titre de séjour.
9. L'article L. 425-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile dispose que : " L'étranger qui dépose plainte contre une personne qu'il accuse d'avoir commis à son encontre des faits constitutifs des infractions de traite des êtres humains ou de proxénétisme, visées aux articles 225-4-1 à 225-4-6 et 225-5 à 225-10 du code pénal, ou témoigne dans une procédure pénale concernant une personne poursuivie pour ces mêmes infractions, se voit délivrer, sous réserve qu'il ait rompu tout lien avec cette personne, une carte de séjour temporaire portant la mention " vie privée et familiale " d'une durée d'un an. La condition prévue à l'article L. 412-1 n'est pas opposable. / Elle est renouvelée pendant toute la durée de la procédure pénale, sous réserve que les conditions prévues pour sa délivrance continuent d'être satisfaites. ".
10. Il résulte de ces dispositions que pendant toute la durée de la procédure pénale, la carte de séjour temporaire portant la mention " vie privée et familiale " d'une durée d'un an est, sous réserve que sa présence ne constitue pas une menace pour l'ordre public, délivrée de plein droit au ressortissant étranger qui a déposé plainte contre une personne qu'il accuse d'avoir commis à son encontre l'infraction visée à l'article 225-4-1 du code pénal de traite des êtres humains.
11. Il ressort des pièces du dossier, ainsi qu'il a été dit au point 6, que Mme C... a déposé plainte le 6 avril 2022 pour proxénétisme aggravé. Si le préfet justifie que cette plainte a été classée sans suite le 16 juin 2022, la requérante soutient, sans être contestée, qu'elle n'a pas été avisée de ce classement, comme le prévoit l'article 40-2 du code de procédure pénale. Par suite, la procédure pénale ne peut être regardée comme étant achevée le 27 septembre 2022, date à laquelle la mesure d'éloignement a été prise.
12. Dès lors, et sans qu'il soit besoin de se prononcer sur l'ensemble de ses moyens, la requérante est fondée à soutenir qu'en lui enjoignant de quitter le territoire dans un délai de trente jours à destination de son pays d'origine, le préfet des Hautes-Alpes a entaché sa décision d'erreur de droit.
13. Il résulte de tout ce qui précède que le préfet des Hautes-Alpes n'est pas fondé à se plaindre de ce que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le magistrat désigné du tribunal administratif de Marseille a annulé la mesure d'éloignement édictée le 27 septembre 2022 à l'encontre de Mme C... et lui a enjoint de procéder au réexamen de sa situation.
En ce qui concerne les frais de l'instance :
14. Mme C... a obtenu le bénéfice de l'aide juridictionnelle. Par suite, son avocat peut se prévaloir des dispositions des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi du 10 juillet 1991. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, et sous réserve que Me Bruggiamosca, avocat de Mme C..., renonce à percevoir la somme correspondant à la part contributive de l'État, de mettre à la charge de l'Etat le versement à Me Bruggiamosca de la somme de 1 500 euros.
Sur la requête n° 22MA03024 :
15. Le présent arrêt statuant sur l'appel présenté contre le jugement n° 2208416 du 14 novembre 2022 du magistrat désigné du tribunal administratif de Marseille, les conclusions de la requête n° 22MA03024 tendant à ce qu'il soit sursis à son exécution sont devenues sans objet. Il n'y a plus lieu d'y statuer.
D É C I D E :
Article 1er : Il n'y a pas lieu de statuer sur les conclusions de la requête n° 22MA03024.
Article 2 : La requête n° 22MA03023 du préfet des Hautes-Alpes est rejetée.
Article 3 : L'Etat versera la somme de 1 500 euros à Me Bruggiamosca en application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991 relative à l'aide juridique, sous réserve qu'elle renonce à percevoir la somme correspondant à la part contributive de l'Etat au titre de l'aide juridictionnelle.
Article 4 : Le présent arrêt sera notifié à Mme A... C..., au ministre de l'intérieur et des outre-mer et à Me Bruggiamosca.
Copie en sera adressée au préfet des Hautes-Alpes.
Délibéré après l'audience du 5 juin 2023, où siégeaient :
- M. Alexandre Badie, président de chambre,
- M. Renaud Thielé, président assesseur,
- Mme Isabelle Gougot, première conseillère.
Rendu public par mise à disposition au greffe, le 19 juin 2023.
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N°s 22MA03023 - 22MA03024