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19/06/2023 | FRANCE | N°21MA04869

France | France, Cour administrative d'appel de Marseille, 6ème chambre, 19 juin 2023, 21MA04869


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

La société Razel-Bec a demandé au tribunal administratif de Toulon, d'une part, d'annuler le titre de recette exécutoire émis le 3 septembre 2019 par la commune des Mayons en vue du recouvrement de la somme de 362 357,72 euros toutes taxes comprises portant sur le règlement définitif du marché qu'ils avaient conclu et de la décharger du paiement de cette somme et, d'autre part, de condamner la commune des Mayons à lui payer la somme de 156 474,12 euros toutes taxes comprises en règlement du solde du déc

ompte général du marché, augmentée des intérêts moratoires capitalisés.

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Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

La société Razel-Bec a demandé au tribunal administratif de Toulon, d'une part, d'annuler le titre de recette exécutoire émis le 3 septembre 2019 par la commune des Mayons en vue du recouvrement de la somme de 362 357,72 euros toutes taxes comprises portant sur le règlement définitif du marché qu'ils avaient conclu et de la décharger du paiement de cette somme et, d'autre part, de condamner la commune des Mayons à lui payer la somme de 156 474,12 euros toutes taxes comprises en règlement du solde du décompte général du marché, augmentée des intérêts moratoires capitalisés.

Par un jugement n° 1903963 du 21 octobre 2021, le tribunal administratif de Toulon a annulé le titre exécutoire du 3 décembre 2019 émis à l'encontre de la société Razel-Bec, l'a déchargée de l'obligation de payer la somme de 362 357,78 euros et a condamné la commune des Mayons à lui payer la somme de 7 493 euros toutes taxes comprises en règlement du solde du marché.

Procédure devant la Cour :

Par une requête et un mémoire, enregistrés le 22 décembre 2021 et 20 février 2023, la commune des Mayons, représentée par Me Marchesini, demande à la Cour, dans le dernier état de ses écritures :

1°) d'annuler le jugement du 21 octobre 2021 ;

2°) de rejeter l'appel incident de la société Razel-Bec ;

3°) de rejeter la demande de première instance de la société Razel-Bec ;

4°) de mettre à la charge de la société Razel-Bec la somme de 5 000 euros sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que :

- le tribunal, qui s'est saisi d'office d'un moyen qui n'était pas évoqué par la société Razel-Bec, a entaché d'un défaut de contradictoire son jugement, qui est donc irrégulier ;

- la société Razel-Bec ne peut invoquer au soutien de sa demande une prétendue résiliation de plein droit au bénéfice du titulaire fondée sur les stipulations de l'article 49.1.2 du CCAG-Travaux, lesquelles n'ont pas vocation à s'appliquer en l'absence de décision d'ajournement des travaux ;

- la société Razel-Bec ne peut davantage se prévaloir d'une quelconque résiliation qui serait intervenue à l'initiative de la commune sur le fondement des stipulations de l'article 48.2 du CCAG-Travaux ;

- il est inexact d'affirmer que les travaux en cause ont donné lieu à une réception ;

- faute de réception, assortie le cas échéant de réserves, aucune procédure d'établissement du décompte général ne pouvait être engagée, la titulaire du marché ne peut donc revendiquer le bénéfice d'un décompte général et définitif qui fixerait une créance à son profit à hauteur de 156 474,12 euros toutes taxes comprises ;

- en vertu des stipulations de l'article 13.4.5 du CCAG-Travaux, le décompte général, notifié par le représentant du pouvoir adjudicateur, est réputé être accepté par lui ; il devient alors le décompte général et définitif du marché ; or, le décompte général notifié par décision du 24 janvier 2019 n'a fait l'objet d'aucune contestation, ni dans les délais de recours contentieux de droit commun, ni dans le délai raisonnable d'un an ;

- le courrier du 18 février 2019 de la société Razel-Bec ne saurait valoir mémoire de réclamation au sens des stipulations combinées des articles 13.4 et 50 du CCAG-Travaux ; de la même manière, les requêtes dirigées contre les titres exécutoires successivement émis par la commune des Mayons ne sauraient être qualifiées de réclamations portées devant le tribunal administratif compétent au sens des dispositions de l'article 50.3 du même CCAG ;

- le titre exécutoire était suffisamment motivé dès lors qu'y étaient joints plusieurs documents détaillant les bases de liquidation et permettant de comprendre avec le minimum de bonne foi que suppose le principe de loyauté des relations contractuelles, le montant de la créance ;

- et en outre, l'appel incident de la société Razel-Bec est irrecevable dès lors qu'il a été présenté tardivement et qu'il relève d'un litige distinct.

Par des mémoires en défense, enregistrés les 16 novembre 2022 et 10 mars 2023, la société Razel-Bec, représentée par Me Boudet, demande à la Cour :

1°) de joindre les instances n°s 21MA04869 et 21MA02395 ;

2°) de réformer le jugement du 21 octobre 2021 en tant qu'il a limité la condamnation de la commune des Mayons à la somme de 7 493 euros toutes taxes comprises, fixé le point de départ des intérêts contractuels à la date du 4 novembre 2019, et la capitalisation à chaque échéance annuelle à compter de la date du 5 novembre 2020 et rejeté le surplus de ses conclusions ;

3°) de condamner la commune des Mayons à lui verser la somme de 156 474,12 euros toutes taxes comprises en règlement du solde du décompte général et définitif du marché, augmentée des intérêts au taux contractuel BCE + 8 points à compter du 18 juillet 2018, lesdits intérêts étant capitalisés à compter du 19 juillet 2019 puis à chaque échéance annuelle ;

4°) en tout état de cause, de confirmer le surplus du jugement du 21 octobre 2021 ;

5°) de rejeter la requête de la commune des Mayons ;

6°) de mettre à la charge de la commune des Mayons la somme de 10 000 euros sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle fait valoir que :

- aucun des moyens de la requête n'est fondé ;

- elle est fondée à se prévaloir de l'existence de l'établissement d'un décompte général et définitif tacite, seul décompte qui lui est opposable et à demander à être réglée du solde figurant sur ce décompte dont elle est à l'origine et s'élevant à 156 474, 12 euros toutes taxes comprises.

Par ordonnance du 21 février 2023, la clôture d'instruction a été fixée en dernier lieu au 10 mars 2023 à midi.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- le code des marchés publics ;

- le décret n° 2012-1246 du 7 novembre 2012 relatif à la gestion budgétaire et comptable publique ;

- le cahier des clauses administratives générales applicable aux marchés de travaux publics ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de Mme Isabelle Ruiz, rapporteure,

- les conclusions de M. François Point, rapporteur public,

- et les observations de Me Marchesini, pour la commune des Mayons, et de Me Boudet, pour la société Razel-Bec.

Considérant ce qui suit :

1. La commune des Mayons a attribué à la société Razel-Bec un marché public de travaux de renouvellement et de renforcement du réseau d'alimentation en eau potable et d'enfouissement des réseaux secs d'un montant de 749 505,50 euros hors taxes. La maîtrise d'œuvre des travaux a été attribuée à la société G2C. Par ordre de service n° 2, les travaux ont débuté le 19 janvier 2015. Dès le 3 février 2015, le maître d'œuvre a informé la commune des Mayons de la découverte de réseaux enfouis. Par un ordre de service n° 4 du 25 mai 2015, les travaux ont été interrompus à compter du 29 mai 2015. Par un ordre de service n° 5 du 11 avril 2016, la reprise des travaux a été ordonnée par la commune. Dans un courrier reçu en mairie le 26 août 2016, la société Razel-Bec a informé la commune qu'elle serait dans l'impossibilité de poursuivre les travaux tels qu'initialement prévus au marché, sans la conclusion d'un avenant ou l'édiction d'une décision de poursuivre. Par une décision du 18 août 2016, la commune a prononcé l'exécution du marché par une autre entreprise aux frais et risques du titulaire. Par lettre du 24 janvier 2019, la commune a notifié à la société Razel-Bec le décompte général du marché d'un montant de 376 499,68 euros toutes taxes comprises puis lui a notifié le 21 mars 2019 un avis des sommes à payer d'un montant de 362 357,78 euros puis le 6 septembre 2019 un titre exécutoire d'un même montant émis le 3 septembre 2019. La société Razel-Bec a alors saisi le tribunal administratif de Toulon d'une demande tendant, d'une part, à l'annulation du titre exécutoire émis par la commune des Mayons en vue du recouvrement de la somme de 362 357,72 euros toutes taxes comprises portant sur le règlement définitif du marché qu'elle avait conclu et portant sur des travaux de renouvellement et de renforcement du réseau d'alimentation en eau potable et d'enfouissement des réseaux secs et de la décharger du paiement de cette somme et, d'autre part, à la condamnation de la commune des Mayons à lui payer la somme de 156 474,12 euros toutes taxes comprises en règlement du solde du décompte général du marché, augmentée des intérêts moratoires capitalisés. Par jugement du 21 octobre 2021, le tribunal administratif de Toulon a partiellement fait droit à sa demande. La commune des Mayons fait appel de ce jugement.

Sur l'appel de la commune de commune des Mayons :

En ce qui concerne la régularité du jugement :

2. Si la commune des Mayons se plaint de ce que les premiers juges dans leurs considérants 11 à 14, auraient répondu à un moyen qu'ils auraient soulevés d'office quant aux modalités d'établissement du solde du marché, il résulte toutefois de l'instruction que la société Razel-Bec avait bien invoqué dans sa demande devant le tribunal des moyens portant sur la fixation du décompte du marché et ne s'est pas bornée, contrairement à ce qui est soutenu, à se prévaloir de la seule résiliation de plein droit du contrat en cause. Par suite, le moyen tiré de l'irrégularité du jugement pour non-respect du principe du contradictoire ne saurait être accueilli.

En ce qui concerne le bien-fondé du jugement :

S'agissant de l'existence d'une résiliation de plein droit :

3. Aux termes de l'article 49.1.2 du cahier des clauses administratives générales (CCAG) Travaux, dans sa rédaction applicable au litige : " Si, par suite d'un ajournement ou de plusieurs ajournements successifs, les travaux ont été interrompus pendant plus d'une année, le titulaire a le droit d'obtenir la résiliation du marché, sauf si, informé par écrit d'une durée d'ajournement conduisant au dépassement de la durée d'un an indiquée ci-dessus, il n'a pas, dans un délai de quinze jours, demandé la résiliation. ".

4. Il résulte de l'instruction que, par ordre de service n° 04 du 25 mai 2015, le maître d'œuvre a indiqué à la société Razel-Bec que, dans l'attente d'une décision sur les choix techniques à opérer pour les travaux de renouvellement du réseau eau potable dans le centre bourg et de l'élaboration des documents d'exécution correspondants, elle était invitée à arrêter les travaux à compter du vendredi 29 mai 2015. En outre, par ordre de service n° 05 du 11 avril 2016 émanant du maître d'œuvre, il était demandé au titulaire du marché de reprendre les travaux à compter du 2 mai 2016. Il s'en déduit que le marché en cause n'était pas susceptible d'être résilié de plein droit, l'interruption des travaux ordonnée ayant duré moins d'un an.

S'agissant de l'établissement du solde du marché et le montant des travaux effectués et dus à la société Razel-Bec :

5. La commune soutient qu'elle a établi le décompte général le 24 janvier 2019, décompte qui a été notifié à la société Razel-Bec le 4 février 2019 et qui fixe une somme de 376 499,88 euros. Toutefois, alors que le décompte général prévu à l'article 13.4.1 du CCAG-Travaux doit comprendre obligatoirement le décompte final et mentionner l'état du solde, ce décompte établi par la commune mentionne des versements d'acomptes pour un montant de 736 857,40 euros ainsi qu'un montant de 376 499,68 euros toutes taxes comprises sans préciser à quoi correspond cette somme et de quel calcul elle résulte, et notamment s'il s'agit de l'état du solde. Au surplus, la somme ainsi mentionnée par la commune ne permet pas de déterminer s'il s'agit d'un montant au bénéfice de la commune ou de la société, en l'absence de toute mention de la valeur des travaux exécutés. Le décompte dont se prévaut la commune est donc irrégulier.

S'agissant du bien-fondé du titre exécutoire émis par la commune des Mayons :

6. Pour émettre le titre exécutoire en litige et mettre à la charge de la société Razel-Bec le remboursement de la somme de 362 357,72 euros, la commune des Mayons s'est fondée sur le décompte qu'elle a établi et qu'elle considère comme valant décompte général et définitif. Or, il résulte de ce qui vient d'être dit qu'elle ne pouvait se fonder pour justifier le montant de la créance mise à la charge de la société Razel-Bec sur ce décompte irrégulier, ainsi d'ailleurs que l'ont jugé les premiers juges.

7. Il résulte de ce qui précède que la commune des Mayons n'est pas fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Toulon a annulé le titre exécutoire qu'elle avait émis pour un montant de 362 357,72 euros, sans qu'il soit besoin d'examiner la régularité de ce titre.

Sur l'appel incident de la société Razel-Bec :

En ce qui concerne la recevabilité de l'appel incident :

8. La commune oppose une fin de non-recevoir à l'appel incident de la société Razel-Bec qu'elle considère comme relevant d'un litige distinct. Toutefois, la commune ayant contesté le jugement du tribunal administratif de Toulon, qui avait fait droit partiellement à la demande indemnitaire de la société Razel-Bec, cette demande ne peut être regardée comme relevant d'un litige distinct de celui tendant à l'annulation du titre de perception, dès lors qu'elle porte sur la même question du règlement du marché. Dans ces conditions, le recours incident, par lequel la société Razel-Bec conteste le jugement en tant qu'il a limité la condamnation de la commune des Mayons à 7 493 euros toutes taxes comprises, ne soulève pas un litige diffèrent de celui qui fait l'objet de la requête principale. Par suite, ce recours est recevable.

En ce qui concerne le bien-fondé du jugement :

S'agissant de la survenue d'une résiliation :

9. Aux termes de l'article 48.2 du CCAG-Travaux : " 48.2. Si le titulaire n'a pas déféré à la mise en demeure, la poursuite des travaux peut être ordonnée, à ses frais et risques, ou la résiliation du marché peut être décidée. ".

10. Aux termes de l'article 48.3 du CCAG-Travaux : " 48.3. Pour assurer la poursuite des travaux, en lieu et place du titulaire, il est procédé, le titulaire étant présent ou ayant été dûment convoqué, à la constatation des travaux exécutés et des approvisionnements existants ainsi qu'à l'inventaire descriptif du matériel du titulaire et à la remise à celui-ci de la partie de ce matériel qui n'est pas utile à l'achèvement des travaux. / Dans le délai d'un mois suivant la notification de la décision de poursuite des travaux, en lieu et place du titulaire, ce dernier peut être autorisé par ordre de service à reprendre l'exécution des travaux s'il justifie des moyens nécessaires pour les mener à bonne fin. / Après l'expiration de ce délai, la résiliation du marché est prononcée par le représentant du pouvoir adjudicateur. ".

11. Il ne résulte pas de l'instruction que la commune des Mayons ait formalisé une quelconque décision de résiliation sur l'un ou l'autre des fondements mentionnés aux points précédents. Dans ces conditions, la société Razel-Bec n'est pas fondée à soutenir que le marché conclu avec l'appelante aurait été résilié.

S'agissant de l'existence d'un décompte général et définitif :

12. D'une part, aux termes de l'article 13.3.2. du CCAG-Travaux : " Le titulaire transmet son projet de décompte final, simultanément au maître d'œuvre et au représentant du pouvoir adjudicateur, par tout moyen permettant de donner une date certaine, dans un délai de trente jours à compter de la date de notification de la décision de réception des travaux telle qu'elle est prévue à l'article 41.3 ou, en l'absence d'une telle notification, à la fin de l'un des délais de trente jours fixés aux articles 41.1.3 et 41.3. ".

13. Aux termes de l'article 13.4.4. du CCAG-Travaux : " Si le représentant du pouvoir adjudicateur ne notifie pas au titulaire le décompte général dans les délais stipulés à l'article 13.4.2, le titulaire notifie au représentant du pouvoir adjudicateur, avec copie au maître d'œuvre, un projet de décompte général signé, composé : / -du projet de décompte final tel que transmis en application de l'article 13.3.1 ; /-du projet d'état du solde hors révision de prix définitive, établi à partir du projet de décompte final et du dernier projet de décompte mensuel, faisant ressortir les éléments définis à l'article 13.2.1 pour les acomptes mensuels ; /-du projet de récapitulation des acomptes mensuels et du solde hors révision de prix définitive. / Dans un délai de dix jours à compter de la réception de ces documents, le représentant du pouvoir adjudicateur notifie le décompte général au titulaire. Le décompte général et définitif est alors établi dans les conditions fixées à l'article 13.4.3. / Si, dans ce délai de dix jours, le représentant du pouvoir adjudicateur n'a pas notifié au titulaire le décompte général, le projet de décompte général transmis par le titulaire devient le décompte général et définitif. Le délai de paiement du solde, hors révisions de prix définitives, court à compter du lendemain de l'expiration de ce délai. /Le décompte général et définitif lie définitivement les parties, sauf en ce qui concerne les montants des révisions de prix et des intérêts moratoires afférents au solde. Le cas échéant, les révisions de prix sont calculées dans les conditions prévues à l'article 13.4.2. / Le représentant du pouvoir adjudicateur notifie au titulaire le montant des révisions de prix au plus tard dix jours après la publication de l'index de référence permettant la révision du solde. La date de cette notification constitue le point de départ du délai de paiement de ce montant ". Aux termes de l'article 13.4.5. du CCAG-Travaux : "Dans le cas où le titulaire n'a pas renvoyé le décompte général signé au représentant du pouvoir adjudicateur dans le délai de trente jours fixé à l'article 13.4.3, ou encore dans le cas où, l'ayant renvoyé dans ce délai, il n'a pas motivé son refus ou n'a pas exposé en détail les motifs de ses réserves, en précisant le montant de ses réclamations comme indiqué à l'article 50.1.1, le décompte général notifié par le représentant du pouvoir adjudicateur est réputé être accepté par lui ; il devient alors le décompte général et définitif du marché. ".

14. D'autre part, aux termes des dispositions de l'article 41.3. du CCAG-Travaux : " Au vu du procès-verbal des opérations préalables à la réception et des propositions du maître d'œuvre, le maître de l'ouvrage décide si la réception est ou non prononcée ou si elle est prononcée avec réserves. S'il prononce la réception, il fixe la date qu'il retient pour l'achèvement des travaux. La décision ainsi prise est notifiée au titulaire dans les trente jours suivant la date du procès-verbal. / La réception prend effet à la date fixée pour l'achèvement des travaux. / Sauf le cas prévu à l'article 41.1.3, à défaut de décision du maître de l'ouvrage notifiée dans le délai précisé ci-dessus, les propositions du maître d'œuvre s'imposent au maître de l'ouvrage et au titulaire. ".

15. Il résulte des stipulations précitées de l'article 41.3 du CCAG-Travaux qu'à défaut de décision du maître de l'ouvrage notifiée dans un délai de trente jours suivant la transmission par le maître d'œuvre du procès-verbal de réception des travaux, les propositions du maître d'œuvre s'imposent au maître de l'ouvrage et au titulaire.

16. Il résulte de l'instruction que la société Razel-Bec a été convoquée à une réunion de constat contradictoire prévue le 15 novembre 2016 dans la perspective d'une réception des travaux. A la suite de cette réunion, un procès-verbal des opérations de réception a été établi par le maître d'œuvre et notifié le jour même à la société le 22 juin 2017 qui l'a signé et transmis au maître d'œuvre, le 27 septembre 2017. La transmission de ce procès-verbal par le maître d'œuvre à la personne responsable du marché comportant ses propositions n'est intervenue que par courrier du 9 janvier 2018, reçu en mairie le 10 janvier suivant. Ce document n'ayant jamais été signé par la commune, qui ne l'a pas renvoyé au titulaire, aucune décision explicite de réception n'est intervenue. Toutefois, la commune n'est pas fondée à soutenir qu'il y a absence de réception des travaux dès lors que, par l'effet des stipulations de l'article 41.3. du CCAG-Travaux précitées, cette réception doit être regardée comme étant tacitement acquise dès le 9 février 2018, avec une date d'effet à la date d'achèvement des travaux au 29 mai 2015. Cette réception s'impose ainsi au maître de l'ouvrage et au titulaire.

17. Dans ces conditions, d'une part, le projet de décompte final que la société Razel-Bec a transmis le 9 janvier 2018 au maître d'œuvre et au maître d'ouvrage, par pli remis le 11 janvier 2018 à la commune, soit certes postérieurement à la réception mais antérieurement à la date à laquelle elle a été tacitement acquise le 9 février 2018, était prématuré.

18. D'autre part, la société Razel-Bec, après la décision de réception des travaux, a, le 6 juin 2018, transmis au maître d'œuvre et au maître d'ouvrage un " projet de décompte général " en mettant en demeure le maître d'ouvrage de notifier le décompte général de l'opération. Cependant cet envoi, s'il s'agit du décompte général prévu à l'alinéa 1 de l'article 13.4.4. du CCAG Travaux n'a pas été précédé d'un projet de décompte final régulier. En réalité, cette transmission porte sur un projet qui, dans les circonstances de l'espèce, doit être regardé comme un projet de décompte final lequel n'a pas été suivi du décompte général prévu par ces dispositions. Dans ces conditions, la société Razel-Bec n'est pas fondée à se prévaloir de l'existence d'un décompte général et définitif fixant le solde en sa faveur à la somme de 156 474,12 euros toutes taxes comprises.

S'agissant de l'établissement du solde du marché :

19. Aux termes de l'article 13.4.2 du cahier des clauses administratives générales (CCAG) applicable aux marchés de travaux, dans sa rédaction issue de l'arrêté du 8 septembre 2009 : " Le représentant du pouvoir adjudicateur notifie au titulaire le décompte général avant la plus tardive des deux dates ci-après : - quarante jours après la date de remise au maître d'œuvre du projet de décompte final par le titulaire ; - douze jours après la publication de l'index de référence permettant la révision du solde. / Si le représentant du pouvoir adjudicateur ne notifie pas au titulaire, dans les délais stipulés ci-dessus, le décompte général signé, celui-ci lui adresse une mise en demeure d'y procéder. L'absence de notification au titulaire du décompte général signé par le représentant du pouvoir adjudicateur, dans un délai de trente jours à compter de la réception de la mise en demeure, autorise le titulaire à saisir le tribunal administratif compétent en cas de désaccord. / Si le décompte général est notifié au titulaire postérieurement à la saisine du tribunal administratif, le titulaire n'est pas tenu, en cas de désaccord, de présenter le mémoire en réclamation mentionné à l'article 50.1.1. ".

20. Il résulte de ces stipulations que lorsque le pouvoir adjudicateur, mis en demeure de notifier le décompte général, s'abstient d'y procéder dans le délai de trente jours qui lui est imparti, le titulaire du marché peut saisir le tribunal administratif d'une demande visant à obtenir le paiement des sommes qu'il estime lui être dues au titre du solde du marché. Dans l'hypothèse où la personne publique notifie le décompte général postérieurement à la saisine du tribunal, le litige conserve son objet et il y a lieu pour le juge de le trancher au vu de l'ensemble des éléments à sa disposition, sans que le titulaire du marché soit tenu de présenter de mémoire de réclamation contre ce décompte.

21. La société Razel-Bec réclame le versement de la somme de 156 474,12 euros toutes taxes comprises qui résulte de la différence entre l'intégralité du montant initial du marché, soit 746 109,60 euros hors taxes et les acomptes qu'elle a perçus qui s'élèvent à 615 714,50 euros hors taxes, tout en indiquant que cette somme est en deçà de ce qu'elle serait en droit de réclamer.

22. Il est constant que les montants qui ont déjà été versés à la société Razel-Bec s'élèvent à 736 857,40 euros toutes taxes comprises. Pour ce qui est de la valeur contractuelle des travaux exécutés, il résulte de l'instruction que le maître d'œuvre a mentionné dans le décompte final qu'il a établi une somme de 620 292 euros hors taxes, laquelle se décompose, d'une part, en 508 962 euros au titre du montant de base, soit 68 % de l'exécution du marché et, d'autre part, en 111 330 euros hors taxes, représentant six croisements supplémentaires au coût unitaire de 18 555 euros hors taxes. Dans le cadre de ses écritures, la société ne revendique pas le versement de l'intégralité du montant initialement prévu au marché mais elle se fonde sur le montant de 768 732 euros, soit 620 292 euros hors taxes, établi par le maître d'œuvre auquel elle demande que soit ajoutée la somme de 148 440 euros au titre de huit croisements supplémentaires au prix unitaire de 18 555 euros hors taxes, soit quatorze croisements au total. La société soutient que le montant dû au titre des croisements supplémentaires s'élève à un total de 259 770 euros, résultant de la multiplication du prix unitaire du croisement par quatorze, soit huit de plus que le nombre retenu par le maître d'œuvre. Pour justifier du nombre de croisements, elle produit les journaux de chantier signés par le maître d'œuvre attestant de la réalisation des croisements d'ouvrage.

23. Si la commune fait valoir que le montant des prestations exécutées ne s'élève qu'à 313 749,73 euros hors taxes, elle ne produit pas d'élément de nature à établir la réalité du montant qu'elle avance. Le document intitulé " anomalies relevées par le maître d'ouvrage à indiquer dans le procès-verbal des opérations préalables à la réception de chantier " qu'elle produit se borne à lister dans des termes généraux les travaux et prestations non réalisés tels que prévus au marché et les non-conformités des ouvrages qu'elle a relevées sans qu'il soit possible notamment d'identifier si ces prestations relèvent ou non des plus de 40 % du montant du marché non exécuté tel que retenu par le maître d'œuvre.

24. Dans ces conditions et en l'absence de contestation utile par la commune des Mayons, la société Razel-Bec est fondée à soutenir qu'elle a réalisé des prestations contractuelles pour un montant global de 768 732 euros, tenant compte de quatorze croisements de réseaux. Le solde s'établit donc à 153 017,50 hors taxes, soit 183 621 euros toutes taxes comprises mais la société Razel-Bec ne réclame le paiement du solde qu'à hauteur de 130 395,10 hors taxes, soit 156 474,12 euros toutes taxes comprises.

25. Il s'en déduit que la société Razel-Bec est fondée à demander à ce que le montant des condamnations mises à la charge de la commune des Mayons au titre du solde du marché soit porté à la somme de 156 474,12 euros toutes taxes comprises.

En ce qui concerne les intérêts et la capitalisation des intérêts :

26. Les intérêts moratoires courent sur la somme de 156 474,12 euros toutes taxes comprises à compter de la première demande de paiement. Toutefois, la société Razel-Bec ne réclame des intérêts qu'à compter du 18 juillet 2018. Ces intérêts seront eux-mêmes capitalisés et produiront intérêts à compter du 18 juillet 2019.

Sur les frais liés au litige :

27. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce qu'il soit fait droit aux conclusions de la commune des Mayons dirigées contre la société Razel-Bec qui n'est pas, dans la présente instance, la partie perdante. Il y a lieu en revanche, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de la commune des Mayons une somme de 2 000 euros à verser à la société Razel-Bec en application de ces dispositions.

D É C I D E :

Article 1er : La requête de la commune des Mayons est rejetée.

Article 2 : La commune des Mayons est condamnée à payer à la société Razel-Bec la somme de 156 474,12 euros TTC, somme majorée des intérêts moratoires à compter 18 juillet 2018, capitalisés à compter du 18 juillet 2019.

Article 3 : Le jugement du tribunal administratif de Toulon est réformé en ce qu'il est contraire au présent arrêt.

Article 4 : La commune des Mayons versera à la société Razel-Bec une somme de 2 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Article 5 : Le présent arrêt sera notifié à la commune des Mayons et à la société Razel-Bec.

Délibéré après l'audience du 5 juin 2023, où siégeaient :

- M. Alexandre Badie, président de chambre,

- M. Renaud Thielé, président assesseur,

- Mme Isabelle Ruiz, première conseillère.

Rendu public par mise à disposition au greffe, le 19 juin 2023.

2

No 21MA04869


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Marseille
Formation : 6ème chambre
Numéro d'arrêt : 21MA04869
Date de la décision : 19/06/2023
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Plein contentieux

Analyses

Marchés et contrats administratifs - Fin des contrats - Fin des concessions - Résiliation.

Marchés et contrats administratifs - Exécution financière du contrat - Règlement des marchés.


Composition du Tribunal
Président : M. BADIE
Rapporteur ?: Mme Isabelle RUIZ
Rapporteur public ?: M. POINT
Avocat(s) : LLC et ASSOCIÉS

Origine de la décision
Date de l'import : 10/08/2023
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.marseille;arret;2023-06-19;21ma04869 ?
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