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19/06/2023 | FRANCE | N°21MA00562

France | France, Cour administrative d'appel de Marseille, 6ème chambre, 19 juin 2023, 21MA00562


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

La commune de Palasca a demandé au tribunal administratif de Bastia de condamner solidairement Me Roussel, en qualité de liquidateur de la SARL Frassati, et MM. A... et E... à lui verser la somme de 247 601,20 euros au titre de la réparation des désordres affectant la façade et le clocher de l'église de l'Assomption et de condamner la mutuelle des architectes français (MAF), la société mutuelle d'assurance du bâtiment et des travaux publics (SMABTP) et la société anonyme (SA) Acte Iard à relever et ga

rantir, respectivement, M. A..., Me Roussel et M. E... des condamnations pro...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

La commune de Palasca a demandé au tribunal administratif de Bastia de condamner solidairement Me Roussel, en qualité de liquidateur de la SARL Frassati, et MM. A... et E... à lui verser la somme de 247 601,20 euros au titre de la réparation des désordres affectant la façade et le clocher de l'église de l'Assomption et de condamner la mutuelle des architectes français (MAF), la société mutuelle d'assurance du bâtiment et des travaux publics (SMABTP) et la société anonyme (SA) Acte Iard à relever et garantir, respectivement, M. A..., Me Roussel et M. E... des condamnations prononcées à leur encontre.

Par un jugement n° 1701117 du 10 décembre 2020, le tribunal administratif de Bastia a condamné solidairement M. A... et Me Roussel, en qualité de liquidateur de la SARL Frassati, à verser à la commune de Palasca la somme de 94 804 euros toutes taxes comprises.

Procédure devant la Cour :

Par une requête, enregistrée le 10 février 2021, la commune de Palasca, représentée par Me Canava, demande à la Cour :

1°) d'annuler le jugement du 10 décembre 2020 ;

2°) à titre principal, de désigner un expert avec pour mission de décrire les désordres et non conformités affectant l'ouvrage, rechercher l'origine et causes des désordres, indiquer les modalités permettant d'y remédier, la nature des travaux destinés à leur porter remède et en chiffrer le coût, fournir tous éléments techniques et de fait de nature à permettre à la juridiction éventuellement saisie de déterminer les responsabilités encourues et d'évaluer tous les chefs de préjudices subis par le maître de l'ouvrage ;

3°) à titre subsidiaire, de déclarer M. A..., Me Roussel, en sa qualité de liquidateur de la SARL Frassatti, et M. E... responsables du préjudice subi du fait du marché public de l'église par la commune de Palasca et de condamner solidairement M. A..., Me Roussel, en sa qualité de liquidateur de la SARL Frassatti, et M. E... au paiement de la somme de 247 601,20 euros, majoré des intérêts de droit à compter de la date de l'arrêt à intervenir ;

4°) en tout de cause, de condamner M. A..., Me Roussel, en sa qualité de liquidateur de la SARL Frassatti, et M. E... aux entiers dépens et de mettre à la charge solidairement de M. A..., Me Roussel, en sa qualité de liquidateur de la SARL Frassatti, et M. E... la somme de 2 500 euros sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que :

- le jugement, qui se fonde sur une expertise incomplète, l'expert ne décrivant ni les travaux qu'il convient d'effectuer en vue de faire cesser les désordres et de remettre l'église dans l'état prévu par le marché, ni les travaux urgents et indispensables à réaliser afin d'assurer la sécurité des usagers, est irrégulier ;

- les désordres affectant l'église de l'Assomption et son clocher proviennent d'une erreur de choix dans l'application d'un mortier hydrofugé pour assurer l'étanchéité des corniches et éléments saillants, de l'absence de protection en zinc ou en plomb sur les parties hautes des corniches, d'un défaut d'exécution des travaux incombant à l'entreprise et d'un défaut de conception du maître d'œuvre résultant de l'acceptation d'un revêtement par mortier hydrofuge au lieu d'une bande de solin ;

- la responsabilité de ces dommages est imputable au maître d'œuvre, à la société titulaire du marché et à son sous-traitant ;

- l'expert qu'elle a elle-même mandaté et l'architecte des bâtiments de France qu'elle a consulté ont apporté des éléments permettant d'évaluer son préjudice et de pallier la carence de l'expert désigné par le tribunal administratif de Bastia ; leur analyse permet d'évaluer son préjudice à 247 601,20 euros, compte tenu notamment des désordres engendrés par l'utilisation d'une peinture acrylique.

Par une intervention, enregistrée le 30 mars 2021, la société mutuelle d'assurance du bâtiment et des travaux publics (SMABTP), représentée par Me Gasquet-Seatelli, demande que la Cour rejette la requête de la commune de Palasca.

Elle soutient que :

- sa demande d'intervention est recevable dès lors que la société dont elle est l'assureur a vu sa responsabilité décennale engagée en première instance ;

- seule la responsabilité du maître d'œuvre peut être recherchée ;

- si la responsabilité de la société Frassati devait être retenue, sa part ne pourrait excéder 20% ;

- l'évaluation du préjudice par la commune ne repose que sur une expertise privée non contradictoire et d'ailleurs les dires de l'architecte des bâtiments de France que la commune a elle-même sollicité ne préconise aucun des travaux visés dans cette expertise ;

- la commune ne saurait réclamer l'indemnisation de l'aggravation des désordres initialement constatés.

Par un mémoire en défense, enregistré le 25 mai 2021, M. H... E... et son assureur, la société Acte Iard, représentés par Me Thibaudeau, concluent, à titre principal, au rejet de la requête et, à titre subsidiaire, à la condamnation de M. A... et de la société Frassati à garantir M. E... de toute éventuelle condamnation.

Ils font valoir qu'aucun des moyens de la requête n'est fondé.

Par un mémoire en défense, enregistré le 16 juin 2021, M. F... A... et son assureur, la mutuelle des architectes français (MAF), représentés par Me Vaccarezza :

1°) concluent à l'annulation du rapport d'expertise ;

2°) concluent au rejet de la demande de la commune de Palasca tendant à leur condamnation ;

3°) demandent à la Cour de réformer le jugement du tribunal administratif de Bastia en tant qu'il n'a pas condamné les autres entreprises à garantir intégralement M. A... de sa condamnation ;

4°) demandent à la Cour de condamner les autres entreprises à garantir intégralement M. A... de toute éventuelle condamnation ;

5°) à titre subsidiaire, demandent à la Cour de confirmer du jugement ;

6°) et demandent à la Cour, en tout état de cause, de mettre à la charge de tout succombant la somme de 2 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Ils font valoir que ;

- le rapport remis par l'expert désigné par le tribunal administratif de Bastia est incomplet et inexploitable ;

- la mutuelle des architectes français ne saurait être condamnée, dès lors que le contrat liant M. A... à la MAF, est un contrat de droit privé rendant la juridiction de l'ordre judiciaire seule compétente ;

- eu égard à la mission sans études d'exécution du maître d'œuvre, sa responsabilité ne saurait être engagée ;

- le produit utilisé par l'entrepreneur, le mortier hydrofuge, en lieu et place de la bande " solin " en zinc, à la suite d'une demande de la commune, était conforme au document technique unifié du marché à sa destination, le maître d'œuvre était tenu de penser que ce produit avait été régulièrement appliqué par l'entreprise, cette application étant invisible à la réception en raison de couverture de l'enduit par une peinture ;

- la suppression de la prestation " Étanchéité " et son remplacement par un mortier étanche ont été réalisés à la seule initiative de la société Frassati et ne correspondent pas à une demande ou à un ordre du maître d'œuvre ;

- la circonstance que la société Frassati n'ait pas produit d'attestation d'assurance est sans lien avec le dommage ;

- il ne saurait être tenu compte du rapport de l'expert mandaté par la commune, lequel n'a pas été établi de manière contradictoire, en l'absence de précisions quant aux localisations des travaux préconisés et compte tenu des prix unitaires manifestement supérieurs aux prix identifiés pour des marchés similaires ou même dans les séries nationales de prix ;

- il ne saurait davantage être pris en considération les dires de l'architecte des bâtiments de France dès lors que ce dernier évoque une éventuelle cause déjà discutée mais aussi de nouvelles causes jamais évoquées par quiconque ;

- le maître d'œuvre n'a jamais prescrit le type de peinture utilisé par la société Frassati dans le cahier des clauses techniques particulières ni ne l'a même demandé en cours de l'exécution de chantier ; une telle utilisation de peinture acrylique ne peut qu'être à la seule initiative de l'entreprise et à l'insu du maître d'œuvre.

Par ordonnance du 17 novembre 2022, la clôture d'instruction a été fixée en dernier lieu au 1er décembre 2022 à midi.

Les parties ont été informées, par courrier du 17 mai 2023, en application des dispositions de l'article R. 611-7 du code de justice administrative, de ce que l'arrêt était susceptible d'être fondé sur deux moyens relevés d'office, l'un tiré de l'intervention de la réception définitive des travaux, faisant obstacle à ce que puisse être invoquée la garantie contractuelle après cette réception définitive (CE 31 mars 1989, Commune du Chesnay, n° 83583), et l'autre tiré de l'irrecevabilité des conclusions présentées par M. F... A... et son assureur tendant à l'annulation du rapport d'expertise en raison de leur objet.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- le code civil ;

- le code des marchés publics ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de Mme Isabelle Ruiz, rapporteure,

- et les conclusions de M. François Point, rapporteur public.

Considérant ce qui suit :

1. La commune de Palasca a conclu le 24 octobre 2005 un marché de maîtrise d'œuvre avec M. A... pour la réfection des façades de l'église de l'Assomption et de son clocher. Elle a ensuite confié les travaux à la SARL Frassati selon un marché conclu le 6 mars 2006. Cette société a sous-traité une partie des travaux à M. E... et à la SARL Lauze et toitures. La réception des travaux a été prononcée sans réserves le 18 juillet 2008. Des désordres et dégradations affectant les façades de l'église ainsi que les corniches et le clocher ont été constatés par un procès-verbal de constat d'huissier en date du 11 mars 2015. La commune de Palasca a ensuite demandé au tribunal administratif de Bastia de prescrire une mesure d'expertise, laquelle a été ordonnée le 30 octobre 2015 par le juge des référés. L'expert a remis son rapport le 18 juillet 2016. Un complément à ce rapport a été déposé le 8 août 2016. La commune de Palasca a alors saisi le tribunal administratif de Bastia d'une demande tendant à la condamnation de Me Roussel, en qualité de liquidateur de la SARL Frassati, MM. A... et E..., la mutuelle des architectes français (MAF), la société mutuelle d'assurance du bâtiment et des travaux publics (SMABTP) et la société anonyme Acte Iard à réparer les préjudices qu'elle estimait avoir subis du fait des désordres ayant affecté les façades et le clocher de l'église. Par le jugement attaqué, le tribunal administratif a condamné solidairement M. A... et Me Roussel, en qualité de liquidateur de la SARL Frassati, SARL désormais représentée par M. C..., désigné en tant que mandataire ad hoc par ordonnance du tribunal de commerce de Bastia du 3 février 2023, à verser à la commune de Palasca la somme de 94 804 euros toutes taxes comprises. La commune de Palasca fait régulièrement appel de ce jugement.

Sur la recevabilité de l'intervention de la SMABTP :

2. Dans les litiges de plein contentieux, sont seules recevables à former une intervention les personnes qui peuvent se prévaloir d'un droit auquel la décision à rendre est susceptible de préjudicier. L'assureur d'un constructeur dont la responsabilité décennale est recherchée ne peut être regardé comme pouvant, dans le cadre d'un litige relatif à l'engagement de cette responsabilité, se prévaloir d'un droit de cette nature. Par suite, l'intervention de la SMABTP, en qualité d'assureur de la société Frassati ne peut être admise.

Sur l'appel principal de la commune de Palasca :

En ce qui concerne la régularité du jugement et de l'expertise :

3. Le respect du caractère contradictoire de la procédure d'expertise implique que les parties soient mises à même de discuter devant l'expert des éléments de nature à exercer une influence sur la réponse aux questions posées par la juridiction saisie du litige. Lorsqu'une expertise est entachée d'une méconnaissance de ce principe ou lorsqu'elle a été ordonnée dans le cadre d'un litige distinct, ses éléments peuvent néanmoins, s'ils sont soumis au débat contradictoire en cours d'instance, être régulièrement pris en compte par le juge, soit lorsqu'ils ont le caractère d'éléments de pur fait non contestés par les parties, soit à titre d'éléments d'information dès lors qu'ils sont corroborés par d'autres éléments du dossier.

4. La circonstance que l'expert n'ait pas décrit les travaux qu'il convenait d'effectuer en vue de faire cesser les désordres ne fait pas obstacle à ce que, s'ils ont été soumis au débat contradictoire en cours d'instance, les éléments de l'expertise par lesquels l'expert se prononce sur les autres termes de sa mission soient régulièrement pris en compte par le juge, soit lorsqu'ils ont le caractère d'éléments de pur fait non contestés par les parties, soit à titre d'éléments d'information dès lors qu'ils ne sont pas infirmés par d'autres éléments versés au dossier dans le cadre de l'instruction du litige.

5. La commune de Palasca conteste la régularité de l'expertise de M. D... ainsi que le caractère complet du rapport qu'il a remis le 8 août 2016, notamment quant aux travaux qu'il convenait d'effectuer en vue de faire cesser les désordres et de remettre l'église dans l'état prévu par le marché et aux travaux urgents et indispensables à réaliser afin d'assurer la sécurité des usagers. L'expert avait pour mission de " décrire les travaux de nature à faire cesser les désordres et à remettre l'ouvrage en état prévu par le marché : en évaluer le coût et la durée ". Or, il n'y avait aucune description des désordres dans le premier rapport initial remis par l'expert, qui se bornait à indiquer que les désordres étaient évolutifs de sorte que le tribunal a été contraint de demander un complément d'expertise. Concernant la description des travaux à entreprendre, ainsi que le fait valoir la commune, l'expert mentionne deux devis et leur montant sans en indiquer le contenu et sans que ces devis aient été annexés à son rapport. Par ailleurs, en ce qui concerne les travaux urgents et indispensables pour assurer la sécurité, la commune fait valoir à juste titre qu'alors que l'expert reconnaît l'existence de risques de chutes, il n'a pas décrit les travaux urgents et nécessaires pour y remédier.

6. Il en résulte que la commune appelante est fondée à soutenir que le jugement attaqué est entaché d'irrégularité pour s'être fondé sur une expertise elle-même irrégulière en raison de son caractère incomplet. Le jugement doit donc être annulé en tant qu'il rejette le surplus des demandes indemnitaires de la commune.

En ce qui concerne le surplus de la demande d'indemnisation de la commune de Palasca :

S'agissant de la responsabilité décennale :

Quant au droit applicable :

7. Il résulte des principes qui régissent la garantie décennale des constructeurs que des désordres apparus dans le délai d'épreuve de dix ans, de nature à compromettre la solidité de l'ouvrage ou à le rendre impropre à sa destination dans un délai prévisible, engagent leur responsabilité, même s'ils ne se sont pas révélés dans toute leur étendue avant l'expiration du délai de dix ans. La responsabilité décennale du constructeur peut être recherchée pour des dommages survenus sur des éléments d'équipement dissociables de l'ouvrage s'ils rendent celui-ci impropre à sa destination. Même si la commune n'a pas explicité le fondement de sa demande et n'a pas expressément mentionné qu'elle entendait placer sa demande sur le terrain de la responsabilité décennale, elle doit être regardée en invoquant des " désordres de nature à rendre les ouvrages impropres à leur destination ou à en compromettre l'étanchéité " comme ayant entendu rechercher la responsabilité décennale des constructeurs.

Quant aux désordres affectant l'église de l'Assomption et son clocher :

8. Il résulte de l'instruction que la commune de Palasca a décidé en 2005 d'engager des travaux de réfection des façades de l'église de l'Assomption et de son clocher. Elle a confié la maîtrise d'œuvre à M. A..., architecte, et les travaux à la société Frassati. Cette dernière a sous-traité une partie des travaux à M. E... et à la SARL Lauze et toitures. Alors que les travaux ont été réceptionnés sans réserves le 29 avril 2008, dès 2013, ont été constatées des chutes de blocs d'enduit qui se sont détachés de la façade et des dégradations affectant les façades de l'église ainsi que les corniches et le clocher. Il résulte de l'instruction et notamment des constatations de l'expert qui sont corroborées par l'architecte des bâtiments de France consulté par la commune que si ces désordres ont plusieurs causes, les causes principales en sont le ruissellement des eaux de pluie causé par l'absence de solins en zinc, initialement prévus au marché et remplacés par la mise en œuvre d'un mortier hydrofuge et par une couverture en lauzes, d'une part, et la qualité de l'enduit utilisé et de la peinture de finition, d'autre part. Seule, une entreprise, la société Bartoletti, sollicitée par la commune pour l'établissement d'un devis estimatif en vue de réaliser des travaux de réparation des désordres, en sus des causes déjà mentionnées, relève l'absence de piquetage et de lavage complet de l'enduit existant par la société Frassati ainsi que la méconnaissance des clauses du cahier des clauses techniques particulières et du document technique unifié, sans toutefois, préciser quelles clauses n'auraient pas été respectées par le titulaire du marché.

9. Dans ces conditions, seuls, le remplacement des gouttières et la qualité de l'enduit peuvent être regardés comme étant à l'origine des désordres.

Quant à l'imputabilité des désordres affectant l'église de l'Assomption et son clocher :

10. Il résulte de l'instruction que l'architecte avait prévu selon les règles de l'art de rendre les corniches étanches. Toutefois, les prestations " gouttières chutes d'eau pluviales ", initialement prévues au marché, ont été remplacées, au cours des travaux par une prestation de couverture en lauzes. L'architecte, M. A..., ne saurait utilement se prévaloir de ce que sa mission n'incluait pas l'étude d'exécution alors même qu'un problème de conception était ainsi en cause. M. A... ne saurait davantage se prévaloir des fautes de la SARL Frassati et de son sous-traitant pour s'exonérer de sa responsabilité solidaire concernant des dommages qui lui sont imputables. Par ailleurs, il résulte de l'instruction, notamment du rapport de l'expert dont les constatations ne sont pas en l'espèce infirmées par d'autres éléments versés au dossier dans le cadre de l'instruction que les désordres liés au décrochage des enduits sont imputables à la préparation des supports réalisés par la SARL Frassati, au choix de son dosage des matériaux composant le mortier ainsi qu'à la qualité et l'épaisseur du gobetis et de leur mise en œuvre. Si le cahier des clauses techniques particulières prévoyait la possibilité pour l'entrepreneur de proposer à l'approbation du maître d'œuvre le remplacement des solins au mortier par un calfeutrement en produit pâteux en matière synthétique, c'était à la condition qu'il justifie d'un avis technique le certifiant apte à cet usage, ce qui n'a pas été fait. Le cahier des clauses techniques particulières précise en outre que " dans tous les cas, c'est l'entrepreneur du présent lot qui aura la responsabilité pleine et entière de l'ensemble du complexe étanchéité plus protection ". Dans ces conditions, l'origine des désordres est imputable à la fois au maître d'œuvre et au constructeur.

11. Il s'ensuit que la commune de Palasca est fondée à rechercher la responsabilité décennale de M. A... et de la société Frassati, dont la responsabilité peut être solidairement engagée.

Quant à l'évaluation du préjudice subi par la commune de Palasca :

12. Il résulte de l'instruction, et en particulier du rapport de l'expert non contredit sur ce point par les autres pièces du dossier d'instruction, que les travaux de reprise ont été estimés entre 86 185,54 euros toutes taxes comprises et 94 804 euros toutes taxes comprises par ce dernier en se fondant sur les devis fournis tant par la commune que par l'assureur de la société Frassati. Seul le devis produit par la société Bartoletti, sollicitée par la commune, évalue les travaux qui pourraient lui être confiés à 247 601,20 euros sans que les pièces versées à la présente instance ne permettent de justifier un tel écart avec les deux premières estimations. Dans ces conditions, le préjudice subi par la commune de Palasca doit être évalué à hauteur de 94 804 euros toutes taxes comprises.

13. Par ailleurs, la requérante, qui demande que les sommes qui lui sont dues soient réévaluées depuis l'expertise, n'établit pas avoir été dans l'impossibilité financière ou technique de faire procéder aux réparations nécessaires à la date du dépôt du rapport de l'expert alors même que ce rapport était sur ce point insuffisant. Ainsi, c'est à cette date que doivent être évaluées les indemnités auxquelles elle peut prétendre en réparation des dommages.

14. Il résulte de ce qui précède que M. A... et la SARL Frassati, doivent être condamnés solidairement à payer à la commune de Palasca la somme de 94 804 euros toutes taxes comprises sans qu'il soit besoin de désigner un nouvel expert.

S'agissant de la responsabilité contractuelle :

Quant à la responsabilité du titulaire du marché :

15. La réception d'un ouvrage est l'acte par lequel le maître de l'ouvrage déclare accepter l'ouvrage avec ou sans réserve. Elle vaut pour tous les participants à l'opération de travaux, même si elle n'est prononcée qu'à l'égard de l'entrepreneur, et met fin aux rapports contractuels entre le maître de l'ouvrage et les constructeurs en ce qui concerne la réalisation de l'ouvrage. Si elle interdit, par conséquent, au maître de l'ouvrage d'invoquer, après qu'elle a été prononcée, et sous réserve de la garantie de parfait achèvement, des désordres apparents causés à l'ouvrage ou des désordres causés aux tiers, dont il est alors réputé avoir renoncé à demander la réparation, elle ne met fin aux obligations contractuelles des constructeurs que dans cette seule mesure. Ainsi la réception demeure, par elle-même, sans effet sur les droits et obligations financiers nés de l'exécution du marché, à raison notamment de retards ou de travaux supplémentaires, dont la détermination intervient définitivement lors de l'établissement du solde du décompte définitif. Seule l'intervention du décompte général et définitif du marché a pour conséquence d'interdire au maître de l'ouvrage toute réclamation à cet égard.

16. Il résulte de l'instruction que la réception des travaux en cause est intervenue le 29 avril 2008 avec réserves. Ces réserves portent sur la reprise des enduits et de la coloration des corniches du clocher et donc sur des défauts mineurs et sont sans lien direct avec les désordres en litige, de sorte que la commune de Palasca ne peut plus rechercher la responsabilité contractuelle du maître d'œuvre et du titulaire du marché.

Quant à la responsabilité du sous-traitant :

17. S'il appartient, en principe, au maître d'ouvrage qui entend obtenir la réparation des conséquences dommageables d'un vice imputable à la conception ou à l'exécution d'un ouvrage de diriger son action contre le ou les constructeurs avec lesquels il a conclu un contrat de louage d'ouvrage, il lui est toutefois loisible, dans le cas où la responsabilité du ou des cocontractants ne pourrait pas être utilement recherchée, de mettre en cause, sur le terrain quasi-délictuel, la responsabilité des participants à une opération de construction avec lesquels il n'a pas conclu de contrat de louage d'ouvrage, mais qui sont intervenus sur le fondement d'un contrat conclu avec l'un des constructeurs. Il peut, à ce titre, invoquer, notamment, la violation des règles de l'art ou la méconnaissance de dispositions législatives et réglementaires mais ne saurait se prévaloir de fautes résultant de la seule inexécution, par les personnes intéressées, de leurs propres obligations contractuelles.

18. Il résulte de ce qui a été dit au point 11 que la commune de Palasca peut utilement rechercher la responsabilité de la SARL Frassati. Dans ces conditions, elle ne saurait rechercher celle de M. E..., son sous-traitant.

En ce qui concerne les intérêts :

19. La commune de Palasca a droit aux intérêts sur la condamnation prononcée au point 14 du présent arrêt à compter du 5 octobre 2017, date d'enregistrement de sa demande devant le tribunal administratif de Bastia.

Sur l'appel de M. A... et de son assureur, la MAF :

En ce qui concerne la régularité du jugement et de l'expertise :

20. M. A... et son assureur, la MAF, ne sauraient utilement remettre en cause le caractère contradictoire du rapport remis par M. D... en se bornant à soutenir que ce dernier n'aurait pas tenu compte des dires de M. A... contenus dans un " dire récapitulatif " qu'il aurait transmis le 13 juillet 2016, faute de produire les dires contenus dans son précédent envoi du 10 mai 2016 qui permettaient d'identifier les éventuels éléments susceptibles d'influer sur la réponse de l'expert aux questions qui lui étaient posées et qui étaient présents dans le dire du 13 juillet 2016 dont l'expert n'aurait pas tenu compte. Toutefois, il résulte de ce qui vient d'être dit que l'expertise est irrégulière en raison de son caractère incomplet.

En ce qui concerne les conclusions à fin d'annulation de l'expertise :

21. Les conclusions présentées par M. A... et son assureur tendant à l'annulation de l'expertise rendue par M. D... sont irrecevables, en raison de leur objet, et ne peuvent qu'être rejetées.

En qui concerne la demande de décharge de sa condamnation :

22. Il résulte de ce qui a été dit aux points 10 et 11 que la responsabilité des désordres n'est pas imputable au seul entrepreneur mais également au maître d'œuvre. Par suite, M. A... n'est pas fondé à se plaindre de ce que par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Bastia l'a condamné au titre de sa responsabilité décennale in solidum avec la société Frassati à réparer les préjudices subis par la commune de Palasca.

En ce qui concerne l'appel en garantie :

23. En se bornant à demander que les autres entreprises devront le garantir d'éventuelles condamnations prononcées à son encontre, M. A... et son assureur n'assortissent pas leurs conclusions de précisions permettant d'en apprécier le bien-fondé. Leur appel en garantie ne peut ainsi qu'être rejeté.

Sur l'appel en garantie formé par M. E..., sous-traitant, et son assureur :

24. M. E... ne faisant l'objet d'aucune condamnation par le présent arrêt, il n'y a pas lieu de faire droit à l'appel en garantie qu'il a formé avec son assureur.

Sur les dépens :

25. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre les frais et honoraires de l'expertise confiée à M. D..., expert, taxés et liquidés à la somme de 4 363 euros par l'ordonnance du président du tribunal du 29 août 2016, à la charge définitive et solidaire de M. A... et de Me Roussel, en qualité de liquidateur de la SARL Frassati, parties perdantes dans la présente instance.

Sur les frais liés au litige :

26. Dans les circonstances de l'espèce, il n'y a pas lieu de faire droit aux conclusions des parties présentées sur le fondement des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

D É C I D E :

Article 1er : L'intervention de la SMABTP n'est pas admise.

Article 2 : Le jugement du tribunal administratif de Bastia du 10 décembre 2020 est annulé.

Article 3 : M. A... et la SARL Frassati, sont solidairement condamnés à verser à la commune de Palasca la somme de 94 804 euros toutes taxes comprises, somme majorée des intérêts légaux à compter du 5 octobre 2017.

Article 4 : Les frais et honoraires de l'expertise confiée à M. D..., expert, taxés et liquidés à la somme de 4 363 euros par l'ordonnance du 29 août 2016, sont mis à la charge définitive et solidaire de M. A... et de la SARL Frassati.

Article 5 : Le surplus des conclusions de la requête de la commune de Palasca est rejeté.

Article 6 : Les conclusions présentées par M. A... et la mutuelle des architectes français sont rejetées.

Article 7 : L'appel en garantie présenté par M. E... et son assureur, la société Acte Iard, est rejeté.

Article 8 : Le présent arrêt sera notifié à la commune de Palasca, à la SARL Frassati, représentée par M. G... C..., mandataire ad hoc, à M. F... A..., à M. H... E..., à la mutuelle des architectes français (MAF), à la société mutuelle d'assurance du bâtiment et des travaux publics (SMABTP) et à la société Acte Iard.

Copie en sera transmise à M. B... D..., expert et à Me Roussel, ancien liquidateur de la SARL Frassati.

Délibéré après l'audience du 5 juin 2023, où siégeaient :

- M. Alexandre Badie, président de chambre,

- M. Renaud Thielé, président assesseur,

- Mme Isabelle Ruiz, première conseillère.

Rendu public par mise à disposition au greffe, le 19 juin 2023.

2

N° 21MA00562


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Marseille
Formation : 6ème chambre
Numéro d'arrêt : 21MA00562
Date de la décision : 19/06/2023
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Plein contentieux

Analyses

39-06-01-04-03 Marchés et contrats administratifs. - Rapports entre l'architecte, l'entrepreneur et le maître de l'ouvrage. - Responsabilité des constructeurs à l'égard du maître de l'ouvrage. - Responsabilité décennale. - Désordres de nature à engager la responsabilité décennale des constructeurs.


Composition du Tribunal
Président : M. BADIE
Rapporteur ?: Mme Isabelle RUIZ
Rapporteur public ?: M. POINT
Avocat(s) : THIBAUDEAU

Origine de la décision
Date de l'import : 10/08/2023
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.marseille;arret;2023-06-19;21ma00562 ?
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