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15/06/2023 | FRANCE | N°22MA01689

France | France, Cour administrative d'appel de Marseille, 3ème chambre, 15 juin 2023, 22MA01689


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

Le requérant se disant M. C... E... a demandé au tribunal administratif de Marseille d'annuler l'arrêté du 10 décembre 2021 par lequel la préfète des Hautes-Alpes a refusé de lui délivrer un titre de séjour, l'a obligé à quitter le territoire français dans un délai de trente jours et a fixé le pays de destination.

Par un jugement n° 2200207 du 9 mai 2022, le tribunal administratif de Marseille a annulé l'arrêté précité portant obligation de quitter le territoire dans un délai de trente

jours et fixant le pays à destination, a enjoint à la préfète des Hautes-Alpes de délivrer...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

Le requérant se disant M. C... E... a demandé au tribunal administratif de Marseille d'annuler l'arrêté du 10 décembre 2021 par lequel la préfète des Hautes-Alpes a refusé de lui délivrer un titre de séjour, l'a obligé à quitter le territoire français dans un délai de trente jours et a fixé le pays de destination.

Par un jugement n° 2200207 du 9 mai 2022, le tribunal administratif de Marseille a annulé l'arrêté précité portant obligation de quitter le territoire dans un délai de trente jours et fixant le pays à destination, a enjoint à la préfète des Hautes-Alpes de délivrer à l'intéressé une autorisation provisoire de séjour dans un délai d'un mois à compter de la notification du jugement, jusqu'à ce qu'il soit de nouveau statué sur son cas, et a rejeté le surplus de sa demande.

Procédure devant la Cour :

Par une requête, enregistrée le 13 juin 2022, le requérant se disant M. E..., représenté par Me Mbengue Alioune, demande à la Cour :

1°) d'annuler ce jugement du 9 mai 2022 du tribunal administratif de Marseille en tant qu'il a rejeté le surplus de sa demande ;

2°) d'annuler l'arrêté du 10 décembre 2021 de la préfète des Hautes-Alpes portant refus de titre de séjour ;

3°) d'enjoindre à la préfète des Hautes-Alpes, à titre principal, de lui délivrer un titre de séjour portant la mention " vie privée et familiale " dans le délai d'un mois et, à titre subsidiaire, de procéder à un nouvel examen de sa demande, dans un délai de quinze jours à compter de la notification de l'arrêt à intervenir, sous astreinte de 100 euros par jour de retard ;

4°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 1 500 euros à verser à son conseil au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Il soutient que :

- il produit un justificatif d'état civil dressé, le 25 mai 2021, conformément à la législation camerounaise ainsi que la copie de ses passeports délivrés par le consulat du Cameroun à Marseille, en 2012 et 2018, établissant qu'il est le titulaire de l'identité qu'il revendique ;

- les éléments produits par la préfète, qui n'a procédé à aucune vérification de l'authenticité des actes produits, ne permettent pas de remettre en cause leur valeur probante.

Par un mémoire en défense, enregistré le 23 août 2022, la préfète des Hautes-Alpes conclut au rejet de la requête et demande à la cour d'annuler le jugement du tribunal administratif de Marseille en tant qu'il a annulé ses décisions portant obligation de quitter le territoire français dans le délai de trente jours et fixant le pays de destination.

Elle fait valoir que :

- la demande formulée auprès du consulat général de France à Douala n'a pas permis de confirmer l'identité du requérant ;

- les moyens de la requête ne sont pas fondés.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

- le code civil ;

- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;

- le code de justice administrative.

Le président de la formation de jugement a dispensé le rapporteur public, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Le rapport de Mme Carotenuto a été entendu au cours de l'audience publique.

Considérant ce qui suit :

1. Le requérant se disant M. E..., ressortissant camerounais, a sollicité, le 6 janvier 2017, la délivrance d'un titre de séjour sur le fondement des dispositions alors en vigueur du 2° de l'article L. 313-11 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, reprises, à compter du 1er mai 2021, à l'article L. 423-21 de ce code. Par un arrêté du 10 décembre 2021, la préfète des Hautes-Alpes a refusé de lui délivrer un titre de séjour, l'a obligé à quitter le territoire français dans le délai de trente jours et a fixé le pays de destination. Par un jugement du 9 mai 2022, le tribunal administratif de Marseille a annulé cet arrêté en tant qu'il porte obligation de quitter le territoire français dans un délai de trente jours et fixe le pays à destination. Le requérant demande l'annulation de ce jugement en tant qu'il a rejeté ses conclusions tendant à l'annulation de la décision portant refus de séjour. Par la voie de l'appel incident, la préfète des Hautes-Alpes demande à la cour d'annuler ce jugement en tant qu'il a annulé ses décisions portant obligation de quitter le territoire français et fixant le pays de destination.

Sur l'appel principal :

2. Aux termes de l'article L. 423-21 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " Dans l'année qui suit son dix-huitième anniversaire (...), l'étranger qui justifie par tout moyen avoir résidé habituellement en France depuis qu'il a atteint au plus l'âge de treize ans avec au moins un de ses parents se voit délivrer une carte de séjour temporaire portant la mention " vie privée et familiale " d'une durée d'un an. La condition prévue à l'article L. 412-1 n'est pas opposable. / Pour l'application du premier alinéa, la filiation s'entend de la filiation légalement établie, y compris en vertu d'une décision d'adoption, sous réserve de la vérification par le ministère public de la régularité de cette décision lorsqu'elle a été prononcée à l'étranger ". Aux termes de l'article R. 431-10 de ce code, qui a repris, à compter du 1er mai 2021, les dispositions anciennement codifiées à l'article R. 311-2-2 : " L'étranger qui demande la délivrance ou le renouvellement d'un titre de séjour présente à l'appui de sa demande : / 1° Les documents justifiants de son état civil ; /-2°- Les documents justifiants de sa nationalité ; / 3° Les documents justifiants de l'état civil et de la nationalité de son conjoint, de ses enfants et de ses parents lorsqu'il sollicite la délivrance ou le renouvellement d'un titre de séjour pour motif familial. / La délivrance du premier récépissé et l'intervention de la décision relative au titre de séjour sollicité sont subordonnées à la production de ces documents (...) ". Aux termes de l'article L. 811-2 du même code, dans sa rédaction applicable depuis le 1er mai 2021, qui a repris l'ancien article L. 111-6 premier alinéa de ce code : " La vérification de tout acte d'état civil étranger est effectuée dans les conditions définies à l'article 47 du code civil ". Aux termes de l'article 47 du code civil : " Tout acte de l'état civil des Français et des étrangers fait en pays étranger et rédigé dans les formes usitées dans ce pays fait foi, sauf si d'autres actes ou pièces détenus, des données extérieures ou des éléments tirés de l'acte lui-même établissent, le cas échéant après toutes vérifications utiles, que cet acte est irrégulier, falsifié ou que les faits qui y sont déclarés ne correspondent pas à la réalité. Celle-ci est appréciée au regard de la loi française ".

3. Il résulte de ces dispositions que la force probante d'un acte d'état civil établi à l'étranger peut être combattue par tout moyen susceptible d'établir que l'acte en cause est irrégulier, falsifié ou inexact. En cas de contestation par l'administration de la valeur probante d'un acte d'état civil établi à l'étranger, il appartient au juge administratif de former sa conviction au vu de l'ensemble des éléments produits par les parties. Pour juger qu'un acte d'état civil produit devant lui est dépourvu de force probante, qu'il soit irrégulier, falsifié ou inexact, le juge doit en conséquence se fonder sur tous les éléments versés au dossier dans le cadre de l'instruction du litige qui lui est soumis. Ce faisant, il lui appartient d'apprécier les conséquences à tirer de la production par l'étranger d'une carte consulaire ou d'un passeport dont l'authenticité est établie ou n'est pas contestée, sans qu'une force probante particulière puisse être attribuée ou refusée par principe à de tels documents.

4. Le requérant se disant M. C... E..., né le 3 janvier 1999 à Douala, déclare être entré en France le 2 janvier 2012, la veille de ses treize ans, et y résider depuis. S'il n'établit pas la date exacte de son entrée sur le territoire français, il ressort des pièces du dossier qu'il y a été pris en charge par Mme A..., sa tante, et l'époux de celle-ci, M. D., qui l'a reconnu comme son fils le 13 janvier 2012 auprès des services de l'état civil de la commune de Le Poët. Dans le cadre de sa demande de titre de séjour, le requérant s'est notamment prévalu d'un acte de naissance et d'un passeport n° 01690688 d'une validité de cinq ans délivré le 22 novembre 2012 par le consulat du Cameroun à Marseille mentionnant le numéro personnel M0602771, renouvelé le 19 avril 2018 par ce même poste consulaire par un nouveau titre de voyage portant le n° 0761510, ainsi qu'en dernier lieu, d'un nouvel acte de naissance dressé le 25 mai 2021 délivré sur la base du jugement civil de droit local portant reconstitution d'acte de naissance rendu, le 15 avril 2021, par le tribunal de première instance de Douala-Bonanjo sur demande de l'intéressé, motif pris du vol de son ancien acte de naissance, vol dont il n'avait toutefois pas fait état devant les services de la préfecture des Hautes-Alpes.

5. La préfète des Hautes-Alpes a refusé de délivrer au requérant un titre de séjour au motif qu'il serait en réalité M. J... C... K... F..., né le 16 octobre 1997 à Bafoussam au Cameroun. Au soutien de cette appréciation, la préfète des Hautes-Alpes se fonde sur un ensemble d'éléments mis en évidence dans le cadre d'une enquête ouverte par le procureur de la République près le tribunal de grande instance de Digne-les-Bains à la suite du dépôt, en décembre 2015, d'une demande de titre de séjour présentée auprès de la préfecture des Alpes-de-Haute-Provence par Mme B... E..., mère de C... E..., et ayant abouti à un jugement correctionnel du 26 septembre 2019 par lequel le tribunal de grande instance de Digne-les-Bains, s'agissant de M. D., a constaté la prescription de l'action publique pour les faits d'aide à l'entrée, à la circulation ou au séjour irréguliers d'un étranger en France commis le 1er janvier 2005 à Le Poët, a déclaré l'intéressé coupable pour les faits de reconnaissance d'enfant pour l'obtention d'un titre de séjour, d'une protection contre l'éloignement ou pour l'acquisition de la nationalité française, commis le 13 janvier 2012 à Le Poët, l'a condamné au paiement d'une amende de 10 000 euros dont 5 000 euros avec sursis et, à titre de peine complémentaire, a ordonné la confiscation de tous les scellés constitutifs de faux documents et, s'agissant de Mme A..., son ex-épouse, le couple ayant divorcé à la fin de l'année 2016, a constaté la prescription de l'action publique pour les faits d'aide à l'entrée, à la circulation ou au séjour irréguliers d'un étranger en France commis le 1er janvier 2006 à Le Poët et a relaxé l'intéressée pour le surplus.

6. Il ressort ainsi des pièces du dossier que les investigations menées par les services de la police aux frontières ont notamment permis de découvrir que M. D. avait déposé en juillet 2011 auprès de la mairie de Le Poët un dossier d'attestation d'accueil au bénéfice de deux ressortissants camerounais dont le jeune J... C... K... F..., né le 16 octobre 1997 à Bafoussam, en présentant sous cet état civil un passeport n° 01465102 d'une validité de cinq ans délivré le 22 décembre 2010 par les autorités camerounaises à Yaoundé mentionnant le numéro personnel M0362714, et que la photographie apposée sur ce passeport était identique que celle apposée sur les passeports délivrés à M. C... E.... En outre, au cours de sa seconde audition par les services de la police aux frontières réalisée le 7 février 2017, M. D. a confirmé et précisé ses déclarations de la première audition effectuée le 13 juin 2016 en indiquant que l'enfant reconnu n'était pas C... E..., fils de B... E..., mais le neveu de celle-ci, que cet enfant était en réalité le fils I... épouse F..., au bénéfice de laquelle il avait également déposé un dossier d'attestation d'accueil en mars 2014 à la mairie de Le Poët, et qu'il avait procédé à la reconnaissance frauduleuse car il " ne pouvai[t] pas faire autrement pour le faire venir " et qu'il savait " qu'il ne s'appelait pas comme ça ". Si, devant le juge pénal, M. D. est finalement revenu sur ses déclarations en soutenant qu'il ne connaissait qu'un seul C..., celui qu'il avait reconnu, ni ces nouvelles déclarations ni les termes du jugement correctionnel précité ne permettent, eu égard à l'enchaînement chronologique des faits, de contredire sérieusement ses allégations initiales quant à l'identité réelle de l'enfant ou, à tout le moins, d'établir que le requérant est bien C... E... comme il prétend l'être alors, au demeurant, qu'il est également apparu au cours de l'enquête que l'intéressé s'identifiait sur son profil Facebook " C... E... (K... F...) " et s'était borné à expliquer ce double nom par le fait que le second était celui de ses cousins. Au surplus, il ressort des pièces du dossier que la validité de l'acte de naissance initial dressé sous l'état civil de C... E..., tout comme celle de l'acte dressé sous l'état civil de B... E..., n'a pu être établie, un courrier en ce sens du consulat de France à Douala adressé à M. D. ayant été trouvé au domicile de celui-ci lors d'une perquisition, ce courrier précisant, dès lors, l'impossibilité de procéder à la transcription sur les registres de l'état civil de la reconnaissance de l'enfant. A cet égard, si l'intéressé s'est vu renouveler son passeport le 19 avril 2018, il n'est pas établi qu'il a été délivré au vu d'autres actes d'état civil que ceux mentionnés ci-dessus et, en outre, un tel document ne constitue pas un acte d'état civil mais un document de voyage qui ne permet pas d'établir son identité et pour lequel la présomption de validité résultant des dispositions de l'article 47 du code civil ne s'applique pas. Enfin, il ressort des pièces produites devant la cour par la préfète des Hautes-Alpes que les recherches effectuées par le consulat général de France à Douala n'ont pas permis de confirmer l'identité du requérant. Dans ces conditions, et dès lors que les faits déclarés dans le nouvel acte de naissance dressé le 25 mai 2021 ne correspondent pas à la réalité, le requérant, qui n'explique pas les incohérences précédemment relevées, ne justifie pas plus en appel qu'en première instance qu'il est bien le titulaire de l'identité qu'il revendique. Dès lors, et pour le seul motif qu'en méconnaissance des dispositions précitées de l'article R. 431-10 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile le requérant ne justifie pas de son état civil, la préfète des Hautes-Alpes pouvait légalement refuser de lui délivrer un titre de séjour sous l'identité alléguée de C... E....

7. Il résulte de ce qui précède que le requérant n'est pas fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Marseille a rejeté sa demande tendant à l'annulation de l'arrêté du 10 décembre 2021 par lequel la préfète des Hautes-Alpes a refusé de lui délivrer un titre de séjour. Par voie de conséquence, ses conclusions aux fins d'injonction sous astreinte et celles présentées au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative doivent être rejetées.

Sur l'appel incident :

8. La préfète des Hautes-Alpes ne conteste pas les motifs du jugement attaqué par lesquels le tribunal a estimé que la préfète des Hautes-Alpes, en édictant la mesure d'éloignement en litige, avait entaché sa décision d'une erreur manifeste d'appréciation eu égard notamment à la durée de séjour habituel du requérant en France, à sa scolarisation et au fait qu'il ne saurait être tenu responsable des faits commis par M. D. alors qu'il était mineur. Par suite, ses conclusions incidentes tendant à l'annulation du jugement en tant qu'il a annulé ses décisions portant obligation de quitter le territoire français et fixant le pays de destination doivent, en tout état de cause, être rejetées.

D É C I D E :

Article 1er : La requête du requérant se disant M. E... est rejetée.

Article 2 : Les conclusions d'appel incident de la préfète des Hautes-Alpes sont rejetées.

Article 3 : Le présent arrêt sera notifié au ministre de l'intérieur et des Outre-mer et au requérant se disant M. C... E....

Copie en sera adressée à la préfète des Hautes-Alpes.

Délibéré après l'audience du 1er juin 2023, où siégeaient :

- M. Platillero, président assesseur, président de la formation de jugement en application de l'article R. 222-26 du code de justice administrative,

- Mme Carotenuto et Mme G..., premières conseillères.

Rendu public par mise à disposition au greffe, le 15 juin 2023.

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N° 22MA0689


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Marseille
Formation : 3ème chambre
Numéro d'arrêt : 22MA01689
Date de la décision : 15/06/2023
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Excès de pouvoir

Analyses

335-01-03 Étrangers. - Séjour des étrangers. - Refus de séjour.


Composition du Tribunal
Président : M. PLATILLERO
Rapporteur ?: Mme Sylvie CAROTENUTO
Rapporteur public ?: M. URY
Avocat(s) : MBENGUE ALIOUNE

Origine de la décision
Date de l'import : 10/08/2023
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.marseille;arret;2023-06-15;22ma01689 ?
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