Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
M. B... C... a demandé au tribunal administratif de Marseille de prononcer la décharge, en droits et majorations, des cotisations supplémentaires d'impôt sur le revenu, de contributions sur les hauts revenus et de contributions sociales auxquelles il a été assujetti au titre de l'année 2012.
Par un jugement n° 1903502 du 19 janvier 2021, le tribunal administratif de Marseille a prononcé un non-lieu à statuer à hauteur du dégrèvement intervenu en cours d'instance et a rejeté le surplus de sa demande.
Procédure devant la Cour :
Par une requête et un mémoire, enregistrés le 3 février 2021 et le 24 mai 2023, M. C..., représenté par Me Pichon, demande à la Cour :
1°) d'annuler ce jugement n° 1903502 du 19 janvier 2021 du tribunal administratif de Marseille en tant qu'il a rejeté le surplus de sa demande ;
2°) de prononcer la décharge, en droits et majorations, des impositions restant en litige ;
3°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 5 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Il soutient que :
- le tribunal ne s'est pas prononcé sur le moyen tiré de ce que la société à responsabilité limitée (SARL) Richard Property a accompli les formalités prescrites par l'article 1690 du code civil concernant la cession de créance en litige de la société holding C... Invest à la société civile immobilière (SCI) Victoria ;
- alors même que les formalités prescrites par l'article 1690 du code civil n'auraient pas été respectées, ce qui n'est pas le cas, la preuve du transfert de la créance peut être apportée par tout moyen ;
- le procès-verbal de l'associé unique de la holding C... Invest du 21 mars 2012 ainsi que les écritures comptables justifient la réalité de la cession de créance ;
- les sociétés intervenantes à l'opération avaient connaissance de la cession de créance ;
- le montant de la créance est également justifié ;
- en tout état de cause, l'opération en cause, qui s'analyse comme une simple compensation, est sans incidence sur le montant de son actif net, au sens du 2 de l'article 38 du code général des impôts et ne peut caractériser un produit imposable au sens du 1 de l'article 38 du même code ;
- la substitution de créancier n'a procuré aucun avantage aux sociétés intervenantes et ne peut s'analyser, du fait de son antériorité à l'achat par la SCI Victoria du bien vendu par la SARL Richard Property, comme une renonciation de cette dernière à percevoir une quote-part du prix de cession de la nue-propriété au bénéfice de l'acquéreur ;
- à supposer même qu'un avantage occulte ait été consenti à la SCI Victoria, la somme en litige ne peut être imposée sur le fondement du c. de l'article 111 du code général des impôts dès lors que cette même société n'est pas assujettie à l'impôt sur les sociétés ;
- il n'est pas personnellement associé de la SARL Richard Property et l'administration n'apporte la preuve ni de l'existence de distribution ou avantage imposable entre ses mains ni celle d'un désinvestissement des sommes en litige.
Par un mémoire en défense, enregistré le 10 juin 2021, le ministre de l'économie, des finances et de la relance conclut au rejet de la requête.
Il fait valoir que les moyens de la requête ne sont pas fondés.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- le code civil ;
- le code général des impôts et le livre des procédures fiscales ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus, au cours de l'audience publique :
- le rapport de Mme Carotenuto,
- les conclusions de M. Ury, rapporteur public,
- et les observations de Me Pichon représentant M. C....
Considérant ce qui suit :
1. La SARL Richard Property, qui exerce une activité de location immobilière dont M. C... est le gérant, est détenue à 99,9 % par la société holding C... Invest, société dont le requérant est gérant et unique associé et à 0,01 % par le requérant. Elle a fait l'objet d'une vérification de comptabilité à l'issue de laquelle l'administration fiscale lui a notifié des cotisations supplémentaires d'impôt sur les sociétés résultant notamment de la réintégration dans son bénéfice imposable, au titre de l'exercice 2012, de sommes regardées par l'administration comme correspondant à un abandon de créance d'un montant de 350 000 euros. Tirant les conséquences de ce contrôle, l'administration fiscale a imposé la somme correspondante, soit 350 000 euros, entre les mains de M. C... sur le fondement du c. de l'article 111 du code général des impôts. M. C... relève appel du jugement du 19 janvier 2021 en tant que le tribunal administratif de Marseille a rejeté le surplus de sa demande tendant à la décharge, en droits et majorations, des impositions supplémentaires ainsi mises à sa charge au titre de l'année 2012.
Sur la régularité du jugement :
2. Il résulte du dossier de première instance, que par un mémoire en réplique enregistré le 11 décembre 2020 au greffe du tribunal administratif, M. C... soutenait que la SARL Richard Property avait accompli les formalités prévues par l'article 1690 du code civil établissant ainsi l'existence d'une cession de créance. Le tribunal ne s'est pas prononcé sur ce moyen, qui n'est pas inopérant. Par suite, le jugement attaqué doit être annulé en tant qu'il a rejeté le surplus de la demande de M. C....
3. Il y a lieu d'évoquer et de statuer immédiatement sur la demande présentée par M. C... devant le tribunal administratif de Marseille tendant à la décharge des impositions restant en litige.
Sur le bien-fondé des impositions restant en litige :
4. Aux termes de l'article 111 du code général des impôts : " Sont notamment considérés comme revenus distribués : (...) / c. Les rémunérations et avantages occultes ". En vertu de ces dispositions, les rémunérations et avantages occultes consentis par les sociétés passibles de l'impôt sur les sociétés sont regardés comme des revenus distribués qui sont, par suite, imposables à l'impôt sur le revenu, au nom du bénéficiaire, associé ou tiers, dans la catégorie des revenus de capitaux mobiliers.
En ce qui concerne l'existence et le montant des revenus distribués :
5. Aux termes de l'article 38 du code général des impôts, applicable à l'impôt sur les sociétés en vertu de l'article 209 du même code : " 1. (...) le bénéfice imposable est le bénéfice net, déterminé d'après les résultats d'ensemble des opérations de toute nature effectuées par les entreprises, y compris notamment les cessions d'éléments quelconques de l'actif, soit en cours, soit en fin d'exploitation. / 2. Le bénéfice net est constitué par la différence entre les valeurs de l'actif net à la clôture et à l'ouverture de la période dont les résultats doivent servir de base à l'impôt diminuée des suppléments d'apport et augmentée des prélèvements effectués au cours de cette période par l'exploitant ou par les associés. L'actif net s'entend de l'excédent des valeurs d'actif sur le total formé au passif par les créances des tiers, les amortissements et les provisions justifiés. ".
6. Aux termes de l'article 1690 du code civil : " Le cessionnaire n'est saisi à l'égard des tiers que par la signification du transport faite au débiteur. Néanmoins, le cessionnaire peut être également saisi par l'acceptation du transport faite par le débiteur dans un acte authentique ". Dans le cas où ces formalités n'ont pas été accomplies, le contribuable peut cependant démontrer, par tout moyen de preuve, la réalité du transfert de créance.
7. Il résulte de l'instruction que la SARL Richard Property a cédé à la SCI Victoria, détenue à 99 % par M. A... et par elle-même à hauteur de 1 %, le 22 mars 2012, la nue-propriété assortie d'une réserve d'usufruit d'un ensemble de bâtiments à usage d'entrepôt et de bureau, pour un montant de 777 878 euros toutes taxes comprises. Selon les mentions de l'acte authentique du 22 mars 2012, le prix de vente a été payé à hauteur de 520 120 euros par compensation avec une créance détenue par la SCI Victoria sur la SARL Richard Property, le solde devant être payé au plus tard le 22 mars 2017. Lors de la vérification de comptabilité de la SARL Richard Property, l'administration fiscale a relevé qu'au jour de la cession, le nouvel acquéreur, la SCI Victoria, ne détenait pas directement une créance sur la SARL Richard Property et que les écritures comptables du compte de la SCI Victoria faisaient seulement état d'une cession de créance de la holding C... Invest à hauteur de 350 000 euros. Le vérificateur a constaté que la SARL Richard Property avait procédé dans ses écritures comptables à la date du 14 février 2012 à l'extinction d'une dette de 350 000 euros à l'égard de la société holding C... Invest par la constatation d'une dette de même montant envers la SCI Victoria, alors qu'à cette date, la dette de la société à l'égard cette holding n'était que de 277 809 euros et en a déduit qu'une cession de créances pour un montant de 350 000 euros ne pouvait être admise. M. C... reconnaît qu'au 14 février 2012 la société holding C... Invest détenait à l'encontre de la SARL Richard Property une créance d'un montant seulement de 277 809 euros mais il soutient que cette dernière pouvait néanmoins réaliser à cette date une cession de créances d'un montant de 350 000 euros, pour des créances " futures ". Le vérificateur a considéré que, faute de justifier d'un acte de cession de créance opposable, les écritures comptables, à hauteur de 350 000 euros, retraçaient un abandon de créance générant un profit imposable sur le fondement du 1 de l'article 38 du code général des impôts au titre de l'exercice 2012.
8. D'une part, M. C... fait valoir que la cession de créance en litige respecte le formalisme prévu par le second alinéa de l'article 1690 du code civil consistant en une acceptation du débiteur par acte authentique et se prévaut de l'acte de vente de l'ensemble immobilier du 22 mars 2012, conclu entre la SARL Richard Property, vendeur, et la SCI Victoria, acquéreur. Toutefois, les mentions de cet acte, rappelées au point précédent, et auquel la société holding C... Invest n'est pas partie, ne sont pas de nature à démontrer l'existence de la cession de créance entre la société holding C... Invest et la SCI Victoria. En outre, la simple connaissance de la cession de créance par le débiteur cédé ne suffit pas à la lui rendre opposable. Il ne résulte pas de l'instruction qu'une délibération des associés a pallié l'absence d'accomplissement des formalités prévues à l'article 1690 du code civil. D'autre part, M. C... se prévaut du procès-verbal du 21 mars 2012, annexé à l'acte authentique, adopté par l'associé unique de la société holding C... Invest, qui met au vote la vente de l'ensemble immobilier en cause par la SARL Richard Property à la SCI Victoria et reprend les mentions portées dans l'acte de vente quant au paiement du prix de vente. Toutefois, cet acte mentionne un paiement par compensation de créances à hauteur de 520 120 euros et non 350 000 euros et ne peut attester du transfert d'une dette d'un même montant entre la société holding C... Invest et la SCI Victoria, en l'absence de toute mention de cette nature. En outre, les comptabilisations concomitantes d'opérations dans les comptabilités de la holding C... Invest et de la SCI Victoria et les analyses des écritures comptables selon le rapport d'un expert-comptable du 12 avril 2018, ne suffisent pas, à elles seules, à justifier la réalité d'un transfert de créance. Dans ces conditions, M. C... ne démontre pas la réalité du transfert de la créance, quand bien même les créances seraient futures et qu'il représente les trois sociétés intervenantes. L'administration était donc fondée à regarder la somme de 350 000 euros comme un abandon de créance qui avait la nature d'un profit imposable pour l'application des dispositions précitées du 1 de l'article 38 du code général des impôts et, alors même que l'opération n'a pas entraîné une variation de l'actif net au sens du 2 du même article, à réintégrer cette somme dans le bénéfice imposable de la SARL Richard Property, au titre de l'exercice 2012. L'administration, qui justifie des rectifications opérées pour cette société, établit ainsi l'existence et le montant des distributions effectuées par celle-ci à hauteur de ces rectifications.
En ce qui concerne l'imposition des sommes en cause entre les mains de M. C... :
9. Pour justifier l'appréhension par M. C... des distributions occultes correspondant à la somme de 350 000 euros réintégrée dans le résultat imposable de la SARL Richard Property, l'administration a retenu que ce dernier, associé à hauteur de 99 % de la SCI Victoria, la part restante étant détenue par l'EURL C... Invest, dont le requérant est l'actionnaire unique, avait bénéficié de la nue-propriété du bien cédé par la SARL Richard Property alors même que ni la SCI Victoria ni lui-même ne s'étaient acquittés de la totalité du prix de vente. Le vérificateur a ainsi considéré que M. C... avait bénéficié d'un enrichissement personnel et devait être regardé comme ayant appréhendé indirectement cet avantage. Le requérant fait valoir que la SCI Victoria étant soumise au régime fiscal des sociétés de personnes, l'administration ne pouvait fonder les impositions en litige sur le c. de l'article 111 du code général des impôts. Toutefois, lesdites impositions procèdent de la réintégration dans le revenu imposable du requérant de la somme de 350 000 euros consécutive à la vérification de comptabilité de la SARL Richard Property, société assujettie à l'impôt sur les sociétés. M. C... n'a pas été imposé en tant qu'associé de la SCI Victoria, dont les bénéfices n'ont, au demeurant, pas été rectifiés. Par ailleurs, ainsi qu'il vient d'être dit, les impositions en litige ne procèdent pas d'un avantage anormal consenti à la SCI Victoria correspondant à une renonciation à percevoir une quote-part du prix de la cession d'un bien immobilier. Dès lors, le requérant ne saurait utilement faire valoir que l'écriture emportant substitution de créance ayant précédé l'achat par la SCI Victoria du bien vendu par la SARL Richard Property, aucun avantage occulte au profit de la SCI ne saurait être admis. Il ne saurait davantage utilement faire valoir que la substitution de créancier n'a procuré aucun avantage aux sociétés intervenantes. Par suite, l'administration établit l'existence d'un avantage au bénéfice de M. C..., constitutif de revenus distribués imposables sur le fondement du c. de l'article 111 du code général des impôts, sans qu'y fasse obstacle la double circonstance que l'intéressé n'est pas associé de la SARL Richard Property et que les sommes n'ont pas été désinvesties.
10. Il résulte de tout ce qui précède que M. C... n'est pas fondé à demander la décharge, en droits et majorations, des impositions restant en litige auxquelles il a été assujetti au titre de l'année 2012.
Sur les frais liés au litige :
11. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que soit mise à la charge de l'Etat, qui n'est pas la partie perdante dans la présente instance, la somme que M. C... demande au titre des frais exposés en première instance et en appel.
D É C I D E :
Article 1er : L'article 2 du jugement n° 1903502 du 19 janvier 2021 du tribunal administratif de Marseille est annulé.
Article 2 : Le surplus de la demande présentée par M. C... devant le tribunal administratif de Marseille et le surplus des conclusions d'appel sont rejetés.
Article 3 : Le présent arrêt sera notifié à M. C... et au ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique.
Copie en sera adressée à la direction de contrôle fiscal Sud-Est Outre-mer.
Délibéré après l'audience du 1er juin 2023, où siégeaient :
- M. Platillero, président assesseur, président de la formation de jugement en application de l'article R. 222-26 du code de justice administrative,
- Mme Carotenuto et Mme D..., premières conseillères.
Rendu public par mise à disposition au greffe, le 15 juin 2023.
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N° 21MA00477