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08/06/2023 | FRANCE | N°21MA00242

France | France, Cour administrative d'appel de Marseille, 3ème chambre, 08 juin 2023, 21MA00242


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

La société à responsabilité limitée (SARL) TRSB Sud a demandé au tribunal administratif de Marseille de prononcer la décharge de la pénalité pour manœuvres frauduleuses d'un montant de 225 427 euros qui a assorti les cotisations supplémentaires d'impôt sur les sociétés auxquelles elle a été assujettie au titre de l'année 2011, du fait de la remise en cause d'un crédit d'impôt recherche initialement accordé et de surseoir à statuer dans l'attente de la décision du tribunal de commerce de Paris

devant lequel elle a assigné la société YV Consulting le 18 mai 2018.

Par un jugeme...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

La société à responsabilité limitée (SARL) TRSB Sud a demandé au tribunal administratif de Marseille de prononcer la décharge de la pénalité pour manœuvres frauduleuses d'un montant de 225 427 euros qui a assorti les cotisations supplémentaires d'impôt sur les sociétés auxquelles elle a été assujettie au titre de l'année 2011, du fait de la remise en cause d'un crédit d'impôt recherche initialement accordé et de surseoir à statuer dans l'attente de la décision du tribunal de commerce de Paris devant lequel elle a assigné la société YV Consulting le 18 mai 2018.

Par un jugement n° 1902720 du 17 novembre 2020, le tribunal administratif de Marseille a rejeté sa demande.

Procédure devant la Cour :

Par une requête et des mémoires, enregistrés les 14 janvier 2021, 5 août 2021, 8 et 15 novembre 2021, la SARL TRSB Sud, représentée par la SCP Carlini et associés, demande à la Cour :

1°) d'annuler ce jugement du 17 novembre 2020 du tribunal administratif de Marseille ;

2°) à titre principal, de faire droit à sa demande de première instance ;

3°) à titre subsidiaire, de substituer à l'application de la majoration de 80 % pour manœuvres frauduleuses, la majoration de 40 % pour manquement délibéré ;

4°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 3 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que :

- l'élément matériel caractérisant les manœuvres frauduleuses fait défaut dès lors qu'elle avait entièrement délégué à une société de conseil spécialisée la préparation des dossiers déposés dans le cadre des demandes de crédit impôt recherche, et ce prestataire de service a abusé de sa confiance ; cette société de conseil a gravement manqué à son obligation de conseil et de compétence ;

- la seule signature des demandes tendant à la restitution du crédit impôt recherche au titre des années 2011 et 2015 ne démontre pas la mise en place d'un procédé frauduleux ;

- l'élément intentionnel fait également défaut : les travaux de recherche, dont l'éligibilité au crédit impôt recherche a été remise en cause par l'administration fiscale, avaient été validés par les experts de la banque publique d'investissement ;

- elle n'avait pas conscience que les travaux identifiés et documentés par la société de conseil, en vue de l'obtention de crédit impôt recherche, n'étaient pas éligibles au sens de la loi fiscale ;

- elle est fondée à se prévaloir de la doctrine référencée BOI-CF-INF-10-20-20 du 8 mars 2017 ;

- le principe de personnalité des peines garanti par l'article 6 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales s'oppose aux majorations en litige, dès lors qu'elle ne peut être tenue responsable de son prestataire de service ;

- il est opportun de surseoir à statuer dans l'attente de la décision de la cour d'appel de Paris.

Par des mémoires en défense, enregistrés les 9 juin 2021, 24 septembre 2021 et 10 janvier 2022, le ministre de l'économie, des finances et de la relance conclut au rejet de la requête.

Il fait valoir que les moyens de la requête ne sont pas fondés.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- le code général des impôts et le livre des procédures fiscales ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus, au cours de l'audience publique :

- le rapport de Mme Carotenuto,

- et les conclusions de M. Ury, rapporteur public.

Considérant ce qui suit :

1. La SARL TRSB Sud, qui exerce une activité de conseil et assistance informatique, a fait l'objet d'une vérification de comptabilité du 27 octobre 2017 au 24 novembre 2017, portant en particulier sur le crédit d'impôt recherche des années 2011 et 2015. A l'issue de ce contrôle, l'administration a procédé, dans le cadre de la procédure de rectification contradictoire, à des rehaussements d'impôt sur les sociétés en raison de la remise en cause du crédit impôt recherche initialement déclaré au titre de l'année 2011. Les rectifications ont été assorties de la pénalité de 80 % pour manœuvres frauduleuses pour un montant global de 225 427 euros. La SARL TRSB Sud relève appel du jugement du 17 novembre 2020 par lequel le tribunal administratif de Marseille a rejeté sa demande tendant à la décharge de la pénalité ainsi mise à sa charge.

2. En premier lieu, au terme de l'article 1729 du code général des impôts : " Les inexactitudes ou les omissions relevées dans une déclaration ou un acte comportant l'indication d'éléments à retenir pour l'assiette ou la liquidation de l'impôt ainsi que la restitution d'une créance de nature fiscale dont le versement a été indûment obtenu de l'Etat entraînent l'application d'une majoration de : (...) / c. 80 % en cas de manœuvres frauduleuses (...) ". Il résulte de ces dispositions que l'administration peut appliquer la majoration de 80 % pour manœuvres frauduleuses prévue par le c. de l'article 1729 du code général des impôts, si l'intéressé a fait usage d'artifices destinés à égarer ou à restreindre le pouvoir de contrôle de l'administration.

3. Il résulte de l'instruction que l'administration a appliqué une pénalité de 80 % sur le fondement du c. de l'article 1729 du code général des impôts à la reprise du crédit d'impôt recherche initialement accordé à la société requérante au titre des années 2011 et 2015 aux motifs que la société n'avait procédé à aucune dépense de recherche et développement, comme le démontraient notamment l'absence d'élément matériel, de publication scientifique, de dépôt de brevets ou de documents internes de nature à établir la réalité des recherches à l'origine des dépenses en cause ou encore, la présentation d'une documentation technique fictive s'appuyant sur du plagiat de travaux universitaires. En outre, pour justifier de l'existence des recherches invoquées au sein de l'entreprise, étaient présentées des pièces " reconstituées ", dont des comptes rendus d'activité qui n'étaient pas signés par les salariés de l'entreprise. Enfin, les opérations de contrôle ont également révélé que les factures de la société YV Consulting, prestataire de service qui assistait la société requérante dans l'identification et la justification de projets d'innovation susceptibles d'être éligibles au crédit d'impôt recherche, présentaient des anomalies dont l'une d'elles a été modifiée afin de majorer indument le crédit d'impôt recherche 2015.

4. La SARL TRSB Sud, qui reconnaît le bien-fondé des rectifications en droits et qui ne conteste pas sérieusement ces éléments, fait valoir que ces faits ne lui sont pas imputables et qu'elle a été abusée par la société YV Consulting, qui s'est présentée comme un expert en matière de crédit impôt recherche. Toutefois, il résulte de l'instruction, et notamment du contrat de " mandat crédit impôt recherche " conclu entre la SARL TRSB Sud et son prestataire de service, que ce dernier avait pour mission d'" interviewer les intervenants techniques ", de " définir les informations nécessaires à la rédaction des dossiers justifications des dépenses éligibles aux aides " et d'assister les équipes " dans la formalisation des informations ". Il lui incombait également de procéder aux modifications nécessaires après relecture du dossier par la SARL TRSB Sud, qui était ainsi nécessairement informée du caractère inexistant des recherches présentées. En outre, les dossiers de demande déposés auprès de l'administration fiscale étaient signés par le représentant de la SARL TRSB Sud et non par la société YV Consulting. Par ailleurs, la SARL TRSB Sud ne peut utilement se prévaloir de ce qu'un expert avait été mandaté par la banque publique d'investissement pour instruire sa demande de préfinancement des créances de crédit impôts recherche, dès lors qu'il a rendu son rapport en décembre 2015, alors que la déclaration concernant le crédit impôt recherche au titre de l'année 2011 a été déposée en décembre 2014, et qu'en tout état de cause, l'audit se borne à un contrôle de vraisemblance des travaux décrits, sans procéder à une vérification de la réalité des travaux entrepris. Enfin, alors même que la SARL TRSB Sud a assigné en responsabilité la société YV Consulting devant le juge judiciaire, elle n'est pas fondée à soutenir que les errements constatés, récurrents, ne lui sont pas imputables. Par suite, au vu des éléments exposés, l'administration fiscale établit qu'en approuvant les demandes de crédit impôt recherche justifiées par le remboursement de dépenses de recherches fictives, la société requérante a entendu mettre en œuvre un procédé ayant pour but d'égarer l'administration dans l'exercice de son pouvoir de contrôle dans l'intention d'obtenir indûment un crédit d'impôt auquel elle ne pouvait en aucun cas prétendre. Par suite, le service était fondé à appliquer aux rehaussements d'impôt sur les sociétés au titre de l'exercice clos en 2011, la majoration de 80 % prévue par le c. de l'article 1729 du code général des impôts.

5. En deuxième lieu, aux termes du paragraphe 2 de l'article 6 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales : " Toute personne accusée d'une infraction est présumée innocente jusqu'à ce que sa culpabilité ait été légalement établie ". Lorsqu'elle assortit des cotisations supplémentaires d'impôt sur le revenu d'une majoration tendant à réprimer le comportement d'un contribuable, l'administration est tenue de respecter le principe de personnalité des peines, lequel s'oppose à ce qu'une sanction fiscale soit directement appliquée à une personne qui n'a pas pris part aux agissements que cette pénalité réprime. Compte tenu de ce qui a été dit aux points précédents, la SARL TRSB Sud étant responsable des agissements que la majoration pour manœuvres frauduleuses réprime, l'administration a pu lui appliquer cette majoration sans méconnaître le principe de personnalité des peines.

6. En dernier lieu, la société requérante n'est pas fondée à se prévaloir de la doctrine référencée BOI-CF-INF-10-20-20 du 8 mars 2017, au demeurant postérieure à l'année en litige, qui ne donne pas une interprétation différente de la loi fiscale de celle dont il est fait application.

7. Il résulte de tout ce qui précède, sans qu'il soit besoin de surseoir à statuer dans l'attente de la décision du juge judiciaire saisi afin de se prononcer sur la nullité des conventions conclues entre la société YV Consulting et les sociétés du groupe TRSB et sur la responsabilité de la société YV Consulting dans le dépôt de dossiers de crédit impôt recherche, que la SARL TRSB Sud n'est pas fondée à soutenir que c'est à tort que par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Marseille a rejeté sa demande. Par voie de conséquence, ses conclusions présentées au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative doivent être rejetées.

D É C I D E :

Article 1er : La requête de la SARL TRSB Sud est rejetée.

Article 2 : Le présent arrêt sera notifié à la SARL TRSB Sud et au ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique.

Copie en sera adressée à la direction de contrôle fiscal Sud-Est Outre-mer.

Délibéré après l'audience du 17 mai 2023, où siégeaient :

- Mme Paix, présidente,

- M. Platillero, président assesseur,

- Mme Carotenuto, première conseillère.

Rendu public par mise à disposition au greffe, le 8 juin 2023.

2

N° 21MA00242


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Marseille
Formation : 3ème chambre
Numéro d'arrêt : 21MA00242
Date de la décision : 08/06/2023
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Plein contentieux

Composition du Tribunal
Président : Mme PAIX
Rapporteur ?: Mme Sylvie CAROTENUTO
Rapporteur public ?: M. URY
Avocat(s) : SCP CARLINI et ASSOCIÉS

Origine de la décision
Date de l'import : 18/06/2023
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.marseille;arret;2023-06-08;21ma00242 ?
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