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05/06/2023 | FRANCE | N°22MA02201

France | France, Cour administrative d'appel de Marseille, 5ème chambre, 05 juin 2023, 22MA02201


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

Par une décision nos 462681, 462773 du 25 juillet 2022, le Conseil d'État, statuant au contentieux, a annulé les arrêts n° 19MA05604 de la cour administrative d'appel de Marseille des 8 décembre 2020 et 22 février 2022, et renvoyé l'affaire devant cette même cour.

Procédure devant la cour :

Par un mémoire récapitulatif et deux mémoires, enregistrés les 27 octobre, 23 novembre et 13 décembre 2022, la SCI les Marchés méditerranéens, représentée par CLL avocats, demande à la cour :r>
1°) d'annuler le jugement n° 1909342 du 18 octobre 2019 du tribunal administratif de Marseille ...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

Par une décision nos 462681, 462773 du 25 juillet 2022, le Conseil d'État, statuant au contentieux, a annulé les arrêts n° 19MA05604 de la cour administrative d'appel de Marseille des 8 décembre 2020 et 22 février 2022, et renvoyé l'affaire devant cette même cour.

Procédure devant la cour :

Par un mémoire récapitulatif et deux mémoires, enregistrés les 27 octobre, 23 novembre et 13 décembre 2022, la SCI les Marchés méditerranéens, représentée par CLL avocats, demande à la cour :

1°) d'annuler le jugement n° 1909342 du 18 octobre 2019 du tribunal administratif de Marseille ;

2°) d'annuler l'arrêté du 27 février 2017 du préfet des Bouches-du-Rhône en tant qu'il déclare cessibles les parcelles cadastrées section 901 A, nos 95 et 98, au bénéfice de l'établissement public administratif Euroméditerranée ;

3°) de mettre la somme de 6 000 euros à la charge de l'Etat et de l'EPA Euroméditerranée en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que :

- le jugement attaqué n'est pas signé ;

- il est insuffisamment motivé ;

- l'arrêté de cessibilité n'a pas été signé par l'autorité compétente ;

- l'enquête publique préalable à la déclaration d'utilité publique n'a pas fait l'objet d'une publicité suffisante, en méconnaissance des articles R. 123-10 et R. 123-11 du code de l'environnement ;

- le dossier soumis à enquête publique était insuffisant, en raison de l'absence du bilan de la concertation, de son imprécision, de ses contradictions, du caractère obsolète des données y figurant, et de l'insuffisance de l'étude d'impact ;

- le préfet de région ne disposait pas d'une autonomie suffisante pour rendre un avis sur le projet en tant qu'autorité environnementale, en méconnaissance de la directive 2011/92/UE du Parlement européen et du Conseil du 13 décembre 2011 ;

- l'avis rendu par l'Autorité environnementale le 20 octobre 2021 ne régularise pas ce vice de procédure ;

- le projet méconnaît le principe de prévention ;

- il méconnaît également le principe de précaution ;

- il porte atteinte au droit de vivre dans un environnement équilibré et respectueux de la santé ;

- il est incompatible avec les prescriptions du plan local d'urbanisme de Marseille ;

- il est dépourvu d'utilité publique ;

- l'expropriation de ses parcelles méconnaît le principe d'égalité.

Par un mémoire récapitulatif et deux mémoires en défense, enregistrés les 3 novembre, 23 novembre et 14 décembre 2022, l'EPA Euroméditerranée, représenté par la SCP Bérenger-Blanc-Burtez-Doucede et associés, demande à la cour :

1°) de surseoir à statuer ;

2°) de rejeter la requête de la SCI les Marchés méditerranéens ;

3°) de mettre à sa charge la somme de 3 000 euros en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Il soutient que :

- les moyens soulevés par la SCI les Marchés méditerranéens ne sont pas fondés ;

- les vices de procédure sont susceptibles d'être régularisés.

La requête a été communiquée au ministre de la transition écologique et de la cohésion des territoires, qui n'a pas produit de mémoire malgré la mise en demeure qui lui a été adressée sur le fondement de l'article R. 611-8-1 du code de justice administrative.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- la directive 2011/92/UE du Parlement européen et du Conseil du 13 décembre 2011 ;

- le code de l'environnement ;

- le code de l'expropriation pour cause d'utilité publique ;

- le décret n° 2004-374 du 29 avril 2004 ;

- la décision C-24/19 du 25 juin 2020 de la Cour de justice de l'Union européenne ;

- le code de justice administrative.

Après avoir entendu en audience publique :

- le rapport de M. Mérenne,

- les conclusions de M. Pecchioli, rapporteur public,

- et les observations de Me Le Cadet, représentant la SCI Les Marchés méditerranéens, et de Me Thomé, substituant la SCP Bérenger-Blanc-Burtez-Doucede et associés, avocat de l'EPA Euroméditerranée.

Considérant ce qui suit :

1. Par un arrêté du 27 février 2017, le préfet des Bouches-du-Rhône a déclaré d'utilité publique les travaux de réalisation de la zone d'aménagement concerté (ZAC), dite " littorale ", sur le territoire de la commune de Marseille. Par un autre arrêté du même jour, il a déclaré cessibles, au profit de l'établissement public d'aménagement Euroméditerranée, les immeubles nécessaires à cette opération. La société civile immobilière (SCI) Les Marchés méditerranéens, propriétaire de parcelles concernées, fait appel du jugement du tribunal administratif de Marseille du 18 octobre 2019 qui a rejeté sa demande dirigée contre l'arrêté de cessibilité.

Sur l'avis émis par l'autorité environnementale :

2. Aux termes du paragraphe 1 de l'article 6 de la directive du 13 décembre 2011 concernant l'évaluation des incidences de certains projets publics et privés sur l'environnement : " Les États membres prennent les mesures nécessaires pour que les autorités susceptibles d'être concernées par le projet, en raison de leurs responsabilités spécifiques en matière d'environnement, aient la possibilité de donner leur avis sur les informations fournies par le maître d'ouvrage et sur la demande d'autorisation. À cet effet, les États membres désignent les autorités à consulter, d'une manière générale ou au cas par cas. (...) ". L'article L. 122-1 du code de l'environnement, pris pour la transposition des articles 2 et 6 de cette directive, dispose, dans sa rédaction applicable en l'espèce, que : " I. - Les projets de travaux, d'ouvrages ou d'aménagements publics et privés qui, par leur nature, leurs dimensions ou leur localisation sont susceptibles d'avoir des incidences notables sur l'environnement ou la santé humaine sont précédés d'une étude d'impact. (...) / III. - Dans le cas d'un projet relevant des catégories d'opérations soumises à étude d'impact, le dossier présentant le projet, comprenant l'étude d'impact et la demande d'autorisation, est transmis pour avis à l'autorité administrative de l'Etat compétente en matière d'environnement. (...). / IV.- La décision de l'autorité compétente qui autorise le pétitionnaire ou le maître d'ouvrage à réaliser le projet prend en considération l'étude d'impact, l'avis de l'autorité administrative de l'Etat compétente en matière d'environnement et le résultat de la consultation du public (...) ". En vertu du III de l'article R. 122-6 du même code, dans sa version issue du décret du 29 décembre 2011 portant réforme des études d'impact des projets de travaux, d'ouvrages ou d'aménagement, applicable au litige, l'autorité administrative de l'Etat compétente en matière d'environnement mentionnée à l'article L. 122-1, lorsqu'elle n'est ni le ministre chargé de l'environnement, dans les cas prévus au I de cet article, ni la formation compétente du Conseil général de l'environnement et du développement durable, dans les cas prévus au II de ce même article, est le préfet de la région sur le territoire de laquelle le projet de travaux, d'ouvrage ou d'aménagement doit être réalisé.

3. L'article 6 de la directive du 13 décembre 2011 a pour objet de garantir qu'une autorité compétente et objective en matière d'environnement soit en mesure de rendre un avis sur l'évaluation environnementale des projets susceptibles d'avoir des incidences notables sur l'environnement, avant leur approbation ou leur autorisation, afin de permettre la prise en compte de ces incidences. Eu égard à l'interprétation de l'article 6 de la directive du 27 juin 2001 donnée par la Cour de justice de l'Union européenne par son arrêt rendu le 20 octobre 2011 dans l'affaire C-474/10, il résulte clairement des dispositions de l'article 6 de la directive du 13 décembre 2011 que, si elles ne font pas obstacle à ce que l'autorité publique compétente pour autoriser un projet soit en même temps chargée de la consultation en matière environnementale, elles imposent cependant que, dans une telle situation, une séparation fonctionnelle soit organisée au sein de cette autorité, de manière à ce que l'entité administrative concernée dispose d'une autonomie réelle, impliquant notamment qu'elle soit pourvue de moyens administratifs et humains qui lui soient propres, et soit ainsi en mesure de remplir la mission de consultation qui lui est confiée en donnant un avis objectif sur le projet concerné.

4. Lorsque le préfet de région est l'autorité compétente pour autoriser le projet, en particulier lorsqu'il agit en sa qualité de préfet du département où se trouve le chef-lieu de la région, ou dans les cas où il est en charge de l'élaboration ou de la conduite du projet au niveau local, si la mission régionale d'autorité environnementale du Conseil général de l'environnement et du développement durable, définie par le décret du 2 octobre 2015 relatif au Conseil général de l'environnement et du développement durable et les articles R. 122-21 et R. 122-25 du code de l'environnement, peut être regardée comme disposant, à son égard, d'une autonomie réelle lui permettant de rendre un avis environnemental dans des conditions répondant aux exigences résultant de la directive, il n'en va pas de même des services placés sous son autorité hiérarchique, comme en particulier la direction régionale de l'environnement, de l'aménagement et du logement (DREAL).

5. Il ressort des pièces du dossier qu'en application des dispositions du III de l'article R. 122-1-1 du code de l'environnement, le directeur régional adjoint de l'environnement, de l'aménagement et du logement, a émis, le 26 mai 2015, en tant qu'autorité environnementale, par délégation du préfet de la région Provence-Alpes-Côte d'Azur, l'avis prévu à l'article L. 122-1 du même code concernant le projet litigieux déclaré d'utilité publique. Cet avis a été instruit et élaboré par la DREAL Provence-Alpes-Côte d'Azur, placée sous l'autorité de ce préfet. Par ailleurs, le projet étant exclusivement situé sur le territoire du département des Bouches-du-Rhône, la déclaration d'utilité publique en cause a été arrêtée, en application du I de l'article R. 121-1 du code de l'expropriation pour cause d'utilité publique, par le préfet de ce département qui est également, en application de l'article 7 du décret du 29 avril 2004 relatif aux pouvoirs des préfets, à l'organisation et à l'action des services de l'Etat dans les régions et départements, le préfet de la région Provence-Alpes-Côte d'Azur. Il est constant qu'aucune mesure propre à assurer une séparation fonctionnelle au sein de la DREAL n'a été prise pour assurer que l'entité administrative ayant préparé l'avis ait disposé d'une autonomie réelle afin de pouvoir donner un avis objectif sur le projet concerné. Par suite, l'avis prévu à l'article L. 122-1 du code de l'environnement, qui n'émane pas d'une entité interne disposant d'une autonomie réelle à l'égard de l'auteur de la décision attaquée, n'a pas été émis dans des conditions répondant aux objectifs de l'article 6 de la directive du 13 décembre 2011. Dès lors, la procédure administrative préalable à l'adoption de l'arrêté déclarant d'utilité publique les travaux de réalisation de la zone d'aménagement concerté littorale est entachée d'irrégularité. Cette irrégularité a privé l'intéressée d'une garantie et a exercé une influence sur le sens de la décision prise.

6. Mais, la formation d'autorité environnementale du Conseil général de l'environnement et du développement durable, qui dispose d'une autonomie réelle par rapport à l'auteur de la déclaration d'utilité publique en cause, a émis un nouvel avis sur le projet le 20 octobre 2021. Il est constant que cet avis, réalisé sur la base d'une nouvelle d'étude d'impact datée de juin 2021 n'ayant pas elle-même été portée à la connaissance du public, diffère substantiellement de celui initialement porté à la connaissance du public et nécessiterait une nouvelle consultation de ce dernier.

7. Aux termes du paragraphe 3 de l'article 6 de la directive du 13 décembre 2011 : " Les États membres veillent à ce que soient mis, dans des délais raisonnables, à la disposition du public concerné : / (...) / b) conformément à la législation nationale, les principaux rapports et avis adressés à l'autorité ou aux autorités compétentes au moment où le public concerné est informé conformément au paragraphe 2 du présent article ". Aux termes du paragraphe 4 du même article : " À un stade précoce de la procédure, le public concerné se voit donner des possibilités effectives de participer au processus décisionnel en matière d'environnement visé à l'article 2, paragraphe 2, et, à cet effet, il est habilité à adresser des observations et des avis, lorsque toutes les options sont envisageables, à l'autorité ou aux autorités compétentes avant que la décision concernant la demande d'autorisation ne soit prise. "

8. En l'espèce, la déclaration d'utilité publique dont l'illégalité est retenue par la voie de l'exception est devenue définitive. Les expropriations permises par la déclaration d'utilité publique ont été effectuées, ce qui affecte la composition du public concerné, et ne donnerait pas à ce dernier la possibilité de participer à un moment approprié. La mise à disposition de la nouvelle étude d'impact et de l'avis de l'Autorité environnementale n'interviendrait pas dans un délai raisonnable. Il suit de là que, dans les circonstances très particulières de l'espèce, le vice retenu n'a pas été régularisé et n'est plus susceptible de l'être.

9. Il résulte de ce qui précède que la SCI les marchés méditerranéens est fondée à soutenir que c'est à tort que par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Marseille a rejeté sa demande tendant à l'annulation de l'arrêté du 27 février 2017 en tant qu'il déclare cessibles, au profit de l'établissement public d'aménagement Euroméditerranée, les parcelles cadastrées section 901 A, n° 95 et n° 98 dont elle est propriétaire. Il y a donc lieu d'annuler ce jugement, ainsi que l'arrêté attaqué dans cette mesure.

10. Il n'est dès lors pas nécessaire de se prononcer sur les autres moyens invoqués par la SCI les Marchés méditerranéens.

Sur les frais liés au litige :

11. Il y a lieu, en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative, de mettre à la charge de l'EPA Euroméditerranée le versement de la somme de 3 000 euros à la SCI les Marchés méditerranéens au titre des frais qu'elle a exposés et non compris dans les dépens. En revanche, les dispositions de cet article font obstacle à ce qu'il soit fait droit aux conclusions présentées par l'EPA Euroméditerranée sur le même fondement.

D É C I D E :

Article 1er : Le jugement du 18 octobre 2019 du tribunal administratif de Marseille est annulé.

Article 2 : L'arrêté du 27 février 2017 du préfet des Bouches-du-Rhône est annulé en tant qu'il déclare cessibles, au bénéfice de l'établissement public d'aménagement Euroméditerranée, les parcelles cadastrées section 901 A, n° 95 et n° 98.

Article 3 : L'EPA Euroméditerranée versera la somme de 3 000 euros à la SCI les Marchés méditerranéens en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Article 4 : Les conclusions de l'EPA Euroméditerranée sont rejetées.

Article 5 : Le présent arrêt sera notifié à la SCI les Marchés méditerranéens, au ministre de la transition écologique et de la cohésion des territoires et à l'établissement public administratif Euroméditerranée.

Délibéré après l'audience du 15 mai 2023, où siégeaient :

- M. Bocquet, président,

- Mme Vincent, présidente assesseure,

- M. Mérenne, premier conseiller.

Rendu public par mise à disposition au greffe le 5 juin 2023.

2

No 22MA02201


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Marseille
Formation : 5ème chambre
Numéro d'arrêt : 22MA02201
Date de la décision : 05/06/2023
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Plein contentieux

Analyses

34 Expropriation pour cause d'utilité publique.


Composition du Tribunal
Président : M. BOCQUET
Rapporteur ?: M. Sylvain MERENNE
Rapporteur public ?: M. PECCHIOLI
Avocat(s) : CLL AVOCATS

Origine de la décision
Date de l'import : 11/06/2023
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.marseille;arret;2023-06-05;22ma02201 ?
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