Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
La commune de Pietrosella a demandé au tribunal administratif de Bastia d'annuler l'arrêté du 23 novembre 2017 du préfet de la Corse-du-Sud portant mandatement d'office dans le budget de la commune d'une dépense obligatoire résultant d'une décision de justice, ainsi que la décision du 20 février 2018, par laquelle le préfet de la Corse-du-Sud a rejeté son recours gracieux formé contre cet arrêté.
Par un jugement n° 1800420 du 6 mars 2020, le tribunal administratif de Bastia a rejeté sa demande.
Procédure devant la Cour :
Par une requête, enregistrée le 5 mai 2020, et un mémoire non communiqué enregistré le 5 février 2023, la commune de Pietrosella, représentée par Me Chassany, demande à la Cour :
1°) d'annuler le jugement du 6 mars 2020 ;
2°) d'annuler l'arrêté du 23 novembre 2017 du préfet de la Corse-du-Sud ainsi que sa décision du 20 février 2018 portant rejet du recours gracieux qu'elle a formé le 17 janvier 2018 ;
3°) de la décharger du paiement de toute somme envers la SAS MB Architecture ;
4°) de mettre à la charge de l'État et la SAS MB Architecture la somme de 2 500 euros sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle soutient que :
- le jugement, qui ne répond au moyen qu'elle a soulevé et tiré de l'absence de mise en demeure préalable nécessaire non seulement en cas d'insuffisance de crédit mais également en cas d'absence d'établissement par l'ordonnateur de l'état nécessaire au recouvrement, est irrégulier ;
- le jugement est également irrégulier dès lors que les premiers juges ont commis une erreur dans l'appréciation du moyen tiré de l'absence de transmission d'une mise en demeure ;
- en retenant la suffisance de crédits au budget primitif 2017 et en prenant pour référence les crédits au niveau du chapitre correspondant pour retenir l'absence d'obligation pour le préfet de procéder à une mise en demeure préalablement au mandatement d'office, les premiers juges ont commis une erreur de droit et d'appréciation des faits ;
- ni les dispositions de l'article L. 911-9 du code de justice administrative ni la circulaire du 16 octobre 1989 relative à l'exécution des décisions de justice par les collectivités territoriales et leurs établissements publics (inscription et mandatement d'office) ne prévoient que la détermination de la suffisance des crédits soit réalisée par chapitre budgétaire ;
- les conditions du mandatement d'office ne sont pas réunies dès lors qu'en premier lieu, la disparition rétroactive - par l'effet du retrait - de la décision de résiliation du marché de maîtrise d'œuvre a fait perdre l'autorité de chose jugée de l'arrêt n° 15MA03588 du 29 février 2016 sur les conséquences financières de la résiliation et a eu pour effet de rendre inopposable l'arrêté préfectoral du 23 novembre 2017 qui se fonde sur ces deux décisions juridictionnelles pour rendre la redevable envers la SAS MB Architecture de la somme de 57 518,55 euros ; dès lors qu'en deuxième lieu, la dépense est sérieusement contestée dans son principe et son montant, en atteste un courriel du préfet de la Corse-du-Sud du 27 septembre 2017 dans lequel le préfet a considéré qu'en l'état actuel du dossier, la créance en cause ne correspondait pas à une dette échue, certaine, liquide et non sérieusement contestée dans son principe et dans son montant ;
- l'arrêté du 23 novembre 2017 mentionne que la commune serait redevable de la somme de 57 518,55 euros dont 17 254,43 euros au titre des intérêts ; or, l'arrêté ne contient aucun début de justification du calcul et du montant des intérêts ; les justifications apportées dans la décision du 20 février 2018 ne peuvent avoir pour effet de régulariser l'arrêté du 23 novembre 2017 ;
- le jugement, l'arrêté du 23 novembre 2017 ainsi que la décision du 20 février 2018 portant rejet du recours doivent être annulés et par voie de conséquence, elle doit être déchargée du paiement de toute somme envers la SAS MB Architecture.
Par un mémoire en défense, enregistré le 16 septembre 2022, la SAS MB Architecture, représentée par Me Cabanes, conclut au rejet de la requête et demande à la Cour de mettre à la charge de la commune de Pietrosella la somme de 5 000 euros sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle fait valoir qu'aucun des moyens de la requête n'est fondé.
Par un mémoire en défense, enregistré le 14 décembre 2022, le ministre chargé des collectivités territoriales conclut au rejet de la requête.
Il fait valoir qu'aucun des moyens de la requête n'est fondé.
Un courrier du 15 décembre 2022 adressé aux parties en application des dispositions de l'article R. 611-11-1 du code de justice administrative, les a informées de la période à laquelle il est envisagé d'appeler l'affaire à l'audience et a indiqué la date à partir de laquelle l'instruction pourra être close dans les conditions prévues par le dernier alinéa de l'article R. 613-1 et le dernier alinéa de l'article R. 613-2.
Par ordonnance du 6 février 2023, la clôture de l'instruction a été fixée à sa date d'émission en application de l'article R. 613-1 du code de justice administrative.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- le code général des collectivités territoriales ;
- la loi n° 80-539 du 16 juillet 1980 ;
- le décret n° 2008-479 du 20 mai 2008 relatif à l'exécution des condamnations pécuniaires prononcées à l'encontre des collectivités publiques ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de Mme Isabelle Ruiz, rapporteure,
- les conclusions de M. François Point, rapporteur public,
- et les observations de Me Kombila, pour la commune de Pietrosella.
Considérant ce qui suit :
1. Le préfet de la Corse-du-Sud a, par arrêté du 23 novembre 2017, procédé au mandatement d'office de la somme de 57 518,55 euros correspondant au montant en principal, intérêts de retard et frais de justice, des condamnations prononcées à l'encontre de la commune de Pietrosella au profit de la société par actions simplifiée (SAS) MB Architecture par le tribunal administratif de Bastia par jugement n° 1300583 du 25 juin 2015, confirmé par la cour administrative d'appel de Marseille par un arrêt n° 15MA03588 du 29 février 2016. La commune de Pietrosella a formé le 17 janvier 2018 un recours gracieux contre cet arrêté, lequel a été rejeté par décision du 20 février 2018. Elle a alors saisi le tribunal administratif de Bastia d'une demande tendant à l'annulation de cet arrêté et de la décision portant rejet de son recours gracieux. Par le jugement du 6 mars 2020, le tribunal administratif a rejeté cette demande. La commune de Pietrosella fait appel de ce jugement.
Sur la régularité du jugement :
2. En premier lieu, aux termes de l'article 1er de la loi du 16 juillet 1980 relative aux astreintes prononcées en matière administrative et à l'exécution des jugements par les personnes morales de droit public, reproduit à l'article L. 911-9 du code de justice administrative : " [...] / II. - Lorsqu'une décision juridictionnelle passée en force de chose jugée a condamné une collectivité locale ou un établissement public au paiement d'une somme d'argent dont le montant est fixé par la décision elle-même, cette somme doit être mandatée ou ordonnancée dans un délai de deux mois à compter de la notification de la décision de justice. A défaut de mandatement ou d'ordonnancement dans ce délai, le représentant de l'Etat dans le département ou l'autorité de tutelle procède au mandatement d'office. / En cas d'insuffisance de crédits, le représentant de l'Etat dans le département ou l'autorité de tutelle adresse à la collectivité ou à l'établissement une mise en demeure de créer les ressources nécessaires ; si l'organe délibérant de la collectivité ou de l'établissement n'a pas dégagé ou créé ces ressources, le représentant de l'Etat dans le département ou l'autorité de tutelle y pourvoit et procède, s'il y a lieu, au mandatement d'office. [...] / IV. - L'ordonnateur d'une collectivité territoriale ou d'un établissement public local est tenu d'émettre l'état nécessaire au recouvrement de la créance résultant d'une décision juridictionnelle passée en force de chose jugée dans le délai de deux mois à compter de la date de notification de la décision de justice. / Faute de dresser l'état dans ce délai, le représentant de l'Etat adresse à la collectivité territoriale ou à l'établissement public local une mise en demeure d'y procéder dans le délai d'un mois ; à défaut, il émet d'office l'état nécessaire au recouvrement correspondant. / En cas d'émission de l'état par l'ordonnateur de la collectivité ou de l'établissement public local après mise en demeure du représentant de l'Etat, ce dernier peut néanmoins autoriser le comptable à effectuer des poursuites en cas de refus de l'ordonnateur. / L'état de recouvrement émis d'office par le représentant de l'Etat est adressé au comptable de la collectivité territoriale ou de l'établissement public local pour prise en charge et recouvrement, et à la collectivité territoriale ou à l'établissement public local pour inscription budgétaire et comptable. ". Par ces dispositions, le législateur a entendu donner au représentant de l'Etat, en cas de carence d'une collectivité territoriale à assurer l'exécution d'une décision juridictionnelle passée en force de chose jugée, et après mise en demeure à cet effet, le pouvoir de se substituer aux organes de cette collectivité afin de dégager ou de créer les ressources permettant la pleine exécution de cette décision de justice. A cette fin, il lui appartient, sous le contrôle du juge, de prendre, compte tenu de la situation de la collectivité et des impératifs d'intérêt général, les mesures nécessaires.
3. La commune de Pietrosella fait grief aux premiers juges de ne pas avoir répondu au moyen qu'elle a présenté tiré de la méconnaissance des dispositions du IV de l'article 1 de la loi n° 80-539 du 16 juillet 1980. Néanmoins, les dispositions du IV ne trouvent à s'appliquer qu'en cas de créances dues à la personne publique de sorte que le moyen tiré de leur méconnaissance est inopérant s'agissant d'une créance due, comme en l'espèce, par la personne publique. Les premiers juges à qui il appartenait seulement de viser un tel moyen, ainsi qu'ils y ont procédé, n'avaient pas à répondre au moyen de la commune de Pietrosella tiré de la méconnaissance des dispositions du IV. Par suite, le moyen tiré de l'insuffisante motivation du jugement en litige ne peut qu'être écarté.
4. En second lieu, si la commune a entendu remettre en cause la régularité du jugement attaqué en se fondant sur ce que les premiers juges auraient commis une erreur dans l'appréciation de l'absence de transmission d'une mise en demeure, un tel moyen tend en réalité à remettre en cause l'appréciation des premiers juges et ne peut être utilement soulevé à l'appui d'une contestation de la régularité du jugement.
Sur le bien-fondé du jugement :
En ce qui concerne les conclusions à fin d'annulation :
Quant à la régularité de la procédure de mandatement d'office :
5. D'une part, aux termes de l'article L. 2312-2 du code général des collectivités territoriales : " Les crédits sont votés par chapitre et, si le conseil municipal en décide ainsi, par article. / Toutefois, hors les cas où le conseil municipal a spécifié que les crédits sont spécialisés par article, le maire peut effectuer des virements d'article à article dans l'intérieur du même chapitre. ".
6. Il résulte des dispositions citées au point 2 du I de l'article 1er de la loi du 16 juillet 1980 que le préfet doit adresser une mise en demeure préalable à la collectivité en cas d'insuffisance des crédits budgétaires. Dès lors qu'il ne ressort pas des pièces du dossier et qu'il n'est pas soutenu par la commune que le vote de son budget s'opérerait au niveau de l'article, il résulte de la combinaison de ces dispositions et de celles du code général des collectivités territoriales citées au point précédent que le contrôle de la suffisance des crédits pour la commune de Pietrosella s'effectue au niveau du chapitre globalisé et non au niveau de l'article 6227 " frais d'actes et de contentieux ", contrairement à ce que cherche à faire valoir la commune. Il ressort des pièces du dossier que pour le budget primitif au titre de l'année 2017, les crédits votés au niveau du chapitre globalisé 011 s'élevaient à 761 200 euros et que les crédits consommés au titre de l'exercice 2017 se sont élevés à 541 050,09 euros ainsi que l'atteste le compte administratif produit par la défense. Il y a donc lieu de prendre en compte non les crédits votés mais les crédits disponibles. Il ressort ainsi des pièces du dossier que les crédits disponibles au chapitre globalisé 011 pouvaient être regardés par le préfet de la Corse-du-Sud comme suffisants pour couvrir le montant de la condamnation de la commune à hauteur de 57 518,55 euros.
7. D'autre part, il résulte de ce qui vient d'être dit, et des dispositions citées au point 2 de l'article 1er de la loi du 16 juillet 1980, que le préfet de la Corse-du-Sud n'était pas tenu d'adresser à l'appelante une mise en demeure dès lors que les crédits étaient suffisants. Dans ces conditions, le moyen tiré de l'irrégularité de la procédure de mandatement d'office ne peut qu'être écarté.
Quant au bien-fondé du mandatement d'office :
8. En premier lieu, il ressort des pièces du dossier que, par acte d'engagement signé le 14 février 2006, la commune de Pietrosella a passé avec la SARL Barbe Adoue Architecture, aux droits de laquelle est venue la société MB Architecture, un marché de maîtrise d'œuvre relatif à la construction de quarante-cinq logements sociaux au lieu-dit Accelasca. Par une décision du 22 février 2012, le maire de Pietrosella a décidé de résilier ce marché, qui avait partiellement été exécuté, pour motif d'intérêt général. Après avoir mis en demeure la commune d'établir le décompte général du marché par un courrier reçu en mairie le 28 février 2013, la société MB Architecture a demandé au tribunal administratif de Bastia de la condamner à lui verser une somme globale de 36 764,14 euros au titre du règlement et de la résiliation du marché. Par jugement du tribunal administratif de Bastia du 25 juin 2015, l'appelante a été condamnée à payer à la SAS MB Architecture une somme 36 764,12 euros toutes charges comprises (TTC) décomposée comme suit, 20 616,88 euros toutes taxes comprises au titre de l'exécution de la mission permis de construire, 4 635,10 euros toutes taxes comprises au titre des autres missions et 11 512,12 euros toutes taxes comprises au titre de l'indemnité de résiliation. Par un arrêt n° 15MA03588 du 29 février 2016, la cour administrative d'appel de Marseille a rejeté l'appel interjeté par la commune contre ce jugement. Il ressort ainsi des pièces du dossier que ces décisions juridictionnelles sont devenues définitives et passées en force de chose jugée. La commune fait valoir qu'elle a procédé au retrait de la décision portant résiliation du marché par arrêté du 19 janvier 2016, devenu définitif depuis que le tribunal a donné acte du désistement d'instance de la SAS MB Architecture qui avait introduit un recours devant le tribunal administratif de Bastia contre cette décision de retrait. Mais cette seule circonstance qui est relative à un acte administratif, postérieur au jugement confirmé, ne peut avoir pour effet de faire perdre à ces décisions juridictionnelles entrainant la condamnation de la commune leur caractère définitif.
9. En deuxième lieu, la commune de Pietrosella ne saurait remettre en cause le caractère obligatoire de la dépense mandatée d'office par arrêté préfectoral du 23 novembre 2017 en se prévalant d'un courriel antérieur des services du préfet de la Corse-du-Sud, en date du 27 septembre 2017, se bornant à indiquer qu'" en l'état actuel du dossier ", il n'était pas possible de poursuivre la procédure de mandatement d'office dont la SAS MB Architecture avait sollicité la mise en œuvre.
10. En troisième lieu, si en soutenant que l'arrêté du préfet de la Corse-du-Sud du 23 novembre 2017 ne comporte aucune justification quant aux modalités de calcul des intérêts moratoires de la condamnation en cause, la commune a entendu contester la motivation de cet arrêté, un tel moyen est inopérant dès lors qu'un arrêté de mandatement d'office n'entre dans aucune des catégories d'actes qui doivent être obligatoirement motivés. Si la commune a entendu critiquer les modalités de calcul elles-mêmes, elle n'assortit son moyen d'aucune précision permettant à la Cour d'en apprécier le bien-fondé alors qu'elle se borne à alléguer l'absence de justification du calcul et du montant des intérêts sans pour autant remettre en cause le caractère certain de la créance fondant la dépense mandatée d'office pour ce qui concerne la part représentative des intérêts. Dans ces conditions, son moyen ne peut qu'être écarté.
11. Ainsi, la commune de Pietrosella n'est pas fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Bastia a rejeté sa demande.
En ce qui concerne les conclusions à fin de décharge :
12. Il résulte de l'ensemble de ce qui précède que les conclusions à fin de décharge présentées par la commune de Pietrosella ne peuvent qu'être rejetées.
Sur les frais liés au litige :
13. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce qu'il soit fait droit aux conclusions de la commune de Pietrosella dirigées contre l'Etat et la SAS MB Architecture, qui ne sont pas, dans la présente instance, les parties perdantes. Il y a lieu en revanche, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de commune de Pietrosella une somme de 2 000 euros à verser à la SAS MB Architecture, en application de ces dispositions.
D É C I D E :
Article 1er : La requête de la commune de Pietrosella est rejetée.
Article 2 : La commune de Pietrosella versera une somme de 2 000 euros à la SAS MB Architecture au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 3 : Le présent arrêt sera notifié à la commune de Pietrosella, au ministre chargé des collectivités territoriales et à la SAS MB Architecture.
Copie en sera adressée au préfet de la Corse-du-Sud.
Délibéré après l'audience du 22 mai 2023, où siégeaient :
- M. Alexandre Badie, président de chambre,
- M. Renaud Thielé, président assesseur,
- Mme Isabelle Ruiz, première conseillère.
Rendu public par mise à disposition au greffe, le 5 juin 2023.
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No 20MA01759