Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
Par deux requêtes distinctes, la SCI Domoreal a demandé au tribunal administratif de Nice, d'une part, de condamner l'office public d'habitat (OPH) de Cannes Pays de Lérins à lui verser la somme totale de 1 811 683,07 euros, en réparation des dommages causés par les travaux publics de construction de 60 logements sociaux, exécutés par la société Eiffage Construction Côte d'Azur sous maîtrise d'ouvrage de l'office public d'habitat de Cannes Pays de Lérins, et, d'autre part, d'annuler la décision implicite par laquelle l'office public d'habitat de Cannes Pays de Lérins a rejeté sa demande de faire réaliser les travaux prescrits par l'expert judiciaire, et d'enjoindre à l'office public d'habitat de faire réaliser ces travaux, sous astreinte de 5 000 euros par jour de retard passé un délai de six mois.
Par un jugement n° 1901676 et n° 1803268 du 17 juillet 2020, le tribunal administratif de Nice a condamné l'office public d'habitat de Cannes Pays de Lérins à verser à la société Domoreal la somme de 1 266 741,95 euros toutes taxes comprises, a mis à la charge définitive de l'office public d'habitat les frais d'expertise, liquidés et taxés à la somme de 177 985,23 euros, et a rejeté le surplus des conclusions des parties.
Procédure devant la Cour :
I - Par une requête et un mémoire, enregistrés les 17 septembre 2020 et 27 octobre 2022 sous le n° 20MA03603, la SCI Domoreal, représentée par Me Baffert, demande à la Cour, dans le dernier état de ses écritures :
1°) de confirmer le jugement n° 1901676 et n° 1803268 du 17 juillet 2020 du tribunal administratif de Nice en ce qu'il a retenu la responsabilité de l'office public d'habitat de Cannes Pays de Lérins ;
2°) de réformer ce jugement en ce qui concerne le montant de l'indemnisation qui lui a été allouée et de condamner l'office public d'habitat de Cannes Pays de Lérins à lui verser les sommes de 2 252 500 euros hors taxe au titre du coût des travaux de remise en état des villas, de 1 145 152,94 euros au titre des pertes locatives arrêtées au 30 octobre 2022, et de 110 724,12 euros au titre des pertes locatives à prévoir pendant les travaux ;
3°) de condamner l'office public d'habitat de Cannes Pays de Lérins au paiement de la somme mensuelle de 9 227,01 euros jusqu'à réalisation des travaux de confortement du talus préconisés par l'expert ;
4°) d'ordonner que les coûts de reconstruction soient indexés sur la variation de l'indice BT 01, l'indice de base étant celui publié à la date de la décision à intervenir, l'indice à prendre en considération étant celui qui sera publié au jour du paiement à intervenir ;
5°) de mettre à la charge de l'office public d'habitat de Cannes Pays de Lérins le versement d'une somme de 29 555,70 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et celle de 10 000 euros au titre de la procédure d'appel.
Elle soutient que :
- ainsi que l'a jugé le tribunal, la responsabilité de l'office public d'habitat de Cannes Pays de Lérins est engagée sans faute, au titre des dommages occasionnés par les travaux publics de construction de 60 logements sociaux, exécutés par la société Eiffage Construction
Côte d'Azur sous sa maîtrise d'ouvrage ;
- elle est dès lors fondée à solliciter l'indemnisation des dommages causés par ces travaux publics, à hauteur, d'une part, d'un montant total de 2 252 500 euros au titre du coût de démolition et de reconstruction de six villas, le coût de cette remise en état devant être indexé par référence aux variations de l'indice BT 01, d'autre part, d'un montant de 1 145 152,94 euros au titre des pertes locatives arrêtées au 30 octobre 2022, et de 110 724,12 euros au titre des pertes locatives à prévoir pendant les travaux, soit un total de 3 508 377,06 euros ;
- il conviendra également de condamner l'office public d'habitat de Cannes Pays de Lérins au paiement de la somme mensuelle de 9 227,01 euros jusqu'à réalisation des travaux de confortement du talus préconisés par l'expert.
Par des mémoires, enregistrés les 1er février 2021 et 28 juillet 2021, l'office public d'habitat de Cannes Pays de Lérins, représenté par la SCP Lyon-Caen et Thiriez, conclut :
1°) à titre principal, au rejet de la requête ;
2°) à titre subsidiaire, à la condamnation des sociétés Eiffage Construction Côte d'Azur, CEBTP SOLEN, SOL ESSAIS, cabinet d'architecture C+B, BET EGSC, SCI ESTEREL TANNERON, cabinet David PIERROT, cabinet Orselli, Apave Sud, et Rolando à le garantir solidairement, ou chacune pour sa part, ou en tout cas l'une à défaut de l'autre, de toute condamnation qui pourrait être prononcée à son encontre, y compris au titre des frais irrépétibles et des dépens ;
3°) à ce que soit mis à la charge de la SCI Domoreal le versement de la somme de
6 000 euros en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Il fait valoir que :
- la SCI Domoreal ne saurait prétendre que les villas étaient en parfait état avant l'intervention de la société Eiffage ;
- rien ne permet de penser que les conditions d'application de l'indexation du coût des travaux sont remplies en l'espèce ;
- le préjudice locatif allégué n'est pas certain ;
- si sa responsabilité devait être engagée à raison des dommages allégués, il serait garanti de toute condamnation présentée à son encontre par l'entreprise Eiffage Construction Côte d'Azur, cette dernière ne pouvant se retrancher derrière la réception sans réserve intervenue en 2011, l'effet d'une telle réception ne trouvant pas à s'appliquer en cas de clause contractuelle contraire, comme en l'espèce ; de même, l'appel en garantie du maître d'ouvrage peut être admis lorsque le dommage subi par le tiers est susceptible d'engager à son égard la responsabilité de l'entrepreneur sur le fondement des articles 1792 et 2270 du code civil ;
- en tout état de cause, la maîtrise d'œuvre devrait également le garantir de toute condamnation eu égard à son obligation de conseil ;
- enfin, les différents intervenants à l'opération de construction du lotissement de la
SCI Domoreal devraient également le garantir de toute condamnation susceptible d'être prononcée à son encontre.
Par un mémoire, enregistré le 20 avril 2021, la société Rolando, représentée par Me Zanotti, conclut, à titre principal, à la confirmation du jugement du tribunal administratif de Nice, à sa mise hors de cause et au rejet des appels en garantie formés par l'office public d'habitat de Cannes Pays de Lérins et par la société Eiffage, à titre subsidiaire, au rejet de toute demande formée à son encontre, et demande à la Cour de mettre à la charge de l'office public d'habitat de Cannes Pays de Lérins, de la société Eiffage et de la société Domoreal ou de tout autre succombant la somme de 3 000 euros en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle fait valoir que :
- l'OPH n'est pas recevable à appeler en garantie la société Eiffage, de sorte que l'appel en garantie de cette dernière à l'encontre des constructeurs de l'opération des villas du plateau de l'Abadie est sans objet ;
- les demandes de garantie de l'office public d'habitat de Cannes Pays de Lérins contre les constructeurs avec lesquels il n'avait aucun lien contractuel sont irrecevables dès lors que l'engagement de la responsabilité quasi-délictuelle de ces intervenants ne peut être recherchée que devant le juge judiciaire ;
- en tout état de cause, les demandes formées à son encontre par la société Eiffage sont irrecevables en raison de l'acquisition de la prescription quinquennale ;
- à titre subsidiaire, ni l'office public d'habitat de Cannes Pays de Lérins ni la société Eiffage ne procèdent à la démonstration d'une faute qu'elle aurait commise ;
- à titre infiniment subsidiaire, si une quelconque condamnation devait être prononcée à son encontre, elle conteste le quantum allégué par la société Domoreal.
Par des mémoires, enregistrés les 22 avril 2021, 6 octobre 2021 et 10 novembre 2022, le cabinet d'études et projets (CEP) David Pierrot, représenté par Me Maingourd, conclut à la confirmation du jugement attaqué, au rejet de tout appel en garantie formé à son encontre, et à ce que soit mis à la charge de tout succombant le paiement de la somme de 5 000 euros au titre de l'article L 761-1 du code de justice administrative.
Il fait valoir que :
- la juridiction administrative est incompétente pour statuer sur la responsabilité d'un organisme privé non investi de prérogatives de puissance publique, de sorte que les demandes formulées à son encontre par l'office public d'habitat de Cannes Pays de Lérins et la société Eiffage ne peuvent être accueillies ;
- à titre subsidiaire, les écritures de l'office public d'habitat de Cannes Pays de Lérins sont irrecevables car dépourvues de toute motivation avant l'expiration du délai de recours ;
- en tout état de cause, la responsabilité des travaux publics entrepris par la société Eiffage sous maitrise d'ouvrage de l'office public d'habitat de Cannes Pays de Lérins fait obstacle à toute autre responsabilité.
Par des mémoires, enregistrés les 22 avril 2021 et 27 octobre 2022, la société Eiffage Construction Sud-Est, venant aux droits de la société Eiffage Construction Côte d'Azur, représentée par Me Dan, conclut, dans le dernier état de ses écritures, au rejet de la requête de la société Domoreal et de l'action récursoire dirigée à son encontre par l'office public d'habitat de Cannes Pays de Lérins, à la condamnation solidaire des sociétés SCI Estérel Tanneron, Sas Mandelieu General Entreprise (MGE), Sarl Cabinet Orselli, Sas Rolando, CEP David Pierrot, Cabinet CEBTP SOLEN, Cabinet Sol Essais, Cabinet C+B, Bureau d'études EGSC et Bureau de contrôle Apave, à la relever et la garantir de toute condamnation susceptible d'être prononcée à son encontre, et demande à la Cour de mettre à la charge de tout succombant la somme de 10 000 euros en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle fait valoir que :
- le moyen tiré de l'incompétence du juge administratif doit être écarté ;
- les conclusions du rapport de l'expert judiciaire sont contestables et entachées d'erreurs techniques ;
- il n'existe aucun lien de causalité direct et certain entre les désordres invoqués par la SCI Domoreal et l'opération de travaux publics ;
- à titre subsidiaire, la société Domoreal, ainsi que l'ensemble des parties prenantes aux travaux réalisés sur les terrains et constructions dont ladite société est propriétaire, ont commis des fautes de nature à l'exonérer, ainsi que l'office public d'habitat de Cannes Pays de Lérins, de toute responsabilité ;
- les montants sollicités par la société Domoreal à titre d'indemnisation de ses préjudices ne sauraient être validés ;
- l'action de l'office public d'habitat de Cannes Pays de Lérins à son encontre est manifestement irrecevable et mal fondée ;
- en toute hypothèse, elle est fondée à être relevée et garantie de toute condamnation par les intervenants à l'opération de construction de la société Domoreal sur le fondement de leur responsabilité extracontractuelle ;
- le moyen tiré de la prescription de ses appels en garantie doit être écarté compte tenu de l'effet suspensif des opérations d'expertise judiciaire ordonnée à la requête de la société Domoreal.
Par un mémoire, enregistré le 17 octobre 2022, la société Ginger CEBTP, représentée par la SCP de Angelis - Semidei - Vuillquez - Habart-Melki - Bardon - de Angelis, conclut à la confirmation du jugement attaqué, au rejet de l'appel en garantie formé à son encontre par l'office public d'habitat de Cannes Pays de Lérins ou tout autre contestant, à titre subsidiaire à ce qu'il soit fait droit à ses appels en garantie à l'encontre des sociétés Eiffage, EGSC et C+B Architectes, et demande à la Cour de mettre à la charge de tout succombant la somme de 5 000 euros en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle fait valoir que :
- elle n'a eu aucun rôle dans la réception des travaux, si bien que les demandes formulées à son encontre seront jugées irrecevables et rejetées ;
- l'appel en garantie de l'office public d'habitat de Cannes Pays de Lérins est en tout état de cause mal fondé dès lors que sa responsabilité n'a pas été retenue par l'expert ;
- à titre subsidiaire, la Cour fera droit à ses appels en garantie contre les sociétés Eiffage, EGSC et C+B Architectes.
Par des mémoires, enregistrés les 27 octobre 2022 et 21 novembre 2022, la société Estérel Tanneron, représentée par Me Bagnoli, conclut, dans le dernier état de ses écritures, à la confirmation du jugement attaqué, au rejet de l'intégralité des conclusions présentées par l'office public d'habitat de Cannes Pays de Lérins et la société Eiffage ainsi que de toute demande indemnitaire ou tout appel en garantie susceptible d'être présenté à son encontre, à la condamnation solidaire de l'office public d'habitat de Cannes Pays de Lérins et des sociétés Ginger CEBTP, Sol Essais, C+B, EGSC, CEP David Pierrot, l'Atelier Architecture Urbanisme Orselli, Apave et Rolando à la relever de toute condamnation susceptible d'être retenue à son encontre, et à ce que soit mise à la charge de l'office public d'habitat de Cannes Pays de Lérins la somme de 3 500 euros en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle fait valoir que :
- c'est à juste titre que le jugement attaqué a retenu la responsabilité de l'OPH de Cannes Pays de Lérins à raison des dommages causés à la société Domoreal ;
- elle s'en rapporte à la sagesse de la Cour en ce qui concerne le détail et le quantum des préjudices invoqués en cause d'appel par la société Domoreal ;
- en tout état de cause, les demandes présentées par la société Eiffage à son encontre doivent être rejetées ;
- à titre subsidiaire, elle entend agir en garantie contre les intervenants à l'acte de construire du projet immobilier " Eden " dans l'hypothèse où une condamnation serait retenue à son encontre.
Un mémoire, enregistré le 29 novembre 2022, présenté pour le cabinet d'études et projets (CEP) David Pierrot par Me Maingourd, n'a pas été communiqué en application de l'article R. 611-1 du code de justice administrative.
Par une lettre du 5 janvier 2023, les parties ont été informées, en application de l'article R. 611-7 du code de justice administrative, de ce que l'arrêt à intervenir était susceptible d'être fondé sur les moyens relevés d'office tirés, d'une part, de l'incompétence de la juridiction administrative pour se prononcer sur les conclusions d'appel en garantie présentées par la société Eiffage contre les entreprises intervenues dans les travaux d'édification du lotissement où sont situées les villas sinistrées de la SCI Domoreal, sous maîtrise d'ouvrage privée de la SCI Esterel Tanneron, sur le fondement de leur responsabilité extracontractuelle, et d'autre part, de l'incompétence de la juridiction administrative pour se prononcer sur les conclusions d'appel en garantie présentées par la SCI Esterel Tanneron contre les entreprises intervenues dans les travaux d'édification, réalisés sous sa propre maîtrise d'ouvrage privée, du lotissement où sont situées les villas sinistrées de la SCI Domoreal.
Par une lettre du 10 janvier 2023, la Cour a demandé à l'office public d'habitat de Cannes Pays de Lérins, sur le fondement de l'article R. 613-1-1 du code de justice administrative, de préciser les suites qui ont été données à l'expertise judiciaire confiée à
M. B... par ordonnance du président du tribunal administratif de Nice du 28 novembre 2017 dans le cadre d'une demande introduite par la SCI Saint-Joseph et, le cas échéant, de produire le rapport d'expertise de l'intéressé.
Ce rapport, transmise à la Cour le 16 janvier 2023, a été communiqué aux parties.
II - Par une requête et des mémoires, enregistrés les 22 septembre 2020, 20 avril 2021 et 28 juillet 2021 sous le n° 20MA03639, l'office public d'habitat de Cannes Pays de Lérins, représenté par la SCP Lyon-Caen et Thiriez, demande à la Cour :
1°) d'annuler le jugement du tribunal administratif de Nice du 17 juillet 2020 et de rejeter la demande de la société Domoreal ;
2°) subsidiairement, de condamner la société Eiffage Construction Côte d'Azur, le cabinet GINGER CEBTP (SOLEN), le cabinet SOL ESSAIS, le cabinet C+B, le bureau d'études EGSC, le CEP David Pierrot, l'Atelier d'architecture et d'urbanisme Orselli, la Sas Apave Sud Europe, et la société Rolando à le garantir solidairement, ou chacun pour sa part, ou en tout cas l'une à défaut de l'autre, de toute condamnation qui pourrait être prononcée à son encontre, y compris au titre des frais irrépétibles et des dépens ;
3°) de mettre à la charge de la SCI Domoreal le versement d'une somme de 6 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Il soutient que :
- le jugement attaqué est insuffisamment motivé, en méconnaissance de l'article L. 9 du code de justice administrative et ne vise pas sa fin de non-recevoir ;
- le tribunal a commis une erreur de droit et dénaturé les pièces du dossier sur l'existence d'un lien de causalité dès lors que le rapport d'expertise sur lequel il se fonde est clairement remis en cause par une expertise postérieure ;
- le tribunal a commis une erreur de droit et dénaturé les pièces du dossier en estimant que la SCI Domoreal n'avait pas commis de faute exonératoire de la responsabilité ; une telle faute résulte de ce que la société Domoreal n'a pas entretenu normalement les villas en l'absence de dispositif permettant le bon ruissellement des eaux pluviales ; de plus, eu égard à la proximité entre cette société et la société Progereal, maître d'ouvrage des travaux litigieux, c'est à tort que le tribunal s'est retranché derrière le fait que la SCI Domoreal n'était pas maître d'ouvrage des travaux de construction des villas ;
- en tout état de cause, le tribunal a commis une erreur de droit quant à l'évaluation du préjudice car il a pris en compte un préjudice locatif purement éventuel ; le tribunal a également cumulé, et ce irrégulièrement, pour deux villas (43 et 44), un préjudice découlant de la démolition puis de la reconstruction, et un préjudice locatif ;
- par voie de conséquence et dès lors qu'il ne pouvait être regardé comme la partie perdante, le tribunal ne pouvait lui faire supporter, au titre des dépens, les frais d'expertise à hauteur de 177 985,23 euros ;
- à supposer même que la requête de la SCI Domoreal puisse prospérer, en tout ou partie, la société Eiffage Construction Côte d'Azur doit le garantir de toute condamnation prononcée à son encontre, contrairement à ce qu'a pu juger le tribunal ; c'est au prix d'une insuffisance de motivation, d'une erreur de droit et d'une dénaturation des stipulations contractuelles que le tribunal a estimé que l'entreprise Eiffage Construction Côte d'Azur ne pouvait le garantir ;
- c'est à tort que le tribunal a rejeté ses conclusions d'appel en garantie dirigée contre la maîtrise d'œuvre eu égard à l'obligation de conseil du maître d'œuvre lors de la réception des travaux ; ainsi, en raison des missions qui leur étaient confiées, le cabinet CEBTP SOLEN et le cabinet SOL ESSAIS auraient dû attirer son attention sur les risques attachés à l'opération ; il en va de même pour le cabinet d'architecture C+B et le cabinet BET EGSC, qui s'étaient vus confier une mission de conception et d'exécution ;
- ses conclusions aux fins d'appel en garantie sont recevables, en dépit de la jurisprudence administrative établie en cas de réception intervenue sans réserve ; au surplus, en dépit de cette jurisprudence, des stipulations du marché peuvent y faire échec, ce qui est le cas en l'espèce ; en outre, la qualification de travaux publics étant une notion particulièrement attractive, la juridiction administrative est compétente, dans l'intérêt d'une bonne administration de la justice, pour connaître des travaux réalisés sous maîtrise d'ouvrage privée ;
- le juge administratif est compétent pour connaître de ses conclusions d'appel en garantie, lesquelles sont de surcroît fondées.
Par des mémoires, enregistrés les 4 décembre 2020 et 14 mai 2021, la société Ginger CEBTP, représentée par la SCP de Angelis - Semidei - Vuillquez - Habart-Melki - Bardon - de Angelis, conclut à la confirmation du jugement attaqué, au rejet de l'appel en garantie formé à son encontre par l'OPH de Cannes Pays de Lérins ou tout autre contestant, à titre subsidiaire à ce qu'il soit fait droit à ses appels en garantie à l'encontre des sociétés Eiffage, EGSC et C+B Architectes, et demande à la Cour de mettre à la charge de tout succombant la somme de
5 000 euros en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle fait valoir que :
- elle n'a eu aucun rôle dans la réception des travaux de sorte que les demandes formulées à son encontre seront jugées irrecevables et rejetées ;
- l'appel en garantie de l'OPH de Cannes Pays de Lérins est en tout état de cause mal fondé dès lors que sa responsabilité n'a pas été retenue par l'expert ;
- à titre subsidiaire, la Cour fera droit à ses appels en garantie contre les sociétés Eiffage, EGSC et C+B Architectes.
Par des mémoires, enregistrés les 14 décembre 2020 et 17 mars 2021, la société Sol Essais, représentée par Me Richelme, conclut à l'homologation du rapport d'expertise du 11 avril 2017, à la confirmation du jugement du tribunal administratif de Nice, au rejet de la requête de l'OPH de Cannes Pays de Lérins, et à ce que soit mis à la charge de tout succombant le versement de la somme de 1 500 euros sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle soutient qu'aux termes du rapport d'expertise, aucune faute n'a été retenue à son encontre.
Par des mémoires, enregistrés les 22 janvier 2021 et 27 octobre 2022, la SCI Domoreal, représentée par Me Baffert, demande à la Cour, dans le dernier état de ses écritures :
1°) de confirmer le jugement n° 1901676 et n° 1803268 du 17 juillet 2020 du tribunal administratif de Nice en ce qu'il a retenu la responsabilité de l'OPH de Cannes Pays de Lérins ;
2°) de réformer ce jugement en ce qui concerne le montant de l'indemnisation qui lui a été allouée et de condamner l'OPH de Cannes Pays de Lérins à lui verser les sommes de
2 252 500 euros hors taxe au titre du coût des travaux de remise en état des villas, de 1 145 152,94 euros au titre des pertes locatives arrêtées au 30 octobre 2022, et de 110 724,12 euros au titre des pertes locatives à prévoir pendant les travaux ;
3°) de condamner l'OPH de Cannes Pays de Lérins au paiement de la somme mensuelle de 9 227,01 euros jusqu'à réalisation des travaux de confortement du talus préconisés par l'expert ;
4°) d'ordonner que les coûts de reconstruction soient indexés sur la variation de l'indice BT 01, l'indice de base étant celui publié à la date de la décision à intervenir, l'indice à prendre en considération étant celui qui sera publié au jour du paiement à intervenir ;
5°) de mettre à la charge de l'office public d'habitat de Cannes Pays de Lérins le versement d'une somme de 29 555,70 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et celle de 10 000 euros au titre de la procédure d'appel.
Elle fait valoir que les moyens d'appel ne sont pas fondés et reprend pour le surplus son argumentation développée dans l'instance n° 20MA03603.
Par des mémoires, enregistrés les 16 avril 2021, 11 mai 2021, 13 août 2021 et 18 novembre 2022, la SAS Apave Sudeurope, représentée par Me Berthiaud, conclut à la confirmation du jugement attaqué, au rejet de l'appel en garantie formé par l'office public d'habitat de Cannes Pays de Lérins ainsi que de l'appel en garantie de la société Eiffage, à titre subsidiaire au rejet de toutes les prétentions et demandes formulées à son endroit, et à ce que soit mis à la charge de l'office public d'habitat de Cannes Pays de Lérins et de la société Eiffage ou de tout autre succombant le paiement de la somme de 8 000 euros sur le fondement de l'article
L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle fait valoir que :
- les appels en garantie dirigés à son encontre sont irrecevables et, à tout le moins, parfaitement injustifiés, alors que l'action de l'office public d'habitat de Cannes Pays de Lérins et de la société Eiffage est prescrite ;
- seule la juridiction judiciaire est compétente pour statuer sur d'éventuels manquements se rattachant à l'exécution de marchés de travaux privés ;
- à titre subsidiaire, les recours en garantie sont infondés et injustifiés ;
- en tout état de cause, la juridiction ne pourra entrer en voie de condamnation que sur la base des montants retenus par l'expert judiciaire.
Par des mémoires, enregistrés le 16 avril 2021 et le 11 novembre 2022, la SARL EGSC, représentée par Me Arnault-Bernier, conclut, dans le dernier état de ses écritures, à la confirmation du jugement attaqué, au rejet de l'appel en garantie formé par l'OPH de Cannes Pays de Lérins et de toutes autres parties à son encontre, et demande à la Cour de mettre à la charge de tout succombant la somme de 2 000 euros en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle fait valoir que :
- l'appel en garantie de l'OPH de Cannes Pays de Lérins est irrecevable en l'état d'une réception sans réserve ;
- à titre subsidiaire, sa responsabilité n'a pas été établie par les opérations d'expertise.
Par un mémoire, enregistré le 20 avril 2021, la société Rolando, représentée par Me Zanotti, conclut, à titre principal, à la confirmation du jugement du tribunal administratif de Nice, à sa mise hors de cause et au rejet des appels en garantie formés par l'OPH de Cannes Pays de Lérins et par la société Eiffage, à titre subsidiaire, au rejet de toute demande formée à son encontre, et demande à la Cour de mettre à la charge de l'OPH de Cannes Pays de Lérins, de la société Eiffage et de la société Domoreal ou de tout autre succombant la somme de 3 000 euros en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle soutient que :
- l'OPH de Cannes Pays de Lérins n'est pas recevable à appeler en garantie la société Eiffage, de sorte que l'appel en garantie de cette dernière à l'encontre des constructeurs de l'opération des villas du plateau de l'Abadie est sans objet ;
- les demandes de garantie de l'office contre les constructeurs avec lesquels il n'avait aucun lien contractuel sont irrecevables dès lors que l'engagement de la responsabilité quasi-délictuelle de ces intervenants ne peut être recherchée que devant le juge judiciaire ;
- en tout état de cause, les demandes formées à son encontre par la société Eiffage sont irrecevables en raison de l'acquisition de la prescription quinquennale ;
- à titre subsidiaire, ni l'office public d'habitat ni la société Eiffage ne démontrent une faute qu'elle aurait commise ;
- à titre infiniment subsidiaire, si une quelconque condamnation devait être prononcée à son encontre, elle conteste le quantum allégué par la société Domoreal.
Par des mémoires, enregistrés les 22 avril 2021, 5 octobre 2021 et 10 novembre 2022, le cabinet d'études et projets (CEP) David Pierrot, représenté par Me Maingourd, conclut à la confirmation du jugement attaqué, au rejet de l'appel en garantie formé à son encontre par l'OPH de Cannes Pays de Lérins ou tout autre personne, et à ce que soit mis à la charge de l'OPH de Cannes Pays de Lérins ou de tout succombant le paiement de la somme de 5 000 euros au titre de l'article L 761-1 du code de justice administrative.
Il fait valoir que :
- la juridiction administrative est incompétente pour statuer sur la responsabilité d'un organisme privé non investi de prérogatives de puissance publique, de sorte que les demandes formulées à son encontre par l'OPH de Cannes Pays de Lérins et la société Eiffage ne peuvent être accueillies ;
- à titre subsidiaire, les écritures de l'OPH de Cannes Pays de Lérins sont irrecevables car dépourvues de toute motivation avant l'expiration du délai de recours ;
- en tout état de cause, la responsabilité des travaux publics entrepris par la société Eiffage sous maitrise d'ouvrage de l'OPH de Cannes Pays de Lérins fait obstacle à toute autre responsabilité.
Par des mémoires, enregistrés les 22 avril 2021 et 27 octobre 2022, la société Eiffage Construction Sud-Est, venant aux droits de la société Eiffage Construction Côte d'Azur, représentée par Me Dan, conclut, dans le dernier état de ses écritures :
1°) à l'annulation du jugement attaqué ;
2°) au rejet de la demande de première instance de la société Domoreal, au rejet de toute demande dirigée à son encontre ;
3°) au rejet de la demande d'homologation du rapport d'expertise judiciaire ;
4°) à titre subsidiaire, au rejet de la requête de l'OPH de Cannes Pays de Lérins et au rejet de la demande en garantie de celui-ci ;
5°) à la condamnation solidaire des sociétés SCI Estérel Tanneron, Sas Mandelieu General Entreprise (MGE), Sarl Cabinet Orselli, Sas Rolando, CEP David Pierrot, Cabinet CEBTP SOLEN, Cabinet Sol Essais, Cabinet C+B, Bureau d'études EGSC et Bureau de contrôle Apave à la relever et la garantir de toute condamnation susceptible d'être prononcée à son encontre ;
6°) à ce qu'il soit mis à la charge de tout succombant, outre les dépens, la somme de
10 000 euros en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle soutient que :
- le moyen tiré de l'incompétence du juge administratif doit être écarté ;
- les conclusions du rapport de l'expert judiciaire sont contestables et entachées d'erreurs techniques ;
- il n'existe aucun lien de causalité direct et certain entre les désordres invoqués par la SCI Domoreal et l'opération de travaux publics ;
- à titre subsidiaire, la société Domoreal, ainsi que l'ensemble des parties prenantes aux travaux réalisés sur les terrains et constructions dont ladite société est propriétaire, ont commis des fautes de nature à l'exonérer, ainsi que l'office public d'habitat de Cannes Pays de Lérins, de toute responsabilité ;
- les montants sollicités par la société Domoreal à titre d'indemnisation de ses préjudices ne sauraient être validés ;
- l'action de l'office public d'habitat de Cannes Pays de Lérins à son encontre est irrecevable et mal fondée ;
- en toute hypothèse, elle est fondée à être relevée et garantie de toute condamnation par les intervenants à l'opération de construction de la société Domoreal sur le fondement de leur responsabilité extracontractuelle ;
- le moyen tiré de la prescription de ses appels en garantie doit être écarté compte tenu de l'effet suspensif des opérations d'expertise judiciaire ordonnée à la requête de la société Domoreal.
Par un mémoire, enregistré le 14 mai 2021, la SARL Atelier d'Architecture et d'Urbanisme Orselli, représentée par Me Cinelli, conclut à l'annulation du jugement attaqué, à ce qu'il soit fait droit à la demande de réparation intégrale de la société Domoreal, à titre subsidiaire, au rejet de toute demande de condamnation formulée à son égard, et demande à la Cour de mettre à la charge de tout succombant la somme de 6 000 euros en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle soutient que la faute de la victime n'est pas établie, de sorte que le principe de réparation intégrale aurait dû conduire le tribunal à retenir une indemnisation complète de la victime.
Par un mémoire, enregistré le 27 octobre 2022, le cabinet d'architectes C+B, représenté par Me Mino, conclut au rejet de la requête d'appel, à la confirmation du jugement attaqué, au rejet des recours en garantie des sociétés Eiffage, Ginger BTP, Sol Essais, EGSC, CEP David Pierrot, Apave et Rolando, et demande à la Cour de mettre à la charge de l'OPH de Cannes Pays de Lérins ou de tout autre succombant la somme de 3 000 euros en application de l'article
L. 761-1 du code de justice administrative.
Il soutient que la demande de l'office public d'habitat de Cannes Pays de Lérins dirigée à son encontre est mal fondée, de même que le recours en garantie d'Eiffage et autres constructeurs.
Un mémoire, enregistré le 29 novembre 2022, présenté pour le cabinet d'études et projets (CEP) David Pierrot par Me Maingourd, n'a pas été communiqué en application de l'article R. 611-1 du code de justice administrative.
Par une lettre du 5 janvier 2023, les parties ont été informées, en application de l'article R. 611-7 du code de justice administrative, de ce que l'arrêt à intervenir était susceptible d'être fondé sur les moyens relevés d'office tirés, d'une part, de l'incompétence de la juridiction administrative pour se prononcer sur les conclusions d'appel en garantie présentées par la société Eiffage contre les entreprises intervenues dans les travaux d'édification du lotissement où sont situées les villas sinistrées de la SCI Domoreal, sous maîtrise d'ouvrage privée de la SCI Esterel Tanneron, sur le fondement de leur responsabilité extracontractuelle, et d'autre part, de l'incompétence de la juridiction administrative pour se prononcer sur les conclusions d'appel en garantie présentées par la SCI Esterel Tanneron contre les entreprises intervenues dans les travaux d'édification, réalisés sous sa propre maîtrise d'ouvrage privée, du lotissement où sont situées les villas sinistrées de la SCI Domoreal.
Par une lettre du 10 janvier 2023, la Cour a demandé à l'office public d'habitat de Cannes Pays de Lérins, sur le fondement de l'article R. 613-1-1 du code de justice administrative, de préciser les suites qui ont été données à l'expertise judiciaire confiée à
M. B... par ordonnance du président du tribunal administratif de Nice du 28 novembre 2017 dans le cadre d'une demande introduite par la SCI Saint-Joseph et, le cas échéant, de produire le rapport d'expertise de l'intéressé.
Ce rapport, transmis à la Cour le 16 janvier 2023, a été communiqué aux parties.
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu le code de justice administrative ;
La présidente de la Cour a désigné M. Revert, président assesseur, pour présider la formation de jugement de la 4ème chambre, en application des dispositions de l'article R. 222-26 du code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de M. A...,
- les conclusions de M. Angéniol, rapporteur public,
- les observations de Me Baffert, représentant la SCI Domoreal,
- les observations Me Bigas, de la SCP Lyon-Caen et Thiriez, représentant l'OPH de Cannes Pays de Lérins,
- les observations Me Dan, représentant la société Eiffage Construction Sud-Est,
- les observations Me Martinez, substituant Me Bagnoli, représentant la SCI Esterel Tanneron,
- les observations Me Paulus, substituant Me Cinelli, représentant la SARL Atelier d'architecture et d'urbanisme Orselli,
- les observations Me Maingourd, représentant le cabinet d'études et projets (CEP) David Pierrot,
- les observations Me Vincent, substituant Me Zanotti, représentant la société Rolando,
- et les observations Me Dailly, représentant la société Ginger CEBTP.
Considérant ce qui suit :
1. La SCI Domoreal est propriétaire, depuis le 22 décembre 2004, d'un ensemble de villas, dont les bâtiments portant les numéros 41 à 45, au sein d'un lotissement se trouvant sur le plateau de l'Abadie à Cannes la Bocca. Sur un terrain situé en contrebas de ces villas, l'office public d'habitat (OPH) de Cannes et de la Rive droite du Var a conclu avec la société Eiffage Construction Côte d'Azur, aux droits de laquelle vient la société Eiffage Construction Sud-Est, selon acte d'engagement en date du 2 septembre 2009, un marché de travaux portant sur un programme immobilier dénommé " Eden ", prévoyant la construction de 60 logements sociaux. Après l'édification, par la société Eiffage, d'un bâtiment temporaire accueillant un lieu de vie des ouvriers, des désordres sont apparus dans les jardins et villas appartenant à la société Domoreal. Celle-ci a alors sollicité et obtenu du tribunal administratif de Nice la désignation d'un expert, qui a remis son rapport le 3 juin 2014. Elle a ensuite saisi ce même tribunal, d'une part, d'une demande tendant à la condamnation de l'OPH de Cannes et de la Rive droite du Var à l'indemniser des préjudices causés par les travaux de construction de 60 logements sociaux, et d'autre part, d'une demande tendant à ce qu'il soit enjoint à l'office de faire réaliser les travaux prescrits par l'expert sous astreinte de 10 000 euros par jour de retard passé un délai de 90 jours à compter de la notification du jugement.
2. Par un premier jugement n° 1500904 du 30 janvier 2018, le tribunal administratif de Nice a condamné l'OPH de Cannes et de la rive droite du Var à verser à la société SCI Domoreal la somme de 1 000 600,72 euros toutes taxes comprises et mis à la charge de l'office les frais d'expertise, liquidés et taxés à la somme de 177 985,23 euros par ordonnance en date du
15 octobre 2014 de la présidente du tribunal administratif de Nice. Par ce même jugement, le tribunal a rejeté le surplus des conclusions des parties, notamment les conclusions de la société Domoreal tendant à ce qu'il soit enjoint à l'OPH de Cannes et de la Rive droite du Var de réaliser les travaux préconisés par l'expert, et, d'autre part, l'ensemble des appels en garantie présentés par les parties. Par un arrêt n° 18MA01126, 18MA01258, 18MA01641 du 24 janvier 2019, la Cour a annulé ce jugement et renvoyé au tribunal le jugement des demandes de la société Domoreal.
3. Par un second jugement n° 1901676 et 1803268 du 17 juillet 2020, le tribunal administratif de Nice, saisi sur renvoi de la Cour, a condamné l'OPH de Cannes et de la Rive droite du Var à verser à la SCI Domoreal la somme de 1 266 741,95 euros toutes taxes comprises et mis à la charge de l'office les frais d'expertise, liquidés et taxés à la somme de 177 985,23 euros. Par ce même jugement, le tribunal a rejeté le surplus des conclusions des parties, notamment les conclusions de la société Domoreal tendant à ce qu'il soit enjoint à l'OPH de Cannes et de la Rive droite du Var de réaliser les travaux préconisés par l'expert, et, d'autre part, l'ensemble des appels en garantie présentés par les parties.
4. Par sa requête n° 20MA03603, la SCI Domoreal demande à la Cour de réformer ce jugement en ce qui concerne le montant de l'indemnisation qui lui a été allouée, tandis que par sa requête n° 20MA03639, l'OPH de Cannes et de la Rive droite du Var, devenu l'OPH de Cannes Pays de Lérins, demande principalement à la Cour d'annuler ce jugement et de rejeter la demande de la société Domoreal.
Sur la jonction :
5. Les requêtes n° 20MA03603 et n° 20MA03639 sont dirigées contre le même jugement et présentent à juger les mêmes questions. Dès lors, il y a lieu de les joindre pour y statuer par un seul et même arrêt.
Sur l'étendue du litige :
6. Si, par sa requête n° 20MA03639, l'OPH de Cannes Pays de Lérins recherche l'annulation totale du jugement qu'il attaque, il ne peut être regardé, compte tenu de son argumentation et de celle que développe la société Domoreal au soutien de sa requête d'appel
n° 20MA03603, qui ne portent pas sur le rejet de la demande n° 1803268, que comme demandant l'annulation de ce jugement en tant que par celui-ci, dans l'instance n° 1901676, le tribunal l'a condamné à verser à cette société la somme de 1 266 741,95 euros toutes taxes comprises, a mis à sa charge les frais d'expertise, et en tant qu'il rejette ses conclusions aux fins d'appel en garantie.
Sur la régularité du jugement attaqué :
7. Il ressort des pièces du dossier soumis aux premiers juges dans l'instance
n° 1901676, que l'OPH de Cannes Pays de Lérins avait opposé, avant la clôture de l'instruction, une fin de non-recevoir aux conclusions indemnitaires de la société Domoreal, sur laquelle le tribunal ne s'est pas prononcé et qu'il n'a pas visée dans son jugement. Cette décision est ainsi entachée d'une irrégularité qui est de nature à justifier son annulation dans la mesure sollicitée par l'OPH.
8. Par suite, il y a lieu, sans qu'il soit besoin de se prononcer sur les autres moyens de de régularité, d'une part d'annuler ce jugement en tant qu'il a condamné l'OPH de Cannes Pays de Lérins à verser à la société Domoreal la somme de 1 266 741,95 euros toutes taxes comprises, en tant qu'il a mis à sa charge les frais d'expertise, et en tant qu'il rejette ses conclusions aux fins d'appel en garantie, d'autre part, au cas d'espèce, de statuer sur de telles conclusions par la voie de l'évocation, et enfin, d'examiner le bien-fondé du jugement en tant qu'il statue sur le surplus des conclusions des parties.
Sur la recevabilité des conclusions indemnitaires de la société Domoreal :
9. Dans le dernier état de ses écritures, la société Domoreal se borne à solliciter la condamnation du seul OPH de Cannes Pays de Lérins, sur le fondement de la responsabilité du fait de travaux publics, et ne recherche donc plus la condamnation solidaire de l'office, sur ce même fondement, et de la société Eiffage sur le fondement de la responsabilité pour faute. L'OPH de Cannes Pays de Lérins ne peut, dès lors, utilement soutenir que la requête est irrecevable en tant qu'elle reposerait sur une confusion des régimes de responsabilité relevant de causes juridiques distinctes ainsi que sur une confusion des faits en cas de demande de condamnation solidaire. Par suite, la fin de non-recevoir opposée par l'OPH de Cannes Pays de Lérins ne peut qu'être écartée.
Sur la responsabilité :
10. Le maître de l'ouvrage ainsi que, le cas échéant, l'architecte et l'entrepreneur chargé des travaux sont responsables vis-à-vis des tiers des dommages causés à ceux-ci par l'exécution d'un travail public, à moins que ces dommages ne soient imputables à un cas de force majeure ou à une faute de la victime. Ces tiers ne sont pas tenus de démontrer le caractère grave et spécial du préjudice qu'ils subissent lorsque le dommage présente un caractère accidentel. Dans le cas d'un dommage causé à un immeuble, la fragilité ou la vulnérabilité de celui-ci ne peuvent être prises en compte pour atténuer la responsabilité du maître de l'ouvrage, sauf lorsqu'elles sont elles-mêmes imputables à une faute de la victime. En dehors de cette hypothèse, de tels éléments ne peuvent être retenus que pour évaluer le montant du préjudice indemnisable.
11. D'une part, il résulte de l'instruction, et plus particulièrement du rapport d'expertise judiciaire du 3 juin 2014, que l'édification, en novembre 2009, des bâtiments à usage de base de vie pour les personnels du chantier, par la société Eiffage, agissant sous maîtrise d'ouvrage de l'OPH, a entraîné une entaille au pied de la colline, en surplomb de laquelle se trouvent les villas appartenant à la société requérante. Selon ce même rapport, les travaux de terrassement de déblais entrepris à mi-hauteur du talus pour la mise en place des bungalows servant de base de vie pour les personnels du chantier ont provoqué une suppression de la butée basale de ce talus, laquelle a provoqué la libération des masses des sols sous-jacents correspondant à un volume important de matériaux contenus au sein de la masse instable. Cet expert a ainsi constaté, notamment au moyen de mesures opérées par des inclinomètres, que les travaux litigieux ont eu pour conséquence, d'une part, le basculement des villas n° 43 et n° 44, ainsi que du garage de la villa n° 45, vers la crête de la colline, sous l'effet de glissement de terrain et, d'autre part, l'apparition de fractures et d'affouillements dans les jardins se trouvant devant les villas
n° 41 à n° 45. Après avoir relevé que les premiers désordres ont été constatés dans les propriétés de la société Domoreal dans les suites immédiates des travaux d'installation du bâtiment de vie des ouvriers et qu'aucun signe apparent d'instabilité n'avait été constaté pendant les huit années précédentes, l'expert conclut, de façon formelle, que les travaux réalisés sur la base de vie des ouvriers par la société Eiffage avaient joué principalement et directement un rôle dans les glissements de terrain, eux-mêmes imputables au décaissement réalisé en pied de colline.
12. Contrairement à ce que soutient l'OPH de Cannes Pays de Lérins, il ne résulte pas du rapport rendu le 18 octobre 2021 dans le cadre d'une expertise judiciaire diligentée à la demande d'une société installée à proximité immédiate du lieu de réalisation des travaux en cause, et relativement à un sinistre distinct du présent litige, que le nouvel expert judiciaire ainsi désigné, qui indique d'ailleurs qu'il existe une corrélation positive spatiale et temporelle entre les travaux d'aménagement de la base de vie et les signes d'instabilité du versant, aurait remis en cause les conclusions de l'expertise du 3 juin 2014, faute pour celles-ci d'avoir tenu compte de données hydrologiques et de l'absence de dispositif permettant le bon ruissellement des eaux de pluie, ni que la mauvaise circulation de l'eau aurait joué un rôle exclusif ou déterminant dans la survenance des dommages en cause. Ainsi l'OPH de Cannes Pays de Lérins n'est pas fondé à soutenir, sur le fondement de ce seul rapport d'expertise, et à rebours des conclusions du rapport du 3 juin 2014, que l'origine des désordres subis par la propriété de la SCI Domoreal serait à identifier dans un problème de nature hydrologique et non dans les travaux menés sous sa maîtrise d'ouvrage.
13. D'autre part, ainsi qu'il a été dit au point 10, la fragilité ou la vulnérabilité d'un immeuble ne peuvent être prises en compte pour atténuer la responsabilité du maître de l'ouvrage, sauf lorsqu'elles sont elles-mêmes imputables à une faute de la victime. Si l'OPH de Cannes Pays de Lérins soutient que la société Domoreal a commis une faute résultant du défaut d'entretien de ses propriétés, lié selon lui à l'absence de dispositif de recueil et d'évacuation des eaux de pluie, il ne résulte pas de l'instruction que cette société qui, bien que gérée par une société présidée par le frère du gérant de la société qui lui a vendu les propriétés sinistrées, n'a été ni le maître d'ouvrage ni l'exécutant des travaux de construction des villas entrepris entre 1999 et 2004, dont elle est devenue plus tard propriétaire, aurait été tenue, en cette seule qualité et compte tenu des informations dont elle disposait, de faire installer un tel dispositif.
14. Il suit de là que la SCI Domoreal est fondée à rechercher la responsabilité sans faute de l'OPH de Cannes Pays de Lérins à raison des dommages causés à ses propriétés du fait de l'exécution des travaux liés au programme immobilier dénommé " Eden " et réalisés sous maîtrise d'ouvrage de l'office, qui revêtent le caractère de travaux publics à l'égard desquels la société requérante a la qualité de tiers.
Sur les préjudices :
En ce qui concerne la période d'indemnisation :
15. Lorsqu'un dommage causé à un immeuble engage la responsabilité d'une collectivité publique, le propriétaire peut prétendre à une indemnité couvrant, d'une part, les troubles qu'il a pu subir, du fait notamment de pertes de loyers, jusqu'à la date à laquelle, la cause des dommages ayant pris fin et leur étendue étant connue, il a été en mesure d'y remédier et, d'autre part, une indemnité correspondant au coût des travaux de réfection. Ce coût doit être évalué à cette date, sans pouvoir excéder la valeur vénale, à la même date, de l'immeuble exempt des dommages imputables à la collectivité.
16. Il résulte du rapport d'expertise du 3 juin 2014 qu'en raison du dénivelé de
30 mètres entre les jardins se trouvant devant les villas n°s 41 à 45 de la SCI Domoreal et le terrain d'assiette des travaux litigieux situé en contrebas, et compte tenu du volume très important de terre à soutenir du fait des caractéristiques de la fracture du terrain située à
huit mètres de profondeur par rapport au niveau du sol se trouvant devant ces villas, la réalisation d'un ouvrage définitif, propre à stabiliser la zone de glissement, demeure un préalable indispensable à tous travaux portant sur ces villas, fussent-ils de simples travaux confortatifs provisoires, destinés à soutenir l'ensemble des terres de la colline. La SCI Domoreal ne pourra donc entreprendre utilement des travaux de remise en état de ses villas et les rendre propres à leur destination d'origine qu'après la réalisation de cet ouvrage, sous la maîtrise d'ouvrage de l'OPH de Cannes Pays de Lérins, ou à tout le moins à la charge financière de celui-ci, sur lequel pèse l'obligation de réparer les dommages causés par les travaux dont il avait la maîtrise d'ouvrage et de mettre fin à ceux qui perdurent, nonobstant le caractère définitif du jugement du tribunal qui a rejeté la demande de la SCI tendant à ce qu'il soit enjoint à l'office de réaliser cet ouvrage de soutènement. Par suite, la période de responsabilité au titre de laquelle la
SCI Domoreal est fondée à solliciter une indemnisation de ses préjudices liés aux troubles qu'elle a pu subir, du fait de la perte de loyers qu'elle tirait de ses villas, et au coût des travaux de réfection de celles-ci, prendra fin à la date à laquelle, l'ouvrage définitif de stabilisation de la zone de glissement ayant été réalisé, elle sera elle-même en mesure d'entreprendre les travaux de nature à y remédier.
En ce qui concerne le coût des travaux sur les villas de la société Domoreal :
17. En premier lieu, selon les éléments d'appréciation du rapport d'expertise judiciaire du 3 juin 2014, qui ne sont pas contestés par l'OPH, la simple remise en état des villas n°s 43 et 44, et du garage de la villa n° 45 n'est pas techniquement possible, compte tenu de l'ampleur des désordres qui les affectent, seules leur démolition et leur reconstruction s'avérant envisageables. En revanche, il ne résulte pas de l'instruction, et notamment pas de l'attestation particulièrement sommaire établie le 24 octobre 2022 par un cabinet d'études dont se prévaut la société Domoreal, que les autres villas seraient sinistrées, depuis le rapport d'expertise, dans des conditions telles que leur démolition et leur reconstruction serait elles aussi devenues indispensables, alors au demeurant que cette attestation inclut dans le montant total estimé à 2 252 500 euros les travaux portant sur un sixième bâtiment, la villa n° 39, au titre duquel aucun désordre n'avait été constaté par l'expert judiciaire et aucun élément plus récent n'est produit par la société requérante.
18. En deuxième lieu, il résulte de ce même rapport d'expertise que les villas n°s 41 à 45 ont subi des désordres importants qui trouvent leur origine dans les travaux réalisés par la société Eiffage sous maîtrise d'ouvrage de l'OPH de Cannes Pays de Lérins. Il résulte de l'instruction, notamment de ce rapport et des éléments de réévaluation produits depuis lors par la société, et il n'est du reste pas contesté par l'OPH, que le coût de remise en état de l'ensemble des villas, en ce compris les travaux de démolition et de reconstruction des villas n°s 43 et 44 et du garage de la villa n° 45, peut être évalué, à la date du présent arrêt, à hauteur d'un montant de 868 434 euros, dont il n'est ni établi ni même allégué qu'il correspondrait à d'autres travaux que ceux qui sont strictement nécessaires, ni que les procédés envisagés pour ces travaux ne seraient pas les moins onéreux possible, ni enfin qu'il excèderait la valeur vénale des immeubles concernés, telle qu'évaluée à cette même date.
19. En troisième lieu, néanmoins, les constatations effectuées par l'expert, notamment lors de la procédure de déclaration de péril imminent, montrent que les villas de la société Domoreal présentaient déjà des désordres avant le début des travaux, et que leur mode constructif était caractérisé par de nombreuses malfaçons de nature à fragiliser leurs fondations, avec notamment des remblaiements de qualité médiocre pour obtenir une plate-forme de
sept mètres devant les villas n°s 41 à 45, l'édification d'un mur de soutènement inadapté pour soutenir ces remblais supplémentaires, une absence de vérification géotechnique, l'absence de prise en compte des préconisations du bureau Sol Essais, ainsi qu'un défaut de contrôle et d'un suivi géotechnique. Ainsi, les travaux publics litigieux ayant contribué à aggraver la fragilité des bâtiments ainsi affectés de malfaçons, il sera fait une juste appréciation du préjudice invoqué par la SCI Domoreal au titre de la remise en état de ses biens, en fixant l'indemnité due à ce titre par l'OPH à la somme de 434 217 euros.
20. En dernier lieu, compte tenu de ce qui a été dit au point 16, il y a lieu, ainsi que le demande la SCI Domoreal, qui par ailleurs ne réclame pas le paiement des intérêts au taux légal, d'indexer la somme de 434 217 euros sur l'indice BT 01 du coût de la construction à compter de la date d'achèvement de l'ouvrage définitif destiné à stabiliser la zone, préalable indispensable à tous travaux de remise en état des villas sinistrées, sans que la somme en résultant puisse excéder, à cette même date, la valeur vénale de l'ensemble immobilier ainsi concerné.
En ce qui concerne les pertes locatives :
Quant au principe de l'indemnisation de ce chef de préjudice :
21. D'une part, ainsi qu'il a été dit précédemment, dans la mesure où il ne résulte pas des éléments de l'instruction, notamment du rapport d'expertise judiciaire, que la villa n° 39 aurait été l'objet de désordres causés par les travaux litigieux, la SCI Domoreal ne peut se plaindre, à l'encontre de l'OPH de Cannes Pays de Lérins, de pertes de revenus tirés de la location de ce bien. La requérante ne peut davantage réclamer l'indemnisation des pertes de revenus locatifs de la villa n° 41, dès lors que, en dépit de la mesure d'instruction diligentée par la Cour, elle n'a pas produit un contrat de bail stipulant le montant allégué du loyer appliqué aux locataires de la villa, le seul contrat produit, conclu le 5 août 2013, concernant la location, à compter de cette date, de la villa n° 64 non concernée par les désordres.
22. En revanche et d'autre part, contrairement à ce que soutient l'OPH de Cannes Pays de Lérins, la SCI Domoreal subit de manière certaine, pour chacune des villas n°s 42 à 45, des pertes de loyers dès lors qu'il résulte de l'instruction qu'à la date des travaux litigieux, ces biens étaient loués à des particuliers, et que du fait des désordres causés, ces immeubles, qui ont fait l'objet d'un arrêté de péril pris le 21 mai 2013 par le maire de la ville de Cannes et toujours en vigueur, n'ont jamais été reloués, la dernière maison occupée à la date de l'arrêté de péril ayant été définitivement évacuée le 12 août 2013. Les travaux, évoqués au point 16, d'édification d'un mur de soutènement, nécessairement préalables à la réfection de ces villas, n'étant à ce jour toujours pas exécutés, le préjudice de perte locative doit être évalué, pour chacune des villas, depuis la date de vacance des locaux jusqu'à la réalisation de cet ouvrage dans les conditions fixées au point 16.
23. Enfin, contrairement à ce que prétend l'OPH, s'agissant plus précisément des villas n° 43 et n° 44, dès lors que les travaux de démolition et de reconstruction préconisés par l'expert constituent des conséquences directes du sinistre causés par les travaux publics en litige, l'octroi à la société Domoreal d'une indemnité en réparation des pertes locatives, en sus d'une indemnité correspondant au coût de la démolition et de la reconstruction de ces deux villas et ne pouvant excéder la valeur vénale de ces biens, ne constitue pas une double indemnisation d'un même dommage.
Quant à l'évaluation du préjudice pour la période antérieure à la mise à disposition de l'arrêt :
24. En ce qui concerne la villa n° 42, il résulte de l'instruction que la SCI Domoreal a conclu un contrat de location avec un particulier pour cette habitation, à effet au 15 juin 2009, moyennant le loyer mensuel de 1 610 euros. Dans ces conditions, la SCI Domoreal est fondée à demander l'indemnisation du préjudice lié à la perte de loyers tirés de la location de ce bien, pour la période du 29 décembre 2010, date de sortie des lieux du locataire, au 15 mai 2023, par l'octroi d'une somme d'un montant total de 240 735 euros.
25. En ce qui concerne la villa n° 43, il résulte de l'instruction que la SCI Domoreal a conclu un contrat de location avec un particulier pour cette habitation, à effet au
1er septembre 2010, moyennant un loyer mensuel de 1 550 euros. Elle est ainsi fondée à demander, en réparation du préjudice issu de la perte de loyers tirés de la location de ce bien, pour la période du 14 décembre 2011, date de sortie des lieux du locataire, au 15 mai 2023, la somme de 212 401 euros.
26. En ce qui concerne la villa n° 44, il résulte de l'instruction que la SCI Domoreal a conclu un contrat de location avec un particulier pour cette habitation, à effet au 11 janvier 2010, moyennant un loyer mensuel de 1 500 euros. Il suit de là que la SCI Domoreal est fondée à solliciter le paiement d'une indemnité, réparant le préjudice lié à la perte de loyers issus de la location de cette villa, pour la période du 1er juillet 2011, date de sortie des lieux du locataire, au 15 mai 2023, d'un montant total de 213 689 euros.
27. Enfin, en ce qui concerne la villa n° 45, il résulte de l'instruction que la
SCI Domoreal a conclu un contrat de location avec un particulier pour cette habitation, à effet au 29 août 2008, moyennant un loyer mensuel de 1 500 euros. Dans ces conditions, la
SCI Domoreal peut réclamer le versement, au titre du préjudice lié à la perte de loyers tirés de la location de ce bien, à compter du 31 août 2011, date de sortie des lieux du locataire, au
15 mai 2023, de la somme de 210 738 euros.
28. Il résulte de ce qui précède que l'OPH de Cannes Pays de Lérins doit être condamné à verser à la SCI Domoreal la somme totale de 877 563 euros en réparation de son préjudice de pertes locatives pour la période antérieure à la mise à disposition du présent arrêt.
Quant à l'évaluation du préjudice pour la période postérieure à la mise à disposition de l'arrêt :
29. Si, au titre de la période postérieure au présent arrêt, la SCI Domoreal demande le versement mensuel par l'OPH de la somme de 9 227,01 euros, jusqu'à réalisation des travaux de confortement du talus tels que préconisés par l'expert judiciaire, il résulte de ce qui a été exposé aux points 24 à 28 que la perte mensuelle imputable aux travaux en litige est d'un montant total de 6 120 euros, correspondant à la somme des loyers dont elle a été privée au titre de la location des villas n° 42, n° 43, n° 44 et n° 45. Par suite, dès lors que le préjudice subi par la SCI du fait de cette perte de loyers est susceptible dans l'avenir de cesser par les travaux appropriés énoncés au point 16 et que la durée de ceux-ci ne peut être déterminée en l'état de l'instruction, il y a lieu de condamner l'OPH de Cannes Pays de Lérins à verser à la SCI Domoreal, non pas la somme supplémentaire de 110 724,12 euros qu'elle réclame également, mais une indemnité mensuelle de 6 120 euros jusqu'à exécution de ces travaux.
En ce qui concerne le préjudice résultant des frais d'indemnisation des locataires de la villa n° 43 :
30. Il résulte des énonciations du jugement rendu par le tribunal d'instance de Cannes le 13 mars 2014, que la SCI Domoreal a été condamnée à verser aux locataires de la villa n° 43 une somme totale de 5 800 euros en réparation du préjudice de jouissance, du préjudice moral et du préjudice matériel résultant des désordres constatés dans leur domicile par procès-verbal dressé par un agent assermenté de la ville de Cannes à la fin de l'année 2011 à la suite d'un mouvement de terrain. Il ne résulte pas de l'instruction, et il n'est du reste pas allégué, que ce mouvement de terrain aurait une origine autre que les travaux publics en litige. Par suite, une telle obligation pécuniaire mise à la charge de la SCI étant directement liée à ces travaux, celle-ci est fondée à demander que l'OPH répare le préjudice correspondant en lui versant la somme de 5 800 euros à ce titre.
31. Il résulte de tout ce qui précède, sans qu'il y ait lieu d'homologuer le rapport d'expertise judiciaire, ni d'ordonner une nouvelle expertise, que l'office public d'habitat de Cannes Pays de Lérins doit être condamné à verser à la SCI Domoreal, d'une part, la somme totale de 1 317 580 euros, dont la somme de 434 217 euros devant être indexée sur l'indice
BT 01 du coût de la construction à compter de la date d'achèvement de l'ouvrage définitif destiné à stabiliser la zone, et d'autre part, une somme mensuelle de 6 120 euros à compter de la date de mise à disposition du présent arrêt jusqu'à la date d'achèvement de ce même ouvrage.
Sur les dépens :
32. Aux termes de l'article R. 761-1 du code de justice administrative : " Les dépens comprennent les frais d'expertise, d'enquête et de toute autre mesure d'instruction dont les frais ne sont pas à la charge de l'Etat. / Sous réserve de dispositions particulières, ils sont mis à la charge de toute partie perdante sauf si les circonstances particulières de l'affaire justifient qu'ils soient mis à la charge d'une autre partie ou partagés entre les parties. (...) ".
33. Il y a lieu de mettre les frais de l'expertise, liquidés et taxés à la somme de 177 985,23 euros par ordonnance en date du 15 octobre 2014 de la présidente du tribunal administratif de Nice, à la charge définitive de l'OPH de Cannes Pays de Lérins, partie essentiellement perdante dans cette instance.
Sur les appels en garantie présentés par l'OPH de Cannes Pays de Lérins :
En ce qui concerne l'appel en garantie de l'OPH contre la société Eiffage :
34. La réception sans réserve des travaux met fin aux rapports contractuels entre le maître de l'ouvrage et les constructeurs en ce qui concerne la réalisation de l'ouvrage alors même que ces dommages n'étaient ni apparents ni connus à la date de la réception. Il n'en irait autrement - réserve étant faite par ailleurs de l'hypothèse où le dommage subi par le tiers trouverait directement son origine dans des désordres affectant l'ouvrage objet du marché et qui seraient de nature à entraîner la mise en jeu de la responsabilité des constructeurs envers le maître d'ouvrage sur le fondement des principes dont s'inspirent les articles 1792 et suivants du code civil - que dans le cas où la réception n'aurait été acquise à l'entrepreneur qu'à la suite de manœuvres frauduleuses ou dolosives de sa part.
35. En premier lieu, dans la mesure où il n'est pas contesté que les réserves qui figurent dans le procès-verbal de réception des travaux établi le 19 mai 2011 entre l'OPH et la société Eiffage ont été levées dans les conditions prévues par ce document, cette réception a mis fin aux rapports contractuels unissant la société Eiffage à l'office qui, n'alléguant pas de manœuvres dolosives ou frauduleuses de la part de sa cocontractante, ne peut ainsi demander que celle-ci la garantisse des condamnations prononcées contre lui pour réparer les conséquences dommageables de ces travaux, alors même que ces dernières n'étaient ni apparentes ni connues du maître d'ouvrage à la date de leur réception.
36. En deuxième lieu, contrairement à ce que soutient l'OPH, les stipulations de
l'article 35 du cahier des clauses administratives générales applicables aux marchés de travaux publics, dans sa version applicable à la date du contrat d'engagement conclu entre l'OPH et la société Eiffage, aux termes desquelles : " Dommages divers causés par la conduite des travaux ou les modalités de leur exécution. / L'entrepreneur a, à l'égard du maître de l'ouvrage, la responsabilité pécuniaire des dommages aux personnes et aux biens causés par la conduite des travaux ou les modalités de leur exécution, sauf s'il établit que cette conduite ou ces modalités résultent nécessairement de stipulations du marché ou de prescriptions d'ordre de service, ou sauf si le maître de l'ouvrage, poursuivi par le tiers victime de tels dommages, a été condamné sans avoir appelé l'entrepreneur en garantie devant la juridiction saisie. ", n'ont ni pour objet ni pour effet de prolonger la responsabilité contractuelle des constructeurs au-delà de la réception des travaux.
37. En troisième lieu, si en application l'article 9.7 du cahier des clauses administratives particulières du marché de travaux publics conclu avec l'OPH, et de l'article 0.23. du cahier des clauses techniques particulières applicable à ce marché, la société Eiffage avait l'obligation contractuelle de souscrire une police d'assurance destinée à garantir les conséquences de la responsabilité civile lui incombant, aussi longtemps que sa responsabilité pouvait être recherchée, ces stipulations contractuelles n'ont, pas davantage que celles citées au point précédent, pour objet ou pour effet de déroger au principe selon lequel la réception des travaux a pour effet de mettre fin à l'ensemble des rapports contractuels entre le maître de l'ouvrage et les constructeurs.
38. En dernier lieu, l'OPH ne peut valablement rechercher la responsabilité décennale de la société Eiffage dès lors que le dommage subi par les villas de la SCI ne trouve pas directement son origine dans des désordres affectant l'ouvrage objet du marché le liant à son constructeur la société Eiffage.
39. Il résulte des points 34 à 38 que les conclusions d'appel en garantie formées par l'OPH de Cannes Pays de Lérins à l'encontre de la société Eiffage doivent être rejetées.
En ce qui concerne les autres appels en garantie de l'OPH :
40. D'une part, l'OPH de Cannes Pays de Lérins, qui n'établit pas ni même n'allègue que les travaux exécutés par les sociétés Ginger CEBTP (SOLEN), EGSC, Sol Essais et C+B dans le cadre de leurs missions d'études des sols et de conception, n'auraient pas été réceptionnés sans réserve, ne peut en tout état de cause solliciter la condamnation de celles-ci à le garantir des condamnations prononcées contre lui par le présent arrêt en alléguant une méconnaissance de leur devoir de conseil à son égard, un tel devoir ne pesant sur les maîtres d'œuvre qu'en ce qui concerne les désordres affectant l'ouvrage objet du marché de travaux, sur lesquels ils se seraient abstenus d'attirer l'attention du maître d'ouvrage.
41. D'autre part, les conclusions d'appel en garantie de l'OPH contre les entreprises intervenues à l'occasion des opérations de construction du lotissement dont relèvent les villas de la société Domoreal, sous maîtrise d'ouvrage de la SCI Estérel Tanneron et qui ne constituent pas des travaux publics, et avec lesquelles l'office n'a noué aucun lien contractuel, doivent être rejetées comme portées devant un ordre de juridiction incompétent pour en connaître.
Sur le bien-fondé du jugement en tant qu'il concerne les appels en garantie formés par la société Eiffage :
42. En premier lieu, le présent arrêt ne prononçant aucune condamnation à l'encontre de la société Eiffage, les conclusions d'appel en garantie formées par celle-ci à l'encontre des sociétés intervenues à l'opération de construction conduite sous maîtrise d'ouvrage de l'OPH sont sans objet.
43. En second lieu, les conclusions d'appel en garantie présentées par la société Eiffage contre les entreprises intervenues dans les travaux d'édification du lotissement où sont situées les villas sinistrées de la SCI Domoreal, sous maîtrise d'ouvrage privée de la SCI Esterel Tanneron, au titre de la responsabilité extracontractuelle de ces entreprises, doivent être rejetées comme étant portées devant un ordre de juridiction incompétent pour en connaître, ainsi que l'a jugé le tribunal.
Sur le bien-fondé du jugement attaqué en tant qu'il concerne les appels en garantie formés par la société Apave, la société Ginger CEBTP, et la SCI Esterel Tanneron :
44. Le présent arrêt ne prononçant aucune condamnation à l'encontre de la société Apave, de la société Ginger CEBTP et de la SCI Esterel Tanneron, il n'y a pas lieu de statuer sur leurs conclusions d'appel en garantie formées contre des entreprises intervenues dans la réalisation des travaux publics en litige.
45. Par ailleurs, les conclusions d'appel en garantie présentées par la SCI Esterel Tanneron contre les entreprises intervenues dans les travaux de réalisation, réalisés sous sa propre maîtrise d'ouvrage privée, du lotissement où sont situées les villas sinistrées de la
SCI Domoreal, doivent être rejetées comme étant portées devant un ordre de juridiction incompétent pour en connaître.
Sur les frais liés au litige :
46. Aux termes de l'article L. 761-1 du code de justice administrative : " Dans toutes les instances, le juge condamne la partie tenue aux dépens ou, à défaut, la partie perdante, à payer à l'autre partie la somme qu'il détermine, au titre des frais exposés et non compris dans les dépens. Les parties peuvent produire les justificatifs des sommes qu'elles demandent et le juge tient compte de l'équité ou de la situation économique de la partie condamnée. Il peut, même d'Office, pour des raisons tirées des mêmes considérations, dire qu'il n'y a pas lieu à cette condamnation ".
47. Dans les circonstances de l'espèce, il n'y a pas lieu de faire droit aux conclusions des parties présentées sur le fondement des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative, au titre des frais de première instance et d'appel.
D É C I D E :
Article 1er : Le jugement n° 1901976 et n° 1803268 du 17 juillet 2020 du tribunal
administratif de Nice est annulé en tant que, dans l'instance n° 1901676, il a condamné
l'office public d'habitat de Cannes Pays de Lérins à verser à la société Domoreal la somme de
1 266 741,95 euros toutes taxes comprises, en tant qu'il a mis à sa charge les frais d'expertise, et en tant qu'il a rejeté les conclusions de l'office public d'habitat aux fins d'appel en garantie.
Article 2 : L'office public d'habitat de Cannes Pays de Lérins est condamné à verser à la SCI Domoreal la somme totale de 1 317 580 euros, dont la somme de 434 217 euros sera indexée sur l'indice BT 01 du coût de la construction à compter de la date d'achèvement de l'ouvrage définitif destiné à stabiliser la zone sinistrée dans les conditions précisées aux points 16 et 20 de l'arrêt.
Article 3 : L'office public d'habitat de Cannes Pays de Lérins est condamné à verser à la SCI Domoreal une somme mensuelle de 6 120 euros à compter de la date de mise à disposition du présent arrêt et jusqu'à la date d'achèvement de l'ouvrage mentionné à l'article 2.
Article 4 : Les dépens, s'élevant à la somme de 177 985,23 euros, sont mis à la charge définitive de l'office public d'habitat de Cannes Pays de Lérins.
Article 5 : Le surplus des conclusions des parties est rejeté.
Article 6 : Le présent arrêt sera notifié à la société Domoreal, à l'office public d'habitat de Cannes Pays de Lérins, à la société Eiffage Construction Sud-Est, à la SARL Atelier d'architecture et d'urbanisme Orselli, au cabinet d'études et projets (CEP) David Pierrot, à la société Rolando, à la société SAS Apave Sudeurope, à la société SCI Estérel Tanneron, à la société Ginger CEBTP, à la SARL EGSC, au cabinet d'architectes C+B, à la société Sol Essais et à Maître Garnier, mandataire liquidateur de la SAS Mandelieu General Entreprise.
Délibéré après l'audience du 11 avril 2023, où siégeaient :
- M. Revert, président,
- M. Martin, premier conseiller,
- M. Lombart, premier conseiller.
Rendu public par mise à disposition au greffe le 15 mai 2023.
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N° 20MA03603, 20MA03639