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21/04/2023 | FRANCE | N°22MA00443

France | France, Cour administrative d'appel de Marseille, 7ème chambre, 21 avril 2023, 22MA00443


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

La société par actions simplifiée Distribution Casino France a demandé au tribunal administratif de Marseille d'annuler la décision du 7 octobre 2019 par laquelle le directeur régional des entreprises, de la concurrence, de la consommation, du travail et de l'emploi de Provence-Alpes-Côte d'Azur a prononcé des amendes administratives d'un montant global de 27 200 euros à son encontre pour manquement aux règles relatives au temps de travail maximum et au temps de repos minimum.

Par un jugement n° 1

910513 du 8 décembre 2021, le tribunal administratif de Marseille a rejeté cett...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

La société par actions simplifiée Distribution Casino France a demandé au tribunal administratif de Marseille d'annuler la décision du 7 octobre 2019 par laquelle le directeur régional des entreprises, de la concurrence, de la consommation, du travail et de l'emploi de Provence-Alpes-Côte d'Azur a prononcé des amendes administratives d'un montant global de 27 200 euros à son encontre pour manquement aux règles relatives au temps de travail maximum et au temps de repos minimum.

Par un jugement n° 1910513 du 8 décembre 2021, le tribunal administratif de Marseille a rejeté cette demande.

Procédure devant la Cour :

Par une requête et un mémoire, enregistrés le 4 février 2022 et le 16 février 2023, la société par actions simplifiée Distribution Casino France, représentée par Me Blanvillain, demande à la Cour :

1°) d'annuler le jugement du 8 décembre 2021 du tribunal administratif de Marseille ;

2°) d'annuler la décision du 7 octobre 2019 du directeur régional des entreprises, de la concurrence, de la consommation, du travail et de l'emploi de Provence-Alpes-Côte d'Azur ;

3°) à titre subsidiaire, de réduire le montant de la sanction administrative à une somme de 5 600 euros ;

4°) de mettre à la charge de l'Etat une somme de 4 000 euros à lui verser au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que :

- la minute du jugement n'est pas signée ;

- la décision est entachée d'une erreur de droit dans la mesure où l'autorité administrative pouvait seulement prononcer, sur le fondement de l'article L. 8115-1 du code du travail, une amende pour chaque salarié et pour chaque nature de manquement, et non une amende pour chaque dépassement, chaque période ou chaque semaine ;

- le montant maximal de l'amende qui pouvait légalement lui être infligé est de 5 600 euros ;

- l'administration a méconnu les articles L. 8115-1 et L. 8115-4 du code du travail en ne lui infligeant pas un simple avertissement au lieu de l'amende prononcée ;

- la décision est insuffisamment motivée quant au choix de l'administration d'infliger une amende plutôt qu'un avertissement, en méconnaissance de l'article L. 8115-4 du code du travail ;

- l'amende est disproportionnée et son montant doit être réduit à un montant de 5 600 euros en application du principe de légalité des délits et des peines et de son corollaire, le principe d'interprétation stricte des textes.

Par un mémoire en défense, enregistré le 20 janvier 2023, le ministre du travail, du plein emploi et de l'insertion conclut au rejet de la requête.

Il fait valoir qu'aucun des moyens de la requête n'est fondé.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- le code du travail ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de Prieto,

- les conclusions de M. Guillaumont, rapporteur public,

- et les observations de Me Royaux, substituant Me Blanvillain, représentant la SAS Distribution Casino France.

Considérant ce qui suit :

1. Le supermarché à l'enseigne Casino situé au 1 rue des Argiliers dans le 14ème arrondissement de Marseille a fait l'objet d'un contrôle le 18 mai 2018 par la direction régionale des entreprises, de la concurrence, de la consommation, du travail et de l'emploi de Provence-Alpes-Côte d'Azur. L'inspection du travail a relevé des dépassements de la durée maximale de travail effectif prévue aux articles L. 3121-18 et L. 3121-20 du code du travail, pour deux personnels encadrants de l'établissement, des privations du temps de repos minimal quotidien prévu à l'article L. 3131-1 du même code, pour deux personnels encadrants, et des privations du repos hebdomadaire obligatoire prévu à l'article L. 3132-2 du même code, pour un personnel encadrant. Sur le fondement des articles L. 8115-1 et L. 8115-3 du code du travail, le directeur régional des entreprises, de la concurrence, de la consommation, du travail et de l'emploi (DIRECCTE) de Provence-Alpes-Côte d'Azur a infligé à la société Distribution Casino France, par une décision du 7 octobre 2019, des sanctions administratives d'un montant total de 27 200 euros pour l'ensemble de ces manquements. La SAS Distribution Casino France relève appel du jugement par lequel le tribunal administratif de Marseille a rejeté sa demande tendant, à titre principal, à l'annulation et, à titre subsidiaire, à la réformation de cette décision du 7 octobre 2019.

Sur la régularité du jugement :

2. Aux termes de l'article R. 741-7 du code de justice administrative : " Dans les tribunaux administratifs (...), la minute de la décision est signée par le président de la formation de jugement, le rapporteur et le greffier d'audience. ".

3. Il ressort des pièces du dossier de première instance que la minute du jugement attaqué a été signée par le président de la formation de jugement, le rapporteur et la greffière d'audience conformément aux exigences de l'article R. 741-7 précité du code de justice administrative. Par suite, le moyen tiré du défaut de signature du jugement manque en fait.

Sur le bien-fondé du jugement attaqué :

4. En premier lieu, la SAS Distribution Casino France soutient que la décision attaquée est entachée d'une erreur de droit en ce que l'autorité administrative pouvait seulement prononcer, sur le fondement de l'article L. 8115-1 du code du travail, une amende pour chaque salarié et pour chaque nature de manquement, et non une amende pour chaque dépassement, chaque période ou chaque semaine.

5. D'une part, aux termes de l'article L. 8115-1 du code du travail dans sa rédaction résultant de la loi n° 2018-727 du 10 août 2018 : " L'autorité administrative compétente peut, sur rapport de l'agent de contrôle de l'inspection du travail mentionné à l'article L. 8112-1, et sous réserve de l'absence de poursuites pénales, soit adresser à l'employeur un avertissement, soit prononcer à l'encontre de l'employeur une amende en cas de manquement : / 1° Aux dispositions relatives aux durées maximales du travail fixées aux articles L. 3121-18 à L. 3121-25 et aux mesures réglementaires prises pour leur application ; / 2° Aux dispositions relatives aux repos fixées aux articles L. 3131-1 à L. 3131-3 et L. 3132-2 et aux mesures réglementaires prises pour leur application (...) ". Aux termes du premier alinéa de l'article L. 8115-3 du même code, dans sa rédaction en vigueur à la date des faits sanctionnés, antérieure à celle résultant de la loi du 5 septembre 2018 : " Le montant maximal de l'amende est de 2 000 euros et peut être appliqué autant de fois qu'il y a de travailleurs concernés par le manquement. ". Enfin, aux termes de l'article L. 8115-4 du même code, dans sa rédaction issue de la loi du 10 août 2018 : " Pour déterminer si elle prononce un avertissement ou une amende et, le cas échéant, pour fixer le montant de cette dernière, l'autorité administrative prend en compte les circonstances et la gravité du manquement, le comportement de son auteur, notamment sa bonne foi, ainsi que ses ressources et ses charges. ".

6. Les dispositions des articles L. 8115-1 à L. 8115-5 du code du travail permettent à l'autorité administrative de sanctionner, de manière distincte, d'un avertissement ou d'une amende d'un montant maximal de 2 000 euros par travailleur concerné chaque manquement constaté aux dispositions mentionnées aux 1° à 5° de l'article L. 8115-1, en prenant en compte, conformément à l'article L. 8115-4, les circonstances et la gravité du manquement, le comportement de son auteur, notamment sa bonne foi, ainsi que ses ressources et ses charges.

7. D'autre part, aux termes de l'article L. 3121-18 du code du travail : " La durée quotidienne de travail effectif par salarié ne peut excéder dix heures (...) ". Aux termes de l'article L. 3121-20 du même code : " Au cours d'une même semaine, la durée maximale hebdomadaire de travail est de quarante-huit heures. ".

8. Il résulte de la combinaison de ces dispositions d'une part, qu'un manquement est constitué dès qu'est dépassée la durée d'un cycle de travail, ou bien supprimée ou écourtée une période de repos, d'autre part, que le nombre de manquements et, partant, le nombre d'amendes susceptibles de sanctionner ces manquements doit être distingué du tarif unitaire entrant dans la liquidation du produit de chaque amende en fonction du nombre de salariés concernés par le manquement considéré. Le pouvoir de sanction de l'administration n'était pas limité au prononcé d'une seule amende par catégorie de manquements et par travailleur concerné. Par suite, la société appelante n'est pas fondée à soutenir que la décision attaquée, en prenant en compte l'occurrence des manquements pour déterminer le montant des amendes infligées, est entachée d'une erreur de droit au regard des dispositions de l'article L. 8115-1 du code du travail.

9. En l'espèce, il résulte de l'instruction que les amendes d'un montant total de 27 200 euros mises à la charge de la société appelante ont été liquidées pour sanctionner les dépassements de la durée quotidienne de travail de douze heures par deux salariés et de la durée hebdomadaire de travail de quarante-huit heures par deux salariés, ainsi que la privation du droit au repos quotidien de onze heures consécutives pour deux salariés et du droit au repos hebdomadaire pour un salarié de l'établissement. La méconnaissance des règles relatives au temps de travail et au temps de repos des salariés a emporté, respectivement, quatre manquements aux articles L. 3121-18 et L. 3121-19 du code du travail, sept manquements à l'article L. 3121-20 du même code, vingt-et-un manquements à l'article L. 3131-1 du même code et deux manquements à l'article L. 3132-2 du même code, soit un total de trente-quatre manquements, comme permet de le constater la décision attaquée qui énumère les salariés concernés selon les jours contrôlés et, pour chaque salarié, la durée de travail effectif ou la durée de repos relevées, ces manquements ayant été sanctionnés à un tarif unitaire de 800 euros. Par suite, la société Distribution Casino France n'est pas fondée à soutenir que les dispositions des articles L. 8115-1 et L. 8115-3 du code du travail ont été méconnues et que l'administration ne pouvait, compte tenu des salariés concernés par les manquements, prononcer des amendes supérieures à la somme globale de 5 600 euros.

10. En deuxième lieu, la SAS Distribution Casino France soutient que l'administration a méconnu les articles L. 8115-1 et L. 8115-4 du code du travail en ne lui infligeant pas un simple avertissement au lieu de l'amende prononcée et que la décision attaquée est insuffisamment motivée quant au choix de l'administration d'infliger une amende plutôt qu'un avertissement, en méconnaissance de l'article L. 8115-4 du code du travail.

11. En l'espèce, il ne résulte pas de l'instruction que le directeur régional des entreprises, de la concurrence, de la consommation, du travail et de l'emploi se soit abstenu d'examiner la situation de la SAS Distribution Casino France au regard des articles L. 8115-1 et L. 8115-4 du code du travail dans leur rédaction issue de la loi du 10 août 2018, qui constituent des dispositions répressives plus douces en tant qu'elles ouvrent la possibilité de réprimer les manquements constatés par un simple avertissement. La nature et la répétition des manquements commis par la société appelante, qui ne peut être regardée comme ayant agi de bonne foi, ont été de nature à affecter la santé des salariés concernés. Aussi, c'est sans commettre d'erreur de droit ni d'erreur d'appréciation que l'administration s'est déterminée, par une décision suffisamment motivée à cet égard, en faveur du prononcé d'amendes et non d'un simple avertissement.

12. En outre, en vertu des dispositions précitées de l'article L. 8115-4 du code du travail, la fixation du montant de l'amende doit tenir compte des circonstances et de la gravité du manquement, du comportement de son auteur ainsi que ses ressources et ses charges. Aucune disposition du code du travail ne fait par ailleurs obstacle à l'édiction d'une amende forfaitaire multipliée par le nombre de salariés concernés par manquement.

13. En l'espèce, il résulte de l'instruction que, pour fixer le quantum de la sanction, le directeur régional des entreprises, de la concurrence, de la consommation, du travail et de l'emploi de Provence-Alpes-Côte d'Azur a pris en compte la répercussion des dépassements des durées maximales de travail et des privations des repos obligatoires sur la santé des salariés, le nombre important de cadres concernés par ces manquements et a relevé que la société appelante n'avait fourni aucun élément sur ses ressources et ses charges. Par suite, le moyen tiré de la méconnaissance du principe de l'individualisation des sanctions doit être écarté.

14. En dernier lieu, compte tenu de la nature et de la gravité des manquements, et eu égard au comportement de la SAS Distribution Casino France, qui a effectué un rappel aux salariés sur le nécessaire respect de la durée hebdomadaire du travail, la fixation du tarif unitaire de l'amende à 800 euros, alors que le montant maximal encouru était de 2 000 euros par manquement et par salarié, soit un montant total de 27 200 euros pour les trente-quatre manquements constatés, n'apparaît pas disproportionné. Par ailleurs, la société appelante n'est pas non plus fondée à demander la minoration des amendes mises à sa charge à un montant global de 5 600 euros au motif que l'administration aurait comptabilisé un nombre excessif de manquements.

15. Il résulte de tout ce qui précède que la SAS Distribution Casino France n'est pas fondée à soutenir que c'est à tort que le tribunal administratif de Marseille a rejeté sa requête tendant à l'annulation ou, à titre subsidiaire, à la réformation de la décision du 7 octobre 2019 par laquelle le directeur régional des entreprises, de la concurrence, de la consommation, du travail et de l'emploi de Provence-Alpes-Côte d'Azur a prononcé à son encontre des amendes administratives d'un montant global de 27 200 euros, pour manquement aux règles relatives au temps de travail maximum et au temps de repos minimum.

Sur les frais liés au litige :

16. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que soit mis à la charge de l'Etat, qui n'est pas, dans la présente instance, la partie perdante, le versement de la somme que la SAS Distribution Casino France demande au titre des frais liés à l'instance.

D É C I D E :

Article 1er : La requête de la SAS Distribution Casino France est rejetée.

Article 2 : Le présent arrêt sera notifié à la société par actions simplifiée Distribution Casino France et au ministre du travail, du plein emploi et de l'insertion.

Copie en sera adressée au directeur régional de l'économie, de l'emploi, du travail et des solidarités de Provence-Alpes-Côte d'Azur.

Délibéré après l'audience du 7 avril 2023, où siégeaient :

- Mme Helmlinger, présidente de la Cour,

- Mme Ciréfice, présidente assesseure,

- M. Prieto, premier conseiller.

Rendu public par mise à disposition au greffe, le 21 avril 2023.

N° 22MA00443 2

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Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Marseille
Formation : 7ème chambre
Numéro d'arrêt : 22MA00443
Date de la décision : 21/04/2023
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Excès de pouvoir

Analyses

Répression - Domaine de la répression administrative - Régime de la sanction administrative - Bien-fondé.

Travail et emploi - Conditions de travail - Repos hebdomadaire.


Composition du Tribunal
Président : Mme HELMLINGER
Rapporteur ?: M. Gilles PRIETO
Rapporteur public ?: M. GUILLAUMONT
Avocat(s) : JOSEPH AGUERA et ASSOCIES

Origine de la décision
Date de l'import : 30/04/2023
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.marseille;arret;2023-04-21;22ma00443 ?
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