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21/04/2023 | FRANCE | N°21MA03573

France | France, Cour administrative d'appel de Marseille, 7ème chambre, 21 avril 2023, 21MA03573


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

Mme B... A... épouse D... a demandé au tribunal administratif de Marseille d'annuler la décision implicite par laquelle la communauté de communes de la Vallée de l'Ubaye Serre-Ponçon a rejeté sa demande indemnitaire préalable présentée par courrier du 26 mars 2020 et de condamner la communauté de communes de la Vallée de l'Ubaye Serre-Ponçon à lui verser la somme 65 000 euros en réparation de son préjudice subi à la suite de la rupture de son " bail commercial ".

Par un jugement n° 2008134

du 15 juin 2021, le tribunal administratif de Marseille a rejeté cette demande.

Procé...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

Mme B... A... épouse D... a demandé au tribunal administratif de Marseille d'annuler la décision implicite par laquelle la communauté de communes de la Vallée de l'Ubaye Serre-Ponçon a rejeté sa demande indemnitaire préalable présentée par courrier du 26 mars 2020 et de condamner la communauté de communes de la Vallée de l'Ubaye Serre-Ponçon à lui verser la somme 65 000 euros en réparation de son préjudice subi à la suite de la rupture de son " bail commercial ".

Par un jugement n° 2008134 du 15 juin 2021, le tribunal administratif de Marseille a rejeté cette demande.

Procédure devant la Cour :

Par une requête et un mémoire, enregistrés les 18 aout et 23 novembre, Mme D..., représentée par Me Nourrit, demande à la Cour :

1°) d'annuler ce jugement du tribunal administratif de Marseille ;

2°) d'annuler la décision implicite par laquelle la communauté de communes de la Vallée de l'Ubaye Serre-Ponçon a rejeté sa demande indemnitaire préalable présentée par courrier du 26 mars 2020 ;

3°) de condamner la communauté de communes de la Vallée de l'Ubaye Serre-Ponçon à lui verser la somme de 65 000 euros en réparation de son préjudice, assortie des intérêts au taux légal ;

4°) de mettre à la charge de la communauté de communes de la Vallée de l'Ubaye Serre-Ponçon, sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative, une somme de 4 000 euros au titre des frais de première instance et une somme de 4 000 euros au titre des frais d'appel.

Elle soutient que :

- la communauté de communes a commis une faute de nature à engager sa responsabilité en concluant avec elle un bail commercial sur un bien qui appartiendrait au domaine public ;

- elle n'était pas en mesure de douter de la validité du bail consenti et n'a commis aucune faute de nature à atténuer la responsabilité de la CCVU, contrairement à ce qui a été retenu par les premiers juges ;

- les aménagements refaits en 2003 à la suite d'un incendie sont les mêmes que ceux qu'elle avait réalisés pour remettre en état les installations et dès lors que ces aménagements ont profité en fin de bail à la CCVU, ils constituent un préjudice pour Mme A... qui les a initialement financés et un enrichissement sans cause pour la CCVU ;

- le préjudice résulte aussi du versement d'un pas de porte pour un montant de 30 000 francs soit la somme de 4 573,47 euros ;

- la somme de 10 000 francs, soit 1 524,49 euros versée comme dépôt de garantie n'a pas été restituée et constitue une partie de son préjudice ;

- elle a droit en outre à l'indemnisation de la perte de chance de vendre son fonds de commerce et de percevoir une indemnité d'éviction.

Par un mémoire en défense, enregistré le 27 octobre 2021, la communauté de communes de la Vallée de l'Ubaye Serre-Ponçon, représentée par Me Rey, conclut au rejet de la requête et à la mise à la charge de Mme D... d'une somme de 3 000 euros sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que les moyens soulevés par Mme D... ne sont pas fondés.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- le code général de la propriété des personnes publiques ;

- le code de commerce ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de Mme C...,

- les conclusions de M. Guillaumont, rapporteur public,

- et les observations de Me Tabarly représentant la communauté de communes de la Vallée de l'Ubaye Serre-Ponçon.

Considérant ce qui suit :

1. La communauté de communes de la Vallée de l'Ubaye Serre-Ponçon, qui s'est vue attribuer les compétences de la commune de Saint-Pons en matière d'exploitation de l'aérodrome de Barcelonnette Saint-Pons, a conclu avec Mme A... épouse D..., le 18 juillet 1994, une convention de mise à disposition du bar-restaurant de l'aérodrome, pour une durée initiale courant du 1er août au 31 octobre 1994, qui sera prolongée par plusieurs avenants, jusqu'au 31 octobre 1995. Le 20 février 1996, la communauté de communes a conclu avec Mme D... un contrat intitulé " bail commercial ", d'une durée de neuf ans, à compter du 1er novembre 1995, portant toujours sur l'exploitation du bar-restaurant de l'aérodrome. Ce bail commercial a été prolongé tacitement au-delà du terme fixé par le contrat jusqu'en 2019. Par lettre du 28 janvier 2019, la présidente de la communauté de communes a demandé à Mme D... de quitter les lieux au plus tard le 30 septembre 2019, en raison de l'état des locaux qui nécessitaient d'importants travaux de réhabilitation, mettant ainsi un terme à ce contrat. Par un courrier du 26 mars 2020, réceptionné par la communauté de communes le 1er avril suivant, Mme D... a demandé à cette dernière le versement d'une somme de 65 000 euros en réparation des préjudices qu'elle estime avoir subis du fait de cette rupture conventionnelle. Cette demande a été implicitement rejetée. Mme D... relève appel du jugement du 15 juin 2021 par lequel le tribunal administratif de Marseille a rejeté sa demande tendant à l'annulation de cette décision implicite de rejet et à la condamnation de la communauté de communes de la Vallée de l'Ubaye Serre-Ponçon à lui verser la somme de 65 000 euros en réparation de son préjudice subi à la suite de la rupture de son " bail commercial ".

Sur le bien-fondé du jugement attaqué :

En ce qui concerne les conclusions aux fins d'annulation :

2. La décision implicite par laquelle la communauté de communes de la Vallée de l'Ubaye Serre-Ponçon a rejeté la demande préalable de Mme D... a eu pour seul effet de lier le contentieux à l'égard de l'objet de sa demande, qui tend à la condamnation de la collectivité à l'indemniser des préjudices qu'elle estime avoir subis à la suite de la résiliation de son contrat et a donné à l'ensemble de sa requête le caractère d'un recours de plein contentieux. Ainsi, la requérante ne peut utilement demander l'annulation de cette décision.

En ce qui concerne les conclusions indemnitaires :

S'agissant de la responsabilité de la communauté de communes :

3. En raison du caractère précaire et personnel des titres d'occupation du domaine public et des droits qui sont garantis au titulaire d'un bail commercial, un tel bail ne saurait être conclu sur le domaine public. Lorsque l'autorité gestionnaire du domaine public conclut un " bail commercial " pour l'exploitation d'un bien sur le domaine public ou laisse croire à l'exploitant de ce bien qu'il bénéficie des garanties prévues par la législation sur les baux commerciaux, elle commet une faute de nature à engager sa responsabilité. Cet exploitant peut alors prétendre, sous réserve, le cas échéant, de ses propres fautes, à être indemnisé de l'ensemble des dépenses dont il justifie qu'elles n'ont été exposées que dans la perspective d'une exploitation dans le cadre d'un bail commercial ainsi que des préjudices commerciaux et, le cas échéant, financiers qui résultent directement de la faute qu'a commise l'autorité gestionnaire du domaine public en l'induisant en erreur sur l'étendue de ses droits.

4. Si, en outre, l'autorité gestionnaire du domaine met fin avant son terme au bail commercial illégalement conclu en l'absence de toute faute de l'exploitant, celui-ci doit être regardé, pour l'indemnisation des préjudices qu'il invoque, comme ayant été titulaire d'un contrat portant autorisation d'occupation du domaine public pour la durée du bail conclu. Il est à ce titre en principe en droit, sous réserve qu'il n'en résulte aucune double indemnisation, d'obtenir réparation du préjudice direct et certain résultant de la résiliation unilatérale d'une telle convention avant son terme, tel que la perte des bénéfices découlant d'une occupation conforme aux exigences de la protection du domaine public et des dépenses exposées pour l'occupation normale du domaine, qui auraient dû être couvertes au terme de cette occupation.

5. En revanche, eu égard au caractère révocable et personnel, déjà rappelé, d'une autorisation d'occupation du domaine public, celle-ci ne peut donner lieu à la constitution d'un fonds de commerce dont l'occupant serait propriétaire. Si la loi du 18 juin 2014 relative à l'artisanat, au commerce et aux très petites entreprises a introduit dans le code général de la propriété des personnes publiques un article L. 2124-32-1, aux termes duquel " Un fonds de commerce peut être exploité sur le domaine public sous réserve de l'existence d'une clientèle propre ", ces dispositions ne sont, dès lors que la loi n'en a pas disposé autrement, applicables qu'aux fonds de commerce dont les exploitants occupent le domaine public en vertu de titres délivrés à compter de son entrée en vigueur. Par suite, l'exploitant qui occupe le domaine public ou doit être regardé comme l'occupant en vertu d'un titre délivré avant cette date, qui n'a jamais été légalement propriétaire d'un fonds de commerce, ne peut prétendre à l'indemnisation de la perte d'un tel fonds.

6. Il résulte de l'instruction, comme indiqué au point 1, d'une part, que le bar-restaurant exploité par Mme D... se situait dans l'emprise de l'aérodrome de Barcelonnette Saint-Pons, lequel, mis à disposition de la communauté de communes de la Vallée de l'Ubaye Serre-Ponçon, appartient au domaine public de la commune de Saint-Pons et, d'autre part, que le titre d'occupation dont disposait Mme D... a été délivré avant l'entrée en vigueur des dispositions précitées de la loi du 18 juin 2014. En raison du caractère précaire et personnel des titres d'occupation du domaine public et des droits qui sont garantis au titulaire d'un bail commercial, un tel bail ne peut légalement être conclu sur le domaine public. Par suite, la communauté de communes de la Vallée de l'Ubaye Serre-Ponçon en concluant avec Mme D... pour l'exploitation des locaux du bar-restaurant situé sur le domaine public un contrat intitulé " bail commercial ", dont les stipulations faisaient référence au régime des baux commerciaux, a laissé croire à cette dernière que ce bien bénéficiait des garanties prévues par la législation sur les baux commerciaux. La communauté de communes de la Vallée de l'Ubaye Serre-Ponçon a dès lors commis une faute de nature à engager sa responsabilité.

S'agissant des préjudices subis par Mme D... :

Quant aux travaux d'aménagement :

7. Si Mme D... demande l'indemnisation des travaux d'aménagements qu'elle aurait réalisés pendant les périodes au cours desquelles elle a exploité le bar-restaurant en cause, elle ne justifie pas de la réalité ni du montant de ces travaux par la seule production de photographies. La circonstance que les factures se rapportant à ces travaux auraient été détruites au cours d'un incendie survenu pendant l'année 2003 ne saurait dispenser la requérante de rapporter une telle preuve par tout moyen. En outre, il ne résulte pas de l'instruction que Mme D... aurait effectué des travaux ou des aménagements autres que ceux effectués en 1996, les travaux de remise en état après l'incendie de 2003 ayant été financés par l'assurance de la communauté de communes et ainsi, alors qu'elle a pu exploiter le bar-restaurant jusqu'au mois de septembre 2019, qu'elle aurait été dans l'impossibilité d'amortir totalement les aménagements initiaux constitués en vue de l'exploitation du bar-restaurant. Au surplus, la communauté de communes soutient, sans être contredite, que l'essentiel des biens du local qui semblent avoir été modifiés sont des biens mobiliers que Mme D... a repris lors de son départ et qu'elle était en mesure de revendre. Enfin, si Mme D... demande le remboursement, sur le terrain de l'enrichissement sans cause, de ces mêmes travaux, il résulte, en tout état de cause, de l'instruction que ces travaux réalisés dans le cadre du projet de bar-restaurant pour lequel Mme D... doit être regardée comme ayant obtenu une autorisation d'occupation temporaire du domaine public, sont dépourvus d'utilité pour la communauté de communes en tant que gestionnaire du domaine public de l'aérodrome de Barcelonnette Saint-Pons. Par suite, Mme D... ne justifie d'aucun préjudice au titre de travaux d'aménagement réalisés dans les locaux en cause.

Quant au pas de porte et au dépôt de garantie :

8. Si Mme D... invoque, pour la première fois en appel, un préjudice résultant du versement d'un pas de porte pour un montant de 30 000 francs et d'un dépôt de garantie, non restitué, pour la somme de 10 000 francs, elle ne justifie pas du versement de ces sommes alors que la communauté de communes soutient qu'elles n'ont jamais été versées.

S'agissant de la perte du fonds de commerce :

9. Mme D... soutient par ailleurs que, si elle n'avait pas été induite en erreur sur l'existence d'un bail commercial et la possibilité de créer son fonds de commerce, elle n'aurait pas poursuivi l'exploitation du bar-restaurant situé sur l'emprise de l'aérodrome de Barcelonnette Saint-Pons pendant vingt-quatre années. Toutefois, ainsi qu'il a été dit au point 5, eu égard au caractère révocable et personnel d'une autorisation d'occupation du domaine public, celle-ci ne peut donner lieu à la constitution d'un fonds de commerce dont l'occupant serait propriétaire. Mme D... occupant le domaine public en vertu d'un titre délivré antérieurement à la loi du 18 juin 2014 qui a permis dans certaines conditions l'exploitation d'un fonds de commerce sur le domaine public, elle n'a dès lors jamais été légalement propriétaire d'un tel fonds. Elle ne peut, dès lors, être indemnisée de la perte de chance de vendre son fonds de commerce ou de la perte du droit à percevoir une indemnité d'éviction, laquelle en application des dispositions de l'article L. 145-14 du code de commerce comprend " la valeur marchande du fonds de commerce ", dès lors que ces préjudices résultent de la privation de droits prévus par la règlementation des baux commerciaux et ne sauraient revêtir un caractère indemnisable.

10. La requérante ne peut davantage se prévaloir d'un préjudice lié à la " brutalité " de la rupture de son contrat dès lors qu'elle a été informée par courrier du 28 janvier 2019 de la communauté de communes de son obligation de quitter les lieux au plus tard le 30 septembre 2019, soit plusieurs mois avant la résiliation envisagée, et alors, au surplus, que le contrat reconduit tacitement ne comportait plus de terme certain.

11. Il résulte de tout ce qui précède, et sans qu'il soit besoin de se prononcer sur la faute que Mme D... aurait commise, que cette dernière n'est pas fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Marseille a rejeté sa demande tendant à la condamnation de la communauté de communes de la Vallée de l'Ubaye Serre-Ponçon à lui verser la somme 65 000 euros en réparation de son préjudice.

Sur les frais liés au litige :

12. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que soit mise à la charge de la communauté de communes de la Vallée de l'Ubaye Serre-Ponçon, qui n'est pas, dans la présente instance, la partie perdante, la somme demandée par Mme D... au titre des frais exposés par elle et non compris dans les dépens. En revanche, il n'y a pas lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de Mme D... une somme quelconque au titre des frais exposés par la communauté de communes et non compris dans les dépens.

D É C I D E :

Article 1er : La requête de Mme A... épouse D... est rejetée.

Article 2 : Les conclusions de la communauté de communes de la Vallée de l'Ubaye Serre-Ponçon tendant à l'application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.

Article 3 : Le présent arrêt sera notifié à Mme B... A... épouse D... et à la communauté de communes de la Vallée de l'Ubaye Serre-Ponçon.

Délibéré après l'audience du 7 avril 2023, où siégeaient :

- Mme Helmlinger, présidente de la Cour,

- Mme Ciréfice, présidente assesseure,

- M. Prieto, premier conseiller.

Rendu public par mise à disposition au greffe, le 21 avril 2023.

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N° 21MA03573

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Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Marseille
Formation : 7ème chambre
Numéro d'arrêt : 21MA03573
Date de la décision : 21/04/2023
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Excès de pouvoir

Analyses

24-01-02-01-01-03 Domaine. - Domaine public. - Régime. - Occupation. - Utilisations privatives du domaine. - Droits à indemnisation de l'occupant.


Composition du Tribunal
Président : Mme HELMLINGER
Rapporteur ?: Mme Virginie CIREFICE
Rapporteur public ?: M. GUILLAUMONT
Avocat(s) : SCP NOURRIT - VINCIGUERRA

Origine de la décision
Date de l'import : 30/04/2023
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.marseille;arret;2023-04-21;21ma03573 ?
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