Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
Mme B... A... a demandé au tribunal administratif de Toulon, à titre principal, de condamner l'État à lui verser la somme totale de 525 069 euros en réparation de divers préjudices, assortie des intérêts au taux légal ainsi que des intérêts capitalisés à compter du dépôt de sa demande préalable et, à titre subsidiaire, de désigner un expert afin de chiffrer ses préjudices.
Par un jugement n° 1802927 du 15 avril 2021, le tribunal administratif de Toulon a condamné l'Etat à verser à Mme A... une somme de 2 000 euros en réparation de son préjudice moral et rejeté le surplus des conclusions.
Procédure devant la Cour :
Par une requête, enregistrée le 15 juin 2021, la ministre des armées demande à la Cour d'annuler ce jugement du tribunal administratif de Toulon du 15 avril 2021 et de rejeter les demandes de Mme A....
Elle soutient que l'administration n'a commis aucune faute de nature à engager sa responsabilité et que c'est à tort que le tribunal a retenu qu'elle avait prononcé à l'encontre de la requérante une sanction disciplinaire déguisée.
Par des mémoires, enregistrés les 12 janvier et 16 mars 2022, Mme A..., représentée par Me Varron Charrier, conclut au rejet de la requête et demande à la Cour par la voie de l'appel incident :
1°) de confirmer le jugement en tant qu'il a retenu l'existence d'une faute et condamné l'Etat à l'indemniser de son préjudice moral ;
2°) de condamner l'Etat à lui verser la somme de 525 069 euros en réparation de divers préjudices, assortie des intérêts au taux légal ainsi que des intérêts capitalisés à compter du dépôt de sa demande préalable ;
3°) à titre subsidiaire, de désigner un expert afin de chiffrer ses préjudices ;
4°) de mettre à la charge de l'État une somme de 3 000 euros au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle soutient que :
- les moyens soulevés par la ministre des armées ne sont pas fondés ;
- elle a été victime de fausses accusations de harcèlement moral de la part de deux agents ;
- le ministère des armées a commis plusieurs fautes dès lors qu'il n'a pas diligenté d'enquête interne ou procédé à des auditions complémentaires, qu'il n'a pas pris de mesures de prévention, qu'il lui a fautivement retiré une partie de ses fonctions, qu'il a prononcé une sanction disciplinaire déguisée à son encontre et que sa démission résulte des agissements de l'administration ;
- ses préjudices s'élèvent aux sommes de 20 000 euros au titre de son préjudice moral et psychologique, de 365 069,16 euros au titre de son préjudice financier (201 125,16 euros au titre de sa perte de traitement et 163 944 euros au titre de sa perte de droit à la retraite), de 30 000 euros au titre de l'incidence sur sa carrière professionnelle et de 80 000 euros au titre de ses déficits fonctionnels temporaire et permanent et de son préjudice d'agrément ;
- elle a été victime de harcèlement moral ;
- ses arrêts de travail auraient dû être reconnus imputables au service.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- la loi n° 83-634 du 13 juillet 1983 ;
- le décret n° 82-453 du 28 mai 1982 ;
- le décret n° 85-986 du 16 septembre 1985 ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de Mme D...,
- les conclusions de M. Guillaumont, rapporteur public,
- et les observations de Me Varron Charrier représentant Mme A....
Considérant ce qui suit :
1. Mme Granier, secrétaire administrative de classe supérieure, a été affectée par voie de détachement au ministère des armées depuis 2001. Lorsqu'elle occupait les fonctions de chef de section de la gestion individuelle du bureau d'administration du personnel civil du groupement de soutien de la base de défense de Draguignan, deux de ses subordonnées l'ont accusée de se livrer à des agissements constitutifs de harcèlement moral. Après avoir présenté sa démission le 30 novembre 2017, Mme A... a été radiée des cadres à compter du 24 décembre 2017. Par une réclamation préalable, reçue par les services du ministère des armées le 23 mai 2018, et implicitement rejetée, elle a demandé l'indemnisation de divers préjudices qu'elle estime imputables à des agissements fautifs de l'administration. Par un jugement du 15 avril 2021, le tribunal administratif de Toulon a condamné l'Etat à verser à Mme A... une somme de 2 000 euros en réparation de son préjudice moral consécutif à la sanction disciplinaire déguisée prononcée à son encontre et a rejeté le surplus de ses conclusions. La ministre des armées relève appel de ce jugement. Mme A..., par la voie de l'appel incident, demande à la Cour de porter la condamnation de l'Etat à la somme de 525 069 euros.
Sur le bien-fondé du jugement attaqué :
En ce qui concerne la faute retenue par le tribunal :
2. Une mesure revêt le caractère d'une sanction disciplinaire déguisée lorsque, tout à la fois, il en résulte une dégradation de la situation professionnelle de l'agent concerné et que la nature des faits qui ont justifié la mesure et l'intention poursuivie par l'administration révèlent une volonté de sanctionner cet agent.
3. En l'espèce, il résulte de l'instruction et notamment des courriels du chef de corps, le lieutenant-colonel C..., qu'un agent du service de Mme A... a signalé mi-mai 2017 son mal-être au travail résultant d'un manque de considération, d'une absence de communication et de l'attribution de tâches réductrices. Le chargé de prévention a ensuite entendu tout le personnel du service et identifié un second agent se plaignant également de la situation. De retour de ses congés, Mme A... a été reçue, le 30 mai 2017, par ses chefs de service en présence de ses trois subordonnés, dont les deux agents ainsi mentionnés, afin de trouver une solution pour améliorer la situation au sein du service. Le chef de corps a ainsi décidé de rattacher provisoirement les deux agents directement au chef de bureau jusqu'au plus tard juillet 2017. Il résulte du courriel du 12 juin 2017 du lieutenant-colonel C... que les accusations de harcèlement moral proférées à son encontre n'ont pas été retenues et que la décision de soustraire les deux agents à l'autorité de Mme A... a été prise afin d'apaiser les tensions dans le service, suivant en cela d'ailleurs l'avis du médecin du travail. Cette décision, qui a, certes, eu pour effet un amoindrissement de ses responsabilités, n'a pas porté atteinte à ses garanties statuaires ni à ses perspectives de carrière. S'il est constant, par ailleurs, que le troisième agent sous ses ordres a été muté le 14 juin 2017, cette mutation était planifiée de longue date, comme cela ressort des échanges de courriels entre le chef de service et Mme A.... Enfin, si la mesure, initialement limitée jusqu'à la fin du mois de juillet 2017, a finalement été reconduite jusqu'à la démission de Mme A..., il résulte de l'instruction qu'elle a été placée en congé de maladie du 31 mai au 30 novembre 2017 puis a apuré son solde de congés du 1er décembre au 22 décembre 2017. Par suite, l'autorité militaire n'ayant pas eu l'intention de sanctionner un comportement fautif de l'intéressée mais de mettre fin, dans l'intérêt du service, aux tensions constatées entre Mme A... et deux des trois agents placés sous son autorité, le moyen tiré de ce que la décision prise par l'autorité militaire serait en réalité une sanction disciplinaire déguisée doit être écarté comme manquant en fait.
4. C'est dès lors à tort que le tribunal a estimé, pour retenir une faute de l'administration, que l'existence d'une sanction disciplinaire déguisée était établie.
5. Il appartient toutefois à la Cour, saisie de l'ensemble du litige par l'effet dévolutif de l'appel, d'examiner les autres moyens et fondements de responsabilité soulevés par Mme A... tant devant le tribunal administratif de Toulon que devant la Cour.
En ce qui concerne la responsabilité de l'administration pour n'avoir pas procédé à une enquête interne ou à des auditions complémentaires :
6. Si Mme A... se plaint de ne pas avoir été reçue seule par ses supérieurs hiérarchiques avant novembre 2017 et estime avoir été destituée de ses fonctions notamment sans que le troisième agent du service n'ait été entendu, alors même qu'il était présent à la réunion à laquelle elle a été convoquée, la mesure d'organisation prise par l'administration, le 30 mai 2017, a, ainsi qu'il vient d'être dit au point 3, été motivée par l'intérêt du service et ne s'inscrivait pas dans une démarche disciplinaire à l'encontre de la requérante. Dès lors, l'administration n'était pas tenue de diligenter une enquête interne ou de procéder à des auditions complémentaires. Quant au rapport de commandement diligenté en septembre 2019 dont Mme A... demande la communication, il résulte de l'instruction qu'il était dépourvu de tout lien avec sa situation en 2017. Par suite, Mme A... n'est pas fondée à soutenir que l'administration a commis une faute en s'abstenant de procéder à une enquête interne ou à des auditions complémentaires.
En ce qui concerne la responsabilité de l'administration en raison de faits constitutifs de harcèlement moral et de l'imputabilité au service de son état de santé :
7. Aux termes de l'article 6 quinquiès de la loi du 13 juillet 1983 portant droits et obligations des fonctionnaires : " Aucun fonctionnaire ne doit subir les agissements répétés de harcèlement moral qui ont pour objet ou pour effet une dégradation des conditions de travail susceptible de porter atteinte à ses droits et à sa dignité, d'altérer sa santé physique ou mentale ou de compromettre son avenir professionnel. (...) ".
8. Il appartient à un agent public qui soutient avoir été victime d'agissements constitutifs de harcèlement moral de soumettre au juge des éléments de fait susceptibles de faire présumer l'existence d'un tel harcèlement. Il incombe à l'administration de produire, en sens contraire, une argumentation de nature à démontrer que les agissements en cause sont justifiés par des considérations étrangères à tout harcèlement. La conviction du juge, à qui il revient d'apprécier si les agissements de harcèlement sont ou non établis, se détermine au vu de ces échanges contradictoires, qu'il peut compléter, en cas de doute, en ordonnant toute mesure d'instruction utile.
9. Mme A... soutient qu'elle a été victime d'agissements constitutifs de harcèlement moral. Les faits mentionnés au point 3 procèdent, ainsi qu'il a été dit, de la constatation opérée par l'administration du mal-être de deux des trois agents placés sous son autorité et du souci de mettre fin aux tensions prévalant dans la section qu'elle dirigeait. Par ailleurs, le lieutenant-colonel C... précise dans son mail du 12 juin 2017 que le travail du service sur la mobilité est compromis en raison du refus de Mme A... de partager cette tâche qui nécessite pourtant l'intervention de plusieurs agents. Si la requérante se prévaut de l'attestation de Mme Le Sergent qui dit avoir été témoin de " propos véhéments " à son encontre lors d'une réunion, ce témoignage isolé n'en précise pas le contenu. Il ne résulte pas de l'instruction que les deux autres agents auraient tenu des propos dégradants ou que leurs plaintes auraient eu un caractère répétitif. Dès lors, Mme A... ne peut pas être regardée comme ayant soumis au juge des éléments de fait susceptibles de faire présumer l'existence d'un harcèlement moral dont elle aurait été victime.
10. Si Mme A... verse des certificats médicaux établissant un lien entre sa dépression et son travail, ils ont été établis à sa demande et par son médecin. En tout état de cause, la requérante n'établit ni même n'allègue avoir fait une déclaration d'accident de service ou avoir demandé la reconnaissance de l'imputabilité au service de ses arrêts de travail. Par suite, elle ne saurait reprocher à l'administration de ne pas avoir reconnu une telle imputabilité. Dans ces conditions, elle ne saurait davantage se prévaloir de son droit à obtenir, même sans faute de la part de l'administration, une indemnité en réparation de préjudices extrapatrimoniaux qui seraient consécutifs à un accident de service ou à une maladie professionnelle.
11. Il résulte de ce qui précède que Mme A... n'est pas fondée à soutenir que la responsabilité de l'administration est engagée ni en raison d'agissements constitutifs de harcèlement moral dont elle aurait été victime, ni en raison de l'imputabilité au service de son état de santé.
En ce qui concerne la responsabilité de l'administration pour n'avoir pas pris des mesures de prévention :
12. Aux termes de l'article 23 de la loi du 13 juillet 1983 portant droits et obligations des fonctionnaires : " Des conditions d'hygiène et de sécurité de nature à préserver leur santé et leur intégrité physique sont assurées aux fonctionnaires durant leur travail ". Et selon, l'article 2-1 du décret du 28 mai 1982 relatif à l'hygiène et à la sécurité du travail ainsi qu'à la prévention médicale dans la fonction publique : " Les chefs de service sont chargés, dans la limite de leurs attributions et dans le cadre des délégations qui leur sont consenties, de veiller à la protection de la santé des agents placés sous leur autorité ".
13. Si, en vertu des dispositions précitées, il appartient aux autorités administratives de prendre les mesures nécessaires pour assurer la sécurité et protéger la santé physique et morale de leurs agents, il ne résulte pas de l'instruction, ainsi qu'il vient d'être dit au point 9, que Mme A... ait été victime de faits de harcèlement moral. Par ailleurs, elle ne précise pas quel type de mesures l'administration auraient dû prendre afin de faire cesser l'atteinte à sa santé. Dès lors, elle n'est pas fondée à reprocher à l'administration de s'être abstenue de prendre des mesures préventives, alors, au demeurant, que la décision de soustraire deux agents à son autorité a précisément été prise par l'administration dans un souci de prévention à l'égard de ces deux agents.
En ce qui concerne la responsabilité de l'administration au regard de sa démission :
14. Aux termes de l'article 58 du décret du 16 septembre 1985 relatif au régime particulier de certaines positions des fonctionnaires de l'État, à la mise à disposition, à l'intégration et à la cessation définitive de fonctions : " La démission ne peut résulter que d'une demande écrite de l'intéressé marquant sa volonté expresse de quitter son administration ou son service. Elle n'a d'effet qu'autant qu'elle est acceptée par l'autorité investie du pouvoir de nomination et prend effet à la date fixée par cette autorité. / La décision de l'autorité compétente doit intervenir dans le délai de quatre mois à compter de la réception de la demande de démission ".
15. Il résulte de l'instruction que Mme A... a demandé sa démission par un courrier du 30 novembre 2017, sans faire état d'aucun motif particulier, pour une prise d'effet au 24 décembre suivant. Elle avait, par ailleurs, précédemment présenté une demande d'indemnité de départ volontaire le 27 novembre 2017. Il ne résulte pas de l'instruction qu'elle serait revenue sur cette demande. Si elle invoque les effets de sa dépression qui auraient vicié son consentement, elle a formé cette demande à la fin de son congé de maladie sans demander sa prolongation, ni avoir repris le travail, et ne produit aucun élément de nature à établir que cette affection aurait entaché son consentement. Si elle reproche encore à l'administration d'avoir rapidement accédé à sa demande, c'est elle-même qui a choisi la date du 24 décembre 2017. Par suite, Mme A... n'établit pas qu'elle a démissionné en raison de pressions exercées par l'administration, ni que cette dernière a commis une faute en accédant trop rapidement à sa demande.
16. Il résulte de tout ce qui précède que la ministre des armées est fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Toulon a condamné l'Etat à verser à Mme A... la somme de 2 000 euros en réparation de son préjudice moral. Par voie de conséquence, les conclusions de Mme A... présentées par la voie de l'appel incident et le surplus de sa demande doivent être rejetées.
Sur les frais liés au litige :
17. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que soit mise à la charge de l'Etat, qui n'est pas, dans la présente instance, la partie perdante, tout ou partie de la somme que Mme A... demande au titre des frais exposés et non compris dans les dépens.
D É C I D E :
Article 1er : L'article 1er du jugement n° 1802927 du tribunal administratif de Toulon du 15 avril 2021 est annulé.
Article 2 : La demande de Mme A... présentée devant le tribunal administratif de Toulon et ses conclusions présentées par la voie de l'appel incident sont rejetées.
Article 3 : Le présent arrêt sera notifié au ministre des armées et à Mme B... A....
Délibéré après l'audience du 7 avril 2023, où siégeaient :
- Mme Helmlinger, présidente de la Cour,
- Mme Ciréfice, présidente assesseure,
- M. Prieto, premier conseiller.
Rendu public par mise à disposition au greffe, le 21 avril 2023.
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N° 21MA02324
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