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03/04/2023 | FRANCE | N°22MA01769

France | France, Cour administrative d'appel de Marseille, 6ème chambre, 03 avril 2023, 22MA01769


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

Mme A... B... a demandé au tribunal administratif de Nice d'annuler l'arrêté du 28 décembre 2021 par lequel le préfet des Alpes-Maritimes a refusé de lui délivrer un titre de séjour et a assorti cette décision d'une obligation de quitter le territoire français dans un délai de trente jours mentionnant le pays de destination.

Par un jugement n° 2200357 du 19 mai 2022, le tribunal administratif de Nice a rejeté sa demande.

Procédure devant la Cour :

Par une requête, enregistrée le

22 juin 2022, Mme B..., représentée par Me Traversini, demande à la Cour :

1°) d'annuler ce ju...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

Mme A... B... a demandé au tribunal administratif de Nice d'annuler l'arrêté du 28 décembre 2021 par lequel le préfet des Alpes-Maritimes a refusé de lui délivrer un titre de séjour et a assorti cette décision d'une obligation de quitter le territoire français dans un délai de trente jours mentionnant le pays de destination.

Par un jugement n° 2200357 du 19 mai 2022, le tribunal administratif de Nice a rejeté sa demande.

Procédure devant la Cour :

Par une requête, enregistrée le 22 juin 2022, Mme B..., représentée par Me Traversini, demande à la Cour :

1°) d'annuler ce jugement du tribunal administratif de Nice du 19 mai 2022 ;

2°) d'annuler l'arrêté attaqué ;

3°) d'enjoindre au préfet des Alpes-Maritimes de lui délivrer un titre de séjour portant la mention " vie privée et familiale ", à compter de l'arrêt à intervenir, sous une astreinte de 100 euros par jour de retard ;

4°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 2 000 euros en application de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991 à verser à son conseil qui renonce dans ce cas à percevoir la part contributive de l'Etat due au titre de l'aide juridictionnelle.

Elle soutient que :

Sur le refus de séjour :

- le préfet, qui s'est estimé lié par l'avis de l'Office français de l'immigration et de l'intégration (OFII) n'a pas examiné sa situation personnelle et a entaché sa décision d'erreur de droit ;

- le refus de séjour méconnaît l'article L. 425-9 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile et l'arrêté du 5 janvier 2017 du ministre chargé de la santé fixant les orientations générales pour l'exercice par les médecins de l'OFII de leurs missions alors que l'absence de soins est de nature à entrainer des conséquences d'une exceptionnelle gravité et qu'elle ne pourra pas avoir accès aux soins dans son pays d'origine, compte tenu de leur coût ;

- la décision attaquée porte une atteinte disproportionnée à sa vie privée et familiale au regard de l'article L. 423-23 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;

- elle méconnaît en outre l'article L. 435-1 du même code ;

- elle est aussi entachée d'erreur manifeste d'appréciation ;

Sur la mesure d'éloignement :

- elle méconnaît l'article L. 611-3 9° du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;

- elle est illégale, par voie de conséquence de l'illégalité du refus de titre.

Un courrier du 23 août 2022 adressé aux parties, en application des dispositions de l'article R. 612-3 alinéa 3 du code de justice administrative, a mis en demeure le préfet des Alpes-Maritimes de produire ses observations en défense dans le délai d'un mois, a informé les parties de la période à laquelle il est envisagé d'appeler l'affaire à l'audience et a indiqué la date à partir de laquelle l'instruction pourra être close dans les conditions prévues par le dernier alinéa de l'article R. 613-1 et le dernier alinéa de l'article R. 613-2.

Le préfet des Alpes-Maritimes n'a pas produit de mémoire en défense.

Un avis d'audience portant clôture immédiate de l'instruction a été émis le 28 février 2023.

Par ordonnance en date du 3 mars 2023, la réouverture de l'instruction a été fixée.

Le 16 mars 2023, l'OFII a produit des observations.

Mme B... a été admise au bénéfice de l'aide juridictionnelle totale par une décision du 30 septembre 2022.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;

- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 ;

- le code de justice administrative.

Le président de la formation de jugement a dispensé le rapporteur public, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

A été entendu au cours de l'audience publique le rapport de Mme Isabelle Gougot, rapporteure.

Considérant ce qui suit :

1. Par arrêté du 28 décembre 2021, le préfet des Alpes-Maritimes a rejeté la demande de titre de séjour que lui avait présentée le 15 septembre 2021 Mme B..., ressortissante chilienne, sur le fondement de l'article L. 425-9 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, et a assorti cette décision d'une obligation de quitter le territoire français dans un délai de trente jours. Mme B... relève appel du jugement du 19 mai 2022 par lequel le tribunal administratif de Nice a rejeté sa demande tendant à l'annulation de cet arrêté.

Sur le bien-fondé du jugement :

2. Le préfet des Alpes-Maritimes a refusé d'accorder à la requérante un titre de séjour en raison de son état de santé en se fondant sur le fait qu'elle ne " réside pas habituellement en France " et qu'il ressort de l'avis de l'Office français de l'immigration et de l'intégration (OFII) du 30 novembre 2021 que, si son état de santé nécessite une prise en charge médicale dont le défaut peut entrainer des conséquences d'une exceptionnelle gravité, les caractéristiques du système de santé dans son pays d'origine peuvent lui permettre d'accéder à une prise en charge médicale.

3. Toutefois, il ressort des pièces du dossier, et notamment du certificat médical établi par son neurologue le 2 août 2021 que l'intéressée souffre depuis le 29 mars 2021 d'une carotidynie ayant nécessité sa prise en charge aux urgences de l'hôpital Pasteur, qu'un diagnostic de syndrome de TIPIC a d'abord été posé et traité sous anti-inflammatoires non stéroïdiens (AINS) mais qu'elle a présenté une récidive aiguë le 3 juin 2021 l'amenant à consulter de nouveau les urgences, dans un contexte de réactivation de la douleur depuis mi-mai 2021, ce qui a justifié des examens complémentaires avec un nouvel échodoppler des troncs artériels supra-aortiques (TSAO) et une imagerie par résonnance magnétique (IRM) de contrôle à six mois en janvier 2022. Il ressort en outre du certificat établi par un médecin du centre de compétence maladies auto-immunes et systémiques rares de médecine interne de l'hôpital de l'Archet du 23 novembre 2021 qu'outre l'hypothèse d'un syndrome de TIPIC, deux autres hypothèses d'angioedème bradykinique ou algie vasculaire de la face étaient retenues, et qu'un bilan biologique ainsi qu'un scanner thoraco-abdomino-pelvien ont été prescrits. Il ressort de plus du compte rendu du 21 mars 2022 établi également par son neurologue que Mme B... " a continué à manifester des crises douloureuses sur lesquelles elle reconnait un pattern assez constant avec des douleurs carotidiennes à 6-7/10 qui s'associent à d'autres symptômes. Elle a notamment [des] douleurs articulaires, en particulier au niveau des articulations des mains et des épaules, avec œdèmes au niveau des mains et douleurs intercostales... ". Un bilan biologique a en outre révélé une hypothyroïdie et dans le compte rendu précité du 21 mars 2022 son neurologue précise " poursuivre un diagnostic différentiel et en particulier [...] rechercher des arguments en faveur d'une vascularité des gros vaisseaux " et a prescrit une tomographie par émission de positions (TEP) et un scanner à la recherche d'une maladie sous-jacente ou d'autres foyers d'inflammation vasculaire ainsi qu'un contrôle d'échodoppler des TSAO et a également complété les examens biologiques à la recherche d'un syndrome des antiphospholipides (SAPL), syphilis et enzyme de conversion de l'angiotensine (ECA). Face à la stabilité du bilan réalisé le 17 janvier 2022, mais compte tenu de " l'atteinte bilatérale et persistante d'allure inflammatoire de l'origine des deux carotides internes ", le diagnostic initial était remis en question et des examens complémentaires envisagés dans quatre à six mois. Toutefois, il ressort du certificat médical du 14 avril 2022 établi par un médecin du centre de compétence maladies auto-immunes et systémiques rares de médecine interne de l'hôpital de l'Archet que les hypothèses d'angioedème bradykinique ou de maladie auto-immune systémique sous-jacente ou de vascularité des gros vaisseaux étaient éliminées et que l'hypothèse d'un syndrome de TIPIC sans pathologie sous-jacente était finalement retenue. Il ressort aussi de l'attestation établie le 11 juillet 2022 par son neurologue qu'elle est suivie dans le cadre d'un TIPIC syndrome (carotidynie) mais qu' " un bilan extensif est actuellement en cours avec nos confrères médecin interne devant plusieurs récidives algiques " une nouvelle " crise algique évaluée à 6-7/10 " étant apparue depuis le 24 juin " qui se présente toujours avec les mêmes manifestations (des pics de douleurs au niveau latéro-cervical gauche, en correspondance de l'artère carotide, avec une irradiation au niveau de la joue, de la tempe et de l'hémi-crâne. Ces crises douloureuses sont plutôt régulières " et " entre deux crises elle décrit toujours une sensation douloureuse au niveau latéro-cervival d'intensité inférieure évaluée à 3/10. Ce jour elle arrive très algique, en pleurs. ". Il y est aussi relevé qu'à " l'électrocardiogramme " on " retrouve un bloc de branche gauche complet qui était inconnu ". Un bilan de cardiologie en urgence a donc été préconisé. Enfin, il ressort de l'attestation établie le 21 mars 2022 par son neurologue qu'" il lui serait délétère d'interrompre le soin et les bilans en cours étant donné le potentiel impact sur la prise en charge médicale et sur les thérapeutiques indiquées ". Ces documents, bien que postérieurs à la décision attaquée, sont de nature à révéler un état de fait antérieur. Dans ces conditions particulières, alors que l'évolution de l'état de santé de Mme B... s'inscrit dans un processus de recherche médicale non actuellement abouti, que ses douleurs, évaluées à une intensité de six à sept sur dix sont régulières, et qu'au surplus elle justifie que sa fille de dix ans est scolarisée en France depuis janvier 2020, la requérante est fondée à soutenir qu'en refusant de l'admettre au séjour, le préfet des Alpes-Maritimes a entaché sa décision d'erreur manifeste d'appréciation.

4. Il résulte de ce qui précède que, sans qu'il soit besoin de se prononcer sur les autres moyens de la requête, Mme B... est fondée à soutenir que c'est à tort que le tribunal administratif de Nice a rejeté sa demande tendant à l'annulation de l'arrêté de refus de séjour attaqué ainsi que, par voie de conséquence, de la mesure d'éloignement.

Sur les conclusions à fin d'injonction et d'astreinte :

5. Aux termes de l'article L. 911-2 du code de justice administrative : " Lorsque sa décision implique nécessairement qu'une personne morale de droit public ou un organisme de droit privé chargé de la gestion d'un service public prenne à nouveau une décision après une nouvelle instruction, la juridiction, saisie de conclusions en ce sens, prescrit, par la même décision juridictionnelle, que cette nouvelle décision doit intervenir dans un délai déterminé. ". Et selon l'article L. 911-3 du même code : " Saisie de conclusions en ce sens, la juridiction peut assortir, dans la même décision, l'injonction prescrite en application des articles L. 911-1 et L. 911-2 d'une astreinte qu'elle prononce dans les conditions prévues au présent livre et dont elle fixe la date d'effet. ".

6. Eu égard aux motifs du présent arrêt, son exécution entraîne nécessairement la délivrance à l'intéressée d'une carte de séjour temporaire portant la mention " vie privée et familiale ". Par suite, il y a lieu d'enjoindre au préfet des Alpes-Maritimes de délivrer à Mme B... ce titre de séjour dans un délai de deux mois à compter de la notification du présent arrêt. Il n'y a pas lieu, dans les circonstances de l'espèce, d'assortir cette injonction d'une astreinte.

Sur les frais de l'instance :

7. Mme B... a obtenu le bénéfice de l'aide juridictionnelle. Par suite, son avocat peut se prévaloir des dispositions de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, et sous réserve que Me Traversini, avocat de Mme B..., renonce à percevoir la somme correspondant à la part contributive de l'État, de mettre à la charge de l'Etat le versement à Me Traversini de la somme de 1 500 euros.

D É C I D E :

Article 1er : Le jugement du tribunal administratif de Nice n° 2200357 du 19 mai 2022 et l'arrêté du préfet des Alpes-Maritimes du 28 décembre 2021 sont annulés.

Article 2 : Il est enjoint au préfet des Alpes-Maritimes de délivrer à Mme B... une carte de séjour temporaire portant la mention " vie privée et familiale ", dans un délai de deux mois à compter de la notification du présent arrêt et suivant les modalités précisées dans les motifs indiqués ci-dessus.

Article 3 : L'Etat versera la somme de 1 500 euros à Me Traversini en application de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991 relative à l'aide juridique, sous réserve que Me Traversini renonce à percevoir la somme correspondant à la part contributive de l'Etat au titre de l'aide juridictionnelle.

Article 4 : Le présent arrêt sera notifié à Mme A... B..., à Me Traversini et au ministre de l'intérieur et des outre-mer.

Copie en sera adressée au préfet des Alpes-Maritimes et au Procureur de la République près le tribunal judiciaire de Nice.

Délibéré après l'audience du 20 mars 2023, où siégeaient :

- M. Alexandre Badie, président de chambre,

- M. Renaud Thielé, président assesseur,

- Mme Isabelle Gougot, première conseillère.

Rendu public par mise à disposition au greffe, le 3 avril 2023.

2

N° 22MA01769


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Marseille
Formation : 6ème chambre
Numéro d'arrêt : 22MA01769
Date de la décision : 03/04/2023
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Excès de pouvoir

Analyses

Étrangers - Séjour des étrangers.

Étrangers - Obligation de quitter le territoire français (OQTF) et reconduite à la frontière.


Composition du Tribunal
Président : M. BADIE
Rapporteur ?: Mme Isabelle GOUGOT
Rapporteur public ?: M. POINT
Avocat(s) : TRAVERSINI

Origine de la décision
Date de l'import : 14/04/2023
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.marseille;arret;2023-04-03;22ma01769 ?
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