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27/02/2023 | FRANCE | N°21MA02366

France | France, Cour administrative d'appel de Marseille, 6ème chambre, 27 février 2023, 21MA02366


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

Par neuf requêtes distinctes, les communes d'Ilonse, de Marie, de Massoins, de Rimplas, de Roure, de Saint-Sauveur-sur-Tinée, de Tournefort, de Valdeblore et de Clans, ont demandé au tribunal administratif de Nice de décider la reprise des relations contractuelles entre elles et la société anonyme Electricité de France, et de condamner cette société à leur payer, respectivement, les sommes de 9 135 euros, 19 238 euros, 8 725 euros, 6 817 euros, 15 230 euros, 37 276 euros, 26 644 euros, 5 407 euros et 93 2

90 euros au titre du préjudice subi du fait de la résiliation de la conv...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

Par neuf requêtes distinctes, les communes d'Ilonse, de Marie, de Massoins, de Rimplas, de Roure, de Saint-Sauveur-sur-Tinée, de Tournefort, de Valdeblore et de Clans, ont demandé au tribunal administratif de Nice de décider la reprise des relations contractuelles entre elles et la société anonyme Electricité de France, et de condamner cette société à leur payer, respectivement, les sommes de 9 135 euros, 19 238 euros, 8 725 euros, 6 817 euros, 15 230 euros, 37 276 euros, 26 644 euros, 5 407 euros et 93 290 euros au titre du préjudice subi du fait de la résiliation de la convention du 6 janvier 2012.

Par neuf jugements nos 1804657, 1804664, 1804660, 1804662, 1804658, 1804656, 1804665, 1804659 et 1804663 en date du 20 avril 2021, le tribunal administratif de Nice a fait droit à ces demandes.

Procédure devant la Cour :

Par neuf requêtes, enregistrées le 18 juin 2021 sous les n°s 21MA02366, 21MA02367, 21MA02368, 21MA02369, 21MA02370, 21MA02371, 21MA02372, 21MA02373 et 21MA02374, la société Electricité de France, représentée par Me Engelhard, demande à la Cour :

1°) d'annuler ces jugements ;

2°) de rejeter les demandes de première instance ;

3°) de mettre à la charge de chacune des requérantes de première instance la somme de 5 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

La société soutient que :

- la Cour constatera la caducité des conventions conclues avec les différentes communes intimées du fait de leur incompatibilité avec le décret du 27 avril 2016 qui impose une obligation de mettre en place une procédure de mise en concurrence pour le renouvellement de la concession hydroélectrique ;

- en effet, ces conventions sont susceptibles de rompre l'égalité de traitement entre candidats pour l'attribution de la nouvelle concession hydroélectrique, les communes ayant un intérêt financier à ce qu'elle soit attribuée à EDF ;

- l'acquisition de la maîtrise foncière des parcelles trouve déjà sa contrepartie dans le prix stipulé dans les actes authentiques conclus ultérieurement en échange des cessions de terrain et constitution de servitude ;

- la redevance, qui n'est pas assise sur la surface occupée mais sur les recettes de la concession, est devenue sans objet depuis la création, par l'article 27 de la loi n° 2018-1317 du 28 décembre 2018 de finances pour 2019, d'un nouvel article L. 523-3 complétant le code de l'énergie et prévoyant une redevance ayant pour objet de faire bénéficier les communes concernées des retombées économiques d'une concession ;

- la Cour devra en conséquence infirmer le jugement en tant qu'il la condamne à payer les redevances additionnelles dues aux communes en application des conventions.

Par huit mémoires en défense, enregistrés le 3 novembre 2022, les communes d'Ilonse, de Massoins, de Rimplas, de Roure, de Saint-Sauveur-sur-Tinée, de Tournefort, de Valdeblore et de Clans, représentées par Me Suares, concluent au rejet des requêtes d'appel et à la condamnation de la société Electricité de France à leur payer, à chacune, la somme de 5 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Les communes intimées soutiennent que les moyens présentés par la société Electricité de France sont infondés.

Par une lettre en date du 3 octobre 2022, la Cour a informé les parties qu'il était envisagé d'inscrire l'affaire à une audience qui pourrait avoir lieu entre le 1er janvier 2023 et le 30 juin 2023, et que l'instruction était susceptible d'être close par l'émission d'une ordonnance à compter du 7 novembre 2022.

Par ordonnance en date du 28 novembre 2022, la clôture de l'instruction a été prononcée avec effet immédiat.

Par une lettre en date du 23 janvier 2023, la Cour a informé les parties que l'arrêt à intervenir était susceptible d'être fondé sur un moyen d'ordre public tiré de l'incompétence des juridictions de l'ordre administratif pour statuer sur les demandes de première instance présentées par les communes intimées, dès lors :

- en premier lieu, que la convention conclue entre la société Electricité de France et la commune d'Ilonse, qui ne stipule aucune contrepartie à la charge de cette dernière, ne comporte aucune clause qui impliquerait, dans l'intérêt général, qu'elle relève du régime exorbitant des contrats administratifs, et n'a pas pour objet l'exécution d'un service public ;

- en second lieu, que les huit autres conventions en litige, qui s'analysent comme des promesses de cession de droits réels portant sur des dépendances du domaine privé des communes, ne comprennent aucune clause impliquant dans l'intérêt général, qu'elles relèvent du régime exorbitant des contrats administratifs, et n'ont pas pour objet l'exécution d'un service public.

Dans les affaires nos 21MA02366, 21MA02368, 21MA02369, 21MA02370, 21MA02371, 21MA02372, 21MA02373 et 21MA02374, les communes d'Ilonse, de Massoins, de Rimplas, de Roure, de Saint-Sauveur-sur-Tinée, de Tournefort, de Valdeblore et de Clans, ont, par mémoires enregistrés le 7 février 2023, communiqué leurs observations sur ces moyens d'ordre public.

Dans ces mêmes affaires, la société Electricité de France a, par mémoires enregistrés le 9 février 2023, répondu à ces différents mémoires et présenté ses observations sur les moyens d'ordre public soulevés.

Vu les autres pièces des dossiers.

Vu :

- le code général de la propriété des personnes publiques ;

- le code de l'énergie ;

- la loi du 16 octobre 1919 relative à l'utilisation de l'énergie hydroélectrique ;

- le décret n° 94-894 du 13 octobre 1994 modifié relatif à la concession et à la déclaration d'utilité publique des ouvrages utilisant l'énergie hydraulique ;

- le décret n° 99-872 du 11 octobre 1999 approuvant le cahier des charges type des entreprises hydrauliques concédées ;

- le décret n° 2016-530 du 27 avril 2016 relatif aux concessions d'énergie hydraulique et approuvant le modèle de cahier des charges applicable à ces concessions ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de M. Renaud Thielé, rapporteur,

- les conclusions de M. François Point, rapporteur public,

- et les observations de Me Deidda, pour la société Electricité de France, et de Me Geay, pour l'ensemble des communes sauf la commune de Marie, non représentée.

Considérant ce qui suit :

1. Par un décret en date du 30 juin 1927, l'Etat a concédé à la société Electricité de France l'aménagement et l'exploitation des chutes du Bancairon, de la Courbaisse et de Saint-Etienne-Lacs, sur la Tinée, pour une durée de soixante-quinze ans courant à compter du 31 décembre 1928. Arrivée à son terme le 31 décembre 2003, cette concession a été prorogée par application de l'article 13 de la loi du 16 octobre 1919. Par neuf conventions conclues respectivement le 29 septembre 2011, le 3 octobre 2013, le 14 septembre 2013, le 14 novembre 2011, le 6 septembre 2011, le 27 janvier 2012, le 27 septembre 2011, le 6 janvier 2012 et le 6 janvier 2012, la société a, dans la perspective du renouvellement de la concession, consenti à payer aux communes d'Ilonse, de Marie, de Massoins, de Rimplas, de Roure, de Saint-Sauveur-sur-Tinée, de Tournefort, de Valdeblore et de Clans, une " redevance additionnelle ". Par lettres en date du 28 août 2018, la société EDF a informé les communes cocontractantes de son intention de ne plus appliquer ces conventions, " avec effet au 31 octobre 2018 ", au motif que le renouvellement de la concession dont elle bénéficiait relevait désormais non plus d'une procédure de gré à gré, comme le permettait l'article 36 du décret du 26 septembre 2008, mais d'une procédure de mise en concurrence en application de l'article 6 du décret du 27 avril 2016, et que, " dans ce contexte juridique nouveau, il appara[issai]t que la poursuite de l'exécution de [la] convention de partenariat n'[était] plus compatible avec les exigences de la mise en concurrence, et que la sécurité juridique commande dès lors de la considérer comme caduque ". Les différentes communes cocontractantes ont alors saisi le tribunal administratif de Nice d'une action tendant à la reprise des relations contractuelles et à la condamnation de la société Electricité de France à leur payer une somme représentative de la redevance additionnelle due au titre d'une année en contrepartie de la mise à disposition de ces parcelles. Par les jugements attaqués, dont la société Electricité de France relève appel, le tribunal administratif de Nice a fait droit à ces demandes.

Sur la jonction :

2. Les affaires visées ci-dessus présentent à juger les mêmes questions de droit et ont fait l'objet d'une instruction commune. Il y a donc lieu de les joindre pour y statuer par un seul arrêt.

Sur la régularité des jugements attaqués :

En ce qui concerne la nature juridique de la convention conclue le 29 septembre 2011 par la commune d'Ilonse et la société Electricité de France :

3. Par cette convention, la société Electricité de France s'est engagée, sans qu'aucune contrepartie soit stipulée, à verser à la commune d'Ilonse une " redevance additionnelle " variable en fonction de la quantité nette d'énergie produite et du tarif de base de l'électricité. Cette convention ne comporte aucune clause qui impliquerait, dans l'intérêt général, qu'elle relève du régime exorbitant des contrats administratifs. Elle n'a pas non plus pour objet l'exécution d'un service public. Cette convention est donc un contrat de droit privé auquel il n'appartient pas à la juridiction administrative de connaître.

En ce qui concerne la nature juridique des conventions conclues le 3 octobre 2013, le 14 septembre 2013, le 14 novembre 2011, le 6 septembre 2011, le 27 janvier 2012, le 27 septembre 2011, le 6 janvier 2012 et le 6 janvier 2012 entre la société Electricité de France et, respectivement, les communes de Marie, de Massoins, de Rimplas, de Roure, de Saint-Sauveur-sur-Tinée, de Tournefort, de Valdeblore et de Clans :

4. Par ces huit conventions, les communes intimées se sont engagées à accorder à la société Electricité de France la maîtrise foncière des terrains et des ouvrages de tréfonds nécessaires à l'exploitation de la concession, en contrepartie du versement d'une " redevance additionnelle " annuelle courant pendant toute la durée de la concession. Ces conventions s'analysent donc comme des promesses de vente et d'octroi de servitudes portant sur les biens qui y sont visés. Il résulte d'ailleurs de l'instruction que la vente des terrains et la constitution de servitudes ont été ultérieurement convenues par actes authentiques passés devant notaire entre la société Electricité de France et les communes de Marie, de Rimplas, de Roure, de Saint-Sauveur-de-Tinée, de Valdeblore et de Clans.

5. Contrairement à ce qu'a jugé le tribunal administratif, les terrains ou tréfonds ayant fait l'objet de cession à la société EDF en application des conventions en question, ne pouvaient, à la date de la résiliation, être regardés comme des dépendances du domaine public hydroélectrique en application de l'article L. 513-1 du code de l'énergie, dès lors qu'en vertu de l'article L. 2111-1 du code général de la propriété des personnes publiques, seules les personnes publiques sont susceptibles de posséder un tel domaine. En outre, à supposer même, ce qui n'est pas établi, que les terrains en cause aient antérieurement fait partie du domaine public communal, l'acquisition de la maîtrise foncière par Electricité de France n'a pu légalement intervenir sans leur déclassement préalable.

6. Par ailleurs, le contrat par lequel une personne publique cède, ou s'engage à céder, des biens immobiliers faisant partie de son domaine privé ou des droits réels accessoires à ce domaine est, en principe, un contrat de droit privé, y compris lorsque l'acquéreur est une autre personne publique, sauf si le contrat a pour objet l'exécution d'un service public ou s'il comporte des clauses qui impliquent, dans l'intérêt général, qu'il relève du régime exorbitant des contrats administratifs.

7. Il ne résulte pas des stipulations de ces conventions que celles-ci auraient pour objet l'exécution d'un service public. Ces conventions ne comportent pas non plus de clause qui impliquerait, dans l'intérêt général, qu'elles relèvent du régime exorbitant des contrats administratifs. Ces promesses de cession de droits réels portant sur des dépendances du domaine privé communal, tout comme les actes de cession de droits réels eux-mêmes, constituent donc des contrats de droit privé.

8. Ces huit conventions sont donc des contrats de droit privé auxquels il n'appartient pas aux juridictions de l'ordre administratif de connaître.

9. Il résulte de tout ce qui précède que les jugements attaqués, qui statuent au fond sur les demandes des communes, sont entachés d'irrégularité. Il y a donc lieu pour la Cour d'annuler les jugements attaqués et, statuant par la voie de l'évocation, de rejeter les demandes de première instance comme présentées devant un ordre de juridiction incompétent pour en connaître.

Sur les frais liés au litige :

10. L'article L. 761-1 du code de justice administrative fait obstacle à ce qu'une somme quelconque soit laissée à la charge de la société Electricité de France, qui n'est pas la partie perdante dans la présente instance. Dans les circonstances de l'espèce, il n'y a pas lieu de mettre une somme à la charge des communes intimées à ce titre.

D É C I D E :

Article 1er : Les jugements nos 1804657, 1804664, 1804660, 1804662, 1804658, 1804656, 1804665, 1804659 et 1804663 en date du 20 avril 2021 du tribunal administratif de Nice sont annulés.

Article 2 : Les demandes présentées en première instance par les communes d'Ilonse, de Marie, de Massoins, de Rimplas, de Roure, de Saint-Sauveur-sur-Tinée, de Tournefort, de Valdeblore et de Clans sont rejetées comme portées devant un ordre de juridiction incompétent pour en connaître.

Article 3 : Le surplus des conclusions des parties est rejeté.

Article 4 : Le présent arrêt sera notifié à la société Electricité de France et aux communes d'Ilonse, de Marie, de Massoins, de Rimplas, de Roure, de Saint-Sauveur-sur-Tinée, de Tournefort, de Valdeblore et de Clans.

Délibéré après l'audience du 13 février 2023, où siégeaient :

- M. Alexandre Badie, président,

- M. Renaud Thielé, président assesseur,

- Mme Isabelle Ruiz, première conseillère.

Rendu public par mise à disposition au greffe, le 27 février 2023.

Nos 21MA02366 - 21MA02367 - 21MA02368 - 21MA02369 - 21MA02370 - 21MA02371 - 21MA02372 - 21MA02373 - 21MA02374 2


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Marseille
Formation : 6ème chambre
Numéro d'arrêt : 21MA02366
Date de la décision : 27/02/2023
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Plein contentieux

Analyses

Compétence - Répartition des compétences entre les deux ordres de juridiction - Compétence déterminée par un critère jurisprudentiel - Domaine - Domaine privé - Aliénation du domaine privé.

Marchés et contrats administratifs - Fin des contrats - Résiliation.


Composition du Tribunal
Président : M. BADIE
Rapporteur ?: M. Renaud THIELÉ
Rapporteur public ?: M. POINT
Avocat(s) : SELARL PLENOT-SUARES-ORLANDINI

Origine de la décision
Date de l'import : 27/03/2023
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.marseille;arret;2023-02-27;21ma02366 ?
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