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17/02/2023 | FRANCE | N°21MA04892

France | France, Cour administrative d'appel de Marseille, 7ème chambre, 17 février 2023, 21MA04892


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

La société civile immobilière Terremer, agissant sous l'enseigne " La Joie de Vivre ", a demandé au tribunal administratif de Marseille d'ordonner un sursis à statuer dans l'attente du jugement à intervenir du tribunal dans l'affaire n° 2009318, d'enjoindre à la communauté de communes du Briançonnais (CCB) de procéder au dévoiement de la canalisation d'assainissement située dans le tréfonds des parcelles cadastrées section C 1345 et C 912 sises sur le territoire de la commune de Névache, dans un dé

lai de trois mois à compter de la notification du jugement à intervenir, sous a...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

La société civile immobilière Terremer, agissant sous l'enseigne " La Joie de Vivre ", a demandé au tribunal administratif de Marseille d'ordonner un sursis à statuer dans l'attente du jugement à intervenir du tribunal dans l'affaire n° 2009318, d'enjoindre à la communauté de communes du Briançonnais (CCB) de procéder au dévoiement de la canalisation d'assainissement située dans le tréfonds des parcelles cadastrées section C 1345 et C 912 sises sur le territoire de la commune de Névache, dans un délai de trois mois à compter de la notification du jugement à intervenir, sous astreinte de 100 euros par jour de retard, et de condamner la communauté de communes du Briançonnais à lui payer la somme de 5 000 euros en réparation du préjudice causé par l'implantation sans droit ni titre de cette canalisation.

Par un jugement n° 1910822 du 28 octobre 2021, le tribunal administratif de Marseille a condamné la CCB à verser à la SCI Terremer la somme de 1 000 euros et a rejeté le surplus de ses conclusions indemnitaires.

Procédure devant la Cour :

Par une requête enregistrée le 23 décembre 2021 sous le n° 21MA04892, la société civile immobilière Terremer, représentée par Me Dessinges, demande à la Cour :

1°) de réformer ce jugement du 28 octobre 2021 du tribunal administratif de Marseille, en tant qu'il n'a pas fait droit à toutes ces demandes ;

2°) d'enjoindre à la communauté de communes du Briançonnais de procéder au déplacement de la canalisation d'assainissement située dans le tréfonds des parcelles cadastrées section C 1345 et C 912 à Névache, dans un délai de trois mois à compter de la notification de l'arrêt à intervenir, sous astreinte de 100 euros par jour de retard ;

3°) de condamner la communauté de communes du Briançonnais à lui payer la somme de 5 000 euros en réparation du préjudice causé par l'implantation sans droit ni titre de cette canalisation ;

4°) de mettre à la charge de la communauté de communes du Briançonnais la somme de 2 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que :

- la canalisation publique d'assainissement est implantée sans droit ni titre dans le tréfonds de sa propriété ;

- elle est fondée à demander le dévoiement de la canalisation au regard de l'atteinte portée à son droit de propriété ; l'intérêt général n'est pas de nature à faire obstacle au déplacement de la canalisation en cause ;

- elle est fondée à obtenir l'indemnisation de ses préjudices à hauteur de 5 000 euros.

Par un mémoire en défense, enregistré le 16 janvier 2023, la communauté de communes du Briançonnais, représentée par Me Pinatel, conclut au rejet de la requête de la SCI Terremer et demande à la Cour de mettre à sa charge la somme de 5 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle fait valoir que les moyens soulevés par la SCI Terremer ne sont pas fondés.

Des mémoires, enregistrés le 27 janvier 2023 et le 30 janvier 2023, présentés pour la société civile immobilière Terremer, représentée par Me Dessinges, n'ont pas été communiqués, en application de l'article R. 611-1 du code de justice administrative.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- le code général de la propriété des personnes publiques ;

- le code rural et de la pêche maritime ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de M. A...,

- les conclusions de M. Guillaumont, rapporteur public,

- et les observations de Me Dessinges représentant la SCI Terremer et de Me Drouet représentant la communauté de communes du Briançonnais.

Considérant ce qui suit :

1. La société civile immobilière (SCI) Terremer a acquis, en 2011 et 2012, des parcelles cadastrées section C 1345 et C 912, situées sur le territoire de la commune de Névache, sous lesquelles passe une canalisation publique d'assainissement détenue par la communauté de communes du Briançonnais (CCB), qui a été reconnue d'utilité publique par un arrêté préfectoral du 11 février 1986. En 2015, la CCB a accepté de déplacer la canalisation en dehors desdites parcelles, sous réserve de la signature d'une convention de servitude régularisant l'emprise de cet ouvrage dans le tréfonds de la parcelle C 1345. La SCI Terremer a toutefois refusé cet accord amiable et a, d'office, fait procéder aux travaux de dévoiement de la canalisation traversant la parcelle C 1345. En août 2017, la SCI Terremer a formulé une demande de dévoiement au droit de la parcelle C 912 qui n'a pas abouti, en l'absence de signature de la convention de servitude proposée par la CCB pour la parcelle C 1345. Par un courrier du 17 mai 2019, la SCI Terremer a demandé à la CCB de procéder au dévoiement de la canalisation implantée dans le tréfonds des parcelles C 1345 et C 912 et de l'indemniser des conséquences dommageables résultant de l'emprise irrégulière de cet ouvrage. La SCI Terremer relève appel du jugement du tribunal administratif de Marseille, en tant qu'il a rejeté sa demande tendant à enjoindre à la CCB de déplacer la canalisation d'assainissement sous astreinte et de lui allouer une somme de 5 000 euros en réparation du préjudice résultant de l'occupation sans droit ni titre de sa propriété.

Sur le bien-fondé du jugement attaqué :

2. Lorsqu'il est saisi d'une demande tendant à ce que soit ordonnée la démolition d'un ouvrage public dont il est allégué qu'il est irrégulièrement implanté par un requérant qui estime subir un préjudice du fait de l'implantation de cet ouvrage et qui en a demandé sans succès la démolition à l'administration, il appartient au juge administratif, juge de plein contentieux, de déterminer, en fonction de la situation de droit et de fait existant à la date à laquelle il statue, si l'ouvrage est irrégulièrement implanté, puis, si tel est le cas, de rechercher, d'abord, si eu égard notamment à la nature de l'irrégularité, une régularisation appropriée est possible, puis, dans la négative, de prendre en considération, d'une part les inconvénients que la présence de l'ouvrage entraîne pour les divers intérêts publics ou privés en présence, notamment, le cas échéant, pour le propriétaire du terrain d'assiette de l'ouvrage, d'autre part, les conséquences de la démolition pour l'intérêt général, et d'apprécier, en rapprochant ces éléments, si la démolition n'entraîne pas une atteinte excessive à l'intérêt général.

3. L'implantation d'une canalisation publique dans le sous-sol d'une parcelle appartenant à une personne privée, opération dépossédant les propriétaires de cette parcelle d'un élément de leur droit de propriété, ne peut être régulièrement mise à exécution qu'après soit l'accomplissement d'une procédure d'expropriation pour cause d'utilité publique, soit l'institution de servitudes dans les conditions prévues par les dispositions des articles L. 152-1 et R. 152-1 et suivants du code rural et de la pêche maritime, soit, enfin, l'intervention d'un accord amiable conclu avec les propriétaires intéressés.

4. Il résulte de l'instruction que la canalisation implantée sous la propriété de la SCI Terremer n'a pas fait l'objet d'une procédure d'expropriation pour cause d'utilité publique, ni d'une servitude régulièrement instituée, ni même d'un accord amiable. Il est au contraire constant que la société requérante a refusé de signer la convention de servitude amiable que lui a proposée la CCB au cours de l'année 2015. En outre, si la CCB fait valoir que la présence de la canalisation dans le tréfonds des parcelles appartenant à la SCI Terremer était nécessairement connue de celle-ci, au motif que l'acte de vente de la parcelle C 1345, daté du 16 août 2011, indique " qu'une servitude de canalisations d'eau, électricité, assainissement, téléphone grève le terrain vendu ", ce même acte relève toutefois que " ladite servitude n'[a] pas été actée ". Enfin, l'acte de vente de la parcelle C 912 du 17 octobre 2012 ne fait état d'aucune servitude, notamment dans le tréfonds de celle-ci. Dans ces conditions, la SCI Terremer est fondée à soutenir que l'implantation de la canalisation en litige, qui la dépossède d'un élément de son droit de propriété, présente le caractère d'une emprise irrégulière.

5. Il résulte de l'instruction qu'une régularisation de l'implantation de la canalisation en litige n'apparaît pas envisageable à la date du présent arrêt dès lors, d'une part, que les perspectives d'un accord amiable entre les parties sont inexistantes et, d'autre part, que la CCB ne démontre pas qu'elle aurait engagé une procédure d'expropriation pour cause d'utilité publique ou d'institution d'une servitude.

6. Par ailleurs, il résulte de l'instruction que la canalisation implantée sous la propriété de la SCI Terremer, sur un linéaire de 117 mètres, constitue un élément important du réseau d'assainissement du hameau de Salé et assure la collecte des eaux usées des habitations riveraines. Si la SCI Terremer soutient que la présence de la canalisation d'assainissement dans le tréfonds de la parcelle C 1345 porte atteinte aux conditions de jouissance de son bien, il est toutefois constant qu'elle a, dès l'année 2015, fait procéder d'office au déplacement de ladite canalisation, toujours dans le tréfonds de cette parcelle, sans l'accord de la CCB. En outre, la SCI appelante n'établit ni même n'allègue que la présence de cette canalisation ferait obstacle à de futurs projets de construction sur la parcelle C 1345. De plus, la révision du plan local d'urbanisme communal approuvée le 20 juillet 2020 classe désormais la parcelle C 912 en zone Ap dite " zone agricole à protéger compte-tenu de ses caractéristiques agronomiques et paysagères ", interdisant toute construction nouvelle sur cette parcelle, sur laquelle la SCI Terremer a installé un manège à chevaux. Enfin, la société appelante n'établit ni le risque de pollution des sols agricoles qui serait lié la présence de cette canalisation ni l'impossibilité de clôturer ses parcelles et de faire paître ses lamas.

7. Il résulte de ce qui précède que les inconvénients subis par la SCI Terremer en termes d'atteinte à son droit de propriété n'apparaissent pas excessifs eu égard à l'intérêt général qui s'attache au maintien de l'ouvrage, dont le déplacement engendrerait nécessairement des troubles temporaires dans le service public d'assainissement et s'avèrerait, par ailleurs, onéreux pour la collectivité publique. Il s'ensuit que les conclusions tendant au déplacement de la canalisation en litige doivent être rejetées. Il en va de même, par voie de conséquence, des conclusions à fin d'astreinte de la requête.

Sur les conclusions indemnitaires :

8. En l'absence d'extinction du droit de propriété, la réparation des conséquences dommageables résultant de la décision d'édifier un ouvrage public sur une parcelle appartenant à une personne privée ne saurait donner lieu à une indemnité correspondant à la valeur vénale de la parcelle, mais uniquement à une indemnité moindre d'immobilisation réparant le préjudice résultant de l'occupation irrégulière de cette parcelle.

9. L'implantation de l'ouvrage public constitué par la présence d'une canalisation d'assainissement dans le tréfonds des parcelles C 1345 et C 912 porte atteinte au droit de propriété plein et entier de la SCI Terremer, sans toutefois provoquer son extinction. La SCI requérante n'ayant pas été privée de ses parcelles, dont elle a conservé l'entière jouissance, sa demande tendant à être indemnisée du préjudice résultant de la perte de la valeur vénale de son bien doit, en tout état de cause, être rejetée. En revanche, les emprises irrégulières susmentionnées ont partiellement privé la société appelante de la jouissance de son bien. Compte-tenu de ce qu'elle a fait procéder d'office au déplacement de la canalisation présente sous la parcelle C 1345 dès 2015 et a refusé l'accord amiable proposé par la CCB concernant la parcelle C 912, c'est à bon droit que les premiers juges ont fixé l'indemnité due à la société requérante au titre de son préjudice de jouissance, incluant le préjudice moral, à 1 000 euros.

10. Il résulte de tout ce qui précède que la SCI Terremer n'est pas fondée à soutenir que c'est à tort que le tribunal administratif de Marseille, en condamnant seulement la communauté de communes du Briançonnais à lui verser une somme de 1 000 euros, a rejeté le surplus des conclusions de sa requête.

Sur les frais liés au litige :

11. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que soit mis à la charge de la communauté de communes du Briançonnais, qui n'est pas, dans la présente instance, la partie perdante, le versement de la somme que la SCI Terremer demande au titre des frais liés à l'instance. Dans les circonstances de l'espèce, il y a lieu de mettre à la charge de la SCI Terremer une somme de 2 000 euros au titre des frais exposés par la communauté de communes du Briançonnais et non compris dans les dépens.

D É C I D E :

Article 1er : La requête de la SCI Terremer est rejetée.

Article 2 : La SCI Terremer versera à la communauté de communes du Briançonnais une somme de 2 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Article 3 : Le présent arrêt sera notifié à la SCI Terremer et à la communauté de communes du Briançonnais.

Délibéré après l'audience du 3 février 2023, où siégeaient :

- Mme Chenal-Peter, présidente de chambre,

- Mme Ciréfice, présidente assesseure,

- M. Prieto, premier conseiller.

Rendu public par mise à disposition au greffe, le 17 février 2023.

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Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Marseille
Formation : 7ème chambre
Numéro d'arrêt : 21MA04892
Date de la décision : 17/02/2023
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Excès de pouvoir

Analyses

Droits civils et individuels - Droit de propriété - Servitudes - Droit à indemnisation - Servitudes pour l'établissement de canalisations.

Droits civils et individuels - Droit de propriété - Actes des autorités administratives concernant les biens privés - Voie de fait et emprise irrégulière.

Eaux - Ouvrages - Suppression des ouvrages.


Composition du Tribunal
Président : Mme CHENAL-PETER
Rapporteur ?: M. Gilles PRIETO
Rapporteur public ?: M. GUILLAUMONT
Avocat(s) : SCP TOMASI GARCIA et ASSOCIES

Origine de la décision
Date de l'import : 28/03/2023
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.marseille;arret;2023-02-17;21ma04892 ?
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