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16/12/2022 | FRANCE | N°21MA04700

France | France, Cour administrative d'appel de Marseille, 2ème chambre, 16 décembre 2022, 21MA04700


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. C... A... a demandé au tribunal administratif de Marseille de condamner l'assistance publique - hôpitaux de Marseille (AP-HM) à lui verser la somme de 27 702,50 euros en réparation des préjudices qu'il a subis dans le cadre de sa prise en charge médicale à compter du 19 mars 2019 par les services de l'hôpital de la Conception à Marseille, assortie des intérêts au taux légal à compter de la date de réception de la demande préalable.

La caisse primaire d'assurance maladie de Haute-Corse a dem

andé au tribunal de mettre à la charge de l'AP-HM la somme de 80,26 euros au titre ...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. C... A... a demandé au tribunal administratif de Marseille de condamner l'assistance publique - hôpitaux de Marseille (AP-HM) à lui verser la somme de 27 702,50 euros en réparation des préjudices qu'il a subis dans le cadre de sa prise en charge médicale à compter du 19 mars 2019 par les services de l'hôpital de la Conception à Marseille, assortie des intérêts au taux légal à compter de la date de réception de la demande préalable.

La caisse primaire d'assurance maladie de Haute-Corse a demandé au tribunal de mettre à la charge de l'AP-HM la somme de 80,26 euros au titre de ses débours et la somme de 109 euros au titre de l'indemnité forfaitaire de gestion.

Par un jugement n° 1910451 du 11 octobre 2021, le tribunal administratif de Marseille a, après avoir diligenté une expertise :

- condamné l'AP-HM à payer à M. A... une somme de 919,85 euros ainsi que, sous les conditions fixées au point 12 de son jugement, celle de 2 475 euros, en assortissant ces sommes des intérêts au taux légal à compter du 25 juillet 2019 ;

- condamné l'AP-HM à payer à la caisse primaire d'assurance maladie de Haute-Corse la somme de 80,26 euros au titre des débours, assortie des intérêts au taux légal à compter du jugement, ainsi qu'une somme de 109 euros au titre de l'indemnité forfaitaire de gestion ;

- mis à la charge définitive de l'AP-HM les frais d'expertise liquidés et taxés à la somme de 1 000 euros.

Procédure devant la cour :

Par une requête, enregistrée le 10 décembre 2021, l'AP-HM, représentée par Me Carlini, demande à la cour :

1°) d'annuler ce jugement du 11 octobre 2021 et de rejeter la demande présentée par M. A... devant le tribunal administratif de Marseille ;

2°) à titre subsidiaire, de dire que l'état antérieur de l'intéressé a participé à la réalisation du dommage à hauteur de 50 %.

Elle soutient que :

- le jugement attaqué est irrégulier dès lors que son mémoire enregistré au greffe du tribunal le 21 septembre 2021 n'a pas été communiqué alors qu'il devait être regardé comme un premier mémoire en défense et que, par ailleurs, il contenait des éléments nouveaux ;

- le requérant ne rapporte pas la preuve d'une faute commise par ses services, le rapport d'expertise ne démontrant à cet égard pas l'existence d'une quelconque erreur dans la prise en charge du patient ;

- dans l'hypothèse où un manquement était retenu dans la prise en charge de M. A..., seuls 50 % des préjudices pourraient être considérés comme étant imputables à l'établissement public hospitalier.

Par un mémoire en défense, enregistré le 26 janvier 2022, M. C... A..., représenté par la SELAFA Cabinet Cassel, conclut :

1°) au rejet de la requête ;

2°) à la confirmation du jugement attaqué en toutes ses dispositions ;

3°) en toute hypothèse, à la mise à la charge de l'AP-HM de la somme de 3 000 euros à lui verser en application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative, ainsi que les entiers dépens.

Il fait valoir que :

- le moyen tiré du défaut de communication du premier mémoire de la partie défenderesse est inopérant ;

- c'est à bon droit que le tribunal administratif de Marseille a jugé que la responsabilité de l'AP-HM était entièrement engagée ;

- il n'est pas établi qu'il ait fait l'objet, avant l'intervention en litige, d'une consultation dentaire.

La procédure a été communiquée à la caisse primaire d'assurance maladie de Haute-Corse qui n'a pas produit de mémoire.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- le code de la sécurité sociale ;

- le code de la santé publique ;

- l'arrêté du 14 décembre 2021 relatif aux montants minimal et maximal de l'indemnité forfaitaire de gestion prévue aux articles L. 376-1 et L. 454-1 du code de la sécurité sociale pour l'année 2022 ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de M. D...,

- les conclusions de M. Gautron, rapporteur public,

- et les observations de Me Dochler-Gate, représentant l'AP-HM.

Considérant ce qui suit :

1. M. A... a subi au sein du centre hospitalier de la Conception à Marseille une cordectomie laser droite le 20 mars 2019. A la fin de l'intervention, il a été constaté que trois dents de l'intéressé (n° 11, 12 et 21) avaient été endommagées, ce qui a nécessité leur extraction le 28 mars suivant et la pose d'une prothèse provisoire jusqu'au 5 avril 2019 puis, le 5 août 2019, la confection d'une prothèse amovible. Estimant que son dommage résultait de l'intervention subie, le requérant a saisi le 25 juillet 2019 l'AP-HM, par l'intermédiaire de son assureur, d'une demande indemnitaire préalable. Cette demande ayant été rejetée par décision du 10 octobre 2019, M. A... a demandé au tribunal administratif de Marseille, à titre principal, de condamner l'AP-HM à lui verser la somme de 27 702,50 euros en réparation des préjudices subis et, à titre subsidiaire, à ce qu'une expertise soit ordonnée. Par un jugement avant dire droit du 28 septembre 2020, le tribunal, après avoir constaté que l'état du dossier ne lui permettait de statuer ni sur la responsabilité encourue par l'AP-HM, ni sur la nature et l'étendue des préjudices subis par M. A..., a ordonné une expertise médicale, le rapport du docteur B..., désigné à cette fin, ayant été enregistré au greffe du tribunal le 26 mai 2021. Puis par un jugement du 11 octobre 2021, le tribunal a condamné l'AP-HM à verser, d'une part, à M. A... la somme de 919,85 euros ainsi que, sous les conditions fixées au point 12 de son jugement, celle de 2 475 euros en réparation des préjudices que celui-ci a subis à l'occasion de l'intervention chirurgicale pratiquée le 20 mars 2019, d'autre part, à la caisse primaire d'assurance maladie de Haute-Corse la somme de 80,26 euros au titre des débours exposés pour le compte de M. A... ainsi qu'une somme de 109 euros au titre de l'indemnité forfaitaire de gestion. L'AP-HM relève appel de ce jugement dont M. A... demande, en défense, la confirmation.

Sur la régularité du jugement attaqué :

2. L'article R. 611-1 du code de justice administrative dispose que : " La requête et les mémoires, ainsi que les pièces produites par les parties, sont déposés ou adressés au greffe. / La requête, le mémoire complémentaire annoncé dans la requête et le premier mémoire de chaque défendeur sont communiqués aux parties avec les pièces jointes dans les conditions prévues aux articles R. 611-2 à R. 611-6. / Les répliques, autres mémoires et pièces sont communiqués s'ils contiennent des éléments nouveaux. " Il résulte de ces dispositions, destinées à garantir le caractère contradictoire de l'instruction, que la méconnaissance de l'obligation de communiquer un mémoire ou une pièce contenant des éléments nouveaux est en principe de nature à entacher la procédure d'irrégularité. Il n'en va autrement que dans le cas où il ressort des pièces du dossier que, dans les circonstances de l'espèce, cette méconnaissance n'a pu préjudicier aux droits des parties.

3. Il résulte de l'instruction que le tribunal n'a pas communiqué aux autres parties à l'instance le mémoire produit par l'AP-HM, enregistré le 21 septembre 2021, alors que celui-ci, enregistré avant la clôture de l'instruction, comportait des éléments nouveaux en réponse au rapport d'expertise judiciaire enregistré au greffe du tribunal le 26 mai 2021. Dès lors, le tribunal a méconnu le caractère contradictoire de la procédure et, par suite, statué dans des conditions irrégulières. L'AP-HM est, par conséquent, fondée à demander l'annulation du jugement attaqué.

4. Il y a lieu d'évoquer et de statuer immédiatement sur la demande présentée par M. A... devant le tribunal administratif de Marseille

Sur la responsabilité :

5. Aux termes de l'article L. 1142-1 du code de la santé publique : " I. - Hors le cas où leur responsabilité est encourue en raison d'un défaut d'un produit de santé, les professionnels de santé mentionnés à la quatrième partie du présent code, ainsi que tout établissement, service ou organisme dans lesquels sont réalisés des actes individuels de prévention, de diagnostic ou de soins ne sont responsables des conséquences dommageables d'actes de prévention, de diagnostic ou de soins qu'en cas de faute. (...) ".

6. Il résulte de l'instruction, notamment du rapport d'expertise du docteur B..., que, lors de la cordectomie à laquelle M. A... s'est soumis le 20 mars 2019, ses dents 11, 12 et 21, qui supportaient un bridge, ont subi une luxation, ce qui a nécessité leur extraction et la pose d'une prothèse provisoire. L'expert explique dans son rapport que la réalisation de cette intervention médicale a donné lieu à la mobilisation des piliers de ce bridge certes ancien mais encore stable et utile à M. A.... Il précise également que " l'utilisation d'un protège-dents n'empêche pas la mobilisation selon le geste réalisé ". Si l'AP-HM conteste ces analyses, elle ne verse à l'appui de ses écritures aucun élément pertinent de nature à les remettre en cause. Elle n'allègue ni ne démontre que le geste médical n'aurait pu être pratiqué sans impérativement mobiliser les trois dents en question. Par suite, M. A... est fondé à engager la responsabilité de l'AP-HM. En revanche, si ce dernier expose qu'il n'a pas fait l'objet, avant l'intervention en litige, d'une consultation dentaire, il n'assortit cette assertion d'aucun fondement juridique et d'aucune demande de réparation d'un préjudice à titre.

Sur les préjudices de M. A... :

En ce qui concerne les préjudices extrapatrimoniaux temporaires :

7. Il résulte de l'instruction que la faute commise par les services de l'AP-HM a directement généré, du fait de l'extraction de trois dents et de la pose d'une prothèse provisoire qu'elle a occasionnées, un déficit fonctionnel temporaire de 10 % et des souffrances évaluées par l'expert à 1 sur une échelle allant de 1 à 7, du 20 mars au 5 avril 2019, date de la consolidation de son état. Ces préjudices sont exclusivement la conséquence de la faute commise par l'AP-HM quand bien même le bridge de M. A... était ancien et l'état bucco-dentaire de nature à fragiliser ses dents. Il sera fait une juste appréciation de ces deux chefs de préjudice en les fixant respectivement à la somme de 23 et de 850 euros.

En ce qui concerne les préjudices extrapatrimoniaux permanents :

8. Il résulte de l'instruction que, si le déficit fonctionnel permanent de l'intéressé avait été fixé à 2 % par l'expert désigné par l'assureur de M. A..., ce poste de préjudice n'a pas été retenu par le docteur B.... En outre, compte tenu de l'état dentaire antérieur très fragilisé de M. A..., ce déficit fonctionnel permanent ne peut être retenu en l'absence de lien de causalité direct avec l'intervention subie. Par suite, les conclusions indemnitaires présentées au titre du déficit fonctionnel permanent, ainsi que, par voie de conséquence, du préjudice moral et du trouble dans les conditions d'existence qui y sont liées doivent être rejetées.

En ce qui concerne les préjudices patrimoniaux temporaires :

9. M. A... justifie avoir engagé, en lien avec son préjudice, des frais de pose d'une prothèse provisoire pour un montant de 350 euros. Il résulte de l'instruction que cette dépense découle directement et exclusivement de la faute commise par les services de l'AP-HM et non de son état antérieur. Toutefois, il résulte de l'instruction que cette dépense a été en partie prise en charge par la sécurité sociale, à hauteur de 45,15 euros, et en partie par la mutuelle de l'intéressé à hauteur de 258 euros. Par suite, il sera fait une exacte appréciation de ce chef de préjudice en le fixant à 46,85 euros.

En ce qui concerne les préjudices patrimoniaux permanents :

10. D'une part, si M. A... demande le remboursement de la pose d'une prothèse métallique amovible comportant 9 dents pour un coût de 1 180 euros, il résulte toutefois de l'instruction, notamment de ses relevés de prestation mutuelle et sécurité sociale, que cette dépense n'a donné lieu à aucun reste à sa charge. Par suite, les conclusions indemnitaires présentées à ce titre doivent être rejetées.

11. D'autre part, s'il produit deux devis relatifs à la mise en place d'implants dentaires pour des montants respectifs de 5 945 et 2 324,25 euros, il ne justifie pas de la réalité de ce chef de préjudice, compte tenu de ce qui précède, dès lors à la fois que le remplacement de son bridge a déjà été assuré par la réalisation , le 5 août 2019, d'une " prothèse amovible définitive " et qu'il ne résulte pas de l'instruction que la mise en place d'implants dentaires en lieu et place de cette prothèse serait nécessaire. Au surplus, le lien de causalité entre un tel remplacement et la faute médicale n'est pas direct dès lors que le requérant ne disposait pas de tels implants préalablement à cette dernière.

12. Il résulte de tout ce qui précède que l'AP-HM doit être condamnée à payer à M. A... la somme de 919, 85 euros. Cette somme sera assortie des intérêts au taux légal à compter du 25 juillet 2019, date de réception de la demande préalable.

Sur les débours exposés par la caisse centrale d'assurance maladie de Haute-Corse :

13. Il résulte d'un état des débours qu'elle produit qu'elle a engagé, le 28 mars 2019, des frais médicaux et d'appareillage pour un montant total de 80,26 euros exclusivement imputables à la faute commise par l'AP-HM. Par suite, la caisse est fondée à en demander le remboursement.

14. Aux termes de l'article L. 376-1 du code de la sécurité sociale : " (...) En contrepartie des frais qu'elle engage pour obtenir le remboursement mentionné au troisième alinéa ci-dessus, la caisse d'assurance maladie à laquelle est affilié l'assuré social victime de l'accident recouvre une indemnité forfaitaire à la charge du tiers responsable et au profit de l'organisme national d'assurance maladie. Le montant de cette indemnité est égal au tiers des sommes dont le remboursement a été obtenu (...) ". Aux termes de l'article 1er de l'arrêté du 14 décembre 2021 : " Les montants minimal et maximal de l'indemnité forfaitaire de gestion prévue aux articles L. 376-1 et L. 454-1 du code de la sécurité sociale sont fixés respectivement à 110 euros et 1 114 euros au titre des remboursements effectués au cours de l'année 2022. ". En l'espèce, il y a lieu de condamner l'AP-HM à verser à la caisse primaire d'assurance maladie de Haute-Corse cette indemnité à hauteur de 110 euros.

Sur les frais d'expertise :

15. Il y a lieu de mettre à la charge de l'AP-HM les frais et honoraires de l'expertise du docteur B..., liquidés et taxés à la somme de 1 000 euros par l'ordonnance de la première vice-présidente du tribunal du 3 juin 2021.

Sur les frais liés au litige :

16. Dans les circonstances de l'espèce, il n'y a pas lieu de faire droit aux conclusions présentées par les parties sur le fondement des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

D É C I D E :

Article 1er : Le jugement n° 1910451 du 11 octobre 2021 du tribunal administratif de Marseille est annulé.

Article 2 : L'AP-HM est condamnée à payer à M. A... la somme de 919,85 euros. Cette somme sera assortie des intérêts au taux légal à compter du 25 juillet 2019.

Article 3 : L'AP-HM est condamnée à payer à la caisse primaire d'assurance maladie de Haute-Corse la somme de 80,26 euros au titre des débours, assortie des intérêts au taux légal à compter du présent jugement, ainsi qu'une somme de 110 euros au titre de l'indemnité forfaitaire de gestion.

Article 4 : Les frais d'expertise liquidés et taxés à la somme de 1 000 euros sont mis à la charge définitive de l'AP-HM.

Article 5 : Le surplus des conclusions des parties est rejeté.

Article 6 : Le présent arrêt est déclaré commun à la caisse primaire d'assurance-maladie de Haute-Corse.

Article 7 : Le présent arrêt sera notifié à l'assistance publique - hôpitaux de Marseille, à M. C... A... et à la caisse primaire d'assurance maladie de Haute-Corse.

Délibéré après l'audience du 8 décembre 2022 où siégeaient :

- Mme Fedi, présidente de chambre,

- M. Taormina, président assesseur,

- M. Mahmouti, premier conseiller.

Rendu public par mise à disposition au greffe, le 16 décembre 2022.

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N° 21MA04700

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Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Marseille
Formation : 2ème chambre
Numéro d'arrêt : 21MA04700
Date de la décision : 16/12/2022
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Plein contentieux

Analyses

62-02-01-01 Sécurité sociale. - Relations avec les professions et les établissements sanitaires. - Relations avec les professions de santé. - Médecins.


Composition du Tribunal
Président : Mme FEDI
Rapporteur ?: M. Jérôme MAHMOUTI
Rapporteur public ?: M. GAUTRON
Avocat(s) : SCP CARLINI et ASSOCIÉS

Origine de la décision
Date de l'import : 18/12/2022
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.marseille;arret;2022-12-16;21ma04700 ?
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