Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
La société Kleber Rossillon a demandé au tribunal administratif de Marseille d'annuler la convention de délégation de service public relative à la conservation, la valorisation, la gestion et l'exploitation culturelle et touristique du château des Baux-de-Provence et signée le 19 janvier 2018 par la commune des Baux-de-Provence avec la société Culturespaces et de condamner la commune des Baux-de-Provence à lui verser la somme de 1 903 198 euros en réparation du préjudice subi du fait de son éviction.
Par un jugement nos 1801633, 1803987 du 10 novembre 2020, le tribunal administratif de Marseille a rejeté ses demandes.
Procédure devant la Cour :
Par une requête et un mémoire, enregistrés le 12 janvier 2021 et le 16 septembre 2022, la société Kleber Rossillon, représentée par Me Bernard, demande à la Cour :
1°) d'annuler le jugement nos 1801633, 1803987 du 10 novembre 2020 ;
2°) d'annuler, ou le cas échéant résilier, la convention signée le 19 janvier 2018 et relative à la conservation, la valorisation, la gestion et l'exploitation culturelle et touristique du château des Baux-de-Provence ;
3°) de condamner la commune des Baux-de-Provence à lui verser la somme de 1 903 198 euros en réparation du préjudice subi du fait de son éviction ;
4°) de mettre à la charge de la commune des Baux-de-Provence la somme de 5 000 euros sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle soutient que :
- le jugement est irrégulier dès lors qu'il n'évoque pas sa critique tirée de l'existence, dans la convention de délégation de service public, d'une clause de réexamen dont l'activation en 2021 est certaine et qui doit aboutir au paiement d'une redevance bien inférieure à celle prévue initialement au cahier des charges et à celle que la société attributaire s'est engagée à verser annuellement ;
- la commune ne saurait être regardée comme ayant dans son rapport d'analyse des offres, et sans aucune ambiguïté, choisi l'offre de la société Culturespaces alors que le rapport fait clairement apparaître que son offre a été classée en première position au regard des notes obtenues et que le choix de la société Culturespaces ne saurait être justifié par une prétendue erreur matérielle entachant les notes des deux candidats, ce qui constitue nécessairement une ambiguïté ; le rapport de l'exécutif montre qu'elle a obtenu une meilleure note non seulement sur le sous-critère financier intitulé " redevance ", mais aussi et surtout sur la note totale finale ;
- à aucun moment, le rapport de l'exécutif ne précise que seule l'offre de la société Culturespaces est conforme au cahier des charges de la consultation ;
- il ne peut pas être valablement déduit des différentes appréciations figurant dans le rapport du maire, l'existence d'une erreur matérielle à l'avantage de la société Culturespaces en raison de la cohérence entre l'analyse des offres financières après négociation et les notes attribuées qui exclut toute erreur matérielle ;
- elle est parfaitement fondée à se prévaloir de l'absence de toute rectification de la prétendue erreur matérielle par la commune, ce qui atteste de l'absence de réalité de l'erreur matérielle alléguée ;
- à supposer qu'il y ait eu inversion de notes, l'attribution d'une note plus élevée à la société Culturespaces sur ce sous-critère redevance est entachée d'une erreur manifeste d'appréciation ;
- l'attribution d'une note plus élevée à la société Culturespaces quant au critère technique est également entachée d'une erreur manifeste d'appréciation et dénote une violation du principe de transparence et une rupture d'égalité dès lors qu'il ne ressortait d'aucune pièce du dossier que la commune ne souhaitait pas que l'offre soit centrée sur le Moyen-âge ;
- la commune a méconnu les critères d'analyse des offres qu'elle avait elle-même fixés et notamment quant à la valorisation des investissements qu'elle prévoyait de réaliser ;
- son offre était en définitive supérieure à celle de la société retenue alors qu'en outre, elle a amélioré son offre technique à l'issue des négociations, contrairement à la société retenue ;
- les irrégularités commises par la commune ne sont pas régularisables et sont d'une particulière gravité et devraient conduire à l'annulation ou à la résiliation de la délégation de service public ;
- étant classée deuxième, elle justifie d'une perte de chances sérieuses d'être désignée attributaire de la délégation de service public et a droit à être indemnisée de son manque à gagner à hauteur de 1 903 198 euros.
Par un mémoire en défense, enregistré le 18 juillet 2022, la commune des Baux-de-Provence, représentée par Me De Folleville, conclut, à titre principal, au rejet de la requête, à titre subsidiaire, à ce qu'il soit ordonné au titre de l'article R. 621-1 du code de justice administrative, la désignation d'un expert avec pour mission de procéder à l'évaluation du manque à gagner de la société Kleber Rossillon résultant de son éviction et demande à la Cour de mettre à la charge de la société Kleber Rossillon la somme de 5 000 euros sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle fait valoir que :
- à titre principal, aucun des moyens de la requête n'est fondé ;
- en tout état de cause, l'offre de la société requérante ne respectait pas les conditions et caractéristiques minimales de l'article 9.1.2 du cahier des charges relatif à la révision des tarifs d'entrée du site ;
- à titre subsidiaire, il conviendra le cas échéant de diligenter une expertise aux fins d'évaluation de la perte de bénéfice net au titre de l'exécution de la convention de délégation de service public.
Par un mémoire en défense, enregistré le 29 août 2022, la société Culturespaces, représentée par Me Sur-Le Liboux, conclut au rejet de la requête et demande à la Cour de mettre à la charge de la société Kleber Rossillon la somme de 5 000 euros sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle fait valoir qu'aucun des moyens de la requête n'est fondé.
Par ordonnance du 21 juillet 2022, la clôture de l'instruction a été fixée en dernier lieu au 21 septembre 2022.
Les parties ont été informées, par courrier du 13 octobre 2022, en application des dispositions de l'article R. 611-7 du code de justice administrative, de ce que l'arrêt était susceptible d'être fondé sur un moyen relevé d'office, tiré de l'existence de vices révélant une volonté de la personne publique de favoriser un candidat et ayant affecté gravement la légalité du choix du concessionnaire susceptible d'entrainer l'annulation du contrat (CE, 15 mars 2019, Société anonyme gardéenne d'économie mixte, n° 41358).
Des observations en réponse au moyen d'ordre public ont été produites pour la commune des Baux-de-Provence et communiquées le 21 octobre 2022.
Des observations en réponse au moyen d'ordre public ont été produites pour la société Kleber Rossillon et communiquées le 28 octobre 2022.
Des observations en réponse au moyen d'ordre public ont été produites pour la société Culturespaces le 28 octobre 2022 et communiquées le 31 octobre 2022.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- le code général des collectivités territoriales ;
- l'ordonnance n° 2016-65 du 29 janvier 2016 ;
- le décret n° 2016-86 du 1er février 2016 ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de Mme Isabelle Ruiz, rapporteure,
- les conclusions de M. François Point, rapporteur public,
- et les observations de Me Benzakki, représentant la société Kleber Rossillon, de Me De Folleville, représentant la commune des Baux-de-Provence, et de Me Sur-Le Liboux, représentant la société Culturespaces.
Connaissance prise des notes en délibéré, enregistrées respectivement les 11 et 14 novembre 2022 et présentées pour la commune des Baux-de-Provence et la société Culturespaces.
Connaissance prise de la note en délibéré, enregistrée le 18 novembre 2022, présentée pour la société Kleber Rossillon.
Considérant ce qui suit :
1. Le contrat de délégation de service public relatif à l'exploitation touristique du château des Baux-de-Provence arrivant à échéance au 31 décembre 2017, la commune des Baux-de-Provence a lancé un appel à concurrence pour l'attribution d'une nouvelle délégation de service public pour la conservation, la valorisation, la gestion, l'exploitation culturelle et touristique du site selon un nouveau périmètre. La société Kleber Rossillon, la société Culturespaces, précédente délégataire, et la société Alfran ont déposé leur candidature et se sont vu remettre une invitation à déposer une offre. La société Kleber Rossillon et la société Culturespaces ont remis chacune une offre de base et des offres variantes. Les deux sociétés ont été admises à participer aux négociations. Par une délibération du 22 décembre 2017, le conseil municipal des Baux-de-Provence a approuvé le choix de la société Culturespaces comme délégataire et a autorisé le maire de la commune à conclure la convention, laquelle a été signée le 19 janvier 2018. La société Kleber Rossillon a alors saisi le tribunal administratif de Marseille d'une demande tendant à l'annulation de cette convention et à l'indemnisation de son préjudice résultant de son éviction irrégulière. Par le jugement attaqué, le tribunal administratif a rejeté ses demandes. La société Kleber Rossillon fait régulièrement appel de ce jugement.
Sur la régularité du jugement :
2. L'article 9 du code de justice administrative dispose que : " Les jugements sont motivés. ". Il ne saurait être reproché aux premiers juges de ne pas avoir fait mention de l'existence d'une clause de réexamen prévue par la société Culturespaces alors que dans le point 5 du jugement attaqué, ils ont expressément visé " un mécanisme de stabilité contractuelle modifié pour les années 2019 et 2020, durant lesquelles, compte tenu du nouveau périmètre d'exploitation, la redevance sera de 100 000 euros si la fréquentation annuelle est inférieure à 200 000 visiteurs et pourra atteindre 650 000 euros au-delà de 300 000 visiteurs ". Les premiers juges n'étaient pas tenus de répondre aux arguments de la défense tenant aux conditions de réactivation de la clause de réexamen. Il s'ensuit que la société Kleber Rossillon n'est pas fondée à soutenir que le jugement serait insuffisamment motivé et par conséquent, irrégulier.
Sur le bien-fondé du jugement :
3. Indépendamment des actions dont disposent les parties à un contrat administratif et des actions ouvertes devant le juge de l'excès de pouvoir contre les clauses réglementaires d'un contrat ou devant le juge du référé contractuel sur le fondement des articles L. 551-13 et suivants du code de justice administrative, tout tiers à un contrat administratif susceptible d'être lésé dans ses intérêts de façon suffisamment directe et certaine par sa passation ou ses clauses est recevable à former devant le juge du contrat un recours de pleine juridiction contestant la validité du contrat ou de certaines de ses clauses non réglementaires qui en sont divisibles. Cette action devant le juge du contrat est également ouverte aux membres de l'organe délibérant de la collectivité territoriale ou du groupement de collectivités territoriales concerné ainsi qu'au représentant de l'État dans le département dans l'exercice du contrôle de légalité. Les requérants peuvent éventuellement assortir leur recours d'une demande tendant, sur le fondement de l'article L. 521-1 du code de justice administrative, à la suspension de l'exécution du contrat. Ce recours doit être exercé, y compris si le contrat contesté est relatif à des travaux publics, dans un délai de deux mois à compter de l'accomplissement des mesures de publicité appropriées, notamment au moyen d'un avis mentionnant à la fois la conclusion du contrat et les modalités de sa consultation dans le respect des secrets protégés par la loi. La légalité du choix du cocontractant, de la délibération autorisant la conclusion du contrat et de la décision de le signer, ne peut être contestée qu'à l'occasion du recours ainsi défini. Toutefois, dans le cadre du contrôle de légalité, le représentant de l'État dans le département est recevable à contester la légalité de ces actes devant le juge de l'excès de pouvoir jusqu'à la conclusion du contrat, date à laquelle les recours déjà engagés et non encore jugés perdent leur objet.
4. Le représentant de l'État dans le département et les membres de l'organe délibérant de la collectivité territoriale ou du groupement de collectivités territoriales concerné, compte tenu des intérêts dont ils ont la charge, peuvent invoquer tout moyen à l'appui du recours ainsi défini. Les autres tiers ne peuvent invoquer que des vices en rapport direct avec l'intérêt lésé dont ils se prévalent ou ceux d'une gravité telle que le juge devrait les relever d'office.
5. Saisi ainsi par un tiers dans les conditions définies ci-dessus, de conclusions contestant la validité du contrat ou de certaines de ses clauses, il appartient au juge du contrat, après avoir vérifié que l'auteur du recours autre que le représentant de l'État dans le département ou qu'un membre de l'organe délibérant de la collectivité territoriale ou du groupement de collectivités territoriales concerné se prévaut d'un intérêt susceptible d'être lésé de façon suffisamment directe et certaine et que les irrégularités qu'il critique sont de celles qu'il peut utilement invoquer, lorsqu'il constate l'existence de vices entachant la validité du contrat, d'en apprécier l'importance et les conséquences. Ainsi, il lui revient, après avoir pris en considération la nature de ces vices, soit de décider que la poursuite de l'exécution du contrat est possible, soit d'inviter les parties à prendre des mesures de régularisation dans un délai qu'il fixe, sauf à résilier ou résoudre le contrat. En présence d'irrégularités qui ne peuvent être couvertes par une mesure de régularisation et qui ne permettent pas la poursuite de l'exécution du contrat, il lui revient de prononcer, le cas échéant avec un effet différé, après avoir vérifié que sa décision ne portera pas une atteinte excessive à l'intérêt général, soit la résiliation du contrat, soit, si le contrat a un contenu illicite ou s'il se trouve affecté d'un vice de consentement ou de tout autre vice d'une particulière gravité que le juge doit ainsi relever d'office, l'annulation totale ou partielle de celui-ci. Il peut enfin, s'il en est saisi, faire droit, y compris lorsqu'il invite les parties à prendre des mesures de régularisation, à des conclusions tendant à l'indemnisation du préjudice découlant de l'atteinte à des droits lésés.
6. Enfin, alors même que l'offre du concurrent évincé demandant l'annulation du contrat de délégation de service public a été classée et notée, le pouvoir adjudicateur et l'attributaire du contrat peuvent se prévaloir devant le juge du caractère irrégulier de son offre pour soutenir que le demandeur ne peut utilement soulever un moyen critiquant l'appréciation des autres offres. Mais, cette circonstance ne fait pas obstacle à ce que le juge relève les vices d'une particulière gravité relatifs notamment aux conditions dans lesquelles les parties ont donné leur consentement.
En ce qui concerne la demande d'annulation ou de résiliation de la convention de délégation de service public relative à la conservation, la valorisation, la gestion et l'exploitation culturelle et touristique du château des Baux-de-Provence :
7. En premier lieu, il résulte de l'instruction que la SARL Kleber Rossillon, tiers au contrat et qui a la qualité de candidate évincée, a présenté une offre irrégulière à double titre. Son offre ne répondait ni aux stipulations de l'article 9.1.2 du cahier des charges relatif à la révision des tarifs d'entrée du site, ainsi que cela est opposé en défense ni aux stipulations de l'article 10.1.1 portant sur le montant de la redevance fixe attendue a minima par la commune. Dans ces conditions, les moyens que la société requérante soulève qui ont trait à l'erreur manifeste d'appréciation à avoir mieux classé l'offre de la société Culturespaces et l'avoir retenue et qui ne peuvent donc être regardés comme en lien direct avec son éviction doivent être écartés en raison de leur caractère inopérant, tout comme le moyen tiré de ce que l'offre de la société attributaire serait elle-même irrégulière pour ne pas être conforme aux stipulations de l'article 10.1.1 relatives au montant de la redevance fixe attendue par l'autorité concédante.
8. En second lieu, aux termes de l'article 1er de l'ordonnance du 29 janvier 2016 relative aux contrats de concession alors applicable : " Les contrats de concession soumis à la présente ordonnance respectent les principes de liberté d'accès à la commande publique, d'égalité de traitement des candidats et de transparence des procédures ". Aux termes de l'article 46 de la même ordonnance : " Les autorités concédantes peuvent organiser librement une négociation avec un ou plusieurs soumissionnaires dans des conditions prévues par voie réglementaire. La négociation ne peut porter sur l'objet de la concession, les critères d'attribution ou les conditions et caractéristiques minimales indiquées dans les documents de la consultation ". Aux termes de l'article 47 de la même ordonnance : " Le contrat de concession est attribué au soumissionnaire qui a présenté la meilleure offre au regard de l'avantage économique global pour l'autorité concédante sur la base de plusieurs critères objectifs, précis et liés à l'objet du contrat de concession ou à ses conditions d'exécution. Les critères d'attribution n'ont pas pour effet de conférer une liberté de choix illimitée à l'autorité concédante et garantissent une concurrence effective ". Aux termes de l'article 28 du décret du 1er février 2016 : " Les offres qui n'ont pas été éliminées (...) classées par ordre décroissant sur la base des critères [de sélection]. L'offre la mieux classée est retenue ".
9. Aux termes de l'article L. 1411-5 du code général des collectivités territoriales, dans sa version alors applicable : " I.- Une commission ouvre les plis contenant les candidatures ou les offres et dresse la liste des candidats admis à présenter une offre après examen de leurs garanties professionnelles et financières, de leur respect de l'obligation d'emploi des travailleurs handicapés prévue aux articles L. 5212-1 à L. 5212-4 du code du travail et de leur aptitude à assurer la continuité du service public et l'égalité des usagers devant le service public. / Au vu de l'avis de la commission, l'autorité habilitée à signer la convention peut organiser librement une négociation avec un ou plusieurs soumissionnaires dans les conditions prévues par l'article 46 de l'ordonnance du 29 janvier 2016 susmentionnée. Elle saisit l'assemblée délibérante du choix de l'entreprise auquel elle a procédé. Elle lui transmet le rapport de la commission présentant notamment la liste des entreprises admises à présenter une offre et l'analyse des propositions de celles-ci, ainsi que les motifs du choix de la candidate et l'économie générale du contrat. (...) ".
10. Il résulte de l'instruction que la société Kleber Rossillon, la société Culturespaces, précédente délégataire, et la société Alfran ont déposé leur candidature et se sont vu remettre une invitation à déposer une offre. La société Kleber Rossillon et la société Culturespaces ont remis chacune une offre de base et des offres variantes. Les deux sociétés ont été admises à participer aux négociations. A l'issue de la phase de sélection des offres des candidats admis à la négociation, des notes ont été attribuées aux variantes proposées par chacune des sociétés en lice et ont été reportées dans le rapport d'analyse des offres établi le 30 octobre 2017. La sélection reposait sur deux critères, l'un la valeur technique (60 %) et l'autre l'exploitation (40 %). Le rapport d'analyse montre qu'à l'issue de cette première phase et s'agissant du sous-critère " redevance " du critère " exploitation ", la variante 02 de l'offre retenue a été notée 15 et la variante 01 de la société appelante, 10. À l'issue des négociations portant sur les variantes de chacune des sociétés, le rapport de l'exécutif, établi le 7 décembre 2017, mentionne que l'offre de la société Culturespaces a obtenu 10 et la société appelante, 15. Cette inversion concernant le sous-critère " redevance " a eu un impact sur la note finale, la société retenue ayant obtenu une note de 50, note inférieure à celle de 52 obtenue par la société évincée sans que la commune n'ait procédé à une quelconque rectification des notes ainsi attribuées aux deux sociétés. La circonstance, invoquée pour la première fois en appel par la commune, que les relations au sein de l'assistance à maître d'ouvrage entre les services techniques et juridiques se seraient dégradées ne permet pas d'en déduire la simple erreur matérielle et de justifier l'absence de correction dans la suite de la procédure. En outre, il résulte de l'instruction que l'offre modifiée de la société retenue n'est pas conforme à l'article 10.1.1. du cahier des charges qui impose une part fixe annuelle de redevance supérieure à 600 000 euros, le versement d'une redevance à hauteur de 650 000 euros étant conditionné pour les deux premières années d'exploitation par la société Culturespaces à une fréquentation annuelle du site supérieure à 210 000 visiteurs. D'ailleurs, le rapport de l'exécutif indique clairement que " la commune supporte alors le risque de la fréquentation sans avoir les moyens d'inciter le délégataire à accroitre son offre pour augmenter le nombre de visiteurs " sans en tirer la moindre conséquence sur l'appréciation de l'offre de la société retenue mais au contraire en précisant que les avancées lors des négociations ont permis d'aboutir à la présentation d'une offre conforme aux attentes de la commune et que cette société proposait " la redevance fixe souhaitée par la commune ". Enfin, il résulte de l'instruction qu'alors que la commune a refusé à la société Kleber Rossillon toute évolution de la trame financière, elle a permis à la société Culturespaces de présenter un " mécanisme de stabilité contractuelle ", non prévu dans le règlement consultation ou le cahier des charges.
11. Il résulte de ce qui précède que ces éléments ont entaché la procédure d'attribution de délégation de service public en cause, et caractérisent, dans les circonstances de l'espèce, une volonté manifeste de violer les règles de la commande publique ayant gravement affecté le choix du délégataire, et ainsi de favoriser la société Culturespaces.
12. Les vices entachant ainsi la convention litigieuse, par leur particulière gravité et en l'absence de régularisation possible, impliquent que soit prononcée l'annulation de la délégation de service public, dès lors que, contrairement à ce qui est soutenu en défense, une telle mesure ne portera pas une atteinte excessive à l'intérêt général.
13. La circonstance qu'un permis de construire aurait été déposé par la société attributaire afin de respecter les contraintes environnementales, paysagères, architecturales, d'accessibilité et de fréquentation liées au site et des démarches entreprises par le délégataire auprès des autorités administratives compétentes, notamment auprès de l'architecte des bâtiments de France, n'est pas de nature à faire obstacle au prononcé de l'annulation du contrat attaqué. Par ailleurs, l'affirmation selon laquelle l'exécution du service public culturel du château des Baux-de-Provence mettant à la charge du délégataire une mission importante de préservation et de sauvegarde du patrimoine de ce site classé monument historique, la maintenance du site ne serait plus assurée, ne révèle par elle-même aucune atteinte excessive à l'intérêt général.
14. Les éléments qui viennent d'être indiqués peuvent seulement conduire à différer l'effet de l'annulation prononcée au 1er novembre 2023 afin de garantir la continuité du service public et de laisser à la collectivité un délai suffisant pour lancer une nouvelle procédure en vue de l'attribution d'une nouvelle délégation de service public pour la conservation, la valorisation, la gestion, l'exploitation culturelle et touristique du site du château des Baux-de-Provence.
En ce qui concerne la demande tendant à la condamnation de la commune des Baux-de-Provence :
15. Il résulte de ce qui a été dit au point 6 que l'offre de la société Kleber Rossillon était irrégulière et que cette dernière ne peut dès lors prétendre à aucune indemnisation, faute de pouvoir justifier d'une quelconque perte de chance de se voir attribuer la délégation de service public en litige. Dans ces conditions, ses conclusions indemnitaires ne peuvent qu'être rejetées, sans qu'il soit besoin d'ordonner une expertise afin de procéder à l'évaluation du manque à gagner de la société Kleber Rossillon résultant de son éviction.
16. Il résulte de ce qui précède que la société Kleber Rossillon est fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Marseille a rejeté sa demande tendant à l'annulation, ou le cas échéant la résiliation de la convention signée le 19 janvier 2018 et relative à la conservation, la valorisation, la gestion et l'exploitation culturelle et touristique du château des Baux-de-Provence et à demander l'annulation de la convention de délégation de service public.
Sur les frais liés au litige :
17. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce qu'il soit fait droit aux conclusions de la commune des Baux-de-Provence et de la société Culturespaces dirigées contre la société Kleber Rossillon qui n'est pas, dans la présente instance, la partie perdante. Il y a lieu en revanche, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de la commune des Baux-de-Provence une somme de 1 000 euros à verser à la société Kleber Rossillon et de mettre à la charge de la société Culturespaces une somme de 1 000 euros à verser à la société Kleber Rossillon en application de ces mêmes dispositions.
D É C I D E :
Article 1er : Le jugement nos 1801633, 1803987 du 10 novembre 2020 rendu par le tribunal administratif de Marseille est annulé et la convention de délégation de service public signée le 19 janvier 2018 et relative à la conservation, la valorisation, la gestion et l'exploitation culturelle et touristique du château des Baux-de-Provence est annulée à compter du 1er novembre 2023.
Article 2 : La commune des Baux-de-Provence versera à la société Kleber Rossillon une somme de 1 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et la société Culturespaces versera à la société Kleber Rossillon la même somme.
Article 3 : Le surplus des conclusions de la requête de la société Kleber Rossillon est rejeté.
Article 4 : Les conclusions de la commune des Baux-de-Provence et les conclusions de la société Kleber Rossillon sont rejetées.
Article 5 : Le présent arrêt sera notifié à la société Kleber Rossillon, à la commune des Baux-de-Provence et à la société Culturespaces.
Délibéré après l'audience du 31 octobre 2022, où siégeaient :
- M. Alexandre Badie, président de chambre,
- M. Renaud Thielé, président assesseur,
- Mme Isabelle Ruiz, première conseillère.
Rendu public par mise à disposition au greffe, le 28 novembre 2022.
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No 21MA00166