Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
La commune de Vence a demandé au tribunal administratif de Nice d'annuler l'arrêté interministériel du 10 juillet 2018 portant reconnaissance de l'état de catastrophe naturelle en tant qu'elle n'y figure pas, et la décision implicite rejetant son recours gracieux et d'enjoindre à l'Etat de procéder au réexamen de sa demande.
Par un jugement n° 1805288 du 8 juin 2021, le tribunal administratif de Nice a rejeté sa requête.
Procédure devant la cour :
Par une requête, enregistrée le 20 juillet 2021, la commune de Vence, représentée par Me Szepetowski, demande à la cour :
1°) d'annuler le jugement du 8 juin 2021 du tribunal administratif de Nice ;
2°) d'annuler l'arrêté interministériel du 10 juillet 2018 en tant qu'elle n'y figure pas ;
3°) d'enjoindre à l'État de réexaminer sa demande dans un délai d'un mois à compter de la notification de l'arrêt à intervenir ;
4°) à titre subsidiaire, d'ordonner une expertise ;
5°) de mettre à la charge de l'État la somme de 3 000 euros en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle soutient que :
- les ministres ne pouvaient légalement se fonder sur les données recueillies par Météo France ;
- l'arrêté contesté est entaché d'une erreur d'appréciation en tant qu'il n'étend pas la reconnaissance d'une catastrophe naturelle à son territoire.
Par un mémoire en défense, enregistré le 20 février 2022, le ministre de l'intérieur, représenté par la SELAS Arco-Legal, demande à la cour :
1°) de rejeter la requête présentée par la commune de Vence ;
2°) de mettre à sa charge la somme de 3 000 euros en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Il soutient que les moyens soulevés par la commune de Vence ne sont pas fondés.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- le code des assurances ;
- le code de justice administrative.
Après avoir entendu en audience publique :
- le rapport de M. C...,
- et les conclusions de M. Pecchioli, rapporteur public.
La présidente de la cour a désigné Mme Vincent, présidente assesseure de la 5ème chambre, pour présider, en application de l'article R. 222-26 du code de justice administrative, la formation de jugement.
Considérant ce qui suit :
1. Le 19 février 2018, la commune de Vence a demandé la reconnaissance de l'état de catastrophe naturelle du fait d'une sécheresse pour la période comprise entre le 21 juin et le 31 décembre 2017. Cette demande a été tacitement rejetée par un arrêté interministériel du 10 juillet 2018 portant reconnaissance de l'état de catastrophe naturelle, dans lequel ne figure pas la commune de Vence. Le préfet des Alpes-Maritimes a notifié la décision défavorable des ministres à la commune par un courrier du 6 août 2018. La commune a formé un recours gracieux contre cette décision le 17 août 2018, qui a été implicitement rejeté.
2. La commune de Vence fait appel du jugement du 8 juin 2021 par lequel le tribunal administratif de Nice a rejeté sa demande tendant à l'annulation de l'arrêté interministériel du 10 juillet 2018 en tant qu'elle n'y figure pas.
Sur le bien-fondé du jugement attaqué :
En ce qui concerne les conclusions aux fins d'annulation :
3. Aux termes de l'article L. 125-1 du code des assurances : " Les contrats d'assurance, souscrits par toute personne physique ou morale autre que l'Etat et garantissant les dommages d'incendie ou tous autres dommages à des biens situés en France, ainsi que les dommages aux corps de véhicules terrestres à moteur, ouvrent droit à la garantie de l'assuré contre les effets des catastrophes naturelles (...) ; / Sont considérés comme les effets des catastrophes naturelles, au sens du présent chapitre, les dommages matériels directs non assurables ayant eu pour cause déterminante l'intensité anormale d'un agent naturel, lorsque les mesures habituelles à prendre pour prévenir ces dommages n'ont pu empêcher leur survenance ou n'ont pu être prises. / L'état de catastrophe naturelle est constaté par arrêté interministériel qui détermine les zones et les périodes où s'est située la catastrophe ainsi que la nature des dommages résultant de celle-ci couverts par la garantie visée au premier alinéa du présent article. Cet arrêté précise, pour chaque commune ayant demandé la reconnaissance de l'état de catastrophe naturelle, la décision des ministres. Cette décision est ensuite notifiée à chaque commune concernée par le représentant de l'État dans le département, assortie d'une motivation. L'arrêté doit être publié au Journal officiel dans un délai de trois mois à compter du dépôt des demandes à la préfecture. De manière exceptionnelle, si la durée des enquêtes diligentées par le représentant de l'État dans le département est supérieure à deux mois, l'arrêté est publié au plus tard deux mois après la réception du dossier par le ministre chargé de la sécurité civile. "
4. Il résulte de ces dispositions que le législateur a entendu confier aux ministres concernés la compétence pour se prononcer sur les demandes des communes tendant à la reconnaissance sur leur territoire de l'état de catastrophe naturelle. Il leur appartient, à cet effet, d'apprécier l'intensité et l'anormalité des agents naturels en cause sur le territoire des communes concernées. Ils peuvent légalement, même en l'absence de dispositions législatives ou réglementaires le prévoyant, s'entourer, avant de prendre les décisions relevant de leurs attributions, des avis qu'ils estiment utiles de recueillir et s'appuyer sur des méthodologies et paramètres scientifiques, sous réserve que ceux-ci apparaissent appropriés, en l'état des connaissances, pour caractériser l'intensité des phénomènes en cause et leur localisation, qu'ils ne constituent pas une condition nouvelle à laquelle la reconnaissance de l'état de catastrophe naturelle serait subordonnée ni ne dispensent les ministres d'un examen particulier des circonstances propres à chaque commune. Il incombe enfin aux ministres concernés de tenir compte de l'ensemble des éléments d'information ou d'analyse dont ils disposent, le cas échéant à l'initiative des communes concernées.
5. Il appartenait aux ministres compétents d'apprécier le caractère anormal de l'intensité du phénomène de sécheresse ayant affecté le territoire de la commune de Vence pour la période comprise entre le 21 juin et le 31 décembre 2017. Pour établir le bien-fondé de l'arrêté contesté, le ministre de l'intérieur rappelle d'abord que la décision prise concernant la commune de Vence s'est appuyée sur le modèle météorologique, dit " A... ", et l'index d'humidité des sols, dit " B... ", élaborés par Météo France, puis décrit la méthodologie retenue pour caractériser les épisodes de sécheresse printaniers, estivaux et hivernaux en fonction de leur durée de retour et de l'indice d'humidité des sols.
6. Afin de contester l'appréciation des auteurs de l'arrêté contesté, la commune de Vence produit une étude réalisée à sa demande par un géographe-climatologue en mars 2020. Contrairement à ce que soutient le ministre, cette étude expose son raisonnement scientifique et les données sur lesquelles il se fonde. Elle présente les avantages et les limites du modèle météorologique utilisé par Météo France, qui conduit d'abord à modéliser 615 zones non régulières à partir de données météorologiques ponctuelles, puis, par une nouvelle interpolation spatiale, à modéliser une grille régulière de 8981 mailles carrées de huit kilomètres de côté. L'étude souligne ensuite que les résultats de cette modélisation ne reflètent pas nécessairement au plus près la réalité météorologique sur le territoire de la commune de Vence, compte tenu de l'éloignement des stations météorologiques utilisées pour le modèle A..., d'une part, et de la topographie accidentée de la commune, d'autre part. Ces éléments ne sont pas contestés par le ministre en défense.
7. L'étude présente ensuite l'historique des cumuls pluri-mensuels de précipitations mesurées à la station météorologique de Vence-Billoire de 2001 à 2019. Selon ces mesures, les précipitations accumulées pour différentes périodes comprises entre juin et novembre 2017 sont les plus faibles enregistrées depuis la création de la station en 2001, suivies par celles enregistrées en 2003. Mesurées directement par une station locale, ces données sont plus pertinentes que celles issues d'une modélisation réalisée à partir des observations de stations météorologiques plus éloignées. Pour la période antérieure à 2001, le rapport rapproche ces données avec celles enregistrées à la station météorologique de Nice-aéroport, située à 11 kilomètres du centre-ville de Vence, qui révèle que les précipitations enregistrées par cette station en 2017 sont les plus faibles depuis 1943. Le rapport procède enfin, selon une méthodologie non contestée en défense, à une modélisation de l'humidité des sols à partir de ces nouvelles données pluviométriques.
8. Les conclusions de cette analyse remettent directement en cause les paramètres retenus par les auteurs de l'arrêté contesté. Si le ministre de l'intérieur fait valoir que les durées de retour évaluées par cette étude procèdent d'une " extrapolation hypothétique ", un tel raisonnement n'est pas pour autant scientifiquement invalide, d'autant plus que les ministres concernés se sont eux-mêmes appuyés sur un modèle reposant sur des extrapolations successives, ainsi qu'il a été dit au point 6. Le ministre de l'intérieur ne produit pas d'éléments pertinents pour remettre utilement en cause ces durées de retour.
9. Il suit de là qu'en se fondant exclusivement sur les données issues du modèle météorologique Météo France pour écarter le caractère anormal de l'intensité du phénomène de sécheresse ayant affecté le territoire de la commune de Vence, alors que ces données sont, au cas d'espèce, contredites par celles issues de la station météorologique locale, les ministres concernés doivent être regardés comme s'étant fondés sur des faits matériellement inexacts.
10. Il résulte de ce qui précède, sans qu'il soit besoin de statuer sur les autres moyens soulevés par la commune de Vence, qu'il y a lieu d'annuler le jugement du tribunal administratif de Nice du 8 juin 2021 ainsi que l'arrêté interministériel du 10 juillet 2018 en tant que n'y figure pas la commune de Vence.
En ce qui concerne les conclusions aux fins d'injonction :
11. L'annulation prononcée implique nécessairement, en application des articles L 911-1 et L. 911-2 du code de justice administrative, que les ministres chargés de l'intérieur, de l'économie et des finances et du budget réexaminent la demande de la commune de Vence, dans un délai qu'il convient de fixer à deux mois, en se fondant sur les données issues de la station météorologique locale de Vence pour la période à partir de 2001 afin d'apprécier l'intensité anormale du phénomène de sécheresse ayant affecté le territoire de la commune en 2017.
Sur les frais liés au litige :
12. Il y a lieu, en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative, de mettre à la charge de l'État le versement de la somme de 1 500 euros à la commune de Vence au titre des frais qu'elle a exposés et non compris dans les dépens. En revanche, la commune de Vence n'étant pas la partie perdante dans la présente instance, les dispositions de cet article font obstacle à ce qu'il soit fait droit aux conclusions présentées par l'État sur le même fondement.
D É C I D E :
Article 1er : Le jugement du 8 juin 2021 du tribunal administratif de Nice est annulé.
Article 2 : L'arrêté interministériel du 10 juillet 2018 est annulé en tant que n'y figure pas la commune de Vence.
Article 3 : Il est enjoint au ministre de l'intérieur et des outre-mer et au ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique de réexaminer la demande de la commune de Vence dans un délai de deux mois en se fondant sur les données issues de la station météorologique locale de Vence pour la période à partir de 2001 afin d'apprécier l'intensité anormale du phénomène de sécheresse ayant affecté le territoire de la commune en 2017.
Article 4 : L'État versera la somme de 1 500 (mille cinq cents) euros à la commune de Vence en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 5 : Le surplus des conclusions des parties est rejeté.
Article 6 : Le présent arrêt sera notifié à la commune de Vence, au ministre de l'intérieur et des outre-mer et au ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique.
Délibéré après l'audience du 7 novembre 2022, où siégeaient :
- Mme Vincent, présidente,
- M. C... et Mme D..., premiers conseillers.
Rendu public par mise à disposition au greffe le 23 novembre 2022.
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No 21MA02839