Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
La société JD Charpente Couverture a demandé au tribunal administratif de Toulon d'annuler le marché de travaux portant sur la réfection des couvertures en tuiles des bâtiments du Pôle Ecoles Méditerranée de Saint-Mandrier, passé par l'établissement du service d'infrastructure de la défense (ESID) le 29 août 2016.
Par un jugement n° 1603154 du 12 mars 2020, le tribunal administratif de Toulon a rejeté sa demande.
Procédure devant la Cour :
Par une requête et un mémoire, enregistrés le 15 avril 2020 et le 28 mars 2022, la société JD Charpente Couverture, représentée par Me Mendes Constante, demande à la Cour :
1°) d'annuler ce jugement du tribunal administratif de Toulon du 12 mars 2020 ;
2°) d'annuler le marché de travaux attaqué ;
3°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 3 500 euros sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle soutient que :
- la procédure contradictoire de l'article 55 du code des marchés publics a été méconnue ;
- l'autorité administrative a commis une erreur manifeste d'appréciation en qualifiant son offre d'anormalement basse.
Par un mémoire en défense, enregistré le 23 avril 2021, le ministre des armées conclut au rejet de la requête et demande à la Cour de mettre à la charge de la société requérante la somme de 2 400 euros sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Il fait valoir que l'offre de la société requérante est irrégulière car non conforme sur les sapines d'accès par trappes et les châssis d'aération et en déduit que le vice de passation tiré du caractère anormalement bas de l'offre serait donc sans lien avec son éviction. Il ajoute qu'aucun des moyens de la requête n'est fondé.
Par ordonnance du 24 mars 2022, la clôture de l'instruction a été fixée au 25 avril 2022 à midi.
Les parties ont été informées, en application des dispositions de l'article R. 611-7 du code de justice administrative, de ce que l'arrêt était susceptible d'être fondé sur un moyen relevé d'office, tiré de ce qu'il n'y a pas lieu de prononcer la résiliation du marché conclu le 29 août 2016 dès lors qu'il a été entièrement exécuté.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- le code des marchés publics ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de Mme Isabelle Gougot, rapporteure,
- et les conclusions de M. François Point, rapporteur public.
Considérant ce qui suit :
1. L'établissement du service d'infrastructure de la défense (ESID) de Toulon a lancé le 30 mars 2016 une consultation pour l'attribution d'un marché de travaux pour la réfection des couvertures en tuiles des bâtiments du Pôle Ecoles Méditerranée de Saint-Mandrier. En cours de procédure, l'ESID a demandé, par courrier du 22 juin 2016, des précisions à la société JD Charpente Couverture. Cette dernière a répondu par courrier du 24 juin 2016. Et par une décision du 29 juillet 2016, l'ESID a rejeté son offre en raison de son caractère anormalement bas. Les motifs de cette décision ont été précisés par un courrier du 8 août 2016, en réponse à la demande de la société JD Charpente Couverture. Le marché conclu le 29 août 2016 a ainsi été attribué à la SAS Alain Le Ny. La société JD Charpente Couverture relève appel du jugement du tribunal administratif de Toulon du 12 mars 2020 qui a rejeté sa demande tendant à l'annulation de ce marché de travaux.
Sur le bien-fondé du jugement :
2. Indépendamment des actions dont disposent les parties à un contrat administratif et des actions ouvertes devant le juge de l'excès de pouvoir contre les clauses réglementaires d'un contrat ou devant le juge du référé contractuel sur le fondement des articles L. 551-13 et suivants du code de justice administrative, tout tiers à un contrat administratif susceptible d'être lésé dans ses intérêts de façon suffisamment directe et certaine par sa passation ou ses clauses est recevable à former devant le juge du contrat un recours de pleine juridiction contestant la validité du contrat ou de certaines de ses clauses non réglementaires qui en sont divisibles. Ce recours doit être exercé, y compris si le contrat contesté est relatif à des travaux publics, dans un délai de deux mois à compter de l'accomplissement des mesures de publicité appropriées, notamment au moyen d'un avis mentionnant à la fois la conclusion du contrat et les modalités de sa consultation dans le respect des secrets protégés par la loi. La légalité du choix du cocontractant, de la délibération autorisant la conclusion du contrat et de la décision de le signer, ne peut être contestée qu'à l'occasion du recours ainsi défini.
3. Saisi ainsi par un tiers dans les conditions définies ci-dessus, de conclusions contestant la validité du contrat ou de certaines de ses clauses, il appartient au juge du contrat, après avoir vérifié que l'auteur du recours se prévaut d'un intérêt susceptible d'être lésé de façon suffisamment directe et certaine et que les irrégularités qu'il critique sont de celles qu'il peut utilement invoquer, lorsqu'il constate l'existence de vices entachant la validité du contrat, d'en apprécier l'importance et les conséquences. Ainsi, il lui revient, après avoir pris en considération la nature de ces vices, soit de décider que la poursuite de l'exécution du contrat est possible, soit d'inviter les parties à prendre des mesures de régularisation dans un délai qu'il fixe, sauf à résilier ou résoudre le contrat. En présence d'irrégularités qui ne peuvent être couvertes par une mesure de régularisation et qui ne permettent pas la poursuite de l'exécution du contrat, il lui revient de prononcer, le cas échéant avec un effet différé, après avoir vérifié que sa décision ne portera pas une atteinte excessive à l'intérêt général, soit la résiliation du contrat, soit, si le contrat a un contenu illicite ou s'il se trouve affecté d'un vice de consentement ou de tout autre vice d'une particulière gravité que le juge doit ainsi relever d'office, l'annulation totale ou partielle de celui-ci. Il peut enfin, s'il en est saisi, faire droit, y compris lorsqu'il invite les parties à prendre des mesures de régularisation, à des conclusions tendant à l'indemnisation du préjudice découlant de l'atteinte à des droits lésés.
En ce qui concerne l'irrégularité de l'offre de la société JD Charpente Couverture :
4. Un candidat dont la candidature ou l'offre est irrégulière n'est pas susceptible d'être lésé par les manquements qu'il invoque sauf si cette irrégularité est le résultat du manquement qu'il dénonce. Le ministre fait ainsi valoir que l'offre de la société requérante serait irrégulière.
5. Toutefois, en se bornant à soutenir que la fiche technique et la photographie jointes à l'offre ne permettraient pas de s'assurer que les châssis d'aération devaient être raccordés à un système d'asservissement, conformément au point 9.2.2.14 du cahier des clauses techniques particulières (CCTP), alors que le devis de la société Larivière précise bien qu'il s'agit d'un châssis d'aération manœuvrable par vilebrequin, le ministre ne démontre pas l'irrégularité de l'offre sur ce point, qui ne résulte pas des autres pièces du dossier.
6. De même, le ministre ne démontre pas davantage que l'offre serait irrégulière au motif que les sapines d'accès de la candidate qui dit disposer de cet équipement ne comporteraient pas d'escalier, en méconnaissance de l'article 9.1.1.6 du CCTP, alors que, contrairement à ce qu'il fait valoir, le devis de la société Var Echafaudages, produit par la société JD Charpente Couverture ne l'a été que pour une justification de prix en personnel de pose d'un tel matériel. Par ailleurs, le devis de la société MKT Echafaudages, sur lequel se fonde le ministre pour étayer ses dires, a été également produit pour les mêmes motifs. Et il ne résulte pas des autres pièces du dossier et notamment de l'offre de la société JD Charpente Couverture que les sapines d'accès ne comporteraient pas de trappes.
7. Par suite, le ministre n'est pas fondé à soutenir que l'offre de la société JD Charpente Couverture serait irrégulière.
En ce qui concerne le caractère anormalement bas de l'offre la société JD Charpente Couverture :
8. Aux termes de l'article 55 du code des marchés publics alors en vigueur: " Si une offre paraît anormalement basse, le pouvoir adjudicateur peut la rejeter par décision motivée après avoir demandé par écrit les précisions qu'il juge utiles et vérifié les justifications fournies. / Peuvent être prises en considération des justifications tenant notamment aux aspects suivants : / 1° Les modes de fabrication des produits, les modalités de la prestation des services, les procédés de construction ; / 2° Les conditions exceptionnellement favorables dont dispose le candidat pour exécuter les travaux, pour fournir les produits ou pour réaliser les prestations de services ; / 3° L'originalité de l'offre ; / 4° Les dispositions relatives aux conditions de travail en vigueur là où la prestation est réalisée ; / 5° L'obtention éventuelle d'une aide d'Etat par le candidat. / Une offre anormalement basse du fait de l'obtention d'une aide d'Etat ne peut être rejetée que si le candidat n'est pas en mesure d'apporter la preuve que cette aide a été légalement accordée. Le pouvoir adjudicateur qui rejette une offre pour ce motif en informe la Commission européenne. ".
9. D'une part, s'il résulte des dispositions de l'article 55 du code des marchés publics que, quelle que soit la procédure de passation mise en œuvre, il incombe au pouvoir adjudicateur qui constate qu'une offre paraît anormalement basse de solliciter auprès de son auteur toutes précisions et justifications de nature à expliquer le prix proposé, en revanche le pouvoir adjudicateur n'est pas tenu de lui poser des questions spécifiques.
10. En l'espèce, il résulte de l'instruction que la société JD Charpente Couverture a été invitée par le ministère de la défense par courrier du 22 juin 2016 " à justifier le niveau de prix des prestations dont la liste est donnée en annexe, en fournissant tous les sous-détails de prix et toutes les précisions techniques " qu'elle jugerait nécessaires. Par suite, la société requérante ne peut utilement soutenir que la procédure de l'article 55 du code des marchés publics aurait été méconnue au motif qu'elle n'a pas été invitée à justifier de onze prix pour lesquels son offre a toutefois été considérée comme anormalement basse.
11. D'autre part, il résulte des dispositions citées au point 8 que, si les explications apportées ne sont pas suffisantes pour que le prix proposé ne soit pas regardé comme manifestement sous-évalué et de nature, ainsi, à compromettre la bonne exécution du marché, il appartient au pouvoir adjudicateur de rejeter l'offre, en appréciant le prix anormalement bas de l'offre au regard de son prix global.
12. La société JD Charpente Couverture soutient que c'est à tort que l'ESID de Toulon a rejeté son offre comme anormalement basse alors, en premier lieu, que l'autorité administrative se serait fondée exclusivement sur un calcul mathématique sans démontrer que le temps de main d'œuvre serait sous-évalué, en deuxième lieu, que les onze prix relevés sur plus de cent-soixante prix représenteraient seulement 3,175 % du montant global du marché, en troisième lieu, qu'elle n'aurait pas de frais de déplacement à supporter dès lors que ses locaux sont à proximité du chantier et qu'elle est propriétaire du matériel et des engins nécessaires à l'exécution du marché et, en dernier lieu, qu'il n'est pas démontré en quoi son offre serait susceptible de nuire à la bonne exécution du marché. Toutefois, par application de ce qui a été dit au point 3, cette illégalité, à la supposer établie, ne constitue ni un cas d'illicéité du contenu du contrat conclu, ni un vice d'une particulière gravité de nature à justifier l'annulation de ce contrat. Par ailleurs, aucune volonté de favoriser un candidat ni aucun défaut d'impartialité n'est allégué. Dans ces conditions, l'illégalité invoquée, à la supposer même établie, n'est, en tout état de cause, pas de nature à conduire à l'annulation du contrat, mais seulement à sa résiliation, qu'il n'y a plus lieu de prononcer, le marché ayant été entièrement exécuté.
13. Il résulte de ce qui précède que la société JD Charpente Couverture n'est pas fondée à se plaindre que c'est à tort que les premiers juges ont rejeté ses conclusions tendant à l'annulation du marché conclu le 29 août 2016.
Sur les frais liés au litige :
14. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce qu'il soit fait droit aux conclusions de la société JD Charpente Couverture dirigées contre l'Etat qui n'est pas, dans la présente instance, la partie perdante. Il n'y a pas lieu en revanche, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de la société JD Charpente Couverture la somme que demande l'Etat en application de ces dispositions.
D É C I D E :
Article 1er : La requête de la société JD Charpente Couverture est rejetée.
Article 2 : Les conclusions de l'Etat formées sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administratives sont rejetées.
Article 3 : Le présent arrêt sera notifié à la société JD Charpente Couverture, au ministre des armées et à la société Alain Le Ny.
Délibéré après l'audience du 31 octobre 2022, où siégeaient :
- M. Alexandre Badie, président de chambre,
- M. Renaud Thielé, président assesseur,
- Mme Isabelle Gougot, première conseillère.
Rendu public par mise à disposition au greffe, le 14 novembre 2022.
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N° 20MA01631