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17/10/2022 | FRANCE | N°19MA04297

France | France, Cour administrative d'appel de Marseille, 5ème chambre, 17 octobre 2022, 19MA04297


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

Mme C... B... a demandé au tribunal administratif de Montpellier de condamner la commune de Sauvian à lui verser la somme globale de 133 380,25 euros en réparation des préjudices matériel et moral causés par son éviction illégale du service par décision du 6 mars 2014.

Par jugement n° 1703293 du 19 juillet 2019, le tribunal administratif de Montpellier a condamné la commune de Sauvian à verser à Mme B... la somme de 6 749 euros au titre de la perte de congés payés et du préjudice moral et a

rejeté le surplus des conclusions de la requête.

Procédure devant la Cour :

Par u...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

Mme C... B... a demandé au tribunal administratif de Montpellier de condamner la commune de Sauvian à lui verser la somme globale de 133 380,25 euros en réparation des préjudices matériel et moral causés par son éviction illégale du service par décision du 6 mars 2014.

Par jugement n° 1703293 du 19 juillet 2019, le tribunal administratif de Montpellier a condamné la commune de Sauvian à verser à Mme B... la somme de 6 749 euros au titre de la perte de congés payés et du préjudice moral et a rejeté le surplus des conclusions de la requête.

Procédure devant la Cour :

Par une requête enregistrée le 11 septembre 2019, un mémoire en réplique et des pièces complémentaires enregistrés les 9 juillet 2020 et 9 juin 2022, Mme B..., représentée par Me Dillenschneider, demande à la Cour :

1°) d'annuler ce jugement du tribunal administratif de Montpellier du 19 juillet 2019 en tant qu'il a rejeté les conclusions présentées au titre des troubles dans les conditions d'existence ;

2°) de condamner la commune de Sauvian à lui verser la somme de 87 037,50 euros au titre de ses troubles dans les conditions d'existence ;

3°) de mettre à la charge de la commune de Sauvian le paiement de la somme de 2 000 euros en application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient, dans le dernier état de ses écritures, que :

- l'appel incident de la commune de Sauvian est irrecevable dès lors qu'il constitue un litige distinct de l'appel principal ;

- elle a engagé, du fait de la décision d'éviction du 6 mars 2014, des frais de double résidence ainsi que des frais de déplacement et justifie avoir fait, en vain, toutes les démarches pour tenter de vendre ou de louer son appartement sis à Béziers et pour trouver un emploi à proximité de cette ville ;

- son préjudice moral a fait l'objet d'une juste appréciation en première instance.

Par un mémoire en défense et des pièces enregistrés les 24 avril 2020 et 27 avril 2020, la commune de Sauvian, représentée par Me Caudrelier, demande à la Cour :

1°) de réformer ce jugement en ce qu'il l'a condamnée à verser à Mme B... une indemnité de 6 749 euros ;

2°) de rejeter les conclusions indemnitaires présentées par Mme B... ;

3°) de mettre à la charge de Mme B... le paiement de la somme de 3 000 euros en application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que :

- les moyens soulevés au titre de l'appel principal ne sont pas fondés ;

- elle présente un appel incident au titre de l'indemnité compensatrice pour congés payés dès lors que la demande présentée à ce titre par Mme B... était tardive et au titre du préjudice moral qui a fait l'objet d'une évaluation excessive par le Tribunal.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- la directive 2003/88/CE du Parlement européen et du Conseil du 4 novembre 2003 concernant certains aspects de l'aménagement du temps de travail ;

- la loi n° 84-53 du 26 janvier 1984 ;

- le décret n° 85-1250 du 26 novembre 1985 ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de Mme A...,

- les conclusions de M. Pecchioli, rapporteur public,

- et les observations de Me Caudrelier pour la commune de Sauvian.

Considérant ce qui suit :

1. Mme B..., ingénieur principal, a exercé les fonctions de directeur général des services au sein de la commune de Sauvian à compter du 1er novembre 2005. Par arrêtés en date du 6 mars 2014, le maire de ladite commune a, d'une part, décidé de mettre fin au détachement de l'intéressée dans les fonctions de directeur général de services au motif d'une perte de confiance et, d'autre part, procédé au retrait de la nouvelle bonification indiciaire ainsi que de la prime de responsabilité des emplois administratifs de direction. Par un arrêt du 7 février 2017 devenu définitif, la cour administrative d'appel de Marseille a annulé lesdits arrêtés du 6 mars 2014 au motif de l'inexactitude matérielle des faits reprochés à Mme B.... Cette dernière a adressé à la commune de Sauvian, par lettre du 30 mars 2017, une demande tendant à l'indemnisation des préjudices qu'elle estimait avoir subis. Cette demande a été partiellement acceptée, au titre des pertes du régime indemnitaire, par décision du 24 mai 2017. Par un jugement du 19 juillet 2019, le tribunal administratif de Montpellier, après avoir donné acte du désistement de Mme B... au titre des pertes afférentes au régime indemnitaire, a condamné la commune de Sauvian à verser à cette dernière la somme de 6 749 euros au titre d'une indemnité compensatrice de congés payés non pris et d'un préjudice moral et rejeté le surplus des conclusions de la requête. Mme B... interjette appel de ce jugement en tant qu'il a refusé de faire droit aux conclusions indemnitaires présentées au titre des troubles dans les conditions d'existence. La commune de Sauvian forme un appel incident au titre des congés payés et du préjudice moral qu'elle a été condamnée à indemniser.

Sur l'appel principal présenté par Mme B... :

2. Mme B... soutient qu'elle a subi, du fait de la décision d'éviction illégale dont elle a fait l'objet, des troubles dans ses conditions d'existence au titre, d'une part, de frais de double résidence dès lors qu'elle a été contrainte, alors qu'elle a conservé l'appartement qu'elle avait acquis à Béziers (Hérault), de louer d'autres appartements à proximité de ses lieux d'affectation à Sainte-Tulle (Alpes de Haute-Provence) du 15 septembre 2014 au 31 janvier 2016 et à Aramon (Gard) du 1er février 2016 au 31 décembre 2019, d'autre part, de frais de déplacement, deux week-ends par mois entre Béziers et chacune de ces villes et, enfin, de frais de déménagement.

3. En premier lieu, il résulte de l'instruction que lorsque Mme B... a été recrutée à Sainte-Tulle puis à Aramon, son mari, dont il n'est pas contesté qu'il était alors retraité et dont le nom apparaît sur les contrats de location, a pu la suivre. Par ailleurs, la requérante n'allègue aucune circonstance de nature notamment familiale qui aurait pu justifier qu'elle conserve l'appartement acquis à Béziers. Si la requérante établit, par les pièces nouvellement produites en appel, avoir accompli des diligences pour vendre ou louer cet appartement, la circonstance que celui-ci n'ait pas été vendu ou loué entre 2014 et 2018, en dépit de ces diligences, ne présente pas de lien de causalité direct et certain avec la décision d'éviction illégale du 6 mars 2014. Par suite, Mme B... n'est pas fondée à se plaindre de ce que le tribunal administratif de Montpellier a, sans avoir ordonné de mesures d'instruction supplémentaires, rejeté ses conclusions indemnitaires présentées au titre de ses frais de double résidence.

4. En deuxième lieu, si Mme B... fait valoir qu'elle a dû exposer des frais de déplacement pour retourner un week-end sur deux à Béziers, elle n'établit, par aucune pièce du dossier, la réalité desdits déplacements. Par suite, elle n'est, en tout état de cause, pas fondée à soutenir que c'est à tort que le tribunal administratif de Montpellier a également rejeté les conclusions présentées à ce titre.

5. En troisième lieu, si la requérante sollicite une indemnisation au titre des frais de déménagement qu'elle aurait exposés le 21 janvier 2016, dans le cadre de son changement de poste de Sainte-Tulle à Aramon, ceux-ci ne présentent aucun lien de causalité avec la décision du 6 mars 2014 et ne sont, en tout état de cause, pas justifiés.

Sur l'appel incident présenté par la commune de Sauvian :

En ce qui concerne la recevabilité de l'appel incident :

6. Alors même que l'appel incident interjeté par la commune de Sauvian par un mémoire du 24 avril 2020 postérieur à la date de l'expiration du délai d'appel, porte sur des chefs de préjudices distincts de ceux faisant l'objet de l'appel principal interjeté par Mme B..., l'appel incident a pour cause le même fait générateur, concerne la même personne et, par suite, se rattache au même litige que celui soulevé par l'appel principal. Il est, par suite, et contrairement à ce que soutient la requérante, recevable.

En ce qui concerne le bien-fondé de l'appel incident :

S'agissant de l'indemnité compensatrice au titre de congés payés :

7. Aux termes de l'article 5 du décret du 26 novembre 1985 relatif aux congés annuels des fonctionnaires territoriaux : " Sous réserve des dispositions de l'article précédent, le congé dû pour une année de service accompli ne peut se reporter sur l'année suivante, sauf autorisation exceptionnelle donnée par l'autorité territoriale. / Un congé non pris ne donne lieu à aucune indemnité compensatrice ".

8. Aux termes de l'article 7 de la directive 2003/88/CE du Parlement européen et du Conseil du 4 novembre 2003 relative à certains aspects de l'aménagement du temps de travail : " 1. Les Etats membres prennent les mesures nécessaires pour que tout travailleur bénéficie d'un congé annuel payé d'au moins quatre semaines, conformément aux conditions d'obtention et d'octroi prévues par les législations et/ou pratiques nationales. 2. La période minimale de congé annuel payé ne peut être remplacée par une indemnité financière, sauf en cas de fin de relation de travail. ". En application de la partie B de l'annexe I de cette directive, le délai de transposition de l'article 7 était fixé au 23 mars 2005.

9. Selon une jurisprudence constante de la Cour de justice de l'Union européenne, notamment dans son arrêt du 6 novembre 2018 " Stadt Wuppertal " et " Volker Willmeroth " (C-569/16 et C-570/16), lorsque la relation de travail prend fin, la prise effective du congé annuel payé n'est plus possible. Afin de prévenir que, du fait de cette impossibilité, toute jouissance par le travailleur de ce droit, même sous forme pécuniaire, soit exclue, l'article 7, paragraphe 2, de la directive 2003/88/CE prévoit que le travailleur a droit à une indemnité financière, qui n'est soumise à aucune autre condition que celle tenant au fait, d'une part, que la relation de travail a pris fin, et, d'autre part, que le travailleur n'a pas pris tous les congés annuels auxquels il avait droit à la date où cette relation a pris fin. Ce droit est conféré directement par cette directive et ne saurait dépendre de conditions autres que celles qui y sont explicitement prévues. Les dispositions de l'article 7, paragraphe 2, de la directive 2003/88/CE remplissent ainsi les conditions requises pour produire un effet direct. En outre, dans son arrêt rendu le 6 novembre 2018 " Kreuziger " (C-619/16), la Cour de justice de l'Union européenne a dit pour droit que l'article 7, paragraphe 2, de la directive 2003/88/CE s'oppose à des législations ou réglementations nationales qui prévoient que, lors de la fin de la relation de travail, aucune indemnité financière au titre de congés annuels payés non pris n'est versée au travailleur qui n'a pas été en mesure de prendre tous les congés annuels auxquels il avait droit avant la fin de cette relation de travail. Par suite, les dispositions de l'article 5 du décret du 26 novembre 1985, qui ne prévoient le report des congés non pris au cours d'une année de service qu'à titre exceptionnel, sans réserver le cas des agents qui ont été dans l'impossibilité de prendre leurs congés annuels en raison d'un congé de maladie, et s'opposent à l'indemnisation de ces congés lorsqu'il est mis fin à la relation de travail, sont incompatibles dans cette mesure avec les dispositions de l'article 7 de la directive 2003/88/CE du Parlement européen et du Conseil du 4 novembre 2003.

10. En l'absence de dispositions législatives ou réglementaires fixant ainsi une période de report des congés payés qu'un agent s'est trouvé, du fait d'un congé maladie, dans l'impossibilité de prendre au cours d'une année civile donnée, le juge peut en principe considérer, afin d'assurer le respect des dispositions de la directive 2003/88/CE du 4 novembre 2003, que ces congés peuvent être pris au cours d'une période de quinze mois après le terme de cette année. La CJUE a en effet jugé, dans son arrêt C-214/10 du 22 novembre 2011, qu'une telle durée de quinze mois, substantiellement supérieure à la durée de la période annuelle au cours de laquelle le droit peut être exercé, est compatible avec les dispositions de l'article 7 de la directive. Toutefois ce droit au report s'exerce, en l'absence de dispositions, sur ce point également, dans le droit national, dans la limite de quatre semaines prévue par cet article 7.

11. Si le droit à indemnisation financière au titre des congés payés non pris pendant un congé de maladie d'un agent dont la relation de travail a pris fin est conditionné par la circonstance que la cessation de la relation de travail soit intervenue dans le délai de 15 mois à compter du terme de l'année civile au cours de laquelle les congés sont dus, il n'est, en revanche, pas subordonné à la présentation d'une demande d'indemnisation dans ce délai, cette demande restant régie par les seules règles de prescription des créances.

12. Il résulte de l'instruction qu'à la date de son éviction du service, soit le 6 mars 2014, le droit au report des congés annuels de Mme B... au titre des années 2013 et 2014 n'était, en application de ce qui a été dit précédemment, pas expiré. Par suite, Mme B..., quand bien même elle n'aurait présenté sa demande indemnitaire que le 30 mars 2017, pouvait prétendre au bénéfice d'une indemnisation. Il suit de là que la commune de Sauvian n'est pas fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Montpellier a fait droit à la demande d'indemnisation présentée par Mme B....

S'agissant du préjudice moral :

13. Les premiers juges, en évaluant à la somme de 4 000 euros le préjudice moral subi par la requérante du fait de la décision du 6 mars 2014 ont fait une juste appréciation de ce chef de préjudice au regard du motif d'illégalité de cette décision, de la période depuis laquelle cette dernière était directrice générale des services et du temps mis pour retrouver un emploi.

14. Il résulte de tout ce qui précède que tant l'appel principal formé par Mme B... que l'appel incident de la commune de Sauvian doivent être rejetés.

Sur les frais liés au litige :

15. Dans les circonstances de l'espèce, il n'y a pas lieu de faire droit aux conclusions présentées sur le fondement des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative par chacune des parties.

DECIDE :

Article 1er : La requête de Mme B... est rejetée.

Article 2 : Les conclusions incidentes présentées par la commune de Sauvian sont rejetées.

Article 3 : Le présent arrêt sera notifié à Mme C... B... et à la commune de Sauvian.

Délibéré après l'audience du 3 octobre 2022, à laquelle siégeaient :

- Mme Helmlinger, présidente,

- Mme Vincent, présidente-assesseure,

- M. Merenne, premier conseiller.

Rendu public par mise à disposition au greffe le 17 octobre 2022.

N° 19MA04297 2


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Marseille
Formation : 5ème chambre
Numéro d'arrêt : 19MA04297
Date de la décision : 17/10/2022
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Plein contentieux

Analyses

Fonctionnaires et agents publics - Positions - Congés - Congés annuels.

Fonctionnaires et agents publics - Contentieux de la fonction publique - Contentieux de l'indemnité.


Composition du Tribunal
Président : Mme HELMLINGER
Rapporteur ?: Mme Aurélia VINCENT
Rapporteur public ?: M. PECCHIOLI
Avocat(s) : SCP MARIJON DILLENSCHNEIDER

Origine de la décision
Date de l'import : 23/10/2022
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.marseille;arret;2022-10-17;19ma04297 ?
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