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13/10/2022 | FRANCE | N°21MA03715

France | France, Cour administrative d'appel de Marseille, 1ère chambre, 13 octobre 2022, 21MA03715


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. C... A... a demandé au tribunal administratif de Marseille d'annuler l'arrêté du 13 juin 2021 par lequel le préfet des Bouches-du-Rhône lui a fait obligation de quitter le territoire français, a refusé de lui accorder un délai de départ volontaire, a fixé le pays à destination duquel il pourra être éloigné et lui a interdit le retour sur le territoire français pour une durée de trois ans.

Par un jugement n° 2105467 du 26 juillet 2021, le magistrat désigné par la présidente du tribunal

administratif de Marseille a rejeté sa demande.

Procédure devant la cour :

Par une re...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. C... A... a demandé au tribunal administratif de Marseille d'annuler l'arrêté du 13 juin 2021 par lequel le préfet des Bouches-du-Rhône lui a fait obligation de quitter le territoire français, a refusé de lui accorder un délai de départ volontaire, a fixé le pays à destination duquel il pourra être éloigné et lui a interdit le retour sur le territoire français pour une durée de trois ans.

Par un jugement n° 2105467 du 26 juillet 2021, le magistrat désigné par la présidente du tribunal administratif de Marseille a rejeté sa demande.

Procédure devant la cour :

Par une requête et un mémoire enregistrés les 27 août et 6 septembre 2021, M. A..., représenté par Me Zerrouki, demande à la cour :

1°) de l'admettre au bénéfice de l'aide juridictionnelle à titre provisoire ;

2°) d'annuler ce jugement du 26 juillet 2021 ;

3°) d'annuler l'arrêté du préfet des Bouches-du-Rhône du 13 juin 2021 ;

4°) d'enjoindre au préfet des Bouches-du-Rhône, d'une part, de procéder au réexamen de sa situation dans le délai de deux mois à compter de la notification de l'arrêt à venir et de lui délivrer une autorisation provisoire de séjour durant ce réexamen, d'autre part, de procéder, dès cette notification, à l'effacement de son signalement aux fins de non-admission dans le système d'information Schengen ;

5°) de mettre à la charge de l'Etat le versement, à son conseil, de la somme de 1 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991.

Il soutient que :

- le jugement attaqué est irrégulier dès lors que le premier juge n'a pas répondu au moyen opérant tiré de ce que la décision portant interdiction de retour méconnaît le paragraphe 1 de l'article 3 de la convention internationale relative aux droits de l'enfant ;

- la décision portant obligation de quitter le territoire français ne pouvait être légalement édictée dès lors qu'il peut bénéficier de la délivrance de plein droit d'un titre de séjour en qualité de parent d'un enfant français ;

- l'arrêté attaqué méconnaît le paragraphe 1 de l'article 3 de la convention internationale relative aux droits de l'enfant et est entaché d'une erreur manifeste d'appréciation ;

- la décision portant interdiction de retour est entachée d'une erreur d'appréciation au regard des articles L. 612-6 et L. 612-10 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile et présente un caractère disproportionné.

Une mise en demeure a été adressée au préfet des Bouches-du-Rhône le 20 janvier 2022 en application de l'article R. 612-3 du code de justice administrative.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- la convention internationale relative aux droits de l'enfant ;

- le code civil ;

- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;

- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 ;

- le décret n° 2010-569 du 28 mai 2010 ;

- le code de justice administrative.

Le président de la formation de jugement a dispensé le rapporteur public, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Le rapport de M. B... a été entendu au cours de l'audience publique.

Considérant ce qui suit :

1. M. A..., ressortissant tunisien né en 1988, déclare être entré sur le territoire français pour la dernière fois le 23 avril 2014 et s'y maintenir depuis lors. Par un arrêté du 13 juin 2021, le préfet des Bouches-du-Rhône lui a fait obligation de quitter le territoire français, a refusé de lui accorder un délai de départ volontaire, a fixé le pays à destination duquel il pourra être éloigné et lui a interdit le retour sur le territoire français pour une durée de trois ans. M. A... relève appel du jugement du 26 juillet 2021 par lequel le magistrat désigné par la présidente du tribunal administratif de Marseille a rejeté sa demande tendant à l'annulation de cet arrêté.

Sur les conclusions à fin d'admission provisoire à l'aide juridictionnelle :

2. Aux termes de l'article 20 de la loi du 10 juillet 1991 relative à l'aide juridique : " Dans les cas d'urgence, (...) l'admission provisoire à l'aide juridictionnelle peut être prononcée (...) par la juridiction compétente ou son président (...) ".

3. Il ne ressort pas des pièces du dossier que M. A..., qui est représenté par un conseil, aurait déposé une demande d'aide juridictionnelle. Dans ces conditions, les conclusions à fin d'admission provisoire à l'aide juridictionnelle présentées par M. A... doivent être rejetées.

Sur les conclusions à fin d'annulation :

4. Aux termes de l'article R. 612-6 du code de justice administrative : " Si, malgré une mise en demeure, la partie défenderesse n'a produit aucun mémoire, elle est réputée avoir acquiescé aux faits exposés dans les mémoires du requérant ". Si, lorsque le défendeur n'a produit aucun mémoire, le juge administratif n'est pas tenu de procéder à une telle mise en demeure avant de statuer, il doit, s'il y procède, en tirer toutes les conséquences de droit. Il lui appartient seulement, lorsque ces dispositions sont applicables, de vérifier que l'inexactitude des faits exposés dans les mémoires du requérant ne ressort d'aucune pièce du dossier. La circonstance que la partie défenderesse a déjà produit un mémoire en première instance est sans influence sur l'application, par le juge d'appel, de la règle ainsi posée, dès lors que cette partie n'a pas contesté les allégations du requérant en appel.

5. Aux termes du paragraphe 1 de l'article 3 de la convention internationale relative aux droits de l'enfant du 26 janvier 1990 : " Dans toutes les décisions qui concernent les enfants, qu'elles soient le fait des institutions publiques ou privées de protection sociale, des tribunaux, des autorités administratives ou des organes législatifs, l'intérêt supérieur de l'enfant doit être une considération primordiale ". Il résulte de ces stipulations, qui peuvent être utilement invoquées à l'appui d'un recours pour excès de pouvoir, que, dans l'exercice de son pouvoir d'appréciation, l'autorité administrative doit accorder une attention primordiale à l'intérêt supérieur des enfants dans toutes les décisions les concernant. Elles sont applicables non seulement aux décisions qui ont pour objet de régler la situation personnelle d'enfants mineurs mais aussi à celles qui ont pour effet d'affecter, de manière suffisamment directe et certaine, leur situation.

6. Aux termes de l'article 371-2 du code civil : " Chacun des parents contribue à l'entretien et à l'éducation des enfants à proportion de ses ressources, de celles de l'autre parent, ainsi que des besoins de l'enfant (...) ". Selon l'article 375 du même code : " Si la santé, la sécurité ou la moralité d'un mineur non émancipé sont en danger, ou si les conditions de son éducation ou de son développement physique, affectif, intellectuel et social sont gravement compromises, des mesures d'assistance éducative peuvent être ordonnées par justice (...) ". Son article 375-3 dispose que : " Si la protection de l'enfant l'exige, le juge des enfants peut décider de le confier : (...) / 3° A un service départemental de l'aide sociale à l'enfance (...) ". Aux termes de l'article 375-7 du même code : " Les père et mère de l'enfant bénéficiant d'une mesure d'assistance éducative continuent à exercer tous les attributs de l'autorité parentale qui ne sont pas inconciliables avec cette mesure (...) ". Son article 375-8 prévoit que : " Les frais d'entretien et d'éducation de l'enfant qui a fait l'objet d'une mesure d'assistance éducative continuent d'incomber à ses père et mère (...), sauf la faculté pour le juge de les en décharger en tout ou en partie ".

7. Il ressort des pièces du dossier que M. A... est père d'un enfant de nationalité française né le 10 avril 2016 à Aix-en-Provence. Cet enfant a été confié au service de l'aide sociale à l'enfance des Bouches-du-Rhône dès le 30 juin 2016 en raison des importantes difficultés rencontrées par sa mère pour s'en occuper ainsi que de l'" instabilité administrative et sociale " de M. A.... Par un jugement en assistance éducative du 12 septembre 2018, le juge des enfants du tribunal de grande instance d'Aix-en-Provence a renouvelé le placement de cet enfant et a reconnu aux parents un droit de visite hebdomadaire. Le fils de M. A... était encore confié au service de l'aide sociale à l'enfance à la date de l'arrêté contesté en vertu d'un jugement en assistance éducative du 23 septembre 2020 dont il ressort que les droits de l'intéressé ont été modifiés par une ordonnance du 2 juin 2020 lui accordant un droit de visite médiatisé à la suite de la dénonciation de violences verbales et physiques. Par ce jugement du 23 septembre 2020, M. A... s'est néanmoins vu reconnaître un droit de sortie libre selon les modalités fixées par le service compétent et sous réserve de la réalisation d'une visite à domicile. Le requérant soutient qu'il contribue à l'éducation et à l'entretien de son fils depuis sa naissance et qu'il exerce de manière régulière le droit de visite, sous la forme d'une sortie libre tous les samedis, qui lui a été accordé à la suite du jugement en assistance éducative du 23 septembre 2020. La présente requête a été communiquée au préfet des Bouches-du-Rhône qui a été mis en demeure, le 20 janvier 2022, de produire un mémoire en défense. Cette mise en demeure étant restée sans effet, cette autorité doit être réputée avoir acquiescé aux faits exposés dans la requête en application de l'article R. 612-6 du code de justice administrative. L'inexactitude des faits allégués par le requérant ne ressort d'aucune des pièces versées au dossier, et notamment pas du dossier de première instance. En outre, M. A..., qui n'a pas été privé de l'autorité parentale sur son fils, produit pour la première fois en appel une attestation établie le 28 juin 2021 par laquelle la présidente du conseil départemental des Bouches-du-Rhône indique qu'il " exerce son droit de sortie au profit de son fils (...) tous les samedis ", avant de préciser que le " maintien des liens est avéré ". Dans ces conditions, la décision portant obligation de quitter le territoire français en litige a porté atteinte à l'intérêt supérieur de l'enfant de M. A.... Par suite, le requérant est fondé à soutenir que cette mesure d'éloignement méconnaît les stipulations du paragraphe 1 de l'article 3 de la convention internationale relative aux droits de l'enfant.

8. Il résulte de ce qui précède que, sans qu'il soit besoin d'examiner la régularité du jugement attaqué et les autres moyens invoqués, M. A... est fondé à soutenir que c'est à tort que, par ce jugement, le magistrat désigné par la présidente du tribunal administratif de Marseille a rejeté sa demande. Par suite, il y a lieu d'annuler ce jugement, la décision portant obligation de quitter le territoire français en litige ainsi que, par voie de conséquence, les décisions subséquentes contenues dans l'arrêté du préfet des Bouches-du-Rhône du 13 juin 2021.

Sur les conclusions à fin d'injonction :

9. Aux termes de l'article L. 614-16 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " Si la décision portant obligation de quitter le territoire français est annulée, (...) l'étranger est muni d'une autorisation provisoire de séjour jusqu'à ce que l'autorité administrative ait à nouveau statué sur son cas ". Selon l'article R. 613-7 du même code : " Les modalités de suppression du signalement d'un étranger effectué au titre d'une décision d'interdiction de retour sont celles qui s'appliquent, en vertu de l'article 7 du décret n° 2010-569 du 28 mai 2010 relatif au fichier des personnes recherchées, aux cas d'extinction du motif d'inscription dans ce traitement ". L'article 7 du décret du 28 mai 2010 auquel il est ainsi renvoyé dispose que : " Les données à caractère personnel enregistrées dans le fichier sont effacées sans délai en cas (...) d'extinction du motif de l'inscription (...) ".

10. L'exécution du présent arrêt, qui prononce l'annulation de la décision portant obligation de quitter le territoire français, implique nécessairement que le préfet des Bouches-du-Rhône délivre une autorisation provisoire de séjour à M. A... et qu'il statue à nouveau sur son cas. Il y a lieu d'enjoindre à cette autorité de munir immédiatement l'intéressé d'une telle autorisation et de procéder au réexamen de sa situation dans un délai de deux mois à compter de la notification du présent arrêt. En outre, le présent arrêt prononçant également l'annulation de la décision portant interdiction de retour sur le territoire français prise à l'encontre de M. A..., il y a lieu d'enjoindre au préfet des Bouches-du-Rhône de prendre toute mesure afin qu'il soit procédé à l'effacement sans délai du signalement de l'intéressé aux fins de non-admission dans le système d'information Schengen.

Sur les frais liés au litige :

11. M. A..., qui n'a déposé aucune demande d'aide juridictionnelle et dont la demande d'admission provisoire au bénéfice de l'aide juridictionnelle est rejetée au point 3 du présent arrêt, n'est pas fondé à invoquer, au bénéfice de son avocat, les dispositions de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991 relative à l'aide juridique. Toutefois, il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de l'Etat le versement de la somme de 1 500 euros à M. A... sur le seul fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

D É C I D E :

Article 1er : Le jugement du magistrat désigné par la présidente du tribunal administratif de Marseille du 26 juillet 2021 est annulé.

Article 2 : L'arrêté du préfet des Bouches-du-Rhône du 13 juin 2021 est annulé.

Article 3 : Il est enjoint au préfet des Bouches-du-Rhône de procéder au réexamen de la situation de M. A... dans un délai de deux mois à compter de la notification du présent arrêt, en le munissant immédiatement d'une autorisation provisoire de séjour, et de prendre toute mesure afin qu'il soit procédé à l'effacement sans délai du signalement de M. A... aux fins de non-admission dans le système d'information Schengen.

Article 4 : L'Etat versera la somme de 1 500 euros à M. A... au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Article 5 : Le présent arrêt sera notifié à M. C... A... et au ministre de l'intérieur et des outre-mer.

Copie en sera adressée au préfet des Bouches-du-Rhône, à Me Zerrouki et au procureur de la République près le tribunal judiciaire d'Aix-en-Provence.

Délibéré après l'audience du 29 septembre 2022, à laquelle siégeaient :

- M. Portail, président,

- M. d'Izarn de Villefort, président assesseur,

- M. Mouret, premier conseiller.

Rendu public par mise à disposition au greffe le 13 octobre 2022.

2

N° 21MA03715


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Marseille
Formation : 1ère chambre
Numéro d'arrêt : 21MA03715
Date de la décision : 13/10/2022
Type d'affaire : Administrative

Analyses

335-03 Étrangers. - Obligation de quitter le territoire français (OQTF) et reconduite à la frontière.


Composition du Tribunal
Président : M. PORTAIL
Rapporteur ?: M. Raphaël MOURET
Rapporteur public ?: M. ROUX
Avocat(s) : ZERROUKI

Origine de la décision
Date de l'import : 16/10/2022
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.marseille;arret;2022-10-13;21ma03715 ?
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