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26/09/2022 | FRANCE | N°19MA04143

France | France, Cour administrative d'appel de Marseille, 6ème chambre, 26 septembre 2022, 19MA04143


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

Par deux requêtes distinctes, l'EURL Ornabell a demandé au tribunal administratif de Nice de condamner la commune de Mandelieu-la-Napoule à lui payer cinq sommes de 36 758 euros, 5 000 euros, 10 724,92 euros, 112 750 euros et 41 772,23 euros en réparation des préjudices consécutifs aux fautes de la commune en raison des intempéries d'octobre 2015.

Par un jugement nos 1604769, 1802528 du 2 juillet 2019, le tribunal administratif de Nice a rejeté les demandes de l'EURL Ornabell.

Procédure dev

ant la Cour :

Par une requête, enregistrée le 2 septembre 2019, l'EURL Ornabell, r...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

Par deux requêtes distinctes, l'EURL Ornabell a demandé au tribunal administratif de Nice de condamner la commune de Mandelieu-la-Napoule à lui payer cinq sommes de 36 758 euros, 5 000 euros, 10 724,92 euros, 112 750 euros et 41 772,23 euros en réparation des préjudices consécutifs aux fautes de la commune en raison des intempéries d'octobre 2015.

Par un jugement nos 1604769, 1802528 du 2 juillet 2019, le tribunal administratif de Nice a rejeté les demandes de l'EURL Ornabell.

Procédure devant la Cour :

Par une requête, enregistrée le 2 septembre 2019, l'EURL Ornabell, représentée par Me Charles-Neveu, demande à la Cour :

1°) de réformer le jugement du 2 juillet 2019 ;

2°) de condamner la commune à lui payer la somme de 10 724,92 euros au titre des investissements non amortis ;

3°) de condamner la commune à lui payer la somme de 112 750 euros au titre du manque à gagner subi pendant la période allant du 19 mars 2017 au 5 juillet 2019 ;

4°) de condamner la commune à lui payer la somme de 41 772,23 euros au titre du passif admis à la procédure collective ;

5°) de mettre à la charge de la commune la somme de 3 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

L'entreprise soutient que :

- le jugement, qui n'évoque pas la proposition indemnitaire faite par la commune, laquelle vaut reconnaissance implicite de responsabilité, est insuffisamment motivé ;

- la motivation du jugement, qui se borne à retenir que la société " n'établit pas que la commune aurait (...) méconnu ses obligations contractuelles ", est lacunaire ;

- le jugement considère que le courrier du 18 décembre 2015 constitue une circonstance " non fautive ", sans préciser en quoi ;

- elle ne peut être privée de son droit à réparation au motif qu'elle n'a pas contesté la décision de résiliation ;

- elle a subi un préjudice du fait de l'impossibilité dans laquelle elle s'est trouvée de poursuivre l'exploitation de la délégation de service public qui lui avait été attribuée ;

- la commune de Mandelieu-la-Napoule, qui ne l'avait jamais informée des risques d'inondation alors que plusieurs inondations étaient survenues dans ce secteur entre 2009 et 2015, qui n'a pas réalisé de travaux de prévention, qui n'a pas remis en état le club house après l'inondation et qui a résilié la convention pour motif d'intérêt général, est responsable de ces dommages ;

- le principe de loyauté contractuelle imposait à la commune de tout mettre en œuvre pour que son délégataire exploite normalement les ouvrages concédés.

Par un mémoire en défense, enregistré le 26 janvier 2021, la commune de Mandelieu-la-Napoule, représentée par Me Leroy-Freschini, conclut au rejet de la requête d'appel et à ce qu'une somme de 3 500 euros soit mise à la charge de l'entreprise au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

La commune soutient que :

- la requête d'appel est suffisamment motivée ;

- les moyens d'appel ne sont ni étayés ni fondés ;

- elle réitère ses fins de non-recevoir et moyens développés en première instance.

Par ordonnance du 17 mai 2021, la clôture de l'instruction a été fixée au 30 juin 2021 à midi.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- le code de commerce ;

- le code de justice administrative ;

- la loi n° 68-1250 du 31 décembre 1968 relative à la prescription des créances sur l'Etat, les départements, les communes et les établissements publics.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de M. Renaud Thielé, rapporteur,

- les conclusions de M. François Point, rapporteur public,

- les observations de Me Miguel pour l'EURL Ornabell et de Me Leroy-Freschini pour la commune de Mandelieu-la-Napoule.

Une note en délibéré présentée pour la commune de Mandelieu-la-Napoule a été enregistrée le 20 septembre 2022.

Considérant ce qui suit :

1. Les 3 et 4 octobre 2015, des intempéries ont endommagé les neufs courts de tennis de l'Argentière, dont la commune de Mandelieu-la-Napoule avait, par convention du 6 juillet 2009, affermé l'exploitation, pour la période du 1er juillet 2009 au 30 juin 2019, à la société Ornabell. Par délibération du 7 novembre 2016, le conseil municipal de Mandelieu-la-Napoule a décidé la résiliation du contrat d'affermage pour motif d'intérêt général, les terrains ayant vocation à faire partie d'une zone d'expansion des crues. Après avoir saisi la commune d'un recours gracieux contestant cette mesure de résiliation, qui a été rejeté par décision en date du 27 mars 2017, l'entreprise Ornabell a saisi le tribunal administratif de Nice d'une demande tendant à la condamnation de la commune à lui payer la somme de 165 247,15 euros en réparation des préjudices subis. Par le jugement attaqué, dont l'entreprise Ornabell relève appel, le tribunal administratif a rejeté ces demandes.

Sur la portée de l'appel de l'entreprise Ornabell :

2. L'entreprise Ornabell a saisi la Cour de conclusions tendant, d'une part, à la réformation du jugement du 2 juillet 2019, et, d'autre part, à la condamnation de la commune de Mandelieu-la-Napoule à lui payer trois sommes de 10 724,92 euros, 112 750 euros et 41 772,23 euros au titre, respectivement, des investissements non amortis, du manque à gagner subi pendant la période allant du 19 mars 2017 au 5 juillet 2019, et du passif admis à la procédure collective, préjudices qu'elle impute à la décision de résiliation. Elle n'a en revanche pas saisi la Cour de conclusions tendant à la condamnation de la commune à lui payer les sommes de 36 758 euros et 5 000 euros correspondant aux préjudices qu'elle soutenait avoir subis avant l'intervention de la décision de résiliation. Dès lors, l'appel doit être regardé comme dirigé contre le jugement en tant seulement que celui-ci rejette la demande d'indemnisation des conséquences de la résiliation.

Sur la fin de non-recevoir opposée à la requête d'appel :

3. La requête d'appel présentée par l'entreprise Ornabell, qui critique la régularité et le bien-fondé du jugement attaqué, est suffisamment motivée. La fin de non-recevoir présentée par la commune et tirée de la méconnaissance de l'article R. 411-1 du code de justice administrative ne peut donc être accueillie.

Sur la régularité du jugement en tant qu'il rejette la demande d'indemnisation des conséquences de la résiliation :

4. Si le recours de plein contentieux contestant la validité de la résiliation d'un contrat et tendant à la reprise des relations contractuelles doit être formé dans un délai de deux mois à compter de la date à laquelle il a été informé de la mesure de résiliation, la présentation de conclusions indemnitaires par le titulaire du contrat résilié n'est pas soumise à ce délai de deux mois, applicable aux seules conclusions tendant à la reprise des relations contractuelles. C'est donc à tort que les premiers juges ont, dans le point 2 du jugement attaqué, opposé à la demande d'indemnisation des conséquences de la résiliation présentée par la société une irrecevabilité tirée de l'absence de contestation par cette dernière, dans le délai de deux mois, de la décision de résiliation.

5. Il résulte de ce qui précède que, sans qu'il soit besoin d'examiner les autres moyens présentés à ce titre, l'entreprise Ornabell est fondée à soutenir que le jugement attaqué est irrégulier en tant qu'il rejette comme irrecevable sa demande tendant à l'indemnisation des conséquences de la résiliation et en tant qu'il met une somme à sa charge en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative. Il y a lieu pour la Cour d'annuler ce jugement et d'évoquer l'affaire dans cette mesure.

Sur les fins de non-recevoir opposées aux demandes de première instance :

En ce qui concerne la tardiveté :

6. Aux termes de l'article R. 421-1 du code de justice administrative, " la juridiction ne peut être saisie que par voie de recours formé contre une décision, et ce, dans les deux mois à partir de la notification ou de la publication de la décision attaquée / Lorsque la requête tend au paiement d'une somme d'argent, elle n'est recevable qu'après l'intervention de la décision prise par l'administration sur une demande préalablement formée devant elle ".

7. Il résulte de l'instruction que la réclamation indemnitaire préalable présentée par l'entreprise Ornabell a été adressée à la commune de Mandelieu-la-Napoule par courrier du 8 février 2018, réceptionné en mairie le 13 février 2018. Comme le prévoit l'article R. 421-2 du code de justice administrative, une décision implicite de rejet est née le 13 avril 2018 du silence gardé par l'administration. Le délai franc de recours de deux mois prévu par l'article R. 421-1 du code de justice administrative expirait donc le jeudi 14 juin 2018 à minuit. Il en résulte qu'en tout état de cause, la demande de première instance présentée le 14 juin 2018 par l'entreprise Ornabell n'était pas tardive. La circonstance que l'entreprise a, par ailleurs, adressé le 9 février 2018 à la commune la copie de sa réclamation par télécopie n'est pas de nature à modifier la date de départ du délai de naissance de la décision implicite.

En ce qui concerne l'identité d'objet des deux demandes présentées en première instance :

8. Contrairement à ce que soutient la commune de Mandelieu-la-Napoule, aucune règle ni aucun principe ne peut conduire à regarder comme irrecevable un recours ayant même objet qu'un recours précédemment introduit et non encore jugé.

En ce qui concerne la qualité pour agir de M. A... :

9. D'une part, aux termes de l'article L. 237-2 du code de commerce : " La société est en liquidation dès l'instant de sa dissolution (...). La personnalité morale de la société subsiste pour les besoins de la liquidation, jusqu'à la clôture de celle-ci. ". Le premier alinéa de l'article L. 237-18 du même code dispose : " I. - Un ou plusieurs liquidateurs sont désignés par les associés, si la dissolution résulte du terme statutaire ou si elle est décidée par les associés. ". Aux termes de l'article L. 237-24 : " Le liquidateur représente la société. Il est investi des pouvoirs les plus étendus pour réaliser l'actif, même à l'amiable. (...) / Il est habilité à payer les créanciers et répartir le solde disponible. ".

10. Les règles posées par l'ensemble de ces dispositions ne sont édictées que dans l'intérêt des créanciers. Dès lors, seul le liquidateur peut s'en prévaloir pour exciper de l'irrecevabilité du gérant de la société à se pourvoir en justice ou à poursuivre une instance en cours. En l'absence d'opposition du liquidateur, la fin de non-recevoir présentée par la commune ne peut donc être accueillie.

Sur l'exception de prescription quadriennale :

11. Le fait générateur du dommage dont l'entreprise demande l'indemnisation est la décision de celle-ci de résilier le contrat d'affermage pour motif d'intérêt général, intervenue au cours de l'année 2016. Les droits à réparation de l'entreprise ayant été acquis en 2016, le délai de prescription quadriennale institué par l'article 1er de la loi du 31 décembre 1968 relative à la prescription des créances sur l'Etat, les départements, les communes et les établissements publics expirait au 31 décembre 2020. La réclamation indemnitaire et le recours contentieux ayant été présentés en 2018, les créances n'étaient pas prescrites.

Sur la responsabilité de la commune :

12. En l'absence de stipulation contraire dans le contrat, le cocontractant de l'administration a droit, même en l'absence de faute de l'administration, à la réparation intégrale du préjudice résultant de la résiliation, sauf dans le cas où cette résiliation est régulièrement prononcée à ses torts en raison d'une ou plusieurs fautes commises par lui. Aucune faute n'étant imputée à l'entreprise Ornabell, cette dernière a donc droit à être indemnisée des conséquences préjudiciables de la résiliation prononcée par délibération du 7 novembre 2016.

Sur les préjudices :

13. En premier lieu, lorsqu'une personne publique résilie une concession avant son terme normal, le concessionnaire est fondé à demander l'indemnisation du préjudice qu'il subit à raison du retour anticipé des biens à titre gratuit dans le patrimoine de la collectivité publique, dès lors qu'ils n'ont pu être totalement amortis.

14. Il ressort, du rapport établi par l'expert missionné par la commune de Mandelieu-la-Napoule que la valeur non amortie des investissements réalisés par l'EURL Ornabell entre 2010 et 2015 s'élevait à 10 724,92 euros. Par ailleurs, l'assureur de l'entreprise a attesté de ce qu'aucune indemnité n'avait été versée à l'entreprise au titre des investissements non amortis réalisés par l'entreprise, qui concernaient l'éclairage des terrains, le beach tennis et les terrains de boules. Il en résulte que l'entreprise Ornabell a droit à être indemnisée du préjudice subi à ce titre.

15. En second lieu, lorsqu'une personne publique résilie une concession avant son terme normal, pour un motif d'intérêt général, le concessionnaire a droit à être indemnisé du manque à gagner résultant de la perte des bénéfices que l'exécution de la convention aurait pu lui procurer.

16. S'il ressort du rapport rédigé le 8 février 2018 par l'expert-comptable mandaté par l'entreprise Ornabell que le manque à gagner a été évalué par celui-ci à 112 750 euros pour la période courant du 1er octobre 2016 au 5 juillet 2019, ce rapport se fonde sur des hypothèses de progression du chiffre d'affaires et de réduction des coûts de structure, dont la vraisemblance n'est pas établie. Au contraire, il résulte de l'instruction que l'EURL Ornabell, placée en redressement judiciaire dès le 17 mars 2015, soit antérieurement à la survenance du sinistre, avait connu une baisse importante de son chiffre d'affaires et que son résultat courant était à peine positif en l'absence même de rémunération de son gérant depuis l'exercice clos en 2013. Dans ces conditions, il y a lieu de tenir compte non pas des projections fournies par la société, mais du résultat d'exploitation effectivement réalisé par cette dernière lors de l'exercice clos en 2015, soit 3 016 euros. Compte tenu de la durée d'exploitation restant à courir entre la résiliation du contrat, intervenue le 7 novembre 2016, et le terme fixé par le contrat au 5 juillet 2019, il sera fait une juste appréciation du manque à gagner causé à l'entreprise du fait de l'arrêt de l'exploitation en l'évaluant à 8 000 euros.

17. Le passif admis à la procédure collective, d'un montant de 41 772,23 euros, ne constitue pas un préjudice en lien avec l'arrêt de l'exploitation. Au demeurant, il ressort du rapport de l'expert mandaté par la commune que la société présentait déjà un passif de ce montant au moment de son placement en redressement judiciaire en 2015.

18. Il résulte de tout ce qui précède que l'entreprise Ornabell est seulement fondée à demander la condamnation de la commune de Mandelieu-la-Napoule à hauteur d'une somme de 18 724,92 euros.

Sur les frais liés au litige :

19. L'article L. 761-1 du code de justice administrative fait obstacle à ce qu'une somme quelconque soit mise à la charge de l'entreprise Ornabell, qui n'est pas la partie perdante dans la présente instance. Il y a lieu, en revanche, de mettre à la charge de la commune de Mandelieu-la-Napoule une somme de 2 000 euros en remboursement des frais exposés par l'entreprise Ornabell et non compris dans les dépens.

D É C I D E :

Article 1er : L'article 1er du jugement nos 1604769, 1802528 du 2 juillet 2019 du tribunal administratif de Nice est annulé en tant qu'il rejette la demande d'indemnisation des conséquences de la résiliation de la convention liant l'entreprise Ornabell et la commune de Mandelieu-la-Napoule.

Article 2 : L'article 2 du jugement qui met à la charge de l'entreprise Ornabell une somme de 1 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative est annulé.

Article 3 : La commune de Mandelieu-la-Napoule est condamnée à payer à l'entreprise Ornabell une somme de 18 724,92 euros.

Article 4 : La commune de Mandelieu-la-Napoule versera à l'entreprise Ornabell une somme de 2 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Article 5 : Le surplus des conclusions des parties est rejeté.

Article 6 : Le présent arrêt sera notifié à l'EURL Ornabell et à la commune de Mandelieu-la-Napoule.

Délibéré après l'audience du 12 septembre 2022, où siégeaient :

- M. Alexandre Badie, président,

- M. Renaud Thielé, président assesseur,

- Mme Isabelle Gougot, première conseillère.

Rendu public par mise à disposition au greffe le 26 septembre 2022.

N° 19MA04143 2


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Marseille
Formation : 6ème chambre
Numéro d'arrêt : 19MA04143
Date de la décision : 26/09/2022
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Plein contentieux

Analyses

Marchés et contrats administratifs - Notion de contrat administratif - Diverses sortes de contrats - Délégations de service public - Concession de service public.

Procédure - Introduction de l'instance - Qualité pour agir - Représentation des personnes morales.


Composition du Tribunal
Président : M. BADIE
Rapporteur ?: M. Renaud THIELÉ
Rapporteur public ?: M. POINT
Avocat(s) : LEROY-FRESCHINI

Origine de la décision
Date de l'import : 02/10/2022
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.marseille;arret;2022-09-26;19ma04143 ?
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