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12/07/2022 | FRANCE | N°21MA04331

France | France, Cour administrative d'appel de Marseille, 4ème chambre, 12 juillet 2022, 21MA04331


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

Mme B... D... a demandé au tribunal administratif de Marseille d'annuler la décision du 13 novembre 2018 par laquelle le préfet des Bouches-du-Rhône lui a refusé le bénéfice du regroupement familial au profit de sa fille mineure.

Par un jugement n° 1905826 du 19 octobre 2021, le tribunal administratif de Marseille a annulé cette décision, a enjoint au préfet des Bouches-du-Rhône de réexaminer la demande de Mme D... dans le délai de deux mois à compter de la notification du jugement, a mis à l

a charge de l'Etat la somme de 1 000 euros sur le fondement des dispositions de l'ar...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

Mme B... D... a demandé au tribunal administratif de Marseille d'annuler la décision du 13 novembre 2018 par laquelle le préfet des Bouches-du-Rhône lui a refusé le bénéfice du regroupement familial au profit de sa fille mineure.

Par un jugement n° 1905826 du 19 octobre 2021, le tribunal administratif de Marseille a annulé cette décision, a enjoint au préfet des Bouches-du-Rhône de réexaminer la demande de Mme D... dans le délai de deux mois à compter de la notification du jugement, a mis à la charge de l'Etat la somme de 1 000 euros sur le fondement des dispositions de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991 et de l'article L. 761-1 du code de justice administrative, et a rejeté le surplus de la demande.

Procédure devant la Cour :

Par une requête enregistrée le 8 novembre 2021, le préfet de la région Provence-Alpes-Côte d'Azur, préfet des Bouches-du-Rhône, demande à la Cour :

1°) d'annuler ce jugement du tribunal administratif de Marseille du 19 octobre 2021 ;

2°) de rejeter la demande de Mme D... présentée devant le tribunal administratif de Marseille ;

Le préfet soutient que :

- le maire de la commune de Marseille ayant rendu un avis sur les ressources et le logement de Mme D..., contrairement à ce qu'ont estimé les premiers juges, la procédure d'édiction de la décision litigieuse n'est pas viciée ; c'est donc à tort que le tribunal a considéré que l'article R. 421-18 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile a été méconnu ;

- les autres moyens articulés en première instance par Mme D... ne sont pas fondés.

La requête du préfet des Bouches-du-Rhône a été communiquée à Mme D... qui n'a pas produit de mémoire en défense.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 ;

- le code des relations entre le public et l'administration ;

- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;

- le code de justice administrative.

La présidente de la Cour a désigné M. Michaël Revert, président assesseur, pour présider la formation de jugement en application de l'article R. 222-26 du code de justice administrative.

Le président de la formation de jugement a dispensé le rapporteur public, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

A été entendu au cours de l'audience publique le rapport de M. A...

Considérant ce qui suit :

1. Mme D..., ressortissante ivoirienne, née le 30 septembre 1982, entrée en France le 25 février 2013, et titulaire d'une carte de résident valable jusqu'au 7 août 2029, a présenté une demande de regroupement familial au bénéfice de sa fille, née le 24 décembre 2002, qui a été rejetée par une décision du préfet des Bouches-du-Rhône en date du 13 novembre 2018. Par jugement du 19 octobre 2021, dont le préfet des Bouches-du-Rhône relève appel, le tribunal administratif de Marseille a annulé cette décision, a enjoint au préfet de réexaminer la demande de regroupement familial de Mme D... dans le délai de deux mois à compter de la notification du jugement, a mis à la charge de l'Etat la somme de 1 000 euros au titre des frais d'instance, et a rejeté le surplus de la demande.

Sur le bien-fondé du jugement attaqué :

2. Aux termes de l'article L. 421-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " L'autorisation d'entrer en France dans le cadre de la procédure du regroupement familial est donnée par l'autorité administrative compétente après vérification des conditions de logement et de ressources par le maire de la commune de résidence de l'étranger ou le maire de la commune où il envisage de s'établir ". L'article L. 421-2 du même code prévoit que, pour procéder à la vérification des conditions de logement et de ressources, le maire examine les pièces justificatives requises dont la liste est déterminée par décret. Selon l'article

L. 421-3 de ce code, à l'issue de l'instruction, le maire émet un avis motivé.

3. Il résulte de ces dispositions que la légalité de la décision du préfet d'accorder l'autorisation d'entrer en France dans le cadre de la procédure de regroupement familial est subordonnée, notamment, aux vérifications des conditions de logement et de ressources de l'étranger formulant une telle demande et que cette autorisation doit, en vertu des dispositions combinées des articles L. 421-2, L. 421-3 et R. 421-18 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, être précédée d'un avis motivé du maire de la commune de résidence du pétitionnaire. Cette consultation obligatoire du maire de la commune préalablement à la décision du préfet statuant sur une demande de regroupement familial, qui a pour objet d'éclairer l'autorité administrative compétente, par un avis motivé, sur les conditions de ressources et d'hébergement de l'étranger formulant une telle demande, constitue ainsi une garantie instituée par le législateur et précisée par le pouvoir réglementaire sans qu'y fasse obstacle la circonstance qu'en l'absence d'avis explicitement formulé, cet avis est réputé favorable à l'expiration d'un délai de deux mois à compter de la communication du dossier par l'autorité administrative.

4. Pour annuler la décision de refus en litige, le tribunal s'est fondé sur le motif tiré de ce que, dans la mesure où la mention " favorable " figurant sur le document du 17 août 2018, produit par le préfet des Bouches-du-Rhône et intitulé " relevé d'enquête de l'OFII ", sous les rubriques " avis du maire sur le logement " et " avis du maire sur les ressources ", ne pouvait être vue comme émanant du maire de Marseille ou, à défaut, d'une personne bénéficiant de sa délégation régulière à cet effet, cette absence de consultation régulière du maire avait privé

Mme D... d'une garantie dans l'instruction de sa demande de regroupement familial.

5. Il résulte cependant du rapprochement entre ce relevé d'enquête de l'OFII, et les documents, produits par le préfet pour la première fois en appel, intitulés " enquête logement " et " enquête ressources " du 9 mai 2018, que Mme C... E..., adjointe au maire de la commune de Marseille, déléguée à la sécurité publique et prévention de la délinquance, a émis un avis favorable au titre du logement de Mme D..., mais défavorable quant à ses ressources, jugées insuffisantes car tirées d'un contrat à durée indéterminée exécuté à temps partiel. Dans ces conditions, le préfet est fondé à soutenir que, contrairement à ce qu'a jugé le tribunal, le maire de la commune de Marseille, commune de résidence de

Mme D..., a émis, par l'intermédiaire de son adjointe, dont l'existence et la régularité de la délégation ne sont pas discutées, un avis motivé sur ses conditions de ressources et de logement et qu'ainsi, la décision litigieuse est intervenue au terme d'une procédure régulière.

6. Il appartient donc à la Cour, saisie de l'ensemble du litige par l'effet dévolutif de l'appel, d'examiner les autres moyens soulevés en première instance par Mme D..., qui n'a pas produit d'observations devant la Cour.

7. En premier lieu, la décision en litige, qui comporte les considérations de droit et de fait qui en constituent le fondement, est suffisamment motivée, malgré l'absence de référence aux stipulations de l'article 3-1 de la convention internationale sur les droits de l'enfant ou à celles de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales. Le moyen tiré de l'insuffisance de motivation ne peut donc qu'être écarté.

8. En deuxième lieu, il ne ressort ni des énonciations de la décision litigieuse, ni des autres pièces du dossier, que le préfet des Bouches-du-Rhône n'aurait pas procédé à un examen réel et complet de la demande de Mme D....

9. En troisième lieu, aux termes de l'article L. 411-5 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, dans sa rédaction en vigueur au jour de la décision en litige :

" Le regroupement familial ne peut être refusé que pour l'un des motifs suivants : 1° Le demandeur ne justifie pas de ressources stables et suffisantes pour subvenir aux besoins de sa famille. Sont prises en compte toutes les ressources du demandeur et de son conjoint indépendamment des prestations familiales, de l'allocation équivalent retraite et des allocations prévues à l'article L. 262-1 du code de l'action sociale et des familles, à l'article L. 815-1 du code de la sécurité sociale et aux articles L. 5423-1 et L. 5423-2 du code du travail. Les ressources doivent atteindre un montant qui tient compte de la taille de la famille du demandeur. Le décret en Conseil d'Etat prévu à l'article L. 441-1 fixe ce montant qui doit être au moins égal au salaire minimum de croissance mensuel et au plus égal à ce salaire majoré d'un cinquième. Ces dispositions ne sont pas applicables lorsque la personne qui demande le regroupement familial est titulaire de l'allocation aux adultes handicapés mentionnée aux articles L. 821-1 ou L. 821-2 du code de la sécurité sociale ou de l'allocation supplémentaire mentionnée à l'article L. 815-24 du même code ou lorsqu'une personne âgée de plus de soixante-cinq ans et résidant régulièrement en France depuis au moins vingt-cinq ans demande le regroupement familial pour son conjoint et justifie d'une durée de mariage d'au moins dix ans (...) ". En vertu des articles

R. 411-4 et R. 421-4 du même code, les ressources du demandeur et de son conjoint qui alimentent de façon stable le budget de la famille sont appréciées sur une période de douze mois précédant la demande par référence à la moyenne mensuelle du salaire minimum de croissance au cours de cette période.

10. Il ressort des pièces du dossier que, au cours des douze mois précédant le dépôt de sa demande, le 1er décembre 2017, Mme D... a perçu, pour les neuf premiers mois de cette période, des revenus tirés d'un emploi en contrat à durée déterminée exercé à temps partiel, inférieurs au salaire minimum de croissance mensuel, ainsi que des allocations journalières versées par Pôle emploi dans la cadre d'une formation d'aide-soignante, lesquelles ne sont pas au nombre de celles admises par les dispositions législatives citées au point précédent et présentent un caractère précaire, et qu'elle n'occupait aucun emploi sur les trois derniers mois de la période de référence. Ainsi, les ressources dont elle disposait au cours de la période de

douze mois précédant sa demande ne peuvent être regardées comme suffisantes et stables, au sens et pour l'application des dispositions du 1° de l'article L. 411-5 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile. C'est par conséquent à bon droit que le préfet a pu refuser pour ce motif de faire droit à la demande de regroupement familial de Mme D....

11. En quatrième lieu, aux termes de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales : " 1. Toute personne a droit au respect de sa vie privée et familiale (...) / 2. Il ne peut y avoir ingérence d'une autorité publique dans l'exercice de ce droit que pour autant que cette ingérence est prévue par la loi et qu'elle constitue une mesure qui, dans une société démocratique, est nécessaire à la sécurité nationale, à la sûreté publique, au bien-être économique du pays, à la défense de l'ordre et à la prévention des infractions pénales, à la protection de la santé ou de la morale, ou à la protection des droits et libertés d'autrui ". Par ailleurs, aux termes de l'article 3-1 de la convention internationale relative aux droits de l'enfant : " Dans toutes les décisions concernant les enfants, qu'elles soient le fait d'institutions publiques ou privées de protection sociale, des tribunaux, des autorités administratives ou des organes législatifs, l'intérêt supérieur de l'enfant doit être une considération primordiale. ". Il résulte de ces dernières stipulations que, dans l'exercice de son pouvoir d'appréciation, l'autorité administrative doit accorder une attention primordiale à l'intérêt supérieur des enfants dans toutes les décisions les concernant.

12. Il ressort des pièces du dossier que si Mme D... vit en France depuis

février 2013, sous couvert d'un titre de séjour depuis 2014 et dispose d'un logement depuis 2016, elle ne livre aucune précision quant à la relation amoureuse avec un ressortissant français dont elle se prévaut, ni sur les raisons pour lesquelles, en dépit d'une première tentative infructueuse de solliciter en 2016 au bénéfice de sa fille née en 2002 le regroupement familial, elle est demeurée séparée de celle-ci depuis son entrée en France, en 2013. La simple circonstance que, selon une attestation du père de sa fille, laquelle n'est ainsi pas dépourvue d'attache familiale forte dans son pays d'origine, Mme D... verse chaque mois à celui-ci 200 à 250 euros et a ouvert un compte bancaire au bénéfice de sa fille depuis août 2017, n'est pas à elle seule de nature à démontrer qu'elle contribue effectivement à l'entretien de son enfant. Dans ces conditions, en refusant de faire droit par la décision en litige à la demande de regroupement familial de Mme D..., le préfet n'a pas porté une atteinte disproportionnée à son droit au respect de sa vie privée et familiale et n'a donc pas méconnu les stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales. Pour les mêmes motifs, le préfet n'a pas davantage méconnu les stipulations de l'article 3-1 de la convention internationale relative aux droits de l'enfant, ni entaché sa décision d'une erreur manifeste d'appréciation.

13. Il résulte de tout ce qui précède que le préfet des Bouches-du-Rhône est fondé à demander l'annulation du jugement attaqué et à soutenir que la demande de Mme D... présentée devant le tribunal administratif de Marseille doit être rejetée, y compris les conclusions liées aux frais de première instance.

D É C I D E :

Article 1er : Le jugement du tribunal administratif de Marseille n° 1905826 du 19 octobre 2021 est annulé.

Article 2 : La demande de Mme D... présentée devant le tribunal administratif de Marseille est rejetée.

Article 3 : Le présent arrêt sera notifié à Mme B... D... et au ministre de l'intérieur et des outre-mer.

Copie en sera adressée au préfet des Bouches-du-Rhône.

Délibéré après l'audience du 5 juillet 2022, où siégeaient :

- M. Revert, président,

- M. Ury, premier conseiller,

- Mme Renault, première conseillère.

Rendu public par mise à disposition au greffe, le 12 juillet 2022.

N° 21MA043312


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Marseille
Formation : 4ème chambre
Numéro d'arrêt : 21MA04331
Date de la décision : 12/07/2022
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Excès de pouvoir

Analyses

335-01 Étrangers. - Séjour des étrangers.


Composition du Tribunal
Président : M. REVERT
Rapporteur ?: M. Didier URY
Rapporteur public ?: M. ANGENIOL

Origine de la décision
Date de l'import : 26/07/2022
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.marseille;arret;2022-07-12;21ma04331 ?
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