Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
Le groupement foncier agricole (GFA) de la Grange a demandé au tribunal administratif de Marseille de condamner l'association syndicale autorisée (ASA) de Laragne-Montéglin à lui verser une somme de 24 951 euros, majorée des intérêts de droit à compter de la date de la première demande d'indemnisation formée le 23 avril 2018 avec capitalisation des intérêts échus, en réparation du préjudice subi du fait du dysfonctionnement du clapet réducteur de débit d'eau survenu à la fin de l'hiver 2016-2017.
Par un jugement n°1806085 du 26 mars 2020, le tribunal administratif de Marseille a rejeté sa demande.
Procédure devant la Cour :
Par une requête et des mémoires, enregistrés les 26 mai 2020, 31 juillet 2020, 16 février 2022 et 15 avril 2022, le GFA de la Grange, représenté par la SCP TGA - Avocats, demande à la Cour :
1°) d'annuler ce jugement du tribunal administratif de Marseille du 26 mars 2020 ;
2°) de condamner l'ASA de Laragne-Montéglin à lui verser une somme de 24 951 euros, majorée des intérêts de droit à compter de la date de la première demande d'indemnisation formée le 23 avril 2018 avec capitalisation des intérêts échus ;
3°) de mettre à la charge de l'ASA de Laragne-Montéglin les entiers dépens ainsi que la somme de 4 000 euros en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Il soutient que :
- le jugement attaqué est irrégulier, le mémoire en défense de l'ASA de Laragne-Montéglin enregistré le 17 janvier 2019 ne lui ayant pas été notifié, en violation du principe du contradictoire ;
- la responsabilité de l'ASA est engagée pour défaut d'entretien normal du fait du dysfonctionnement du clapet réducteur de débit d'eau survenu à la fin de l'hiver 2016-2017 ; ce dysfonctionnement a entraîné un manque de pression du réseau de l'ASA, ce qui l'a empêché de pratiquer l'antigel et endommagé sa récolte de poiriers 2017 ;
- à titre subsidiaire, la responsabilité sans faute de l'ASA est également engagée du fait du dysfonctionnement de la fourniture d'eau ; l'ASA était tenue de fournir de l'eau au débit de 50 m3 à la date de survenance du sinistre, entre le 20 et le 30 avril 2017 ; le préjudice subi présente un caractère anormal et spécial compte-tenu de l'ampleur de la perte de récolte subie ;
- le préjudice économique subi, consistant en la perte de profits sur les fruits non récoltés et sur les fruits récoltés vendus à un prix déclassé du fait de leur malformation, doit être évalué à la somme de 19 951 euros ;
- la résistance abusive de l'ASA est constitutive d'une faute génératrice d'un préjudice qui pourra être évaluée à la somme de 3 000 euros ;
- le stress et l'anxiété générés par cette perte de récolte sont constitutifs d'un préjudice moral, qui pourra être évalué à 1 000 euros.
Par des mémoires en défense, enregistrés les 10 juin 2020, 17 septembre 2020, 15 mars 2022 et des pièces enregistrées le 29 avril 2022, l'ASA de Laragne-Montéglin, représentée par Me Pellegrin de la SELARL BGLM, conclut au rejet de la requête et à ce que les entiers dépens ainsi qu'une somme de 5 000 euros soit mise à la charge du GFA de la Grange au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle soutient que la requête est non fondée dans les moyens qu'elle soulève.
Par un mémoire en intervention, enregistré le 3 août 2020, la compagnie Groupama Méditerranée, représentée par Me Volpato, conclut au rejet de la requête.
Elle soutient que son intervention volontaire, en sa qualité d'assureur de l'ASA de Laragne-Montéglin est recevable et que la requête n'est pas fondée dans les moyens qu'elle soulève.
La présidente de la Cour a désigné M. Laurent Marcovici, président assesseur de la 5ème chambre, pour présider, en application de l'article R. 222-26 du code de justice administrative, la formation de jugement.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Après avoir entendu en audience publique :
- le rapport de Mme A...,
- les conclusions de M. Pecchioli, rapporteur public,
- et les observations de Me Dessinge représentant le GFA de La Grange et celles de Me Royer représentant l'ASA de Laragne-Montéglin.
Une note en délibéré a été enregistrée le 27 juin 2022 pour le GFA de La Grange.
Considérant ce qui suit :
1. Le GFA de La Grange relève appel du jugement du 26 mars 2020 par lequel le tribunal administratif de Marseille a rejeté sa demande tendant à la condamnation de l'association syndicale autorisée (ASA) de Laragne-Montéglin à lui verser une somme de 24 951 euros, majorée des intérêts de droit à compter de la date de la première demande d'indemnisation formée le 23 avril 2018 avec capitalisation des intérêts échus, en réparation du préjudice subi du fait du dysfonctionnement du clapet réducteur de débit d'eau survenu à la fin de l'hiver 2016-2017.
Sur l'intervention de la compagnie Groupama Méditerranée :
2. L'arrêt à rendre sur la requête du GFA de La Grange est susceptible de préjudicier aux droits de la société Groupama Méditerranée, assureur de l'ASA de Laragne-Montéglin. Par suite, son intervention est recevable.
Sur la régularité du jugement attaqué :
3. Aux termes de l'article R. 611-1 du code de justice administrative : " (...) La requête, le mémoire complémentaire annoncé dans la requête et le premier mémoire de chaque défendeur sont communiqués aux parties avec les pièces jointes (...). / Les répliques, autres mémoires et pièces sont communiqués s'ils contiennent des éléments nouveaux ".
4. Il ressort des pièces du dossier soumis aux juges du fond que l'unique mémoire en défense de l'ASA de Laragne-Montéglin a été enregistré par le greffe du tribunal administratif de Marseille le 17 janvier 2019, avant la clôture de l'instruction. Il appartenait dès lors au tribunal, qui a d'ailleurs visé ces observations, de les communiquer au requérant. En s'abstenant de procéder de la sorte, le tribunal a méconnu les exigences qui découlent des dispositions précitées de l'article R. 611-1 du code de justice administrative et qui sont destinées à garantir le caractère contradictoire de l'instruction. Il suit de là que le GFA de La Grange est fondé à soutenir que le jugement attaqué est intervenu à la suite d'une procédure irrégulière et à en demander, pour ce motif, l'annulation.
5. Il convient donc d'annuler le jugement attaqué du fait de cette irrégularité et de statuer immédiatement sur le litige par la voie de l'évocation.
Sur le fond :
S'agissant du principe de la responsabilité :
6. Il appartient à la victime d'un dommage survenu à l'occasion de l'utilisation d'un ouvrage public d'apporter la preuve du lien de causalité entre l'ouvrage public dont elle était usager et le dommage dont elle se prévaut. La collectivité en charge de l'ouvrage public peut s'exonérer de sa responsabilité en rapportant la preuve soit de l'entretien normal de l'ouvrage, soit de ce que le dommage est imputable à la faute de la victime ou à un cas de force majeure.
7. Il résulte de l'instruction, en particulier du courrier du 18 mai 2017 par lequel le président de l'ASA de Laragne-Montéglin a déclaré le sinistre à son assureur et du rapport de l'expert agricole et foncier mandaté par l'assureur du GFA de La Grange, qu'un dysfonctionnement du clapet réducteur de débit de la borne d'arrosage n°A 120.2 du réseau d'irrigation de l'ASA de Laragne-Montéglin, dont est membre le GFA de La Grange, a empêché ce dernier de pratiquer fin avril 2017 l'aspersion antigel sur les parcelles cadastrées 190, 195, 873 et 874, d'une superficie totale de 2 hectares 6 ares et 60 centiares, situées au lieu-dit Le Paroir de la commune de Val-Buëch-Méouge, ce qui a entraîné une chute notable de la production de poires sur ces parcelles au cours de l'été 2017. Si l'ASA produit pour la première fois en appel une attestation d'un de ses employés faisant état d'une pression satisfaisante du réseau de l'ASA de Laragne-Montéglin et de la défectuosité du réseau d'arrosage particulier du GFA, en aval de la borne d'arrosage, cette attestation, rédigée le 25 avril 2022 pour les seuls besoins de la cause par cet employé pourtant présent lors des constats contradictoires effectués le 7 août 2017 par l'expert agricole et foncier mandaté par l'assureur du GFA de La Grange, ne permet pas d'établir l'entretien normal de la borne d'arrosage ni la défectuosité du réseau particulier du GFA de La Grange. Si l'ASA de Laragne-Montéglin soutient également que le dysfonctionnement de la borne d'arrosage serait lié à la présence d'une pierre obstruant le clapet réducteur de débit, cette circonstance, qui ne saurait être assimilée à un cas de force majeure, est sans incidence sur l'engagement de la responsabilité de l'ASA de Laragne-Montéglin pour défaut d'entretien normal de l'ouvrage public que constitue la borne d'arrosage, dont le GFA de La Grange est usager.
S'agissant du préjudice :
8. Il résulte de l'instruction, en particulier du rapport précité de l'expert agricole et foncier mandaté par l'assureur du GFA de La Grange, que la perte totale de recettes liée à la mauvaise récolte de poires subie du fait du gel par le GFA de La Grange sur les parcelles concernées, d'une superficie de 2,066 hectares, s'élève à 19 951 euros. L'ASA de Laragne-Montéglin soutient, sans être utilement contredite sur ce point, que l'aspersion antigel, qui ne peut être pratiquée que sur une faible part des surfaces irriguées, n'aurait pu permettre de sauver qu'une partie de la récolte de poires du GFA de La Grange. En outre, il est constant que le GFA de La Grange a perçu une indemnisation d'un montant de 3 500 euros par hectare, dans le cadre du fonds " calamité agricole gel 2017 " mis en place par les services de l'Etat, pour l'ensemble de ses parcelles touchées par le gel, y compris celles qui étaient susceptibles de bénéficier de l'aspersion antigel grâce au réseau d'irrigation de l'ASA de Laragne-Montéglin. Il convient donc de déduire cette indemnisation forfaitaire, d'un montant total de 7 000 euros pour les parcelles concernées, du montant du préjudice indemnisable lié à la perte d'une partie de la récolte de poires du GFA de La Grange du fait du dysfonctionnement de la borne d'arrosage du réseau de l'ASA de Laragne-Montéglin, lequel a empêché le GFA de La Grange de pratiquer l'aspersion antigel sur ces parcelles et d'en sauver au moins une partie de la récolte. Dans ces conditions, il sera fait une juste appréciation du préjudice restant à indemniser en allouant à ce titre au GFA de La Grange la somme de 4 500 euros.
9. Le refus opposé par l'ASA de Laragne-Montéglin et son assureur à la demande d'indemnisation préalable présentée par le GFA de La Grange, qui ne saurait être regardé, dans les circonstances de l'espèce, comme constitutif d'une faute, n'est pas susceptible d'ouvrir droit à réparation au profit de ce dernier, qui en tout état de cause, n'établit pas la réalité du préjudice invoqué sur ce point.
10. Le préjudice de stress et d'anxiété spécifiquement lié à la perte de récoltes sur les parcelles concernées dont le GFA de La Grange demande réparation n'est pas non plus établi par les pièces du dossier.
11. Il résulte de ce qui précède que le GFA de La Grange est seulement fondé à demander la condamnation de L'ASA de Laragne-Montéglin à lui verser la somme totale de 4 500 euros.
Sur les frais liés au litige :
12. Aucun dépens n'a été exposé dans le cadre de la présente instance.
13. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative s'opposent à ce qu'il soit mis une somme à la charge du GFA de La Grange, qui n'a pas la qualité de partie perdante à l'instance. Dans les circonstances de l'espèce, il y a lieu de mettre à la charge de l'ASA de Laragne-Montéglin le versement au GFA de La Grange d'une somme de 2 000 euros sur le fondement de ces dispositions.
D É C I D E :
Article 1er : L'intervention de la compagnie Groupama Méditerranée est admise.
Article 2 : Le jugement du tribunal administratif de Marseille du 26 mars 2020 est annulé.
Article 3 : L'ASA de Laragne-Montéglin est condamnée à verser au GFA de La Grange une somme de 4 500 euros.
Article 4 : L'ASA de Laragne-Montéglin versera la somme de 2 000 euros au GFA de La Grange au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 5 : Les conclusions de l'ASA de Laragne-Montéglin tendant à l'application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.
Article 6 : Le présent arrêt sera notifié au groupement foncier agricole (GFA) de La Grange, à l'association syndicale autorisée (ASA) de Laragne-Montéglin et à la compagnie Groupama Méditerranée.
Délibéré après l'audience du 27 juin 2022, où siégeaient :
- M. Marcovici, président,
- M. Mérenne, premier conseiller,
- Mme Balaresque, première conseillère.
Rendu public par mise à disposition au greffe le 11 juillet 2022.
N° 20MA01889 2