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08/07/2022 | FRANCE | N°19MA02013

France | France, Cour administrative d'appel de Marseille, 7ème chambre, 08 juillet 2022, 19MA02013


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

Mme A... B... a demandé au tribunal administratif de Nice d'annuler la décision du 27 octobre 2017 par laquelle l'inspecteur du travail de l'unité départementale des Alpes-Maritimes a autorisé l'association La Croix-Rouge française à la licencier pour motif disciplinaire.

Par un jugement n° 1705655 du 9 avril 2019, le tribunal administratif de Nice a rejeté cette demande.

Procédure devant la Cour :

Par une requête et des mémoires complémentaires, enregistrés le 1er mai 2019, le 8

juillet 2019, le 10 janvier 2020, le 14 janvier 2020, le 20 janvier 2020, le 4 février 2020, ...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

Mme A... B... a demandé au tribunal administratif de Nice d'annuler la décision du 27 octobre 2017 par laquelle l'inspecteur du travail de l'unité départementale des Alpes-Maritimes a autorisé l'association La Croix-Rouge française à la licencier pour motif disciplinaire.

Par un jugement n° 1705655 du 9 avril 2019, le tribunal administratif de Nice a rejeté cette demande.

Procédure devant la Cour :

Par une requête et des mémoires complémentaires, enregistrés le 1er mai 2019, le 8 juillet 2019, le 10 janvier 2020, le 14 janvier 2020, le 20 janvier 2020, le 4 février 2020, le 26 février 2020 et le 25 mai 2022, Mme B..., représentée par Me Zaragoci, demande à la Cour :

1°) d'annuler ce jugement du 9 avril 2019 ;

2°) d'annuler la décision du 27 octobre 2017 de l'inspecteur du travail ;

3°) d'enjoindre à la direction régionale des entreprises, de la concurrence, de la consommation, du travail et de l'emploi Provence-Alpes-Côte d'Azur de procéder au réexamen de la demande d'autorisation de licenciement la concernant ;

4°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 2 500 euros en application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que :

- dès lors qu'elle était titulaire d'un mandat de représentant de section syndicale, le comité d'entreprise aurait dû être saisi pour émettre un avis sur la mesure de licenciement envisagée à son encontre ;

- le principe du contradictoire a été méconnu ;

- la décision querellée est entachée d'erreurs de fait ;

- il n'est pas établi avec certitude qu'elle aurait personnellement commis les faits fautifs qui lui sont imputés.

Par un mémoire en défense, enregistré le 2 août 2019, la ministre du travail conclut au rejet de la requête en renvoyant aux écritures produites par la direction régionale des entreprises, de la concurrence, de la consommation, du travail et de l'emploi Provence-Alpes-Côte d'Azur devant le tribunal.

Par des mémoires, enregistrés le 27 juin 2019, le 30 janvier 2020 et le 3 juin 2022, l'association La Croix-Rouge française, représentée par Me Périès, conclut au rejet de la requête.

Elle fait valoir qu'aucun des moyens de la requête n'est fondé.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- le code du travail ;

- le code de justice administrative.

La présidente de la Cour a désigné Mme Virginie Ciréfice, présidente assesseure, pour présider la formation de jugement en application de l'article R. 222-26 du code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de M. Prieto, premier conseiller,

- les conclusions de M. Roux, rapporteur public,

- et les observations Me Carava, représentant l'association la Croix Rouge française.

Une note en délibéré présentée pour l'association la Croix-Rouge française a été enregistrée le 30 juin 2022.

Considérant ce qui suit :

1. Mme B... a été recrutée le 15 novembre 2012 par l'association La Croix-Rouge française, en qualité de technicienne administrative au sein de l'établissement " Complexe de l'Escarène ", regroupant un foyer de vie et un foyer d'accueil médicalisé d'adultes en situation de handicap mental. Elle avait notamment en charge la gestion et le suivi de la caisse principale d'argent de poche des résidents de l'établissement. Mme B... était détentrice d'un mandat de représentante de section syndicale. Ayant constaté que des pièces comptables avaient fait l'objet de falsification et estimant que ces faits étaient imputables à Mme B..., l'association la Croix-Rouge française, après avoir décidé la mise à pied de l'intéressée, a sollicité auprès de l'inspection du travail l'autorisation de la licencier pour motif disciplinaire. Par décision du 27 octobre 2017, l'inspecteur du travail de l'unité départementale des Alpes-Maritimes a autorisé l'association La Croix-Rouge française à procéder à ce licenciement. Mme B... relève appel du jugement du 9 avril 2019 par lequel le tribunal administratif de Nice a rejeté sa demande tendant à l'annulation de cette décision.

2. En vertu des dispositions du code du travail, les salariés légalement investis de fonctions représentatives bénéficient, dans l'intérêt de l'ensemble des salariés qu'ils représentent, d'une protection exceptionnelle. Lorsque le licenciement de l'un de ces salariés est envisagé, ce licenciement ne doit pas être en rapport avec les fonctions représentatives normalement exercées ou l'appartenance syndicale de l'intéressé. Dans le cas où la demande de licenciement est motivée par un comportement fautif, il appartient à l'inspecteur du travail et, le cas échéant, au ministre, de rechercher, sous le contrôle du juge de l'excès de pouvoir, si les faits reprochés au salarié sont d'une gravité suffisante pour justifier son licenciement, compte tenu de l'ensemble des règles applicables au contrat de travail de l'intéressé et des exigences propres à l'exécution normale du mandat dont il est investi.

Sur le bien-fondé du jugement :

3. En premier lieu, aux termes des dispositions de l'article R. 2421-4 du code du travail, dans leur rédaction applicable : " L'inspecteur du travail procède à une enquête contradictoire au cours de laquelle le salarié peut, sur sa demande, se faire assister d'un représentant de son syndicat. L'inspecteur du travail prend sa décision dans un délai de quinze jours, réduit à huit jours en cas de mise à pied. Ce délai court à compter de la réception de la demande d'autorisation de licenciement. Il n'est prolongé que si les nécessités de l'enquête le justifient. L'inspecteur informe les destinataires mentionnés à l'article R. 2421-5 de la prolongation du délai ". Le caractère contradictoire de l'enquête prévue par ces dispositions impose à l'autorité administrative que le salarié protégé puisse notamment être mis à même de prendre connaissance de l'ensemble des pièces produites par l'employeur à l'appui de sa demande, dans des conditions et des délais lui permettant de présenter utilement sa défense, sans que la circonstance que le salarié est susceptible de connaître le contenu de certaines de ces pièces puisse exonérer l'inspecteur du travail de cette obligation. En l'espèce, il ressort des pièces du dossier que les agissements relevés par l'inspecteur du travail pour apprécier la gravité des faits reprochés à la requérante, à savoir la falsification de documents comptables et le détournement à son profit personnel de fonds des résidents du " Complexe de l'Escarène ", ont été indiqués à Mme B..., notamment lors de l'entretien préalable à son licenciement mais aussi lors de l'enquête contradictoire diligentée par l'inspecteur du travail, laquelle a donné lieu à un entretien en date du 13 septembre 2017 en présence de l'intéressée, au cours duquel un dossier complet lui a été communiqué. Il ressort également des pièces du dossier que l'appelante a été mise en mesure de présenter des observations sur les griefs retenus à son encontre avant l'intervention de la décision litigieuse du 27 octobre 2017, dès lors qu'elle a notamment adressé plusieurs courriels à l'administration, postérieurement à l'entretien contradictoire du 13 septembre 2017. Dans ces conditions, la requérante n'est pas fondée à soutenir que l'autorité administrative ne l'aurait pas informée, de façon suffisamment circonstanciée, des agissements qui lui étaient reprochés et aurait dès lors méconnu le principe du contradictoire.

4. En deuxième lieu, aux termes des dispositions de l'article L. 2421-3 du code du travail, dans leur rédaction applicable : " Le licenciement envisagé par l'employeur d'un délégué du personnel ou d'un membre élu du comité d'entreprise titulaire ou suppléant, d'un représentant syndical au comité d'entreprise ou d'un représentant des salariés au comité d'hygiène de sécurité et des conditions de travail est soumis au comité d'entreprise, qui donne un avis sur le projet de licenciement. (...) ". Ces dispositions énumèrent la liste exhaustive des salariés protégés qui, du fait de leur qualité de membre du comité d'entreprise, bénéficient de la procédure de consultation préalable au licenciement. En l'espèce, Mme B..., qui était représentante d'une section syndicale, n'exerçait aucun des mandats syndicaux mentionnés par ces dispositions et ne peut utilement soutenir que le comité d'entreprise aurait dû être saisi sur le projet de son licenciement.

5. En dernier lieu, en cas de licenciement d'un salarié protégé, les dispositions de l'article L 1235-1 du code du travail, dans leur version applicable au présent cas d'espèce, prévoient qu'" En cas de litige (...), le juge, à qui il appartient d'apprécier la régularité de la procédure suivie et le caractère réel et sérieux des motifs invoqués par l'employeur, forme sa conviction au vu des éléments fournis par les parties après avoir ordonné, au besoin, toutes les mesures d'instruction qu'il estime utiles. (...) Si un doute subsiste, il profite au salarié ". En vertu de ces dispositions, et dans le cas où la demande de licenciement est motivée par un comportement fautif, il appartient à l'inspecteur du travail saisi, et, le cas échéant, au ministre, de rechercher, sous le contrôle du juge de l'excès de pouvoir, si les faits reprochés au salarié sont d'une gravité suffisante pour justifier son licenciement, compte tenu de l'ensemble des règles applicables au contrat de travail de l'intéressé et des exigences propres à l'exécution normale du mandat dont il est investi. En outre, pour refuser l'autorisation sollicitée, l'autorité administrative a la faculté de retenir des motifs d'intérêt général relevant de son pouvoir d'appréciation de l'opportunité, sous réserve qu'une atteinte excessive ne soit pas portée à l'un ou l'autre des intérêts en présence.

6. En l'espèce, il ressort des pièces du dossier que l'employeur a présenté à l'encontre de Mme B... deux griefs tandis que l'inspecteur du travail, dans la décision litigieuse, n'a retenu la matérialité des faits que pour l'un d'entre eux, à savoir la falsification de documents comptables, grief présentant selon son interprétation un caractère de gravité suffisant pour justifier d'un licenciement. Il est fait grief à Mme B..., qui était notamment en charge de la gestion comptable de " l'argent de poche " des résidents du " Complexe de l'Escarène ", d'avoir photocopié des tickets de caisse falsifiés, de les avoir placés dans les enveloppes de retour de " l'argent de poche " des résidents, et d'avoir en conséquence modifié les fiches récapitulatives ainsi que les cahiers de caisse afin que ceux-ci tiennent compte des montants des tickets de caisse falsifiés, détournant ainsi des sommes dont le montant peut être estimé à 5 000 euros sur la période 2015 à 2017, selon les termes de la décision litigieuse de l'inspecteur du travail. Si l'appelante soutient que d'autres intervenants auraient pu modifier les fiches récapitulatives, il lui appartenait alors de relever ces dysfonctionnements et d'en avertir sa hiérarchie, ce dont elle s'est abstenue. Il ne ressort pas non plus des pièces du dossier qu'elle aurait averti sa hiérarchie de ses propres modifications de " plus d'une centaine de fiches récapitulatives " couvrant les années 2015, 2016 et 2017. Par ailleurs, la circonstance que le nombre exact de fiches récapitulatives modifiées ne soit pas précisément établi est sans incidence sur la matérialité des faits de falsification comptable reprochés à la requérante.

7. Au surplus, par jugement contradictoire en date du 13 janvier 2022 rendu par la chambre correctionnelle collégiale du tribunal correctionnel de Nice (minute n° 159/2022), Mme B... a été condamnée à une peine de 10 mois d'emprisonnement délictuel à titre de peine principale pour des faits d'escroquerie commis à l'Escarène Quartier l'Olivier du 1er janvier 2013 au 30 juin 2017 prévus par l'article 313-1 du code pénal au terme duquel : " L'escroquerie est le fait, soit par l'usage d'un faux nom ou d'une fausse qualité, soit par l'abus d'une qualité vraie, soit par l'emploi de manœuvres frauduleuses, de tromper une personne physique ou morale et de la déterminer ainsi, à son préjudice ou au préjudice d'un tiers, à remettre des fonds, des valeurs ou un bien quelconque, à fournir un service ou à consentir un acte opérant obligation ou décharge. ".

8. Dans ces conditions, compte tenu de la présence dans le bureau de Mme B... des tickets falsifiés et des fiches modifiées en conséquence et de l'absence complète de tout commencement de preuve de ce qu'un autre membre du personnel aurait pu falsifier lesdits tickets et surtout, régulièrement, tout au long de plusieurs années d'exercice, se rendre à son insu dans son bureau et y passer, sans que personne ne s'en rendre compte, le temps indispensable pour effectuer ces modifications, c'est à bon droit que l'inspecteur du travail a estimé, dans sa décision, que le grief de falsification de documents comptables reproché à la requérante était établi et que ces faits constituaient une faute d'une gravité suffisante pour justifier son licenciement. Par suite, la requérante n'est pas fondée à demander l'annulation de la décision litigieuse par laquelle l'inspecteur du travail a autorisé son licenciement.

9. Il résulte de ce qui précède que Mme B... n'est pas fondée à soutenir que c'est à tort que le tribunal administratif de Nice a rejeté sa demande.

Sur les conclusions aux fins d'injonction :

10. Le présent jugement, qui rejette les conclusions aux fins d'annulation de la requête de Mme B..., n'implique pas qu'il soit enjoint à l'administration de réexaminer la demande d'autorisation de licenciement de l'intéressée.

Sur les conclusions au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative :

11. Aux termes de l'article L. 761-1 du code de justice administrative : " Dans toutes les instances, le juge condamne la partie tenue aux dépens ou, à défaut, la partie perdante, à payer à l'autre partie la somme qu'il détermine, au titre des frais exposés et non compris dans les dépens. Le juge tient compte de l'équité ou de la situation économique de la partie condamnée. Il peut, même d'office, pour des raisons tirées des mêmes considérations, dire qu'il n'y a pas lieu à cette condamnation ". Ces dispositions font obstacle à ce que soit mise à la charge de l'Etat, qui n'est pas la partie perdante dans la présente instance, la somme que la requérante demande au titre des frais exposés par elle et non compris dans les dépens.

D É C I D E :

Article 1er : La requête de Mme B... est rejetée.

Article 2 : Le présent arrêt sera notifié à Mme A... B..., au ministre du travail, du plein emploi et de l'insertion et à l'association la Croix-Rouge française.

Copie en sera adressée à la direction régionale des entreprises, de la concurrence, de la consommation, du travail et de l'emploi Provence-Alpes-Côte d'Azur.

Délibéré après l'audience du 24 juin 2022, où siégeaient :

- Mme Ciréfice, présidente assesseure, présidente de la formation de jugement en application de l'article R. 222-26 du code de justice administrative,

- M. Prieto, premier conseiller,

- Mme Marchessaux, première conseillère.

Rendu public par mise à disposition au greffe, le 8 juillet 2022.

Le rapporteur,

Signé

G. PRIETOLa présidente,

Signé

V. CIREFICE

La greffière,

Signé

S. EYCHENNE

La République mande et ordonne au ministre du travail, du plein-emploi et de l'insertion, en ce qui le concerne ou à tous huissiers de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

Pour expédition conforme,

La greffière,

2

N° 19MA02013

bb


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Marseille
Formation : 7ème chambre
Numéro d'arrêt : 19MA02013
Date de la décision : 08/07/2022
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Excès de pouvoir

Analyses

66-07-01-04-02 Travail et emploi. - Licenciements. - Autorisation administrative - Salariés protégés. - Conditions de fond de l'autorisation ou du refus d'autorisation. - Licenciement pour faute.


Composition du Tribunal
Président : M. POCHERON
Rapporteur ?: M. Bruno COUTIER
Rapporteur public ?: M. ROUX
Avocat(s) : ZARAGOCI

Origine de la décision
Date de l'import : 19/07/2022
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.marseille;arret;2022-07-08;19ma02013 ?
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