Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
Mme B... A... a demandé au tribunal administratif de Marseille d'annuler la décision du 3 avril 2019 par laquelle le recteur de l'académie Aix-Marseille a rejeté son recours gracieux, ensemble l'appréciation finale portée le 18 septembre 2019 dans le cadre de son rendez-vous de carrière, d'enjoindre au recteur de mettre en œuvre son entier parcours professionnel carrière rémunération (PPCR) dans un délai de trois semaines à compter de la notification du jugement à intervenir et de condamner l'Etat à l'indemniser de son entier préjudice en lui versant une somme globale de 22 006,04 euros au titre de la réparation de son préjudice moral et du remboursement de ses frais médicaux et de ses frais de déplacement.
Par un jugement n° 1904678 du 9 novembre 2021, le tribunal administratif de Marseille a rejeté sa requête.
Procédure devant la Cour :
Par une requête, enregistrée le 20 décembre 2021, Mme A..., représentée par Me Guy, demande à la Cour :
1°) d'annuler ce jugement ;
2°) d'annuler la décision du 3 avril 2019 par laquelle le recteur de l'académie Aix-Marseille a rejeté son recours gracieux, ensemble l'appréciation finale portée le 18 septembre 2019 dans le cadre de son rendez-vous de carrière ;
3°) d'annuler la décision de la DIPE du rectorat dont elle a eu connaissance le 25 février 2019 ;
4°) d'enjoindre au recteur de mettre en œuvre son entier parcours professionnel carrière rémunération (PPCR) au titre de l'année 2017/2018, dans un délai de trois semaines à compter de la notification de l'arrêt à intervenir ;
5°) de condamner l'Etat à l'indemniser de son entier préjudice en lui versant une somme globale de 22 006,04 euros au titre de la réparation de son préjudice moral et du remboursement de ses frais médicaux et de ses frais de déplacement ;
6°) de mettre à la charge de l'Etat (recteur de l'académie Aix-Marseille) une somme de 6 000 euros en application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle soutient que :
- s'agissant de la légalité externe, elle n'a jamais bénéficié d'un rendez-vous de carrière complet dès lors qu'elle n'a pas bénéficié d'un entretien avec son chef d'établissement prévu par le décret n° 72-581 du 4 juillet 1972, mais non régi par ce texte, mais par le décret n° 2017-786 du 5 mai 2017, entretien qui devait être reporté dès lors qu'elle était en congé de maladie ordinaire au moment où ce rendez-vous était fixé ; elle a été privée d'une garantie essentielle, alors que lui avait été promis un nouveau rendez-vous de carrière et qu'aucune disposition du décret de 1972 ne prévoit de différer ce rendez-vous à une année ultérieure ; elle ne pouvait ainsi se voir notifier une appréciation finale ; par cette carence, le recteur a porté atteinte à ses droits d'accession à la classe hors-cadre, car il s'agissait de son dernier rendez-vous de carrière ;
- s'agissant de la légalité interne, son appréciation est entachée d'incomplétude, faute d'appréciation du chef d'établissement, d'un décalage entre l'appréciation de l'inspecteur (quatre " excellent " et un " très satisfaisant ") et celle conjointe de l'inspecteur et du chef (deux " très satisfaisant " et un " satisfaisant ") ; or la mention " très satisfaisant " ne permet pas d'accéder à la hors classe ;
- elle a ainsi éprouvé un préjudice moral dont elle évalue la réparation à 20 000 euros, outre des frais médicaux correspondant à l'affection à elle causée par cette situation, restés à sa charge pour un montant 1 120,84 euros et 885,20 euros de frais de déplacement.
Par un mémoire en défense, enregistré le 5 mai 2022, le recteur de l'académie Aix-Marseille conclut au rejet de la requête.
Il soutient que :
- les conclusions indemnitaires sont irrecevables faute de demande préalable ;
- les moyens invoqués à l'appui des conclusions à fin d'annulation ne sont pas fondés.
Le 25 mai 2022 un mémoire complémentaire et récapitulatif a été enregistré pour Mme A... et non communiqué en application des dispositions de l'article R. 611-1 du code de justice administrative.
Par courrier du 25 mai 2022 les parties ont été informées, en application des dispositions de l'article R. 611-7 du code de justice administrative, que la Cour est susceptible de fonder son arrêt sur le moyen relevé d'office tiré du fait que la requête de Mme A... doit être regardée comme également dirigée contre le compte-rendu de carrière au titre de l'année 2017/2018 et qui lui a été notifié par courriel du 18 septembre 2018.
Par ordonnance du 6 mai 2022, la clôture de l'instruction a été fixée au 31 mai 2022.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- le décret n° 72-581 du 4 juillet 1972 relatif au statut particulier des professeurs certifiés ;
- le code de justice administrative.
La présidente de la Cour a décidé, par décision du 23 mai 2022, de désigner M. Philippe Portail, président assesseur, pour présider par intérim la 6éme chambre en application de l'article R. 222-26 du code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de M. Gilles Taormina, rapporteur,
- et les conclusions de M. Renaud Thielé, rapporteur public.
Considérant ce qui suit :
1. Mme A..., professeure certifiée documentaliste depuis 2001, affectée au collège de Guillestre dans les Hautes-Alpes, a reçu son compte-rendu de rendez-vous de carrière prévu au décret n° 72-581 du 4 juillet 1972 sans avoir bénéficié d'un entretien avec son chef d'établissement. Elle a formé un recours gracieux le 28 mars 2019 qui a été rejeté par une décision du 3 avril 2019.
2. Elle relève appel du jugement n° 1904678 du 9 novembre 2021 par lequel le tribunal administratif de Marseille a rejeté sa requête tendant à l'annulation de cette décision du 3 avril 2019, de l'appréciation finale portée le 18 septembre 2019 dans le cadre de son rendez-vous de carrière, tendant à ce qu'il soit enjoint au recteur de mettre en œuvre son entier parcours professionnel carrière rémunération et à la condamnation de l'Etat à l'indemniser de son entier préjudice.
Sur le bien-fondé du jugement attaqué :
En ce qui concerne les conclusions à fin d'annulation :
3. Aux termes de l'article 30-3 du décret n° 72-581 du 4 juillet 1972 relatif au statut particulier des professeurs certifiés : " Le professeur certifié bénéficie de trois rendez-vous de carrière dont l'objectif est d'apprécier la valeur professionnelle de l'intéressé. Ils ont lieu lorsque au 31 août de l'année scolaire en cours : 1° Pour le premier rendez-vous, le professeur certifié est dans la deuxième année du 6e échelon de la classe normale ; 2° Pour le deuxième rendez-vous, le professeur certifié justifie d'une ancienneté comprise entre 18 et 30 mois dans le 8e échelon de la classe normale ; 3° Pour le troisième rendez-vous, le professeur certifié est dans la deuxième année du 9e échelon de la classe normale. ". Aux termes de l'article 30-4 du même décret : " Le rendez-vous de carrière comprend :1° Une inspection, un entretien avec l'inspecteur qui a conduit l'inspection et un entretien avec le chef de l'établissement pour les professeurs certifiés mentionnés au 1° du I de l'article 30-2 ; 2° Un entretien avec l'autorité auprès de laquelle l'enseignant exerce ses fonctions pour les professeurs certifiés mentionnés au 2° du I ainsi que ceux mentionnés au II du même article et exerçant une fonction d'enseignement ; 3° Un entretien avec leur supérieur hiérarchique direct pour les professeurs certifiés mentionnés au 3° du I ainsi que pour ceux mentionnés au II du même article n'exerçant pas une fonction d'enseignement. ". Aux termes de l'article 30-5 du même décret : " Le rendez-vous de carrière donne lieu à l'établissement d'un compte rendu. L'appréciation finale de la valeur professionnelle qui figure au compte rendu est arrêtée par l'autorité compétente mentionnée à l'article 30-2. ".
4. Il résulte de ces dispositions que Mme A..., professeure certifiée de classe normale au 9ème échelon, devait bénéficier d'un rendez-vous de carrière dont l'objet est d'apprécier la valeur professionnelle du professeur pour la période courue depuis le précédent rendez-vous. Il se distingue ainsi de l'évaluation professionnelle annuelle des enseignants.
5. En premier lieu, la requête de Mme A... doit être regardée comme également dirigée contre le compte-rendu de rendez-vous carrière au titre de l'année 2017/2018 et qui lui a été notifié par mail du 18 septembre 2019.
6. En second lieu, il ressort des pièces du dossier que Mme A... n'a pas bénéficié d'un entretien avec son chef d'établissement programmé le 18 juin 2018, dès lors qu'elle était en congé de maladie ordinaire. Le compte-rendu du rendez-vous de carrière a ainsi été établi en méconnaissance de l'article 30-4 du décret du 4 juillet 1972 précité.
7. Si les actes administratifs doivent être pris selon les formes et conformément aux procédures prévues par les lois et règlements, un vice affectant le déroulement d'une procédure administrative préalable, suivie à titre obligatoire ou facultatif, n'est de nature à entacher d'illégalité la décision prise que s'il ressort des pièces du dossier qu'il a été susceptible d'exercer, en l'espèce, une influence sur le sens de la décision prise ou qu'il a privé les intéressés d'une garantie.
8. Dès lors que les appréciations portées malgré le défaut d'entretien avec son chef d'établissement sur sa manière de servir, présentaient encore une marge de progression, Mme A... est fondée à soutenir que c'est à tort que le tribunal a considéré qu'elle n'avait pas été privée d'une garantie, nonobstant l'appréciation élogieuse portée sur sa valeur professionnelle tant par l'inspecteur que par le recteur, ce qui l'a privée de chances sérieuses d'accéder à la classe hors-cadre. Le compte-rendu de rendez-vous de carrière de Mme A... est dès lors entaché d'illégalité. Par suite, celle-ci est fondée à demander, sans qu'il soit besoin de se prononcer sur les autres moyens de sa requête, l'annulation du compte-rendu de rendez-vous de carrière au titre de l'année 2017/2018 qui lui a été notifié par mail du 18 septembre 2019, ensemble la décision du 3 avril 2019 par laquelle le recteur de l'académie Aix-Marseille a rejeté son recours gracieux.
En ce qui concerne les conclusions indemnitaires :
Aux termes de l'article R. 421-1 du code de justice administrative : " La juridiction ne peut être saisie que par voie de recours formé contre une décision (...) ".
9. Si Mme A... fait état des lettres adressées à l'administration pour déplorer les conditions d'établissement de son compte-rendu de rendez-vous de carrière, les dits courriers ne comportaient aucune demande indemnitaire. N'ayant présenté aucune réclamation préalable à cette fin, Mme A... n'est pas fondée à soutenir que c'est à tort que les premiers juges ont rejeté ses conclusions indemnitaires comme irrecevables.
Sur les conclusions à fin d'injonction :
10. Aux termes de l'article L. 911-1 du code de justice administrative : " Lorsque sa décision implique nécessairement qu'une personne morale de droit public ou un organisme de droit privé chargé de la gestion d'un service public prenne une mesure d'exécution dans un sens déterminé, la juridiction, saisie de conclusions en ce sens, prescrit, par la même décision, cette mesure assortie, le cas échéant, d'un délai d'exécution. / La juridiction peut également prescrire d'office cette mesure ".
11. L'annulation prononcée au point 6 implique nécessairement qu'il soit enjoint au recteur de l'académie Aix-Marseille de mettre en œuvre l'entier parcours professionnel carrière rémunération au titre de l'année 2017/2018 de Mme A... conformément aux dispositions du décret n° 72-581 du 4 juillet 1972 relatif au statut particulier des professeurs certifiés, dans le délai de trois mois à compter de la notification du présent arrêt.
Sur l'application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative :
12. Aux termes de l'article L. 761-1 du code de justice administrative : " Dans toutes les instances, le juge condamne la partie tenue aux dépens ou, à défaut, la partie perdante, à payer à l'autre partie la somme qu'il détermine, au titre des frais exposés et non compris dans les dépens. Les parties peuvent produire les justificatifs des sommes qu'elles demandent et le juge tient compte de l'équité ou de la situation économique de la partie condamnée. Il peut, même d'office, pour des raisons tirées des mêmes considérations, dire qu'il n'y a pas lieu à cette condamnation ".
13. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de l'Etat une somme de 2 000 euros, au titre des frais exposés par Mme A... et non compris dans les dépens, en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
D É C I D E :
Article 1er : Le jugement n° 1904678 rendu le 9 novembre 2021 par le tribunal administratif de Marseille est annulé.
Article 2 : Le compte-rendu de rendez-vous de carrière de Mme A... au titre de l'année 2017/2018, notifié par courriel du 18 septembre 2019, ensemble la décision du 3 avril 2019 par laquelle le recteur de l'académie Aix-Marseille a rejeté son recours gracieux contre cette décision sont annulés.
Article 3 : Il est enjoint au recteur de l'académie Aix-Marseille de mettre en œuvre l'entier parcours professionnel carrière rémunération au titre de l'année 2017/2018 de Mme A..., dans le délai de trois mois à compter de la notification du présent arrêt.
Article 4 : Il est mis à la charge de l'Etat une somme de 2 000 euros en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 5 : Le présent arrêt sera notifié à Mme B... A... et au ministre de l'éducation nationale et de la jeunesse.
Copie en sera adressée au recteur de l'académie Aix-Marseille.
Délibéré après l'audience du 8 juin 2022, où siégeaient :
- M. Philippe Portail, président par intérim, présidant la formation de jugement en application de l'article R. 222-26 du code de justice administrative,
- M. Gilles Taormina, président assesseur,
- M. François Point, premier conseiller.
Rendu public par mise à disposition au greffe, le 20 juin 2022.
N° 21MA04819 2