Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
Mme B... A... a demandé au tribunal administratif de Nice, d'une part, d'annuler la décision implicite par laquelle le maire de la commune de Cannes a rejeté sa demande indemnitaire préalable formulée le 18 mai 2017 ainsi que la décision explicite du 28 juillet 2017 la confirmant et, d'autre part, de condamner la commune de Cannes à lui verser une somme de 66 444,30 euros en réparation des préjudices résultant du refus de la titulariser à l'issue de son stage, augmentée des intérêts au taux légal à compter de la réception de sa demande préalable.
Par un jugement n° 1704094 du 1er octobre 2020, le tribunal administratif de Nice a condamné la commune de Cannes à payer à Mme A... la somme de 1 000 euros avec intérêts au taux légal à compter du 9 septembre 2017 et a rejeté le surplus des conclusions de sa demande.
Procédure devant la cour :
Par une requête et des mémoires, enregistrés le 1er décembre 2020, le 14 juin 2021 et le 23 mars 2022, Mme A..., représentée par Me Favier, demande à la cour, dans le dernier état de ses écritures :
1°) de réformer ce jugement du tribunal administratif de Nice en portant à la somme de 91 054,02 euros le montant, à parfaire, des indemnités qu'il a condamné la commune de Cannes à lui payer augmenté des intérêts à compter du jour de la réception de la demande préalable ;
2°) d'enjoindre à la commune de Cannes de procéder à la reconstitution de sa carrière et de l'indemniser à ce titre ;
3°) de mettre à la charge du de la commune de Cannes une somme de 7 428,06 euros, à parfaire, au titre de l'article L.761-1 du code de justice administrative.
Elle soutient que :
- elle doit être indemnisée du préjudice lié à sa perte de rémunération et à sa reconstitution de carrière dès lors que, contrairement à ce qu'a jugé le tribunal, elle avait accepté le poste de chargée de mission auprès de la direction générale des services de sorte qu'elle ne peut pas être regardée comme ayant refusé sa réintégration en qualité de stagiaire ;
- alors qu'elle aurait dû percevoir entre le 29 octobre 2015, date de son éviction illégale du service, et le 3 mai 2017, date du jugement ayant annulé cette éviction, une somme de 28 452,32 euros au titre de sa rémunération, elle a perçu la somme de 17 821,44 euros d'indemnité chômage ; elle doit être indemnisée de la différence entre ces deux sommes, soit à hauteur de 10 631,88 euros ;
- contrairement à ce qu'a jugé le tribunal, le préjudice qu'elle a subi du fait de la perte de chance d'avoir pu être titularisée en qualité d'attachée territoriale doit être réparé par la reconstitution de sa carrière et de ses droits sociaux ;
- le jugement doit être réformé en qu'il a rejeté sa demande de remboursement des frais de formation dispensée par l'ESSEC, d'un montant de 5 300 euros, dès lors que le principe de suivre cette formation a été expressément accepté par la directrice de la culture et la directrice générale adjointe, et que cette formation s'inscrivait dans le cadre de ses droits à la formation ;
- contrairement à ce qu'a jugé le tribunal, les frais de conseil qu'elle a engagés pour un montant de 10 731,96 euros sont la conséquence de la faute commise par l'administration et doivent donc lui être remboursés ;
- le jugement sera réformé en ce qu'il a rejeté sa demande d'indemnisation relative aux dépenses de santé exposées à hauteur de 3 770,78 euros ;
- elle doit également être indemnisée par une somme de 5 000 euros de l'atteinte portée à sa réputation dès lors qu'elle a retrouvé un emploi précaire après 16 mois de recherches ;
- les frais qu'elle a exposés en recherche d'emploi doivent être remboursés à hauteur de 6 010,68 euros ;
- son préjudice moral sera réparé par l'octroi d'une indemnité de 30 000 euros.
Par des mémoires en défense, enregistrés les 16 février, 2 et 3 mars, et 7 avril 2022, la commune de Cannes, représentée par Me Paloux, conclut au rejet de la requête et à ce que soit mise à la charge de Mme A... le versement d'une somme de 3 000 euros sur le fondement des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle fait valoir que :
- Mme A... n'apporte pas la preuve de son acceptation du poste de chargée de mission auprès de la direction générale des services alors que lui a été adressé tant son arrêté de réintégration qu'une mise en demeure de reprendre son service ;
- elle ne saurait être indemnisée d'une quelconque perte de revenus au cours de la période d'éviction illégale dès lors qu'elle a perçu au cours de cette période une somme de 18 378,36 euros d'allocations chômage et une somme de 14 058,10 euros au titre de son nouvel emploi alors que sa rémunération aurait été de 26 799,09 euros ;
- en qualité de stagiaire, elle ne peut prétendre à aucune reconstitution de carrière et elle ne peut reprocher à la commune de l'avoir privée d'une perte de chance d'être titularisée ;
- les dépenses de formation ne peuvent être remboursées dès lors qu'il s'agit de frais et de charges liés à l'exercice effectif des fonctions alors, en outre, que Mme A... n'a reçu aucun accord relatif au financement de cette formation, cette prise en charge ayant au contraire été refusée pour des motifs budgétaires ;
- les frais de conseil sont compris dans sa demande fondée sur les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ;
- les dépenses de santé dont elle demande l'indemnisation ne sont pas en lien avec l'illégalité fautive commise ;
- la circonstance qu'elle a retrouvé un emploi 16 mois après son éviction illégale n'est pas de nature à établir l'existence d'une atteinte à sa réputation ;
- elle n'établit ni la réalité et l'effectivité de ses recherches d'emploi pendant 16 mois, ni les difficultés rencontrées à ce titre ;
- elle ne démontre pas que l'indemnité de 1 000 euros allouée par les premiers juges en réparation de son préjudice moral serait insuffisante ;
- la demande d'injonction relative à la reconstitution de sa carrière doit être rejetée.
Par une ordonnance en date du 22 avril 2022, la clôture de l'instruction a été fixée 22 avril 2022.
Un mémoire présenté pour Mme A... a été enregistré le 3 mai 2022, après la clôture de l'instruction, et n'a pas été communiqué.
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu :
- la loi n° 83-634 du 13 juillet 1983 portant droits et obligations des fonctionnaires ;
- la loi n° 84-53 du 26 janvier 1984 portant dispositions statutaires relatives à la fonction publique territoriale ;
- le décret n° 92-1194 du 4 novembre 1992 fixant les dispositions communes applicables aux fonctionnaires stagiaires de la fonction publique territoriale ;
- le décret n° 87-1099 du 30 décembre 1987 portant statut particulier du cadre d'emplois des attachés territoriaux ;
- le code civil ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
La présidente de la cour a désigné Mme Massé-Degois, présidente-assesseure de la 2ème chambre, pour présider, en application de l'article R. 222-26 du code de justice administrative, la formation de jugement.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de Mme C...,
- les conclusions de M. Gautron, rapporteur public,
- et les observations de Me Remis, représentant Mme A..., et de Me Paloux, représentant la commune de Cannes.
Considérant ce qui suit :
1. Par un jugement n° 1505077 du 3 mars 2017 devenu définitif, le tribunal administratif de Nice a, d'une part, annulé la décision du 29 octobre 2015 par laquelle le maire de la commune de Cannes a refusé de titulariser Mme A... à l'issue de sa période de stage en qualité d'attachée territoriale et l'a radiée des effectifs de la commune et, d'autre part, enjoint au maire de cette collectivité de la réintégrer en qualité d'attachée stagiaire dans le cadre d'une prolongation de stage. Mme A... relève appel du jugement du 1er octobre 2020 de ce même tribunal en ce qu'il a limité à la somme de 1 000 euros le montant de l'indemnité qu'il lui a allouée en réparation des préjudices résultant de son éviction illégale du service.
Sur les conclusions indemnitaires :
En ce qui concerne les préjudices matériels :
S'agissant de l'absence de réintégration effective :
2. Il y a lieu de rejeter les conclusions par lesquelles Mme A... demande la réparation d'un préjudice qui aurait résulté de l'absence de réintégration effective au sein de la commune de Cannes à la suite du jugement du tribunal administratif de Nice du 3 mars 2017 par adoption des motifs suffisamment circonstanciés retenus à bon droit par les premiers juges au point 5 du jugement attaqué, que la requérante ne critique pas utilement en réitérant son argumentation de première instance sans apporter d'élément nouveau.
S'agissant de l'indemnisation au titre de la perte de revenus et de la reconstitution de carrière :
3. En vertu des principes généraux qui régissent la responsabilité de la puissance publique, un agent public irrégulièrement évincé a droit à la réparation intégrale du préjudice qu'il a effectivement subi du fait de la mesure illégalement prise à son encontre. Sont ainsi indemnisables les préjudices de toute nature avec lesquels l'illégalité commise présente, compte tenu de l'importance respective de cette illégalité et des fautes relevées à l'encontre de l'intéressé, un lien direct de causalité. Pour l'évaluation du montant de l'indemnité due, doit être prise en compte la perte du traitement ainsi que celle des primes et indemnités dont l'intéressé avait, pour la période en cause, une chance sérieuse de bénéficier, à l'exception de celles qui, eu égard à leur nature, à leur objet et aux conditions dans lesquelles elles sont versées, sont seulement destinées à compenser des frais, charges ou contraintes liés à l'exercice effectif des fonctions. Enfin, il y a lieu de déduire, le cas échéant, le montant des rémunérations que l'agent a pu se procurer par son travail au cours de la période d'éviction.
4. L'arrêté du 29 octobre 2015 par lequel le maire de Cannes a refusé de titulariser Mme A... a été annulé pour erreur manifeste d'appréciation par le jugement du 3 mars 2017 du tribunal administratif de Nice mentionné au point 1, qui lui a également enjoint de procéder à la réintégration effective de l'intéressée. Il résulte en l'espèce de l'instruction et, notamment de l'arrêté du 5 mai 2017 la réintégrant en qualité d'attachée stagiaire à compter du 9 mai 2017 qui a été présenté à son domicile par un agent assermenté le jour même, puis lui a été adressé par courrier recommandé avec demande d'avis de réception et a été retourné à la commune avec la mention " pli avisé et non réclamé ", ainsi que de la mise en demeure de rejoindre son poste, datée du 15 juin 2017, dont elle a accusé réception le 17 juin suivant, que, quelles que soient les raisons dont elle se prévaut pour tenter de justifier son abstention à rejoindre le poste qui lui avait été assigné, Mme A... doit être réputée avoir refusé sa réintégration. Il en résulte que la fin de la période d'éviction illégale doit être fixée à la date à laquelle elle était initialement attendue dans le service soit, en l'espèce, le 9 mai 2017.
5. Il résulte de l'instruction, notamment des certificats administratifs produits par la commune de Cannes et des bulletins de salaire produits par Mme A..., que cette dernière aurait dû percevoir pour la période du 1er novembre 2015 au 8 mai 2017 inclus une somme de 32 804,27 euros, représentant le montant total des rémunérations dont elle a été irrégulièrement privée en raison de son éviction illégale du service.
6. Pour déterminer le montant de l'indemnité qui est due à ce titre à Mme A..., il y a lieu de déduire du montant des rémunérations dont elle a été irrégulièrement privée l'ensemble des revenus dont elle a bénéficié au cours de cette même période constitués, d'une part, par les allocations pour perte d'emploi que lui a versées la commune de Cannes entre les mois de novembre 2015 et de février 2017, d'un montant de 18 378,36 euros, et, d'autre part, par les revenus d'activité qu'elle a perçus de la métropole Nice-Côte d'Azur entre le 1er mars 2017 et le 8 mai 2017, qui s'élèvent à 5 173,17 euros. Il en résulte que la perte de revenus résultant de l'éviction illégale de Mme A... doit être indemnisée par une somme de 9 252,74 euros.
7. Il y a lieu, en revanche, de rejeter les conclusions de Mme A... tendant à la reconstitution de sa carrière et de ses droits sociaux par adoption des motifs retenus par le tribunal qui y a exactement répondu au point 8 de son jugement en relevant qu'en sa qualité de stagiaire, elle ne pouvait prétendre détenir de tels droits.
S'agissant des dépenses de formation :
8. Il résulte de l'instruction que, contrairement à ce que soutient Mme A..., le service formation de la commune de Cannes a, par une décision du 18 mai 2015, expressément refusé de prendre en charge les dépenses de la formation de fundraising dispensée par l'ESSEC en raison de contraintes budgétaires. Il suit de là que, comme les premiers juges l'ont exactement retenu, Mme A... n'est pas fondée à soutenir, en se prévalant de sa fiche d'entretien professionnel de l'année 2014 mentionnant le caractère compatible avec l'évolution de son poste de son souhait de suivre un " Certificat Essec ", que ce refus de prise en charge présenterait un lien avec l'illégalité de son licenciement ni, par suite, à demander que les frais de 5 300 euros qu'elle a exposés à ce titre devraient lui être remboursés.
S'agissant des frais de conseil :
9. Il y a lieu de rejeter la demande d'indemnisation des frais de conseil supportés par Mme A... par adoption des motifs retenus par les premiers juges qui y ont suffisamment répondu au point 10 du jugement attaqué.
En ce qui concerne les troubles dans les conditions d'existence :
10. Il y a lieu de rejeter les demandes de Mme A... tendant à l'indemnisation de dépenses de santé, de l'atteinte portée à sa réputation et du préjudice résultant de la difficulté de retrouver un emploi par adoption des motifs suffisamment circonstanciés retenus par les premiers juges aux points 11 à 17 du jugement attaqué dès lors qu'elle ne fait valoir devant la cour aucun élément nouveau ou déterminant sur ces différentes demandes.
En ce qui concerne le préjudice moral :
11. Il résulte de l'instruction, et notamment des deux certificats médicaux des 4 janvier 2016 et 10 février 2017, que l'éviction illégale du service de Mme A... a généré un préjudice moral pour cette dernière dont le tribunal n'a pas fait, contrairement à ce qu'elle soutient, une insuffisante appréciation en l'indemnisant à hauteur de 1 000 euros.
Sur les conclusions aux fins d'injonction :
12. Comme il a été dit au point 7, Mme A... ne peut, en sa qualité de stagiaire, prétendre à la reconstitution de sa carrière et de ses droits sociaux. Il y a donc lieu de rejeter les conclusions de sa demande tendant à ce qu'il soit enjoint au maire de Cannes de procéder à une telle reconstitution.
Sur les intérêts :
13. En vertu des dispositions de l'article 1231-6 du code civil, les intérêts au taux légal, quelle que soit la date de leur demande, courent à compter du jour où la demande de paiement du principal est parvenue à l'administration. Il résulte de l'instruction, et notamment du relevé versé aux débats de première instance de La Poste des détails de l'acheminent du pli envoyé par courrier avec accusé de réception, que la demande indemnitaire préalable de Mme A... en date du 18 mai 2017 a été réceptionnée par la commune de Cannes le 26 mai 2017. Par suite, Mme A... a droit aux intérêts au taux légal correspondant à l'indemnité de 10 252,74 euros à compter de la date du 26 mai 2017, et Mme A... est fondée à soutenir que le jugement du tribunal doit être réformé sur ce point.
14. Il résulte de tout ce qui précède que Mme A... est fondée à demander que le montant de l'indemnité allouée par les premiers juges en réparation de ses préjudices consécutifs à son éviction illégale du service soit porté à 10 252,74 euros, et que cette somme soit augmentée des intérêts au taux légal à compter du 26 mai 2017.
Sur les frais liés au litige :
15. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que soit mise à la charge de Mme A..., qui n'est pas la partie perdante dans la présente instance, la somme que la commune de Cannes demande au titre des frais exposés et non compris dans les dépens. Il y a lieu, en revanche, de mettre à la charge de la commune de Cannes une somme de 2 000 euros au titre des frais exposés par Mme A... et non compris dans les dépens.
D É C I D E :
Article 1 : La somme de 1 000 euros que la commune de Cannes a été condamnée à verser à Mme A... par l'article 1er du jugement du tribunal administratif de Nice du 1er octobre 2020 est portée à 10 252,74 euros, augmentée des intérêts au taux légal à compter du 26 mai 2017.
Article 2 : Le jugement du tribunal administratif de Nice du 1er octobre 2020 est réformé en ce qu'il a de contraire au présent arrêt.
Article 3 : La commune de Cannes versera une somme de 2 000 euros à Mme A... au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 4 : Le surplus des conclusions des parties est rejeté.
Article 5 : Le présent arrêt sera notifié à Mme B... A... et à la commune de Cannes.
Délibéré après l'audience du 2 juin 2022, où siégeaient :
- Mme Massé-Degois, présidente-assesseure, présidant la formation de jugement en application de l'article R. 222-26 du code de justice administrative,
- M. Point, premier conseiller,
- M. Mahmouti, premier conseiller.
Rendu public par mise à disposition au greffe le 16 juin 2022.
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N° 20MA04471