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02/06/2022 | FRANCE | N°20MA03704

France | France, Cour administrative d'appel de Marseille, 2ème chambre, 02 juin 2022, 20MA03704


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

Mmes E..., B..., Julie et Vanina D... ont demandé au tribunal administratif de Bastia de condamner solidairement, le centre hospitalier de Bastia, la société Hospitalière d'assurances mutuelles (SHAM), l'Etat et l'Office national d'indemnisation des accidents médicaux, des affections iatrogènes et des infections nosocomiales (ONIAM) à leur payer, d'une part, en leur qualité d'ayants droit de M. D..., des indemnités d'un montant de 996 576,36 euros, avec intérêts au taux légal à compter de leur demand

e préalable et capitalisation des intérêts échus, en réparation des conséqu...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

Mmes E..., B..., Julie et Vanina D... ont demandé au tribunal administratif de Bastia de condamner solidairement, le centre hospitalier de Bastia, la société Hospitalière d'assurances mutuelles (SHAM), l'Etat et l'Office national d'indemnisation des accidents médicaux, des affections iatrogènes et des infections nosocomiales (ONIAM) à leur payer, d'une part, en leur qualité d'ayants droit de M. D..., des indemnités d'un montant de 996 576,36 euros, avec intérêts au taux légal à compter de leur demande préalable et capitalisation des intérêts échus, en réparation des conséquences dommageables de la prise en charge médicale dont ce dernier a fait l'objet à la suite du malaise dont il a été victime le 27 mars 2010 et, d'autre part, au titre des mêmes conséquences dommageables, des indemnités d'un montant de 132 283,59 euros à Mme E... D..., 107 319,79 euros à Mme B... D..., 35 326,24 euros à Mme A... D..., 30 000 euros à Mme C... D..., outre les intérêts au taux légal à compter de la demande préalable et capitalisation des intérêts échus.

Par un jugement n° 1801178 du 28 juillet 2020, le tribunal administratif de Bastia a rejeté leurs demandes et mis à leur charge les frais d'expertise liquidés et taxés à la somme totale de 6 397,47 euros.

Procédure devant la cour :

Par une requête enregistrée le 28 septembre 2020, Mmes E..., B..., Julie et Vanina D..., représentées par Me Guillermou, demandent à la Cour :

1°) d'annuler ce jugement du tribunal administratif de Bastia du 28 juillet 2020 ;

2°) de condamner, à titre principal, solidairement le centre hospitalier de Bastia et la SHAM, à titre subsidiaire, l'Etat et, à titre plus subsidiaire ou complémentaire, l'ONIAM à leur verser, en leur qualité d'ayants droit de M. D..., une somme de 996 576,36 euros, avec intérêts au taux légal à compter de leur demande préalable et capitalisation des intérêts échus, en réparation des conséquences dommageables de la prise en charge médicale dont ce dernier a fait l'objet à la suite du malaise dont il a été victime le 27 mars 2010 et au titre des mêmes conséquences dommageables, la somme de 132 283,59 euros à Mme E... D..., la somme de 107 319,79 euros à Mme B... D..., la somme de 35 326,24 euros à Mme A... D... et la somme de 30 000 euros à Mme C... D..., outre les intérêts au taux légal à compter de la demande préalable et capitalisation des intérêts échus ;

3°) de mettre à la charge, à titre principal, du centre hospitalier de Bastia et de la SHAM, à titre subsidiaire, de l'Etat et, à titre plus subsidiaire ou complémentaire, à l'ONIAM, outre les dépens, le versement de la somme de 4 000 euros à chacune des victimes au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elles soutiennent que :

- la responsabilité du centre hospitalier de Bastia est engagée dès lors que M. D... n'a pas été orienté vers une unité neuro-vasculaire malgré le diagnostic d'accident vasculaire cérébral et l'absence de moyens techniques, télémédecine, et humains de cet établissement pour prendre en charge correctement une telle pathologie nécessitant la pratique d'une IRM et la réalisation d'une thrombolyse ;

- la responsabilité du centre hospitalier de Bastia est engagée à raison de l'erreur de diagnostic commise par l'interne en neurologie du centre hospitalier de Nice qui a été consulté ;

- la responsabilité du centre hospitalier de Bastia est engagée du fait de la surveillance inadaptée dont a fait l'objet M. D..., qui présentait un AVC évolutif, lors de son hospitalisation dans un service de médecine polyvalente au lieu du service de soins intensifs ou de réanimation ;

- à titre subsidiaire, si la Cour ne retenait pas la responsabilité du centre hospitalier et de la SHAM, la responsabilité de l'Etat sur le fondement de l'article L. 1411-1 du code de la santé publique est engagée eu égard aux carences dans l'organisation du service public hospitalier en Corse et aux recommandations de la Haute autorité de Santé de 2009 aux termes desquelles dans les établissements ne disposant pas d'une unité neuro-vasculaire, comme le centre hospitalier de Bastia, l'indication d'une thrombolyse doit être portée avec téléconsultation par télémédecine ;

- à titre plus subsidiaire, si la Cour ne retenait ni la responsabilité du centre hospitalier et de la SHAM, ni celle de l'Etat français, l'indemnisation de leurs préjudices doit être prise en charge par l'ONIAM eu égard au caractère anormal et grave du dommage advenu ;

- compte tenu des fautes commises, M. D... a subi une perte de chance totale de faire partie des patients recouvrant une autonomie ou, à titre subsidiaire, de 88,89 % et, à titre plus subsidiaire, de 26,49 % et l'ONIAM sera condamné à indemniser la part qui ne sera pas mise à la charge du centre hospitalier de Bastia ;

- elles sont fondées à demander, en leur qualité d'ayants droit de M. D..., la somme de 1 060,36 euros au titre des dépenses de santé restées à leur charge, la somme de 497 746 euros au titre des pertes de gains professionnels, la somme de 30 075 euros au titre de la perte d'une pension de retraite, la somme de 2 300 euros au titre des frais de conseil et d'assistance exposés au cours des opérations d'expertise, la somme de 18 430,64 euros au titre de frais divers, la somme de 40 000 euros au titre des souffrances endurées et celles de 20 000 euros et 30 000 euros au titre respectivement du préjudice esthétique temporaire et permanent, la somme de 52 479 euros en réparation du déficit fonctionnel temporaire et celle de 64 024,38 euros au titre du déficit fonctionnel permanent, la somme de 41 961,08 euros au titre du préjudice d'agrément et celle de 50 000 euros au titre du préjudice sexuel, la somme de 50 000 euros au titre du préjudice d'établissement et celle de 100 000 euros au titre du préjudice permanent exceptionnel ;

- Mme B... D..., qui s'est occupée bénévolement de l'officine de pharmacie de son père pour pallier son absence au cours des années 2010 et 2011, a subi une perte de revenus qui doit être réparée par une indemnité de 64 101 euros ; elle est également fondée à demander le remboursement des frais de déplacements qu'elle a exposés pour se rendre au chevet de son père et pour le remplacer à la pharmacie, soit la somme de 13 218,79 euros ;

- Mme E... D... est fondée à demander le remboursement des frais de déplacement et des frais qu'elle a exposés pour être hébergée auprès de son époux, d'un montant de 29 083,59 euros ;

- Mme A... D... est fondée à demander le remboursement d'une somme de 5 326,24 euros au titre des frais de transport qu'elle a exposés ;

- elles sont, chacune, fondées à demander réparation à hauteur de 30 000 euros de leur préjudice moral ;

- Mme E... D... est fondée à demander réparation des troubles dans les conditions d'existence qu'elle a subis au cours des années durant lesquelles elle a accompagné son époux et à solliciter à ce titre une somme de 53 200 euros ; son préjudice sexuel sera réparé par l'allocation d'une somme de 20 000 euros ;

- ces sommes seront assorties des intérêts et de la capitalisation des intérêts.

Par un mémoire, enregistré le 24 novembre 2020, l'ONIAM, représenté par la SELARL Birot Ravaut et Associés, conclut à ce qu'il soit mis hors de cause dans la présente instance et à ce qu'une somme de 1 500 euros soit mise à la charge des consorts D... au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Il soutient que :

- seul le centre hospitalier de Bastia est responsable des conséquences dommageables de la dégradation de l'état de santé de Jean-Pierre D... à la suite de l'accident dont il a été victime ;

- les préjudices dont il est demandé réparation ne peuvent être pris en charge au titre de la solidarité nationale dans la mesure où ils ne sont pas imputables à un acte de prévention, de diagnostic ou de soins.

Par un mémoire, enregistré le 15 décembre 2020, la caisse primaire d'assurance maladie de la Haute-Corse, représentée par Me Martha, demande à la cour de condamner solidairement le centre hospitalier de Bastia et la SHAM à lui verser la somme de 1 151 544,60 euros au titre des prestations servies à M. D... consécutivement à l'accident dont il a été victime, ainsi qu'une somme de 1 091 euros au titre du neuvième alinéa de l'article L. 376-1 du code de la sécurité sociale et de mettre à leur charge une somme de 800 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient avoir engagé les sommes de 745 783,46 euros et de 404 761,14 euros au titre respectivement des dépenses de santé actuelles et futures pour son assuré M. D... au cours de la période du 28 mars 2010 au 21 juillet 2016.

Par un mémoire en défense, enregistré le 23 juin 2021, le centre hospitalier de Bastia et la SHAM, représentés par Me Le Prado, concluent au rejet de la requête.

Ils soutiennent que :

- la responsabilité du centre hospitalier, qui n'est pas un établissement universitaire, n'est pas engagée dès lors qu'ont été mis en œuvre tous les moyens humains et matériels dont il disposait pour assurer au mieux la prise en charge de M. D... et que le radiologue, non spécialisé en neuroradiologie, n'a pas commis de faute en ne diagnostiquant pas, à la lecture du scanner, la localisation de l'AVC ;

- aucun moyen de télémédecine ne permettait d'organiser une thrombolyse en 2010 au centre hospitalier de Bastia ;

- l'absence de convention structurée entre le centre hospitalier de Bastia et une unité neuro-vasculaire de référence n'a pas fait obstacle à ce qu'un avis soit sollicité au centre hospitalier de Nice ; en l'absence de directive de la part de cet établissement, une thrombolyse ne pouvait être tentée ;

- la prise en charge médicale de M. D..., dont le pronostic était sombre, a été adaptée aux moyens dont disposait le centre hospitalier de Bastia ;

- les conclusions présentées par la caisse primaire d'assurance maladie de la Haute-Corse doivent être rejetées ;

- les demandes indemnitaires sont infondées ou excessives.

Par un mémoire, enregistré le 25 juin 2021, l'agence régionale de santé (ARS) de Corse, représentée par Me Boisneault, demande à la Cour de la mettre hors de cause.

Elle soutient que les requérantes n'ont présenté aucune conclusion à son encontre.

La requête a été communiquée au ministre des solidarités et de la santé le 1er octobre 2020 qui n'a pas produit de mémoire.

Par ordonnance du 18 janvier 2022, la clôture de l'instruction a été fixée au 18 janvier 2022.

Un mémoire a été produit pour Mmes D... le 11 février 2022, postérieurement à la date de la clôture de l'instruction, qui n'a pas été communiqué.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- la loi n° 2009-879 du 21 juillet 2009 ;

- le décret n° 2010-1229 du 19 octobre 2010 ;

- le code de la santé publique ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de Mme F...,

- les conclusions de M. Gautron, rapporteur public,

- et les observations de Me Mouren, représentant les consorts D..., les observations de Mme E... D... et de Me Demailly, représentant le centre hospitalier de Bastia et la SHAM.

Considérant ce qui suit :

1. En raison d'un accident vasculaire cérébral, M. D..., alors âgé de 63 ans, a été pris en charge le 27 mars 2010 à 13 heures 57, dans l'officine dans laquelle il exerçait, par le service mobile d'urgence et de réanimation (SMUR) relevant du service d'aide médicale urgente (SAMU) rattaché au centre hospitalier de Bastia où il a été transporté et admis à 14 heures 53. L'accident vasculaire cérébral avec ischémie du tronc cérébral en rapport avec une thrombose de la partie haute du tronc basilaire que M. D... a présenté l'a conduit dans un état de " locked-in syndrom " c'est-à-dire dans un état de conscience sans motricité volontaire, hormis l'œil gauche, avec des possibilités limitées de communication et dans un état de dépendance totale pour les gestes élémentaires de la vie courante jusqu'à son décès, le 21 juillet 2016. Mme E... D..., son épouse, et Mmes B..., Julie et Vanina D..., ses filles, agissant tant en leur qualité d'ayants droit de M. D... qu'en leur nom propre, relèvent appel du jugement du 28 juillet 2020 par lequel le tribunal administratif de Bastia a rejeté leurs demandes tendant à la condamnation solidaire du centre hospitalier de Bastia, de la SHAM, assureur de ce dernier, de l'Etat, du SMUR de Haute-Corse et de l'ONIAM à leur verser diverses indemnités en réparation des conséquences dommageables de la prise en charge médicale dont leur époux et père a fait l'objet à la suite de l'accident vasculaire cérébral du 27 mars 2010. Mmes D... demandent à la Cour d'annuler ce jugement et de condamner, à titre principal, solidairement le centre hospitalier de Bastia et la SHAM, à titre subsidiaire, l'Etat et, à titre plus subsidiaire ou complémentaire, l'ONIAM, à leur verser en leur qualité d'ayants droit de M. D..., une somme de 996 576,36 euros, avec intérêts au taux légal à compter de leur demande préalable et capitalisation des intérêts échus, en réparation des conséquences dommageables dont il a lui-même été victime et au titre des conséquences dommageables dont elles ont été victimes, la somme de 132 283,59 euros à Mme E... D..., la somme de 107 319,79 euros à Mme B... D..., la somme de 35 326,24 euros à Mme A... D... et la somme de 30 000 euros à Mme C... D..., outre les intérêts au taux légal à compter de la demande préalable et capitalisation des intérêts échus.

A titre principal, sur la responsabilité du centre hospitalier de Bastia et de la SHAM :

2. En premier lieu, il résulte de l'instruction et, notamment, du rapport de l'expert, professeur spécialisé en neurochirurgie, désigné par le tribunal administratif, non contesté sur ces points, que le SAMU est arrivé à la pharmacie de M. D..., à 13 heures 57, soit 17 minutes après avoir été appelé par les pompiers, et qu'il a quitté l'officine à 14 heures 30 pour arriver aux urgences du centre hospitalier de Bastia 23 minutes plus tard. Il résulte également de ce même rapport qu'au cours des 33 minutes qui se sont écoulées entre l'arrivée du SAMU et son départ vers le centre hospitalier de Bastia, le médecin urgentiste a procédé à un examen clinique de M. D..., a mis en place des perfusions ainsi qu'une oxygénothérapie et a procédé à une mise sous scope pour contrôle électrocardiographique eu égard aux antécédents cardiaques de l'intéressé.

M. D... ayant été médicalisé sur place avant son transfert au service des urgences, les requérantes ne sont fondées à soutenir ni que le délai d'une heure et 18 minutes qui s'est écoulé entre l'arrivée du SAMU à l'officine et son retour au service des urgences a été excessif, ni que les temps de trajet de 17 minutes à l'aller et de 23 minutes au retour ont été d'une durée anormalement longue au regard de la distance séparant l'officine de M. D... de l'hôpital ni, par suite, que les conditions de sa prise en charge par le SAMU du fait, notamment, des durées d'intervention et de trajets, révèleraient une faute de nature à engager la responsabilité du centre hospitalier de Bastia.

3. En deuxième lieu, il ne résulte pas de l'instruction, et notamment pas du rapport d'expertise, que, compte tenu, d'une part, du temps qui s'était écoulé depuis le malaise de M. D..., survenu au plus tard aux environs de midi, heure à laquelle il avait l'habitude de quitter son officine où il a été retrouvé inanimé par sa famille un peu avant 13 heures 30, d'autre part, du laps de temps, d'une durée maximale de 4 heures 30 suivant la survenue d'un accident vasculaire cérébral, pendant lequel une thrombolyse aurait pu être efficacement pratiquée si son état l'avait permis, qu'une évacuation sanitaire immédiate, nécessairement par voie aérienne, vers un établissement continental doté d'une unité neuro-vasculaire (UNV) était envisageable, au moment où le diagnostic a pu être posé, après son admission au centre hospitalier de Bastia. Il suit de là qu'en se bornant à alléguer que leur époux et père aurait dû être orienté vers un service UNV dès lors que le diagnostic était confirmé, les requérantes n'établissent pas que le SAMU a commis une faute de nature à engager la responsabilité du centre hospitalier de Bastia.

4. En troisième lieu, il résulte de l'instruction, d'une part, que, compte tenu des moyens dont il disposait et de l'absence de médecins spécialistes possédant les compétences spécifiques requises tant pour interpréter les clichés d'imagerie médicale que pour décider de pratiquer une thrombolyse sans bénéficier d'un avis extérieur, le centre hospitalier de Bastia ne pouvait pas, à la date des faits litigieux, mettre en place une UNV, et, d'autre part, que, compte tenu du faible nombre de radiologues et de manipulateurs spécialisés disponibles et des difficultés de recrutement auxquels il était confronté, le centre hospitalier de Bastia, qui avait sollicité en vain des radiologues privés aux fins de mettre en place des gardes et astreintes, n'était pas en mesure d'assurer le fonctionnement permanent de l'appareil permettant de réaliser une imagerie par résonance magnétique (IRM), en fin de semaine. Ces circonstances, alors que les requérantes ne se prévalent ni de la méconnaissance de dispositions législatives ou réglementaires s'imposant à un centre hospitalier de la nature de celui de Bastia, ni d'un manquement aux conditions de son accréditation ou de sa certification en application de l'article L. 6113-4 du code de la santé publique alors en vigueur ou aux conditions de l'autorisation de détention d'un appareil d'IRM en application des articles L. 6122-1 et R. 6122-26 du même code, ne peuvent utilement soutenir que l'impossibilité tant de pratiquer une IMR, un samedi, ainsi qu'en toutes circonstances, une thrombolyse, révèleraient, à elles seules, un défaut dans l'organisation du service de nature à engager la responsabilité du centre hospitalier.

5. En quatrième lieu, ainsi que l'a jugé à bon droit le tribunal au point 6 du jugement attaqué qu'il convient d'adopter, l'absence de mise en place de moyens de télémédecine, en l'absence de cadre réglementaire, à la date des faits, ne saurait être regardée comme constituant une faute de nature à engager la responsabilité du centre hospitalier de Bastia.

6. En outre, une scanographie a été pratiquée peu après l'arrivée de M. D... à l'hôpital de Bastia dans un délai que l'expert n'a pas qualifié d'anormal et, malgré l'absence de convention conclue entre le centre hospitalier de Bastia et une UNV de référence, le service des urgences de l'hôpital a contacté téléphoniquement pour avis le service de neurologie du centre hospitalier universitaire de Nice. Il ne résulte pas de l'instruction que, compte tenu de l'impossibilité technique d'une transmission des clichés de la scanographie par un moyen de télémédecine à la date des faits, le diagnostic erroné du neurologue de garde au centre hospitalier universitaire de Nice qui, en raison de la difficulté à remarquer " l'hyperdensité spontanée de la partie haute du tronc basilaire non calcique différente des calcifications vertébrobasilaires et très évocatrice d'une thrombose " au vu d'un simple scanner, puisse être regardé comme fautif. A cet égard, l'expert a expressément indiqué dans son rapport que seul un transfert d'image aurait " probablement " permis de corriger l'interprétation du cliché et que l'hyperdensité spontanée, traduisant une thrombose du tronc basilaire, était difficilement décelable sur l'image des examens réalisés au centre hospitalier de Bastia au vu des moyens dont il disposait, relevant même qu'aucun des nombreux médecins intervenus au cours des soins et même au cours des opérations d'expertise n'a été en mesure d'envisager un tel diagnostic.

7. En cinquième lieu, contrairement à ce que soutiennent les requérantes, il ne résulte pas de l'expertise que, compte tenu des moyens dont disposait le centre hospitalier de Bastia, M. D... n'a pas bénéficié d'une prise en charge et d'une surveillance adaptées à son état de santé, y compris après son admission le 27 mars 2010 à 18 heures 30 au sein du service de médecine polyvalente, pendant la nuit du 27 au 28 mars au cours de laquelle la dégradation de son état de santé, notamment sur le plan de la vigilance, a conduit le médecin de garde à prescrire une aspiration et une surveillance de la diurèse, pendant la journée du dimanche 28 mars 2010 au cours de laquelle deux scanners ont été pratiqués sans puis avec injection et, enfin au cours de son séjour en réanimation du 28 mars au 7 mai 2020.

8. Il résulte de ce qui vient d'être dit que Mmes D... ne sont pas fondées à soutenir que le centre hospitalier de Bastia a commis une faute à l'origine d'une perte de chance pour M. D... d'échapper aux conséquences dommageables de l'accident vasculaire cérébral dont il a été victime le 27 mars 2010 ni, par suite, à demander que ce centre hospitalier et son assureur soient condamnés à réparer les conséquences dommageables de cette pathologie. Pour les mêmes motifs, il y a également lieu de rejeter les conclusions tendant à de telles fins présentées par la caisse primaire d'assurance maladie de la Haute-Corse.

A titre subsidiaire, sur la responsabilité de l'Etat :

9. Mmes D..., qui se prévalent des dispositions des articles L. 1110-1 et L. 1411-1 du code de la santé publique aux termes desquelles l'Etat doit garantir la meilleure sécurité sanitaire possible et l'accès effectif de la population aux soins, soutiennent que sa responsabilité est engagée en raison de l'absence de prise des mesures nécessaires pour la mise en œuvre des recommandations de bonne pratique publiées par la Haute autorité de santé en mai 2009, lesquelles rappellent l'importance de prendre en charge de façon précoce les patients victimes d'un accident vasculaire cérébral et l'intérêt d'organiser cette prise en charge par la constitution d'unités neuro-vasculaires (UNV) dans certains établissements de santé et par la structuration, pour les établissements ne disposant pas d'une telle unité, d'une filière de prise en charge de ces patients, permettant une coordination avec une UNV.

10. En premier lieu, ainsi qu'il a été dit au point 5, l'utilisation de moyens de télémédecine n'était, en dépit des recommandations de la Haute autorité de santé en mai 2009, pas encore légalement possible en mars 2010, dès lors que la pratique des actes relevant de la " téléexpertise ", ayant pour objet de permettre à un professionnel médical de solliciter à distance l'avis d'un ou de plusieurs professionnels médicaux en raison de leurs formations ou de leurs compétences particulières, sur la base des informations médicales liées à la prise en charge d'un patient, n'a pu être mise en place, en application de l'article L. 6316-1 du code de la santé publique, issu de la loi susvisée du 21 juillet 2009 qui a autorisé et encadré la pratique de la télémédecine, qu'après la publication du décret susvisé du 19 octobre 2010, soit postérieurement aux faits litigieux.

11. En deuxième lieu, il ne résulte pas de l'instruction que, compte tenu des difficultés liées à la démographie médicale en Corse, au caractère récent du déploiement généralisé des UNV sur le territoire français et, ainsi qu'il a été dit précédemment, à l'impossibilité de déployer légalement, avant l'intervention du décret du 19 octobre 2010, des moyens de télémédecine, l'Etat aurait, à la date à laquelle M. D... a fait l'objet de la prise en charge médicale en litige, commis une faute en ne prenant pas les mesures nécessaires pour donner aux établissements publics de santé de Corse les moyens indispensables à la prise en charge des patients victimes d'un accident vasculaire cérébral. A supposer que les requérantes aient entendu faire grief à l'Etat du retard avec lequel le décret d'application de la loi du 21 juillet 2009 a été pris, le délai inférieur à neuf mois qui s'était écoulé, à la date des faits litigieux, n'était, en tout état de cause, ni anormal, ni déraisonnable.

12. En troisième lieu, en se bornant à se prévaloir de la circulaire DHOS/04/2007/108 du 22 mars 2007, dépourvue de valeur règlementaire, complétant la circulaire DHOS/DGS/DGAS n° 517 du 3 novembre 2003, aux fins de " clarifi(er) le rôle, les missions, l'organisation, le fonctionnement et le financement de l'unité neuro-vasculaire " et d'énoncer les principes devant " guider l'organisation et la structuration de l'hospitalisation à la phase aiguë dans les unités neuro-vasculaires ", les requérantes ne démontrent pas davantage la carence de l'Etat dans l'organisation du service public de santé corse à la date des faits en litige.

13. Il s'en suit que Mmes D... ne sont pas fondées à demander la condamnation de l'Etat au titre des conséquences dommageables de l'état de santé dans lequel leur époux et père s'est trouvé à la suite de l'accident vasculaire cérébral dont il a été victime le 27 mars 2010.

A titre plus subsidiaire, sur la demande d'indemnisation au titre de la solidarité nationale :

14. Il y a lieu d'écarter les conclusions subsidiaires des requérantes dirigées contre l'ONIAM, par adoption des motifs retenus par les premiers juges aux points 21 à 23 du jugement attaqué, qui ne sont pas utilement contestés par la simple réitération de l'argumentation présentée en première instance.

15. Il résulte de tout ce qui précède que Mmes D... ne sont pas fondées à soutenir que c'est à tort que les premiers juges ont, par le jugement attaqué, rejeté leurs demandes tendant à l'indemnisation de l'ensemble des conséquences dommageables de la prise en charge médicale dont leur époux et père a fait l'objet à la suite de l'accident vasculaire cérébral survenu le 27 mars 2010 à titre principal, par le centre hospitalier de Bastia et la SHAM, ou, à titre subsidiaire, par l'Etat ou par l'ONIAM.

Sur les frais liés au litige :

16. D'une part, il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de laisser les frais de l'expertise à la charge définitive des requérantes, en leur qualité d'ayants droit de M. D....

17. D'autre part, les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que soient mises à la charge des défendeurs, qui ne sont pas, dans la présente instance, les parties perdantes et tenues aux dépens, les sommes que demandent Mmes D... au titre des frais exposés par elles et non compris dans les dépens. Pour la même raison, la caisse primaire d'assurance maladie de la Haute-Corse n'est pas fondée à demander à ce que soit mise à la charge du centre hospitalier de Bastia et de la SHAM la somme qu'elle demande au titre des frais exposés par elle et non compris dans les dépens. Il n'apparait pas inéquitable, dans les circonstances de l'espèce, de laisser à la charge de l'ONIAM les frais exposés par lui et non compris dans les dépens.

D E C I D E :

Article 1er : La requête de Mmes D... est rejetée.

Article 2 : Les conclusions de la caisse primaire d'assurance maladie de la Haute-Corse sont rejetées.

Article 3 : Les conclusions présentées par l'ONIAM sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.

Article 4 : Le présent arrêt sera notifié à Mme E... D..., représentante unique des requérantes, au centre hospitalier de Bastia, à la société Hospitalière d'assurances mutuelles, au ministre de la santé et de la prévention, à la caisse primaire d'assurance maladie de la Haute-Corse et à l'Office national d'indemnisation des accidents médicaux, des affections iatrogènes et des infections nosocomiales.

Copie en sera adressée à l'Agence régionale de santé de Corse.

Délibéré après l'audience du 19 mai 2022, où siégeaient :

- Mme Helmlinger, présidente de la Cour,

- Mme Massé-Degois, présidente assesseure,

- M. Mamouhti, premier conseiller.

Rendu public par mise à disposition au greffe, le 2 juin 2022.

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N° 20MA03704


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