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24/05/2022 | FRANCE | N°21MA03829

France | France, Cour administrative d'appel de Marseille, 4ème chambre, 24 mai 2022, 21MA03829


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

Par une requête enregistrée le 25 novembre 2020, Mme C... B... a demandé au juge des référés du tribunal administratif de Toulon de condamner l'Etat à lui payer une provision de 7 312, 35 euros.

Par une ordonnance n° 2003292 du 6 août 2021, le juge des référés du tribunal administratif de Toulon a rejeté sa demande.

Par une ordonnance n° 455888 du 1er septembre 2021, le président de la section du contentieux du Conseil d'Etat a transmis à la Cour l'appel de Mme B... en application de

l'article R. 351-1 du code de justice administrative.

Procédure devant la Cour :

Par u...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

Par une requête enregistrée le 25 novembre 2020, Mme C... B... a demandé au juge des référés du tribunal administratif de Toulon de condamner l'Etat à lui payer une provision de 7 312, 35 euros.

Par une ordonnance n° 2003292 du 6 août 2021, le juge des référés du tribunal administratif de Toulon a rejeté sa demande.

Par une ordonnance n° 455888 du 1er septembre 2021, le président de la section du contentieux du Conseil d'Etat a transmis à la Cour l'appel de Mme B... en application de l'article R. 351-1 du code de justice administrative.

Procédure devant la Cour :

Par une requête enregistrée initialement le 24 août 2021 au greffe du Conseil d'Etat, un mémoire complémentaire enregistré à la Cour administrative d'appel de Marseille le

18 février 2022, et un mémoire en réplique enregistré le 5 mai 2022, Mme B..., représentée par la SCP de Nervo et Poupet, demande à la Cour :

1°) d'annuler l'ordonnance du 6 août 2021 ;

2°) de condamner l'Etat à lui verser la somme de 7 312, 35 euros à titre de provision ;

3°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 3 000 euros en application de l'article

L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que :

- le juge des référés du tribunal administratif de Toulon n'a pas tiré les conséquences de l'acquiescement aux faits du ministre de la justice ; il a commis une erreur de droit et s'est livré à une appréciation erronée ;

- en application de l'article 3 du décret n° 2006-781 du 3 juillet 2006 fixant les modalités de remboursement des frais occasionnés par les déplacements temporaires des personnes civils de l'Etat, elle aurait dû bénéficier du remboursement de ses frais de transport entre son domicile et son lieu d'affectation ainsi que du remboursement de ses frais de transport et d'hébergement à Roubaix ;

- elle aurait dû bénéficier de la nouvelle bonification indiciaire (NBI) prévue par l'article 1er du décret n° 2001-1061 du 14 novembre 2001, et une note ministérielle sans qu'il soit nécessaire que le centre éducatif renforcé où elle exerce accueille principalement des jeunes issus de quartiers prioritaires de la politique de la ville ;

- le ministre de la justice ayant acquiescé aux faits, le juge des référés ne pouvait, sans commettre une erreur de droit, juger que les documents permettant de procéder aux calculs du reliquat de ses congés non pris n'étaient pas produits.

Par un mémoire en défense, enregistré au greffe le 3 mai 2022, le garde des sceaux, ministre de la justice, conclut au rejet de la requête.

Il soutient que les moyens invoqués par Mme B... ne sont pas fondés, ses créances étant sérieusement contestables.

L'affaire ayant été renvoyée en formation collégiale.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- la directive 2003/88 du Parlement européen et du Conseil du 4 novembre 2003

- la loi n° 83-634 du 13 juillet 1983 ;

- la loi n° 84-16 du 11 janvier 1984 ;

- la loi n° 91-73 du 18 janvier 1991 ;

- le décret n° 84-972 du 26 octobre 1984 ;

- le décret n° 92-344 du 27 mars 1992 ;

- le décret n° 93-522 du 26 mars 1993 ;

- le décret n° 2001-1061 du 14 novembre 2001 ;

- le décret n° 2006-781 du 3 juillet 2006 ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de M. A...,

- les conclusions de M. Angéniol, rapporteur public,

- et les observations de Me Poupet, représentant Mme B....

Considérant ce qui suit :

1. Mme C... B..., éducateur de la protection judiciaire stagiaire qui n'a pas été titularisée, relève appel de l'ordonnance du 6 août 2021 par laquelle le juge des référés du tribunal administratif de Toulon a rejeté sa requête en référé-provision tendant au paiement de la somme de 7 312,35 euros correspondant aux créances qu'elle estime détenir sur l'Etat à l'issue de son stage.

2. Aux termes de l'article R. 541-1 du code de justice administrative : " Le juge des référés peut, même en l'absence d'une demande au fond, accorder une provision au créancier qui l'a saisi lorsque l'existence de l'obligation n'est pas sérieusement contestable. Il peut, même d'office, subordonner le versement de la provision à la constitution d'une garantie ". Il résulte de ces dispositions qu'il appartient au juge des référés, dans le cadre de la procédure qu'elles instituent, de rechercher si, en l'état du dossier qui lui est soumis, l'obligation du débiteur éventuel de la provision est ou n'est pas sérieusement contestable sans avoir à trancher ni de questions de droit se rapportant au bien-fondé de cette obligation ni de questions de fait soulevant des difficultés sérieuses et qui ne pourraient être tranchées que par le juge du fond éventuellement saisi.

Sur la régularité de l'ordonnance attaquée :

3. Aux termes de l'article R. 612-6 du code de justice administrative : " Si, malgré une mise en demeure, la partie défenderesse n'a produit aucun mémoire, elle est réputée avoir acquiescé aux faits exposés dans les mémoires du requérant ".

4. Mme B... soutient que le juge des référés du tribunal administratif de Toulon s'est abstenu de tirer les conséquences de l'acquiescement aux faits par le ministre de la justice, lequel n'a pas produit de mémoire en défense, en dépit d'une mise en demeure qui lui a été adressée le 12 février 2021, et qu'il aurait donc commis une erreur de droit. La circonstance que le juge des référés du tribunal administratif de Toulon, qui avait mis le ministre en demeure de produire ses observations par un courrier mentionnant les dispositions de l'article R. 612-6 du code de justice administrative, n'en aurait pas tiré toutes les conséquences de droit alors qu'il lui appartenait seulement, les dispositions précitées étant applicables, de vérifier que l'inexactitude des faits exposés dans la requête de la requérante ne ressortait d'aucune pièce du dossier, n'affecte pas la régularité de l'ordonnance attaquée mais relève du bien-fondé de celle-ci.

Sur le bien-fondé de l'ordonnance attaquée :

5. En premier lieu, aux termes de l'article 3 du décret du 3 juillet 2006 fixant les conditions et les modalités de règlement des frais occasionnés par les déplacements temporaires des personnels civils de l'Etat, dans sa rédaction en vigueur jusqu'au 1er mars 2019 :

" (...) A l'occasion d'un stage, l'agent peut prétendre : - à la prise en charge de ses frais de transport ; - et à des indemnités de stage dans le cadre d'actions de formation initiale ou d'indemnités de mission dans le cadre d'actions de formation continue. Dans ce dernier cas, s'il a la possibilité de se rendre dans un restaurant administratif ou d'être hébergé dans une structure dépendant de l'administration moyennant participation, l'indemnité de mission attribuée à l'agent est réduite d'un pourcentage fixé par le ministre ou par délibération du conseil d'administration de l'établissement. Les indemnités de stage instituées par le présent décret ne sont pas versées aux agents qui, appelés à effectuer un stage dans un établissement ou centre de formation des agents de l'Etat, bénéficient, à ce titre, d'un régime indemnitaire particulier. L'indemnité de mission et l'indemnité de stage sont exclusives l'une de l'autre.(...) ". Et aux termes de l'article 3-1 du même décret du 3 juillet 2006, applicable à compter du

1er mars 2019 : " Lorsque l'agent se déplace à l'occasion d'un stage, il peut prétendre : - à la prise en charge de ses frais de transport ; - à des indemnités de stage dans le cadre de formation professionnelle statutaire préalable à la titularisation ou aux indemnités de mission prévues à l'article 3 dans le cadre d'autres actions de formation professionnelle statutaire et d'actions de formation continue. Dans ce dernier cas, s'il a la possibilité de rendre dans un restaurant administratif ou d'être hébergé dans une structure dépendant de l'administration moyennant participation, l'indemnité de mission attribuée à l'agent est réduite d'un pourcentage fixé par le ministre ou par délibération du conseil d'administration de l'établissement. Les indemnités de stage instituées par le présent décret ne sont pas versées aux agents qui, appelés à effectuer un stage dans un établissement ou centre de formation des agents de l'Etat, bénéficient, à ce titre, d'un régime indemnitaire particulier. L'indemnité de stage et l'indemnité de mission instituées par le présent décret sont exclusives l'une de l'autre ". Il résulte de ces dispositions qu'un stagiaire peut prétendre au remboursement des frais engagés par les déplacements qu'il est conduit à effectuer pendant la période de son stage et pour les besoins de sa formation, en dehors de son lieu d'affectation qui constitue sa résidence administrative sauf, lorsqu'appelé à effectuer un stage dans un établissement ou dans un centre de formation des agents de l'Etat, il bénéficie, à ce titre, d'un régime indemnitaire particulier.

6. Il ne résulte pas de l'instruction que les lieux où Mme B... a effectué son stage et au titre desquels elle demande le remboursement de ses frais de transports soient des établissements ou centres de formation des agents de l'Etat au sens des dispositions précitées.

7. D'une part, Mme B... qui démontre en produisant des justificatifs d'achat qu'elle a dépensé la somme de 589 euros pour ses déplacements entre son domicile, situé à Marseille et son lieu de stage à Toulon entre le 1er février 2018 et le 31 mars 2019, doit être regardée comme apportant des éléments suffisants permettant d'établir l'existence d'une telle créance envers l'Etat. Par suite, ladite créance est, à cette hauteur, non sérieusement contestable.

8. D'autre part, Mme B... demande également le versement d'une somme de

520 euros correspondant à la prise en charge de ses frais de transport et d'hébergement à Roubaix. La requérante produit pour la première fois en appel trois justificatifs d'achat de billets de train dont les dates corroborent avec les dates de formation ayant eu lieu à l'école nationale de la protection judiciaire de la jeunesse située à Roubaix. Ainsi, elle produit un billet de train à destination de Marseille, qui correspond à la période de regroupement au site central du

8 au 19 octobre 2018, un billet à destination de Lille du 14 mai 2018 correspondant à la période de regroupement du 14 mai au 1er juin 2018 et enfin, un billet à destination de Tourcoing le

18 février 2018 correspondant à la période de regroupement allant du 19 février au 2 mars 2018. Ainsi, la créance dont se prévaut Mme B... n'est pas sérieusement contestable sur ce point. Par suite, l'Etat doit être condamné à verser à Mme B... une provision de 312 euros au titre du remboursement des frais de transport entre Marseille et Lille.

9. En deuxième lieu, aux termes du I de l'article 27 de la loi du 18 janvier 1991 portant dispositions relatives à la santé publique et aux assurances sociales : " La nouvelle bonification indiciaire des fonctionnaires et des militaires instituée à compter du 1er août 1990 est attribuée pour certains emplois comportant une responsabilité ou une technicité particulière dans des conditions fixées par décret ". Aux termes de l'article 1er du décret du 14 novembre 2001 relatif à la nouvelle bonification indiciaire au titre de la mise en œuvre de la politique de la ville dans les services du ministère de la justice : " Une nouvelle bonification indiciaire au titre de la mise en œuvre de la politique de la ville, prise en compte et soumise à cotisation pour le calcul de la pension de retraite, peut être versée mensuellement, dans la limite des crédits disponibles aux fonctionnaires titulaires du ministère de la justice, exerçant, dans le cadre de la politique de la ville, une des fonctions figurant en annexe au présent décret ". Et l'annexe à ce décret prévoit que peuvent prétendre au bénéfice de la NBI, les fonctionnaires exerçant les " : Fonctions de catégories A, B ou C de la protection judiciaire de la jeunesse : 1. En centre de placement immédiat, en centre éducatif renforcé ou en foyer accueillant principalement des jeunes issus des quartiers prioritaires de la politique de la ville ; 2. En centre d'action éducative situé dans un quartier prioritaire de la politique de la ville ; 3. Intervenant dans le ressort territorial d'un contrat local de sécurité. ".

10. D'une part, Mme B... fait valoir qu'elle a exercé durant son stage en centre éducatif renforcé. Mais l'unité éducative d'hébergement collectif (UEHC) de l'Escaillon à Toulon, unité qui assure l'accueil de mineurs sous mandat judiciaire et où elle a effectué son stage, n'est pas un centre d'éducation renforcé destiné à accueillir des mineurs délinquants. D'autre part, si Mme B... invoque une note en date du 16 mai 2019 de la sous-directrice des ressources humaines et des relations sociales de la direction de la protection judiciaire de la jeunesse du ministère de la justice qui étend le bénéfice de la NBI aux agents affectés au sein d'une UEHC à compter du 1er janvier 2019, elle ne peut, en tout état de cause, utilement se prévaloir d'une telle note, laquelle est dépourvue d'effets juridiques. Par conséquent, elle ne pouvait se voir attribuer le bénéfice de la NBI au titre de la période allant du 1er février 2018 au 31 mars 2019. Par suite, la créance dont se prévaut Mme B... au titre de la NBI est sérieusement contestable.

11. En dernier lieu, aux termes de l'article 7 de la directive 2008/88/CE du Parlement européen et du Conseil du 4 novembre 2003 relative à certains aspects de l'aménagement du temps de travail dispose que : " Congés annuel 1. Les Etats membres prennent les mesures nécessaires pour que tout travailleur bénéficie d'un congé annuel payé d'au moins quatre semaines, conformément aux conditions d'obtention et d'octroi prévues par les législations et/ou pratiques nationales. 2. La période minimale de congé annuel payé ne peut être remplacé par une indemnité financière, sauf en cas de fin de relation de travail. ". Selon la jurisprudence de la Cour de justice de l'Union européenne, ces dispositions font obstacle à ce que le droit au congé annuel payé qu'un travailleur n'a pas pu exercer pendant une certaine période parce qu'il était en congé de maladie pendant tout ou partie de cette période s'éteigne à l'expiration de celle-ci.

12. Aux termes de l'article 1er du décret du 26 octobre 1984 : " Tout fonctionnaire de l'Etat en activité a droit, dans les conditions et sous les réserves précises aux articles ci-après, pour une année de service accompli du 1er janvier au 31 décembre, à un congé annuel d'une durée égale à cinq fois ses obligations hebdomadaires de service. Cette durée est appréciée en nombre de jours effectivement ouvrés (...) ". Aux termes de l'article 5 du même décret : " Le congé dû pour une année de service accompli ne peut se reporter sur l'année suivante, sauf autorisation exceptionnelle donnée par le chef de service. / Un congé non pris ne donne lieu à aucune indemnité compensatrice ".

13. Si Mme B... invoque un reliquat de jours de congés non pris durant son stage, le ministre conteste très fortement en défense le nombre de jours dont se prévaut

celle-ci, d'une part, en justifiant par la production de plannings une absence de 19 jours, et d'autre part, en estimant que ces jours d'absence non justifiés ont été regardés comme des congés épuisant les droits de Mme B... à jours de congés supplémentaires. En l'état des débats sur ce point, l'obligation dont se prévaut l'intéressée à ce titre, laquelle d'ailleurs n'invoque aucune disposition précise, doit être regardée comme sérieusement contestable.

Sur les frais liés au litige :

14. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de faire droit aux conclusions de la requérante sur le fondement des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et de mettre à la charge de l'Etat une somme de 2 000 euros au titre des frais exposés par elle à l'occasion du litige.

D E C I D E :

Article 1er : L'Etat (ministère de la justice) versera à Mme B... une somme de 901 euros.

Article 2 : L'ordonnance du 6 août 2021 du juge des référés du tribunal administratif de Toulon est réformée en ce qu'elle a de contraire à la présente décision.

Article 3 : L'Etat (ministère de la justice) versera à Mme B... une somme de 2 000 euros au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Article 4 : Le surplus des conclusions de la requête est rejeté.

Article 5 : La présente ordonnance sera notifiée à Mme C... B... et au garde des sceaux, ministre de la justice.

Délibéré après l'audience du 10 mai 2022, où siégeaient :

- M. Badie, président,

- M. Revert, président assesseur,

- M. Ury, premier conseiller.

Rendu public par mise à disposition au greffe le 24 mai 2022.

N° 21MA038292


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Marseille
Formation : 4ème chambre
Numéro d'arrêt : 21MA03829
Date de la décision : 24/05/2022
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Plein contentieux

Analyses

54-03-015 Procédure. - Procédures de référé autres que celles instituées par la loi du 30 juin 2000. - Référé-provision.


Composition du Tribunal
Président : M. BADIE
Rapporteur ?: M. Alexandre BADIE
Rapporteur public ?: M. ANGENIOL
Avocat(s) : SCP DE NERVO ET POUPET

Origine de la décision
Date de l'import : 07/06/2022
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.marseille;arret;2022-05-24;21ma03829 ?
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